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21/08/2020

Sylvaine Bulle, Irréductibles. Enquête sur des milieux de vie. De Bure à Notre-Dame-des-Landes, UGA Éditions, collection « Écotopiques », janvier 2020, 370 p., 25 €. EAN : ISBN : 978-2-37747-161-4

Présentation de l’éditeur. « D’où viennent les ZAD (zones à défendre) ? Qu’est-ce que l’« autonomie politique » comme régime d’action ?

En donnant à lire l’autonomie politique dans son contexte actuel puis s’appuyant sur une enquête menée en grande partie sur la ZAD Notre-Dame-Des-Landes, cet ouvrage analyse des occupations territoriales associant stratégie défensive et déploiement de formes de vie totales. Se plaçant en dehors du système marchand et capitaliste, l’autonomie politique défend jusque dans ses alliances les plus récentes avec l’écologie, l’idée que des formes politiques et sociales émergentes sont irréductibles et doivent résister à toute tentative de formalisation (notamment par la sociologie) ou d’institutionnalisation. L’étude menée par Sylvaine Bulle restitue l’épaisseur d’un monde, celui des ZAD, qui par sa nouveauté et sa radicale différence, échappe au regard de la sociologie classique et en questionne la posture.

L’enquête permet d’identifier la diversité au sein des groupes autonomes et affinitaires, mais également les fondements normatifs, économiques d’un projet incarné spatialement et dont les grammaires sont structurées autour de principes : la non domination, la solidarité ainsi que le refus de toute extériorité renvoyant à l’État.

Sylvaine Bulle tente une incursion dans ce que certains ont appelé la "zone du dehors", auprès d’acteurs qui bousculent l’ordre social jusqu’à la démarche sociologique même ».

 
Sylvaine Bulle est sociologue, et c’est en sociologue qu’elle nous donne à voir ce qu’est une ZAD (zone à défendre), en prenant les exemples de Bure (Meuse) et de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique). Beaucoup a été dit sur ces lieux et les personnes qui y vivent. Beaucoup, et surtout n’importe quoi, résultat logique d’observations trop brèves, trop distantes, emplies de préjugés, d’un travail bâclé. Or, prétendre décrire ce milieu humain et son territoire demande du temps, exige d’établir des liens de confiance. Sylvaine Bulle ne cache d’ailleurs pas les préventions éprouvées par les zadistes à l’égard de l’extérieur, pour vraisemblablement les avoir vécues elle-même. Elle appuie son enquête sur un appareil documentaire très diversifié, qui prend en compte différentes disciplines (philosophie, etc.) mais aussi des documents de natures diverses. On a ainsi des périodiques édités par les groupes zadistes (ou ceux qui en sont proches), des extraits de sites Internet, etc. On pourra éventuellement qu’il n’y ait guère le contrepoint d’un regard étranger : celui des pouvoirs publics, etc. Mais ce n’est pas l’objet de cette enquête, et si on voulait le connaître, la matière ne manque sûrement pas. À vrai dire, la majorité des points de vue disponibles ou colportés par les médias ne font qu’en rendre compte. On les a donc en tête.

Disons tout de suite qu’on ne va pas chercher à synthétiser un travail très exigeant : la tâche serait vaine, et on espère seulement ne pas en déformer le propos. Car le présent ouvrage n’a rien d’un livre de vulgarisation : il s’appuie sur un vocabulaire qui demande d’être bien maîtrisé, et sur une syntaxe qui réclame la relecture de certains passages pour limiter les contresens. Il s’adresse donc à un public averti, ou qui ne rechignera pas à des efforts pour accéder au propos de l’auteur. Cela fait, on pourra découvrir un monde qui ne se laisse pas appréhender facilement.

Car on a une société alternative se construit, avec des contradictions, des expériences qui n’aboutissent pas forcément aux résultats escomptés : un projet humain de cette nature repose sur la valorisation de la différence, la confrontation de différentes options, une certaine conflictualité. C’est d’ailleurs l’un des points que cherche à développer la recherche de l’autonomie la plus large. Sylvaine Bulle montre que si les expériences se développent parfois avec une certaine lenteur, les zadistes se rassemblent autour du rejet de l’autorité (ce qui n’exclue pas l’émergence de personnalités fortes, avec lesquelles il faut composer), principalement de l’État et du système capitaliste. L’existence même d’une ZAD, telles que celles de Bure et de Notre-Dame-des-Landes, est un moyen de poser en contrepoint de l’État : elle cherche à prouver qu’il est possible de s’organiser autrement que sous une autorité, en prenant en compte les aspirations d’êtres sensibles, capables de réfléchir, de définir leurs besoins et d’y répondre. C’est d’ailleurs ce que le confinement a démontré, au moins pendant un temps, avec la découverte qu’il était possible de s’organiser soi-même, d’établir des solidarités : à la verticalité, dont l’impuissance est subitement devenue flagrante, se sont substituées des horizontalités, qui pouvaient alors apporter une meilleure sécurité, une meilleure protection. Mieux encore, les ZAD dévoilent la véritable nature de l’État. En réagissant par la brutalité, c’est sa nature policière, inquisitoriale qui apparaît. En défendant des projets économiques qui ne répondent pas à des besoins humains exprimés, à un mieux-être pour la population, il démontre qu’il prend le parti du capitalisme au détriment des citoyens, quitte à favoriser des projets complètement absurdes. Mais l’existence des ZAD est précisément un moyen de mettre l’État à distance, en proposant d’autres principes d’organisation, notamment dans la prise de décision, d’autres règles collectives de fonctionnement, mais librement adoptées et aisément modifiables : celles que l’on se donne véritablement à soi-même, qui valent pour le présent, pour le groupe tel qu’il se compose à un moment donné.

Pour autant, les ZAD s’érigent-elles en modèles ? Sylvaine Bulle montre qu’il n’en est rien. Une ZAD naît d’un contexte précis, sur un territoire et avec des personnes particuliers : aucune ne ressemble à une autre, même si l’on peut retrouver des points communs, notamment sur les principes que l’on vient d’évoquer rapidement. Dans chacune se développent des expériences spécifiques, qui peuvent ensuite être diffusées, reprises, adaptées. Dans une même ZAD, étendue comme celle de Notre-Dame-des-Landes par exemple, on peut repérer des groupes relativement autonomes qui conduisent un projet qui dépend des besoins et des compétences des personnes qui les composent. C’est aussi le résultat d’un regroupement par affinités, dont le but est surtout de proposer une autre logique au système dominant. Sylvaine Bulle montre d’ailleurs que les zadistes ont la conscience de vivre sur un territoire « libéré ».

Les ZAD sont-elles des mondes à part ? Probablement. Mais cela ne signifie pas qu’elles sont vivent en autarcie complète, repliées sur elles-mêmes. Ce faisant, c’est probablement cette difficulté de ne pas pouvoir considérer les ZAD comme un tout homogène, cette extrême diversité très mouvante du fait de la progression des expérimentations, des rapports entre les personnes qui les composent, qui gênent la compréhension de quelqu’un qui voudrait en rendre compte de l’extérieur. Elles ne sont pas réductibles à une point de vue univoque.

Enfin, le contexte de la pandémie, qui n’est évidemment pas évoqué dans l’ouvrage, montre la pertinence des expériences zadistes. De petits groupes, hétérogènes, polyvalents, favorisant les solidarités, les échanges, sont aussi mieux à même d’apporter l’attention nécessaires aux proches et aux plus fragiles.

06/02/2019

Thomas Azuélos (ill.), Simon Rochepeau (sc.), La ZAD. C’est plus grand que nous, éd. Futoropolis, 6 fév. 2019, 208 p., 25 €. ISBN : 9782754824149


Présentation de l’éditeur. « En 2000, l’ancien projet d’aéroport du Grand Ouest est réactivé dans le bocage de Notre-Dame-des-Landes, près de Nantes.

En 2009, après tous les recours juridiques imaginables, des habitants envisagent de s’opposer physiquement au démarrage des travaux et lancent l’appel des « habitant-e-s qui résistent ». Des centaines de jeunes gens de la France entière, issus des luttes politiques écologiques, anti-autoritaires ou à la recherche de modes de vie alternatifs, commencent à venir s’installer sur la zone promise aux grands travaux.

Le 16 octobre 2012, le gouvernement Ayrault lance « l’opération César » qui a pour but d’évacuer, par la force, Notre-Dame-des-Landes et d’en chasser les occupants qui s’opposent au projet de construction de l’aéroport.

Le 17 janvier 2018, le projet est officiellement abandonné. Entre ces deux dates, les zadistes résistent, s’organisent collectivement, cultivent, avec l’aide des paysans restés sur place, des terres dans le bocage, rêvent d’une autre façon de vivre : « Nous sommes une armée de rêveurs (rêveuses) et pour cette raison nous sommes invincibles.

Qui sont vraiment les zadistes de Notre-Dame-des-Landes ? Que veulent-ils ? Comment vivent-ils ? Embarqués pendant de longues semaines à leurs côtés, les auteurs ont choisi une fiction documentée pour rendre compte, au plus près, de la réalité de la vie sur la ZAD. Le récit de Thomas Azuélos et Simon Rochepeau est celui d’une lutte, hors des partis et mouvements traditionnels, contre l’aménagement capitaliste du territoire et pour défendre d’autres manières de vivre ».

 

 

Le dessin de Thomas Azuelos alterne des aplats de couleurs assez différents : du trait simple à une gamme de couleurs plus chatoyante. On obtient ainsi un univers graphique à plusieurs dimensions qui renvoie à des émotions différentes.

On a là un récit qui repose sur ce qu’ont vécu les deux auteurs, qui ont partagé la vie des zadistes de Notre-Dame-des-Landes pendant un temps. On pourrait alors penser qu’on tient alors un album partisan ; à tort. Bien sûr, on retrouve la tension entre forces de l’ordre et opposants au projet d’aéroport. Mais l’intérêt se situe ailleurs. La gendarmerie n’est guère montrée, symbole d’un État lointain, à distance de ce qui se passe réellement sur les lieux.

Les auteurs s’attachent à nous donner à voir des zadistes aux motivations différentes. Aux uns suffit la lutte contre le flic. D’autres voient à plus long terme, et considèrent le combat contre le projet comme la base d’une société alternative. Entre les deux, on a des individus qui ne savent pas forcément pourquoi ils sont là, certains ne cherchant qu’à satisfaire leurs intérêts. L’album nous apprend ainsi à nous départir de l’image colportée par les médias, au mieux de zadistes formant un ensemble homogène, au pire de marginaux errant sans but, mais toujours aux crochets de la société.

On a également un troisième groupe, constitué par les agriculteurs dont les familles sont implantées de longue date. Et on touche là à un autre intérêt du récit, qui est de montrer que là non plus, il n’y a pas de position unanime vis-à-vis des zadistes. Doit-on les considérer comme des amis ou des fauteurs de troubles ? Pour autant, les points de vue ne sont pas forcément figés, pour certains des protagonistes, en tout cas. C’est dans ces interstices qu’émergent de nouveaux rapports sociaux, et les germes d’une nouvelle société qui se développe avec difficulté.

Bien servi par une partie graphique très intéressante, ce bel album séduit par la restitution de toute la complexité des engagements militants, et celles des relations entre autochtones et nouveaux arrivants. Ce qui s’édifie dans cette ZAD est donc bien plus grand que nous.

Jean-Yves Le Naour (sc.), Iñaki Holgado et Marko (ill.), Aretha Battistutta (coul.), <i>Le réseau Comète. La ligne d'évasion des pilotes alliés</i>, Bamboo, coll. « Grand Angle », 56 p., 31 mai 2023. ISBN 978 2 8189 9395 8

Présentation de l'éditeur . « Des centaines de résistants de « l’armée des ombres », discrets, silencieux, un « ordre de la nuit » fait...