Gilles Perret, Walter. Retour en Résistance, et Les Jours heureux. Quand l’utopie des résistants devint réalité, C-P Productions (diffusion : Les Mutins de Pangée), 2010 et 2013
Une fois n’est pas coutume, le compte rendu
portera sur deux œuvres, étroitement associées. On les reliera à un
troisième film, celui de Vincent Gauchet, Faire quelque chose. Avoir Vingt ans en 1940, qui a fait l’objet d’une précédente recension.
Walter. Retour en Résistance concerne
un personnage assez singulier, même le film montre qu’il ne se conçoit
pas du tout comme cela, bien au contraire. Mais c'est précisément de sa banalité que surgit sa singularité. Résistant FTP dès 1943, il est resté fidèle au
parti communiste ; mais il dit que, fréquentant le patronage, il aurait
très bien pu participer à un mouvement chrétien. Le hasard en a voulu
autrement. Ironiquement, on pourrait dire que son chemin a croisé deux
religions : il y a pris qui était laïque. Pour autant, il ne regrette
absolument rien. Il justifie d’ailleurs sa fidélité idéologique par ces
mots : « Je suis entré pour l’idéal que représentait le communisme,
quels que soient les dirigeants et leurs erreurs ».
On peut se demander ce qui a attiré l’attention de Gilles Perret : il se
trouve simplement que ces deux-là sont voisins. L’effet de proximité
joue à plein dans ce film : l’auteur entre chez Walter Bassan (c’est son
nom) et l’accompagne partout. On comprend que l’utilisation du seul
prénom dans le titre du film est un reflet de cette familiarité, mais
aussi de la sympathie qu’éprouve le réalisateur pour son voisin. Pour
autant, on aurait du mal à parler de connivence, dans son sens négatif.
Au contraire, Gilles Perret donne de Walter un portrait tout en retenue,
même si on sent bien que leur façon de voir le monde s’accorde. Pendant
l’inauguration d’un musée par Bernard Accoyer et les discours
officiels, les deux sont à l’extérieur, comme en dehors des conventions
auxquelles il faudrait souscrire.
Qui est Walter Bassan ? Né le 5 novembre 1926 à Rovigo (Italie), sa famille
fuit ensuite le régime fasciste pour migrer. On l’a dit, Walter Bassan est
résistant, avec une vingtaine de camarades très jeunes (la plupart n’ont
pas vingt ans). Mais au moment où il s’engage, cela n’a pas un sens
profond pour lui. Il distribue des tracts ; il échappe aux poursuites
nocturnes dans les rues : c’est plutôt un jeu, pour un garçon de 17 ans,
qu’une lutte consciente. Dénoncé avec d’autres, il est arrêté par la
Milice le 23 mars 1944, transféré à l’intendance d’Annecy puis à la
prison Saint-Paul, à Lyon, où il est « interrogé » (pour utiliser le mot
convenu, mais qui ne dit rien des souffrances endurées). Il est déporté
par convoi I. 234 parti de Lyon le 29 juin 1944 vers Dachau le 29 juin
1944 (convoi I 234), où il arrive le 2 juillet. 350 hommes rentreront
onze mois plus tard, sur les 720, essentiellement français .
Au départ, il ne sait pas ce qu’il va advenir de lui, ni même ses
camarades : on se figure aller travailler à l’Est. Les premières images
du camp provoquent un profond traumatisme. Walter Bassan (matricule 75823)
évoque les coups, dont on se protège au mieux, car l’infection des
plaies est synonyme de mort. Il évoque aussi la solidarité : une
cuillerée de la maigre soupe va à ceux qui ont le plus besoin. Mais cela
s’avère souvent insuffisant : le frère aîné de Walter, Serge Bassan,
déporté en même temps que lui, il en est rapidement séparé : Walter part
pour le kommando de Kempten ; Serge est transféré à Weißensee (kommando
dépendant de Dachau), et il meurt dans celui d’Ohrdruf (qui dépend de
Buchenwald) le 2 mars 1945. Walter est libéré le 29 avril à Füssen.
Toujours vivant, Walter Bassan préside la Fédération nationale des
déportés et internés, Résistants et patriotes (FNDIRP). Il participe à
l’activité de l’association CHRA (Citoyens résistants, d’hier et d’aujourd’hui) :
c’est bien là le cœur du film de Gilles Perret. On suit Walter Bassan
accompagnant des élèves dans la visite de la prison Saint-Paul et à
Dachau : il aide à la compréhension de cette époque et œuvre au travail
de mémoire. On le suit également sur le plateau des Glières, dont un
candidat à la présidence de la République a voulu faire son éphémère
Roche de Solutré ,
ce qui a eu pour effet de lancer une contre-manifestation qui se
prolonge encore aujourd’hui. Ainsi, le 13 mai 2009, environ trois mille
personnes s’y sont rendus à l’initiative de CRHA, avec, parmi elles, de
grands noms de la Résistance : Raymond Aubrac, Stéphane Hesse et
d’autres ont cherché à rendre toute sa dignité à ce lieu, en rappelant
les valeurs pour lesquelles ils s’étaient battus et la programme du
Conseil national de la Résistance du 15 mars 1944, mis à mal par le
MEDEF et le gouvernement d’alors .

C’est sur ce point que Walter rejoint Les Jours heureux.
Ce deuxième film prend pour cadre de départ le dernier déplacement de
N. Sarkozy aux Glières, au cimetière de Morette, en mai 2011 (sans que
celui-ci se doute que ce voyage sera le dernier). Gilles Perret en
profite pour révéler le degré d’inculture de quelques participants et la
façon dont ils appréhendent la cérémonie. Chacun invoque en effet un
devoir de mémoire, expression qui reste très vague dans leur esprit.
Mais les limites sont vite atteintes quand il s’agit d’aborder ce qu’est
le CNR, et plus encore le programme du 15 mars 1944 (sur l’élaboration
de quoi revient Gilles Perret). Interrogé hors de ce contexte, ceux qui
s’affirment être les héritiers du gaullisme montrent les mêmes
insuffisances, tordant complètement ce qu’est ce texte. Selon J.-F.
Copé, par exemple, « la génération de la deuxième guerre mondiale, on
risquait l’arrestation, le déportation, la faim, la soif, la mort.
Aujourd’hui, notre sujet, c’est d’éviter le non-remboursement du
Doliprane. Je demande qu’on remette tout ça en justes proportions, qu’on
comprenne que le premier message du Conseil national de la Résistance,
c’est le salut du pays viendra de l’effort que chacun mènera au service
de lui-même mais aussi de notre pays, la France. C’est ça, le message du
CNR ». Fr. Bayrou (non gaulliste) ne dit pas autre chose.
L’historien médiéviste Offenstadt, interrogé, indique clairement que cela reflète
une manière romanesque d’appréhender le passé, constitué de grandes
figures, de grands événements, de façon à se placer dans une continuité
aseptisée, idéalisée, qui évite toute approche critique, toute tension,
ce qui contribue à « désinscrire les gens de leur contexte social » et à
saisir les véritables enjeux.
Et l’enjeu, ici, est de comprendre l’importance politique du programme
du CNR, que les partisans du néo-libéralisme s’efforcent de réduire
depuis les années 1970-1980, selon l’économiste Christophe Ramaux, par
le biais de la privatisation de la protection sociale, des services
publics, de la flexibilisation du droit du travail, et de la remise en
question des politiques publiques. Cela prend l’aspect de la
libéralisation financière, du libre-échange, de la mise en concurrence,
de l’austérité salariale, de la contre-révolution fiscale (les plus
aisés doivent payer moins d’impôts).
Il est aussi de comprendre quelle a été la portée de ce texte, approuvée
par des représentants syndicaux et politiques, de gauche et de droite,
et évidemment ceux des formations résistantes. Il comprend deux
parties : un plan d’action immédiate (dont le but est la libération du
territoire), dont le sens est donnée par le projet politique à appliquer
après-guerre. Par son ambition, il est révolutionnaire, sans proposer
d’abolir le capitalisme pour autant. Sa mise en œuvre est rendue
possible par le contexte : la droite collaborationniste est à terre ; la
droite modérée a signé le programme ; de Gaulle accepte les mesures
d’étatisation, conforme à son approche colbertiste ; la guerre froide
n’est pas encore tout à fait engagée ; et il n’y a pas encore de
constitution, ce qui laisse les coudées franches à des gens comme Pierre
Laroque, qui lance la Sécurité sociale en octobre 1945.
C’est cette portée qu’expliquent les résistants qui participent aux rassemblements annuels des Glières. Raymond Aubrac indique clairement en
2009 que « le combat des Glières, c’est une promesse d’avenir, qui
s’exprime à cette époque-là, dans le monument de la résistance qu’on
appelle le programme du CNR ».
Au-delà de la défense de ce texte important, c’est aussi une
conception du monde qui réunit les protagonistes de ces deux films, qui
entendent poursuivre leur combat contre l’injustice et les inégalités,
ce que Daniel Cordier résume bien : « Jusqu’à la fin du monde, vous
aurez — hélas — des opprimés. Eh bien, si vous vous battez pour leur
libération, pour leur avantage — je ne veux pas dire leur domination —,
mais si vous vous battez pour eux, vous ne vous trompez jamais ».