Présentation de l’éditeur. « Dans la Bretagne de la première moitié du XXe siècle, les Anarchistes ont pu créer à Brest et Lorient de véritables enclaves libertaires. Jules Le Gall (1881 – 1944), militant ouvrier à l’arsenal de Brest, puis libraire, en devient la figure la plus connue. Il s’attire de violentes attaques de ses adversaires, qui le surnomment le « camelot » de l’Anarchie. Fondant le groupe libertaire brestois, il veut créer une Maison du Peuple, qui saura allier la force de la revendication à la beauté de la culture. Le théâtre devient un moyen de divertir et d’éduquer le peuple.
Après
la guerre, pacifiste convaincu et militant internationaliste, il se bat
pour le droit d’asile pour les anarchistes espagnols et italiens. Son
grand combat sera la création d’un comité de défense des anarchistes
américains, Sacco et Vanzetti. Il accueille également Nestor Makhno à
Brest en 1927.
La
guerre d’Espagne sera son dernier combat, le prélude à un conflit
généralisé, qu’une seconde fois, les militants révolutionnaires n’auront
pas pu empêcher.
Dénoncé
en 1941 auprès des Allemands comme anarchiste et franc-maçon, il sera
arrêté, et décède au camp de Buchenwald en juin 1944. « Oublié » dans
l’euphorie de la victoire et effacé de la mémoire ouvrière.
Son histoire est une histoire de solidarité et d’amitié. Autour de lui, un cercle d’amis prend vie : Victor Pengam, le syndicaliste, promoteur du cinéma militant et des « pupilles » de la CGT, René Lochu, et ses amis de la Maison du Peuple.
Jean-Yves
GUENGANT a publié des ouvrages et des articles consacrés aux mouvements
utopistes en Bretagne. Son dernier ouvrage : « Pour un nouveau monde –
les utopistes bretons au XIXe siècle », Apogée, 2015.
Il vit à Brest.
Le livre est fortement illustré de documents d’époque, d’affiches et de photographies ».
Dans le présent ouvrage, Jean-Yves Guengant retrace le parcours de Jules Le Gall, ouvrier à l’arsenal de Brest, antimilitariste et anarcho-syndicaliste. D’un dévouement extrême aux causes qu’il défend, le personnage prend une ampleur importante dans la première décennie du XXe siècle, aux côtés d’autres militants comme Victor Pengam. En 1903, ceux-là créent un groupe de la Jeunesse syndicaliste, destinée à former les jeunes ouvriers. Jules Le Gall contribue à l’extension du syndicaliste dans le Finistère, notamment au sein des ouvrières des conserveries de Douarnenez. Il œuvre notamment à la grève générale de février-mars 1904, qui montre la puissance du mouvement social à Brest. Mais compte tenu de l’extrême indigence des conditions de vie des ouvriers mais aussi de l’intransigeance de la préfecture maritime et des élites locales, les rapports sociaux sont très tendus. Ceux qui sont identifiés comme les meneurs sont l’objet d’arrestations et de poursuites judiciaires. Comme Victor Pengam, Jules Le Gall est interpellé à plusieurs reprises, notamment en août 1907, cette fois pour des motifs graves : incitation au meurtre, au vol, au pillage, et à la grève générale. Condamné, il est rapidement libéré, mais il perd son emploi à l’arsenal. À partir de ce moment, Jules Le Gall devient gérant d’une librairie coopérative : cela décide de son orientation vers l’action politique, et il travaille à la propagande libertaire, tout en restant fidèle aux principes qu’il n’a cessé de défendre. En 1910, il se présente aux élections législatives, ce qui peut surprendre de la part d’un anarchiste ; mais c’est en qualité de candidat abstentionniste, et dans le cadre d’une campagne anti-parlementaire.
Après la première guerre mondiale, Jules Le Gall entre au Grand Orient de France, tout en continuant à militer comme libertaire. Il anime un comité en faveur de Sacco et Vanzetti. Le groupe libertaire brestois accueille également l’anarchiste ukrainien Nestor Makhno à l’été 1927. Jules Le Gall prend part à la lutte anti-fasciste ; son groupe envoie des vêtements et des vivres en Catalogne, et organise le recueil des orphelins de guerre. L’occupation de Brest commence le 19 juin 1940. Jules Le Gall est interrogé en décembre par la police allemande sur ses activités au sein de la franc-maçonnerie. En juillet 1941, il est arrêté pour les mêmes faits. Interné à Nantes, il est transféré à Nantes puis au camp de Royallieu. Il est finalement déporté en janvier 1944 au KL de Buchenwald, où il meurt le 13 juin suivant.
En
dépit d’erreurs typographiques assez vénielles (des majuscules non
justifiées ; des signes de ponctuation mal placés, etc.), le principal
intérêt de l’ouvrage de Jean-Yves Gueugant tient à la qualité de ses
sources, aussi bien bibliographiques qu’archivistiques. Il contribue
à la réintroduction de Jules Le Gall dans la mémoire du mouvement
social. Au travers de ce personnage, on perçoit les difficultés du monde
ouvrier dans la défense de ses intérêts, et, finalement, des profondes
limites du système démocratique. On comprend particulièrement bien qu’il
n’est pas de progrès social sans lutte : rien n’est concédé ; tout est à
protéger. À se promener dans les rues de Brest, on pourrait se laisser
prendre par leur quiétude qui camoufle ce qu’a été son passé ouvrier, ce
qui vaut pour n’importe quel autre endroit. On se rappelle à ce propos
l’excellente bande dessinée de Kris et Davodeau, consacrée aux
conditions dans lesquelles l’ouvrier et ancien résistant Édouard Mazé
est mort le 17 avril 1950 : Un Homme est mort (Futuropolis, 2006)1.
L’autre intérêt de cet ouvrage tient à l’abondance de la documentation reproduite, très diverse : en plus des encarts, elle pourra servir aux enseignants qui voudront travailler sur le mouvement ouvrier, même si, malheureusement, les programmes ne s’y prêtent guère. On peut cependant regretter que ces reproductions n’aient pas été mieux exploitées, sous la forme d’une analyse critique par exemple, même brève, ce qui aurait été très appréciée. En revanche, ont été particulièrement remarquées les annexes, qui complètent encore la documentation par de larges extraits de discours, d’articles, etc. On a également un lexique, qui ne se contente pas d’apporter des définitions mais de les placer dans le contexte des luttes sociales brestoises, une chronologie assez fournie, ainsi qu’un très utile index des personnes.