11/11/2020

Raphaëlle Branche, Papa, qu'as-tu fait en Algérie ? Enquête sur un silence familial, éd. La Découverte, 3 sept. 2020, 512 p. 25 €. ISBN : 9782707198785

Présentation de l'éditeur. « De 1954 à 1962, plus d’un million et demi de jeunes Français sont partis faire leur service militaire en Algérie. Mais ils ont été plongés dans une guerre qui ne disait pas son nom. Depuis lors, les anciens d’Algérie sont réputés n’avoir pas parlé de leur expérience au sein de leur famille. Le silence continuerait à hanter ces hommes et leurs proches. En historienne, Raphaëlle Branche a voulu mettre cette vision à l’épreuve des décennies écoulées depuis le conflit.

Fondé sur une vaste collecte de témoignages et sur des sources inédites, ce livre remonte d’abord à la guerre elle-même : ces jeunes ont-ils pu dire à leur famille ce qu’ils vivaient en Algérie ? Ce qui s’est noué alors, montre Raphaëlle Branche, conditionne largement ce qui sera transmis plus tard. Son enquête suit ensuite les métamorphoses des silences et des récits jusqu’à nos jours. Elle pointe l’importance des bouleversements qu’a connus la société française et leurs effets sur ce qui pouvait être dit, entendu et demandé dans les familles à propos de la guerre d’Algérie. Elle éclaire en particulier pourquoi, six décennies après la fin du conflit, beaucoup d’enfants ont toujours la conviction qu’existe chez leur père une zone sensible à ne pas toucher.

Grâce à cette enquête, c’est plus largement la place de la guerre d’Algérie dans la société française qui se trouve éclairée : si des silences sont avérés, leurs causes sont moins personnelles que familiales, sociales et, ultimement, liées aux contextes historiques des dernières décennies. Avec le temps, elles se sont modifiées et de nouveaux récits sont devenus possibles. 

Prix Augustin Thierry 2020 ».

 

04/11/2020

Tore Rørbæk (sc.), Mikkel Sommer (ill.), Shingal, La Boîte à bulles, 4 nov. 2020, 176 pages, 20 €, 112 pages. EAN 9782849533789


Présentation de l’éditeur. « En août 2014, L’État islamique attaque le peuple Yézidis dans la région montagneuse de Shingal, et perpétue un véritable massacre dans cette région au nord-ouest de l’Irak. Asmail, son frère Mazlum et leurs familles sont des leurs. Comme nombre d’autres Yézidis, ils vont devoir fuir vers ce refuge ancestral que sont les montagnes de Shingal et lutter pour la survie de leurs familles et de leur peuple...

Si la crise humanitaire qui a découlé de cette tragédie est relativement connue de tous, de nombreuses zones d’ombre persistent quant aux éléments qui ont conduit au génocide et à l’exode de toute une population.
Tout au long de cet album, Tore Rørbæk et Mikkel Sommer donnent corps à un peuple méconnu, victime de la barbarie, et tentent de faire la lumière sur ces éléments souvent passés sous silence... ».

  Les montagnes du Shingal correspondent à ce que l’on connaît plus communément en France (et en Occident, semble-t-il) sous le nom des monts Sinjar (ou Sindjar). Ces reliefs et se situent au nord de la ville de Sinjâr, et font partie de la province de Ninive (ville prestigieuse à l’époque antique) dont le chef-lieu est Mossoul. Nous sommes donc presque tout au nord de l’Irak, au contact de la Syrie.

Le région est habitée par une ethnie minoritaire irakienne : les Yézidis. La majorité d’entre eux se trouve en Irak, mais il existe une diaspora qui s’est dispersée un peu partout en Europe, notamment la Russie.
Ce peuple kurdophone et monothéiste a la particularité de ne pas être musulman. Il pratique le yézidisme, dont le personnage emblématique est l’« ange-paon » (Malek Taous), l’un des sept anges.
Minorité au sein du monde musulman, les Yézidis ont parfois fait l’objet de persécutions sanglantes, résultat de leur résistance pour préserver leur culture et leur identité.
Au début du mois d’août 2014, la population est menacée par l’avance de l’État islamique en Irak et au Levant (Da’ech), profitant du chaos syrien et irakien. Mossoul est déjà tombée en juin. L’exode des Yézidis est inéluctable après la chute de Sinjâr, mais des centaines d’entre eux sont massacrés ou capturés et réduits en esclavage. Le caractère systématique des massacres inclinent plusieurs organisations (dont l’ONU et la FIDH) à parler de « crime contre l’humanité » et de « génocide ».
Des milliers de Yézidis restent bloqués dans les montagnes du Sinjar, et ne sont sauvés par des opérations des milices kurdes et les raids aériens de la coalition internationale, malgré le retrait des Peshmergas.

Tore Rørbæk a écrit de nombreux articles pour des journaux danois, et s’est spécialisé dans les affaires du Moyen-Orient. Mikkel Sommer est illustrateur ; il a produit des dessins pour des titres américains, et s’est lancé dans la bande dessinée depuis 2014. Pour aider à entrer dans l’histoire brutale des faits, les auteurs ont créé des personnages fictifs inspirés de la réalité, à savoir Asmail et son frère Mazium. Ils ont cependant pris le temps de rappeler l’histoire du peuple yézidi et la géographie du Shingal, ce qui n’est pas le moindre intérêt de cet album. Cela permet également de mieux comprendre les enjeux de la région, sans que soit évoqué, cependant, le contexte syrien et irakien. On pourra le regretter, mais il suffira de se documenter pour en savoir davantage, car l’objectif des auteurs est à la fois de (re-)mettre en lumière les massacres d’août 2014 (passablement oubliés, au mieux, sinon ignorés en Occident). On saisit d’ailleurs la précarité qui est l’une des grandes caractéristiques du peuple yézidi, quelle que soit la période de l’Histoire, et on comprend alors que sa capacité de résistance s’inscrit dans le temps. Cela tient peut-être à une certaine relativité : les massacres de 2014 n’ont pas été les premiers ; ils ne sont pas les derniers. Les auteurs en rappellent un, qui s’est déroulé en 1892, avec la tentative d’islamisation lancée par un général ottoman, Osman Pacha. Ils rappellent également que la montagne est leur principale protectrice.

Matteo Mastragostino (sc.), Paolo Vincenzo Castaldi (ill.), Vann Natt. Le peintre des Khmers rouges, La Boîte à bulles, 4 nov. 2020, 176 pages, 22 €, 128 pages. EAN 9782849533796


Présentation de l’éditeur. « En 1978, alors qu’il est encore un tout jeune peintre, Vann Nath est arrêté par les Khmers rouges. Accusé de violation du code moral, il est enfermé à la tristement célèbre prison de Tuol Sleng, plus connue sous le nom de S-21.
Dès lors, la peinture deviendra pour lui synonyme de survie puisqu’il sera réquisitionné, comme bon nombre d’artistes et artisans cambodgiens, afin de mettre son talent au service de la dictature.
À travers ce récit, l’on découvre les racines de l’art de Vann Nath, pour qui peindre est devenu, à sa libération, un devoir de mémoire et d’hommage aux victimes du régime de Pol Pot.
Au-delà de sa portée biographique, cet ouvrage présente le combat mené par le peintre pour que les crimes de ses bourreaux ne demeurent pas inconnus de tous.
Un album aussi passionnant que percutant... ».

20/10/2020

Fabrice Bourrée, Retracer le parcours d’un résistant. Guide d’orientation dans les fonds d’archives , éd. Archives & Culture, coll. « Guides de généalogie », 15 oct. 2020, 111 p., 13 €. ISBN : 9782350773650

Présentation de l’éditeur. « Retracer le parcours d’un résistant ou d’un Français libre (Guide d’orientation dans les fonds d’archives).

Sur la Résistance, née de façon spontanée hors des cadres politiques, militaires ou syndicaux traditionnels et par définition clandestine, les fonds documentaires sont aussi dispersés et multiples que les parcours individuels l’ont été.

Les premiers dossiers de résistants constitués à la Libération, consultables au Service historique de la Défense, étaient ceux de « l’homologation » de services par le ministère des Armées. Mais seuls étaient pris en compte les engagements se rapprochant de ceux des combattants réguliers.

En 1949 est créé le titre de Combattant volontaire de la Résistance attribué par le ministère des Anciens Combattants et Victimes de guerre, sur des critères plus vastes et sur la foi de plusieurs témoignages. Les dossiers correspondants sont conservés dans les services d’archives départementales.

Les fonds émanant des forces du maintien de l’ordre, tout comme les archives judiciaires et pénitentiaires, apportent de précieux compléments.

Enfin, d’autres dossiers ont été créés pour l’attribution d’une décoration (médaille de la Résistance française, médaille de la France libérée…).

Compte tenu de la multiplicité des documents et des lieux de conservation, ce guide était indispensable : il vous indique où et comment chercher pour retracer au mieux un parcours individuel.

Avec le parrainage de la Fondation de la Résistance et du Service historique de la Défense ».

 

Andrea Serio (sc. et ill.), Hélène Dauniol-Remaud (trad.),, Rhapsodie en bleu, Futuropolis, 7 oct. 2020, 128 p., 21 €. ISBN : 9782754830454

 

Présentation de l’éditeur. « Trois cousins juifs, Andrea, Martino et Cati, sont persécutés par les lois raciales de Mussolini à l’aube de la seconde guerre mondiale. Forcé de quitter Trieste pour New York, Andrea essaiera de retrouver une vie normale, hanté par les fantômes du passé.

À travers le destin d’Andrea Goldstein, jeune homme juif, Andrea Serio nous fait percevoir avec douceur et empathie, l’intensité, la violence, la bêtise crasse et innommable de cette sombre époque, comme les prémisses mortifères de ce qu’à nos portes, certains de nos contemporains vivent aujourd’hui.

« À dater du jour du 15 octobre 1938, Victor Emmanuel III, par la grâce de Dieu et par la volonté de la nation, roi d’Italie, empereur d’Éthiopie, ayant entendu le Conseil des ministres, décrète que tous les enseignants de race juive seront suspendus de leur service, et ne pourront être inscrits les élèves de race juive.
Sont considérées comme de race juive les personnes nées de parents tous deux de race juive, quand bien même elles professeraient une autre religion que la religion juive… ».

15/10/2020

Erik Olin Wright (trad. fr. : Christophe Jaquet et Rémy Toulouse ; Vincent Farnea et Joao Alexandre Peschanski), Stratégies anticapitalistes pour le XXIe siècle et Utopies réelles, La Découverte, 15 octobre 2020. Respectivement : 184 p., 19 €, EAN : 9782348055621 ; coll. « Poche / Sciences humaines et sociales » n° 529, 529 p., 14 €, EAN : 9782348065484.



Présentation de Stratégies anticapitalistes pour le XXIe siècle par l’éditeur. « Alors que l’idée d’une stratégie anticapitaliste réapparaît ici ou là au sein des gauches mondiales, aucun essai d’ensemble visant à repenser ses voies éventuelles et ses chances effectives n’existe réellement. Les modèles historiques et pratiques ne manquent pourtant pas --- la rupture révolutionnaire, la fuite libertaire, la régulation globale de la social-démocratie, etc. Mais ces options sont presque toujours opposées les unes aux autres, jusqu’à polariser et diviser les gauches depuis des décennies alors qu’elles ont chacune fait la preuve de leurs insuffisances. Voilà pourquoi le débat sur la transition post-capitaliste est pauvre et l’imagination des socialistes asséchée. Le capitalisme a beau apparaître de plus en plus comme le problème majeur de notre temps, personne ne sait vraiment comment s’en défaire.

 C’est donc à l’invention d’une nouvelle formule de l’anticapitalisme, complète et efficace, qu’est dédié ce livre. À rebours du socialisme étatisé ou d’un appel à l’exode, les stratégies d’érosion qu’elle promeut consistent à investir par en bas toutes les zones et pratiques déjà existantes où la vie et la production s’organisent de manière non capitaliste, mais, dans le même temps, à mettre un pied dans les institutions et initier par en haut toutes les politiques susceptibles de développer ces formes et ces espaces de vie. À ceux qui, à gauche, nous disent que la fin du monde s’imagine mieux que celle du capitalisme, ce livre offre un cinglant démenti. Et il suggère qu’à l’optimisme de la volonté doit désormais être joint celui de l’intelligence ».


Présentation d’Utopies réelles par l’éditeur
. « Pourquoi et comment sortir du capitalisme ? Quelles sont les alternatives d’ores et déjà présentes ? Peut-on, doit-on réinventer les socialismes par des réalisations concrètes ? Avec quels outils, quelles formes d’action, quelles institutions ? Telles sont les vastes questions, solidaires les unes des autres, auxquelles répond ce livre original et magistral, synthèse d’une enquête internationale et collective de plusieurs années sur les théories les plus actuelles de l’émancipation ainsi que sur de nombreux projets vivants de transformation radicale, ou plus graduelle, déjà observables dans les domaines social, économique et politique.
Grâce à un regard rigoureux et acéré, appelé à fonder un nouveau programme de recherche sur les expérimentations postcapitalistes contemporaines, se détachent une conception neuve du progrès et de ses instruments potentiels ainsi qu’une vision scientifique des modalités de dépassement du capitalisme. Les utopies réelles ne sont ni pour les idéalistes ni pour les réalistes. Ce sont les expériences vécues, les projections audacieuses qui créent dès maintenant les conditions et les formes d’un avenir meilleur, d’un autre futur possible.
Traité savant, arme au service d’un renouveau nécessaire de l’imagination politique, Utopies réelles figure déjà parmi les classiques de la pensée sociale du XXIe siècle ».

 

 

Les éditions La Découverte viennent de publier la traduction française de l’ultime ouvrage du sociologue Erik Olin Wright : Stratégies anticapitalistes pour le XXe siècle. Très opportunément, elles proposent la version de poche de son copieux Utopies réelles [1]. Le lecteur pressé se précipitera sur le premier, avant (il faut l’espérer) d’aller vers le second. L’auteur, mort à la fin de janvier 2019, dit avoir conçu Stratégies anticapitalistes comme une version plus synthétique d’Utopies réelles. Il est, de fait, beaucoup plus abordable. L’approche de sa mort en a accéléré l’écriture, sans en altérer la cohérence et la pertinence, même si l’ouvrage est et restera inachevé. C’est principalement de celui-là dont il est question ici.

Sur la base de sa très longue observation des classes sociales (à quoi la sociologie contemporaine s’est moins intéressée que par le passé), Erik Olin Wright part de l’idée commune selon laquelle il serait plus facile d’envisager la fin du monde que celle du capitalisme. L’auteur réfute cette vision pessimiste et fataliste. Il démontre ainsi en quoi son renversement est non seulement pertinent, mais qu’il est de surcroît possible. Voilà de quoi apporter de l’eau au moulin d’Ignacio Ramonet, qui affirmait en guise de titre à un éditorial du Monde diplomatique, qu’« Un autre monde est possible » [2]. Et comme E. O. Wright, I. Ramonet ressentait non seulement qu’« sursaut collectif [devenait] indispensable », mais qu’il avait « un besoin d’utopie » face aux assauts du néo-libéralisme.

Le sociologue américain commence par préciser ce que cela est d’être anti-capitaliste. C’est se placer en opposition complète à l’emprise que l’idéologie capitaliste exerce sur les individus et les sociétés, en rognant davantage la liberté de chacun par une exploitation exacerbée, une mise en concurrence, résultats de la concentration des pouvoirs dans les mains d’une petite oligarchie. L’hétéronomie l’emporte donc davantage de jour en jour sur les capacités d’autonomie, pour reprendre les thèses popularisées par André Gorz, Cornelius Castoriodis ou Ivan Illich. Cependant, si la conscience de ce constat est largement répandue, l’opinion que l’on ne puisse guère y faire quelque chose l’est également. Une rapide rétrospective des luttes sociales menées ces dernières décennies et des résultats obtenus (quand il en est) suffit à annihiler tout esprit de révolte contre cet état de fait. Les positions capitalistes, protégées par les dispositifs sécuritaires étatiques, semblent inexpugnables. Les stratégies « réformistes » ou « révolutionnaires » (pour reprendre l’opposition classique) auraient donc largement échoué, ainsi que celles qui consistent à fuir en se coupant de la société. Un examen plus fin permettrait probablement de nuancer cette vision des choses. Mais ce qu’Erik Olin Wright veut nous faire comprendre, c’est qu’on ne peut chercher à aménager le capitalisme : on n’obtient qu’une atténuation de ses effets les plus négatifs sans en entraver la marche en avant.
Toutefois, Erik Olin Wright estime qu’il existe une voie encore insuffisamment inexplorée : celle d’une érosion du capitalisme. À ses yeux, cette stratégie permettrait d’éviter une réaction, tout en protégeant chacun des attitudes radicales : il ne faut jamais perdre de vue que l’objectif est de favoriser l’émancipation individuelle. Or, les expériences révolutionnaires ont abouti à l’effet inverse. L’alternative proposée par Erik Olin Wright consiste donc à inscrire dans les mentalités l’idée qu’elle peut advenir, ce qui rognera les ailes de la réaction. En même temps, il s’agira de profiter des échéances électorales pour aller vers des réformes de fond susceptible de transformer la société en profondeur. Pour cela, il faut s’appuyer sur ce qui existe déjà en renforçant considérablement leur contrôle par la population : les services publics (à l’image de la Sécurité sociale au moins jusqu’en 1967), les comités d’entreprise (qui doivent acquérir un regard sur la gestion et la stratégie, ce qui rappelle les caisses d’investissement imaginées par Bernard Friot, alimentées par des cotisations sociales), les établissements financiers (pour orienter les investissements vers les secteurs propres à répondre aux besoins du plus grand nombre, tout en protégeant les ressources et l’environnement), les revenus (en approfondissant leur contrôle par ses bénéficiaires, de façon à renforcer leur autonomie [3]), etc. Autrement dit, favoriser l’émergence d’« activités économiques alternatives, non capitalistes, où prévalent des relations démocratiques et égalitaires ».
Il s’agit donc d’un travail de sape qui se pratiquera sur un long terme, qui peut être acquis en combinant les luttes sociales et les actions menées dans les structures publiques et privées. Un lecteur excessivement rapide pourra en conclure qu’Erik Olin Wright n’est rien d’autre qu’un social-démocrate. En réalité, son objectif d’émancipation le rapproche des expériences libertaires, envisager comme autant de laboratoires sociaux susceptibles de stimuler l’imagination et donc l’autonomie mais aussi la solidarité.
Reste à résoudre deux problèmes important. Le premier tient à l’émiettement social qui exacerbe les tendances individualistes. L’autre tient à la collusion entre les élites, qui tiennent à la fois les structures économiques et politiques. L’observation de l’Histoire montre que son évolution n’est jamais une ligne droite, mais est le résultat d’inflexions imposées par des paramètres particuliers. Les révolutions de 1789 ou de 1917 en sont un exemple : les acquis sociaux des lendemains de la seconde guerre mondiale en sont un autre. Les crises climatique et sanitaire qui se développent peuvent comporter une part d’opportunité susceptible d’attiser la conscience et l’imagination des populations et de les pousser à l’action. Ce qui s’est déroulé en France en mars 2020, par exemple, a montré l’impotence de l’État : le vide a favorisé des conduites autonomes pour faire face aux difficultés (dans l’Éducation nationale, notamment, mais pas seulement).
Mais face à ces initiatives, vite reprises en main par les autorités publiques, on ne doit pas négliger les capacités de réaction ou d’inertie (plus simplement) des élites : le chantage à l’emploi et à la dette est amplement utilisé, tout autant que le détournement des biens sociaux (outils de production, capitaux financiers…). Le temps long préconisé par Erik Olin Wright peut s’avérer opportun, à la condition d’une permanence des objectifs d’une génération à l’autre. On pourra également objecter que les conditions actuelles imposent un temps plus court : il est question d’une « urgence climatique », irréversible, à l’échelle de quelques décennies au mieux. C’est cette tension entre ces deux temporalités qui marque probablement la limite la plus importante à la thèse développée par Erik Olin Wright. Ce n’est cependant pas une raison pour la rejeter, car la synthèse qu’il a effectuée a le mérite d’être très stimulante.



Notes

[1La première édition avait paru en août 2017.

[2Ignacio Ramonet, « Un autre monde est possible », Le Monde diplomatique, mai 1998, p. 1.

[3On retrouve ici les thèses développées par Bernard Friot qui , sur la base de l’exemple des pensions de retraite, milite pour un salaire socialisé, attaché à la personne (comme c’est le cas des fonctionnaires) et non à une activité. Sur le travail de Bernard Friot, outre ses ouvrages, se reporter au site Réseau salariat

01/10/2020

Antoine Perraud, Le Capitalisme réel. Ou la preuve par le virus, La Découverte, coll. « Petits cahiers libres », 1er oct. 2020, 250 p., 15 €. ISBN : 9782348059551


Présentation de l’éditeur. « Le capitalisme, une fois terrassé l’ennemi communiste en 1989, s’est retrouvé sans contre-modèle. Tout à son hubris de vainqueur, ce système effréné a adopté les tares du vaincu : bureaucratie, opacité, autoritarisme, inégalitarisme. Il ne manquait plus que la preuve par le virus : la pandémie de Covid-19 a fait office de révélateur et d’accélérateur en cette année 2020. Trente-quatre ans après Tchernobyl, qui avait signé l’arrêt d’obsolescence du « socialisme réel ».

Rongée par la financiarisation galopante, au service d’une nomenklatura échappant à l’impôt, cette économie globale de marché en est venue à saper les services publics et à désintégrer la classe moyenne, gage de démocratie. Tournant le dos aux approches keynéso-rooseveltiennes, débarrassé du devoir d’incarner un modèle attractif aux yeux de populations vivant sous un régime communiste, le système a muté. Et ce pour déboucher sur un capitalisme de surveillance propre à deux puissances laboratoires en la matière : la Chine et la Russie.

L’heure est au droit de grève traité en activité anticapitaliste, aux samizdats électroniques (Leaks en tous genres), voire aux dissidents (d’Edward Snowden à Julian Assange) ; tandis que Donald Trump prend des airs de Nicolae Ceausescu. Le tout sur fond de croyance indécrottable en un marché total – le pendant de l’État total des démocraties populaires de naguère. Trente et un ans après la chute du mur de Berlin, voici que le soviétisme s’avère stade suprême du capitalisme ».

 

Aujourd’hui journaliste à Médiapart, Antoine Perraud nous gratifie de billets dans lesquels nous retrouvons la verve et la malice de celui qui anima longtemps, sur France Culture, l’émission « Tire ta langue ». Son ton mesuré masquait mal l’amusement avec lequel il jouait avec les subtilités de la langue française. Reconnaissons-lui un autre mérite : celui de ne pas l’avoir dans la poche. Il le démontre encore une fois dans l’ouvrage qu’il vient de faire paraître. Profitons-en car Antoine Perraud n’est pas du genre prolixe : son dernier, La Barbarie journalistique, date de 2007.

Dans cet essai, il nous donne à voir le capitalisme assez gauche, si l’on peut dire, empreint d’une grande tristesse depuis trente ans. C’est qu’il lui manque son vis-à-vis, qui lui tendait son miroir : le socialisme réel. Alors, il n’a rien trouvé de mieux que de le ressusciter, presque, en s’affublant de ses oripeaux. Lla crise du (ou de la) COVID-19 qui en a fait prendre conscience Antoine Perraud, qui l’a alors débusqué dans le réduit où il se déguise. À l’en croire, le capitalisme aurait réussi là où le socialisme réel a échoué, en achevant son programme. Car derrière les forces de l’ordre matraquant à tout va les Gilets jaunes, comment ne pas voir l’ombre des Schupos d’Erich Honecker réprimant à grand peine, en 1989, les Allemands de l’Est cherchant à faire tomber les frontières. Il saisit également les atteintes de plus en plus sévères à la liberté de la presse pour le démasquer : il faut désormais faire bonne figure avant que d’être accepté à suivre la police, en marchant et en regardant là où il faut. Les Trump et Johnson ne sont finalement que des socialistes de l’ancien temps, derrière leur faux-nez. Le temps est donc venu de l’avènement du capitalisme réel.

Les deux cent cinquante pages se dévorent à toute vitesse, sans que jamais l’indigestion soit à craindre. Outre le plaisir qu’on à le lire, Antoine Perraud s’appuie sur un nombre important de références, à des articles, des ouvrages scientifiques. C’est que sa thèse n’est en rien l’œuvre d’un facétieux plaisantin qui n’aurait rien trouver de mieux à faire, pendant le confinement du printemps, que d’écrire pour amuser la galerie. Sitôt la dernière page lue, on se prend à ouvrir grands les yeux, à se dire que la vision l’ami Perraud n’est pas dénué d’un sens certain de la réalité, et surtout à se demander ce qu’il reste de la démocratie réelle.

Jean-Yves Le Naour (sc.), Iñaki Holgado et Marko (ill.), Aretha Battistutta (coul.), <i>Le réseau Comète. La ligne d'évasion des pilotes alliés</i>, Bamboo, coll. « Grand Angle », 56 p., 31 mai 2023. ISBN 978 2 8189 9395 8

Présentation de l'éditeur . « Des centaines de résistants de « l’armée des ombres », discrets, silencieux, un « ordre de la nuit » fait...