Présentation de l’éditeur. « Si l’agent spécial Dale Cooper (Twin Peaks)
prenait la plume, voici le livre qu’il pourrait écrire. Car, à l’image
du personnage de David Lynch dont le rapport au monde est bouleversé,
Timothy Morton propose une philosophie radicale et troublante.
Le
réchauffement climatique, phénomène irréversible dû à l’activité
humaine, a déclenché la sixième extinction de masse. Le constat est
simple : nous manquons d’outils conceptuels pour penser cette ère de
l’Anthropocène. Et si nous nous affranchissions du concept de Nature ?
Si, enfin, nous pensions grand (global plutôt que local) ? Et que dire
du maillage, de l’interconnectivité de tout avec tout ?
Avec
intelligence et humour, Timothy Morton nous libère des discours
bien-pensants : adieu écologie verte, économie circulaire et
développement durable. Tous ces petits pas pour un monde plus « vert »
servent trop souvent à soulager les consciences et verdir les programmes
électoraux. Il nous faut changer profondément notre manière de penser,
notre manière d’être au monde. De Charles Darwin à Emmanuel Levinas, de
William Wordsworth à Percy Shelley, Timothy Morton illustre ses bases
théoriques d’exemples aussi concrets que l’art contemporain ou le cinéma
de science-fiction – à l’image de Blade Runner ou Solaris.
Voici un texte radical qui change notre regard sur le monde, à la fois
très accessible et totalement nouveau dans le champ de la philosophie
contemporaine ».
Philosophe né à
Londres, Timothy Morton enseigne aujourd’hui dans une université du
Texas. Le présent ouvrage est la traduction française de ce qu’il avait
fait paraître en 2010 : The Ecological Thought (Harvard
University Press). « Quoi ? C’est un livre de philo ? OK : on lâche… ».
Sauf qu’on aurait bien tort, tant l’écriture est fluide et prenante. Il y
a bien quelques concepts, comme on le verra par la suite, mais le tout
se lit fort bien et très facilement, notamment grâce à des exemples qui
sont dans un univers familier : le cinéma, la chanson, etc. On peut
perdre le fil de temps en temps, l’auteur ne rechignant à passer d’une
situation à une autre qui a priori n’a rien à voir avec la
première. En réalité, on s’aperçoit vite que sa démonstration est très
structurée, très solide, et on retrouve ses repères, sans exclure
l’humour.
Reste à savoir ce
que Timothy Morton entend par « pensée écologique ». Il s’agit d’un
concept très globalisant, ce qui devrait satisfaire les historiens :
« Penser écologique a à voir avec l’art, la philosophie, la littérature,
la musique et la culture […], avec la pratique actuelle des sciences
humaines [aussi bien] qu’avec les sciences dures, de même qu’avec les
usines, les transports, l’architecture et l’économie » (p. 17). Aussitôt
après, il indique que « l’écologie inclut toutes les voies imaginables
du vivre ensemble. Au fond, l’écologie parle de coexistence ». Et la
thèse du livre de Timothy Morton est entièrement fondée sur cette base.
Il considère en
effet qu’absolument tous les êtres sont interconnectés dans la
biosphère. La moindre bactérie est la sœur de l’homme. Si vous aviez
oublié que les amibes de mes amibes sont aussi mes amibes, il va falloir
que ce soit bien ancré dans votre esprit, car au-delà de la blague,
Timothy Morton dit qu’avoir une conscience écologique suppose d’avoir
d’abord conscience que l’ensemble des êtres vivants vivent dans un même
ensemble et agissent les uns avec les autres. L’homme est un composé
organique empli de bactéries et de virus : pourrait-il vivre
indépendamment de ces êtres vivants, alors même qu’ils le constituent ?
Allons plus loin, puisqu’il incorpore même parfois des éléments
technologiques (implants divers, prothèses, chimie…) ; mais comment considérer
ces matières exogènes ?
Timothy Morton
montre que cette interconnexion, ce « maillage » comme il le désigne,
permet d’en finir avec l’idée de « nature ». De quelle nature
s’agit-il ? De l’ensemble des êtres vivants, à l’exclusion de l’homme :
la barrière est étanche entre ces deux univers indépendants l’un de
l’autre. Et cette vision des choses (entendons : sans conscience) lui a
donné un blanc-seing pour une exploitation sans vergogne, dont on voit
aujourd’hui les limites. Exploiter une matière sans âme est quand même
plus facile. L’histoire a montré que toutes les entreprises génocidaires
reposaient sur le déshumanisation de l’Autre. On voit que tout est
lié.
Cela amène Morton
à contester les actions qui visent précisément à protéger la nature,
comme un objet qui serait en situation de faiblesse, d’infériorité par
rapport aux hommes. Ces êtres ont-ils réellement besoin de nous ? Nous ont-ils
seulement attendus ? Cette posture conduit à des actions à faible
portée, à l’efficacité douteuse pour régler la crise environnementale…
provoquée par l’homme. Elle sert surtout à donner bonne conscience au genre humain, à entretenir une barrière artificielle,
mais elle contribue à avoir une conception complètement faussée : de gentils
animaux agressés par les méchants hommes. Timothy Morton montre
l’importance qu’il y a à considérer la situation telle qu’elle est,
notamment dans ses aspects négatifs : il désigne cela par l’expression
« écologie sombre ». Il y a des risques naturels ; les animaux se
dévorent entre eux (si…) ; des arbres peuvent s’abattre sur une maison
(horreur !)…
L’auteur estime,
comme beaucoup, que nous sommes à un moment de rupture, une révolution
qu’il pense être comparable avec l’influence de Copernic : l’homme n’est
plus au centre du monde. Une période stable de 12 000 ans prend fin :
l’Holocène. Lui succède l’Anthropocène. Pendant la première, l’homme
s’est considéré de plus en plus distinct de la nature, comme nous l’avons vu, à mesure qu'augmentait sa puissance.
Aujourd’hui, il prend conscience de constituer une force terrible : il
est à l’origine du réchauffement climatique ; il peut détruire des
espèces vivantes en quantité… Les actes les plus banals de notre vie
quotidienne, ajoutés les uns aux autres, constituent un acte collectif
dont nous voyons bien qu’il contribue directement aux destructions
environnementales. Cependant, nous continuons à utiliser des moyens de
transports polluants, nous consommons des produits utilisant des énergies non
renouvelables… Et nous ne trouvons pas le moyen de réagir.
Cela montre que la toute-puissance que l’homme pense détenir est un
leurre, car il se heurte à ce que Timothy Morton appelle des
« hyperobjets » : le réchauffement climatique en est un ; la
radioactivité également, etc. Il s’agit d’éléments dont nous sommes
conscients de l’existence, mais dont nous avons le plus grand mal à
discerner les contours, à les voir. De là, il est facile de les mettre à
distance, de créer une barrière similaire à celle qui distingue l’homme
de la « nature » : ce serait admettre qu’il n’existe pas
d’interdépendance entre les êtres. Pourtant, s’ils montrent les limites
de la compréhension humaine et de la science et celles de sa puissance,
ces hyperobjets font aussi aussi partie de la biosphère.
Est-ce la fin de
tout ? Faut-il se résigner ? Timothy Morton rejette cette vision
pessimiste. S’il admet (et comment…), la pleine responsabilité de
l’homme dans les destructions environnementales, nous sommes face à une
mutation importante dans la conception de la place qu’il occupe dans
l’univers. Il n’est pas possible de maîtriser ces entités, ce qui montre
que l’idée d’une domination complète de la nature était une illusion.
Continuer dans la même voie en pensant que l’homme trouvera bien des
solutions technologiques, comme l’intelligence dite « artificielle »
(alors qu’il y a des hommes derrière), à la crise environnementale est
une impasse : cela ne fera que retarder l’échéance fatale, tout en
aggravant les désastres, jusqu’à la disparition de l’humanité. Au
contraire, Timothy Morton estime que le moment est propice à l’émergence
d’une forme de libération. En admettant qu’il fait partie du maillage,
qu’il n’est qu’un élément en interconnexion avec les autres êtres
vivants, l’homme peut prendre plaisir à établir une collaboration avec
eux, donc à la vie.
Lecture faisant,
on retrouve ce qui a été développé par d’autres auteurs et d’autres
situations évoqués dans les comptes rendus de ce même site. Il en est
ainsi de la description que l’on a faite de la permaculture , qui repose précisément sur cette idée d’interaction entre les êtres dans un espace donné. Le Petit Traité d’écologie sauvage, d’Alessandro Pignocchi
avait montré l’absurdité sur laquelle repose le monde occidental, quand
il est considéré par un anthropologue jivaro dont la culture est
imprégnée de l’interdépendance entre les êtres. Tout cela montre que la
thèse de Timothy Morton n’est pas le résultat d’élucubrations. La
traduction en français de son œuvre qui débute avec cette Pensée
écologique est donc à saluer, d’autant qu’elle ne s’adresse pas à un
public de spécialistes. On attend avec impatience la publication en
français de son prochain Being Ecological, paru en janvier 2018 chez Pelican Books, qui s’adresse précisément à ceux qui n’ont rien à faire de l’écologie.
Notes