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20/02/2022

Aurélie Trouvé, Le Bloc arc-en-ciel. Pour une stratégie politique radicale et inclusive, La Découverte, coll. « Petits cahiers libres », 9 septembre 2021, 168 pages, 13 €. ISBN : 9782348068713


Présentation de l'éditeur. « Partout, la colère monte ; partout, l’aspiration à un changement profond se fait entendre. Après vingt années d’engagement au coeur des mouvements sociaux, Aurélie Trouvé analyse dans ce livre comment l’exigence d’égalité réelle exprimée par les populations dominées est en train de bouleverser l’ordre établi. En s’engageant frontalement, sans le concours des médiations traditionnelles, ces dernières heurtent le vieux monde de la politique. Mais cette puissance qui se dégage du côté de l’écologie dissidente, des insurrections populaires, des luttes antipatriarcales et antiracistes et des mouvements syndicaux reste fragmentée, incapable de se constituer en véritable force politique.

L’hypothèse de ce livre est que la radicalité des prises de position actuelles est en réalité un facteur d’inclusion, et non de déliaison. Car cette radicalité est aussi celle des urgences écologiques, économiques et sociales, qui sont liées entre elles et qui requièrent de nous que nous nous hissions collectivement à leur hauteur. En 1969, à Chicago, la Rainbow Coalition rassemblait Black Panthers, Young Lords et Young Patriots. Cette alliance en apparence modeste d’organisations jusqu’alors désunies pour lutter contre la ségrégation raciale et sociale fit trembler les fondations de la démocratie bourgeoise états-unienne. Il est temps de renouer avec la stratégie du Bloc arc-en-ciel et de créer les conditions d’un exercice résolument démocratique du pouvoir politique ».




Depuis la sortie de Bloc arc-en-ciel, à la rentrée 2021, l'actualité politique a fortement évolué en raison de la campagne pour les élections présidentielles (et législatives, même s'il n'en est pas ouvertement question). C'est un truisme que de l'écrire, bien évidemment, tout c'est le propre de ces essais de poser un regard éphémère à un moment donné.  Est-ce un ouvrage jetable pour autant, valable pour la seule période dans laquelle il a paru ?

 

Aurélie Trouvé, ingénieure agronome et maîtresse de conférences en économie à AgroTech Paris, s'est engagée au sein du mouvement ATTAC (Association pour la taxation des transactions financières et pour l'action citoyenne), apparu en 1998. Elle en est devenue co-présidente en 2006 puis sa porte-parole en 2016. Après la sortie du Bloc arc-en-ciel, en octobre, Aurélie Trouvé a déclaré quitter ses fonctions. Elle a rejoint le parlement de l'Union populaire (PUP), organe de la campagne électorale de Jean-Luc Mélenchon, dont elle préside les débats depuis novembre. En juin 2022, elle sera candidate LFI dans le département de Seine-Saint-Denis. Cette évolution d'un parcours personnel peut surprendre : les ralliements, les retournements de veste constituent le lot des élections. Or, Aurélie Trouvé montre que ses choix relèvent d'une cohérence politique, résumés dans le sous-titre de son essai : « pour une stratégie politique radicale et inclusive ». Elle souhaite travailler à « alliance de forces suffisamment large pour espérer prendre le pouvoir », de façon à construire le fameux monde de demain, celui « d'après le patriarcat, le capitalisme, le racisme et le productivisme » (p. 24). S'éclaire alors le symbole du titre : les couleurs de l'arc-en-ciel allient (sans en être la simple addition) « le rouge des traditions communistes et syndicales, le vert des mouvements écologistes, le jaune des insurrections populaires, le multicolore des luttes pour l'égalité réelle, antipatriarcales et antiracistes » (p. 67), ainsi que « le violet du féminisme » (p. 87). Ces couleurs sont aussi celles de la Rainbow Coalition, fondée en 1969 par Fred Hampton (tué par le FBI en décembre de la même année), qui cherchait à regrouper différentes organisations  pour « faire face aux violences policières systématiques, à la ségrégation raciale et sociale brutale […] et aux inégalités d'accès aux services de base » (p. 5). L'objectif était de faire front commun sur la base de la condition sociale en dépassant les clivages raciaux artificiellement mis en place : la misère d'un Blanc n'est pas différente de celle d'un Noir.

Ce bloc arc-en-ciel auquel aspire Aurélie Trouvé vise à réunir les forces de gauche, qu'elles soient institutionnelles (formations politiques, syndicales, associatives) ou plus spontanées (gilets jaunes, Nuit debout, là où se produit un « bouillonnement de la rue, des ronds-points, des places, des zones à défendre »), chaque courant préservant son autonomie. Le but est de fédérer les oppositions aux différentes expressions de la domination : la lutte des classes n'est pas indissociable de toutes les autres formes de luttes sociales ; elles sont complémentaires. Et pour cela, il faut proposer un bloc politique auquel les électeurs pourront se rallier en votant pour lui, et ainsi donner une amplification des mobilisations spontanées en les portant dans l'action politique. On retrouve finalement l'argument du dernier ouvrage d'Erik Olin Wright traduit en français, Stratégies anticapitalistes pour le XXIe siècle (voir le compte rendu sur ce même site), paru en octobre 2020 à La Découverte. L'auteur se demander comment vaincre l'ordre social en le remplaçant par une alternative démocratique. La solution qu'il préconisait visait à lutter à la fois à l'intérieur des institutions et en dehors. Pour Aurélie Trouvé, tous les moyens sont bons pour ce remplacement (et non de simples aménagements réformistes), comme sa participation à différents types actions l'a montré (décrochage des photographies de Macron dans les mairies, etc.) : sabotages, actions juridiques, grèves… Et faire ainsi en sorte de développer ce qu'elle appelle des écosystèmes, des lieux de réflexion et d'actions concrètes, capables de convaincre qu'un autre monde est possible.


Que propose ce bloc ? Trois axes sont esquissés. Il s'agit de réfléchir à une planification sociale et écologique destinées à donner une vision à long terme propre à contrer les marchés. À la mondialisation, une relocalisation des productions s'impose, mais une relocalisation solidaire qui ne se fasse contre les migrants et les étrangers. À cela s'ajoute une socialisation démocratique qui cherchera à restituer les services d'intérêt général à la population (les « communs » : eau, énergie, banques, transports, santé…) et leur contrôle par les citoyens.

Évidemment, il faudra faire face au réflexe de méfiance envers les tentatives de récupération politique des mouvements spontanés, et leur instrumentalisation au service d'un candidat (ou d'une candidate). À cela, Aurélie Trouvé répond par l'urgence de la réponse ferme et radicale à apporter au néo-libéralisme, à l'amplification des conséquences déjà visibles du réchauffement climatique.

 

On aura compris que Le Bloc arc-en-ciel n'est pas un ouvrage jetable, valable pour un moment déterminé. Il porte des propositions radicales, ambitieuses qui pourront nourrir la réflexion de chaque citoyen. On pourra regretter que des couleurs n'aient pas mérité un développement plus large (on pense à l'antiracisme, par exemple). Considérons l'ouvrage comme une base, et rendons-nous attentifs aux travaux du PUP.



15/10/2020

Erik Olin Wright (trad. fr. : Christophe Jaquet et Rémy Toulouse ; Vincent Farnea et Joao Alexandre Peschanski), Stratégies anticapitalistes pour le XXIe siècle et Utopies réelles, La Découverte, 15 octobre 2020. Respectivement : 184 p., 19 €, EAN : 9782348055621 ; coll. « Poche / Sciences humaines et sociales » n° 529, 529 p., 14 €, EAN : 9782348065484.



Présentation de Stratégies anticapitalistes pour le XXIe siècle par l’éditeur. « Alors que l’idée d’une stratégie anticapitaliste réapparaît ici ou là au sein des gauches mondiales, aucun essai d’ensemble visant à repenser ses voies éventuelles et ses chances effectives n’existe réellement. Les modèles historiques et pratiques ne manquent pourtant pas --- la rupture révolutionnaire, la fuite libertaire, la régulation globale de la social-démocratie, etc. Mais ces options sont presque toujours opposées les unes aux autres, jusqu’à polariser et diviser les gauches depuis des décennies alors qu’elles ont chacune fait la preuve de leurs insuffisances. Voilà pourquoi le débat sur la transition post-capitaliste est pauvre et l’imagination des socialistes asséchée. Le capitalisme a beau apparaître de plus en plus comme le problème majeur de notre temps, personne ne sait vraiment comment s’en défaire.

 C’est donc à l’invention d’une nouvelle formule de l’anticapitalisme, complète et efficace, qu’est dédié ce livre. À rebours du socialisme étatisé ou d’un appel à l’exode, les stratégies d’érosion qu’elle promeut consistent à investir par en bas toutes les zones et pratiques déjà existantes où la vie et la production s’organisent de manière non capitaliste, mais, dans le même temps, à mettre un pied dans les institutions et initier par en haut toutes les politiques susceptibles de développer ces formes et ces espaces de vie. À ceux qui, à gauche, nous disent que la fin du monde s’imagine mieux que celle du capitalisme, ce livre offre un cinglant démenti. Et il suggère qu’à l’optimisme de la volonté doit désormais être joint celui de l’intelligence ».


Présentation d’Utopies réelles par l’éditeur
. « Pourquoi et comment sortir du capitalisme ? Quelles sont les alternatives d’ores et déjà présentes ? Peut-on, doit-on réinventer les socialismes par des réalisations concrètes ? Avec quels outils, quelles formes d’action, quelles institutions ? Telles sont les vastes questions, solidaires les unes des autres, auxquelles répond ce livre original et magistral, synthèse d’une enquête internationale et collective de plusieurs années sur les théories les plus actuelles de l’émancipation ainsi que sur de nombreux projets vivants de transformation radicale, ou plus graduelle, déjà observables dans les domaines social, économique et politique.
Grâce à un regard rigoureux et acéré, appelé à fonder un nouveau programme de recherche sur les expérimentations postcapitalistes contemporaines, se détachent une conception neuve du progrès et de ses instruments potentiels ainsi qu’une vision scientifique des modalités de dépassement du capitalisme. Les utopies réelles ne sont ni pour les idéalistes ni pour les réalistes. Ce sont les expériences vécues, les projections audacieuses qui créent dès maintenant les conditions et les formes d’un avenir meilleur, d’un autre futur possible.
Traité savant, arme au service d’un renouveau nécessaire de l’imagination politique, Utopies réelles figure déjà parmi les classiques de la pensée sociale du XXIe siècle ».

 

 

Les éditions La Découverte viennent de publier la traduction française de l’ultime ouvrage du sociologue Erik Olin Wright : Stratégies anticapitalistes pour le XXe siècle. Très opportunément, elles proposent la version de poche de son copieux Utopies réelles [1]. Le lecteur pressé se précipitera sur le premier, avant (il faut l’espérer) d’aller vers le second. L’auteur, mort à la fin de janvier 2019, dit avoir conçu Stratégies anticapitalistes comme une version plus synthétique d’Utopies réelles. Il est, de fait, beaucoup plus abordable. L’approche de sa mort en a accéléré l’écriture, sans en altérer la cohérence et la pertinence, même si l’ouvrage est et restera inachevé. C’est principalement de celui-là dont il est question ici.

Sur la base de sa très longue observation des classes sociales (à quoi la sociologie contemporaine s’est moins intéressée que par le passé), Erik Olin Wright part de l’idée commune selon laquelle il serait plus facile d’envisager la fin du monde que celle du capitalisme. L’auteur réfute cette vision pessimiste et fataliste. Il démontre ainsi en quoi son renversement est non seulement pertinent, mais qu’il est de surcroît possible. Voilà de quoi apporter de l’eau au moulin d’Ignacio Ramonet, qui affirmait en guise de titre à un éditorial du Monde diplomatique, qu’« Un autre monde est possible » [2]. Et comme E. O. Wright, I. Ramonet ressentait non seulement qu’« sursaut collectif [devenait] indispensable », mais qu’il avait « un besoin d’utopie » face aux assauts du néo-libéralisme.

Le sociologue américain commence par préciser ce que cela est d’être anti-capitaliste. C’est se placer en opposition complète à l’emprise que l’idéologie capitaliste exerce sur les individus et les sociétés, en rognant davantage la liberté de chacun par une exploitation exacerbée, une mise en concurrence, résultats de la concentration des pouvoirs dans les mains d’une petite oligarchie. L’hétéronomie l’emporte donc davantage de jour en jour sur les capacités d’autonomie, pour reprendre les thèses popularisées par André Gorz, Cornelius Castoriodis ou Ivan Illich. Cependant, si la conscience de ce constat est largement répandue, l’opinion que l’on ne puisse guère y faire quelque chose l’est également. Une rapide rétrospective des luttes sociales menées ces dernières décennies et des résultats obtenus (quand il en est) suffit à annihiler tout esprit de révolte contre cet état de fait. Les positions capitalistes, protégées par les dispositifs sécuritaires étatiques, semblent inexpugnables. Les stratégies « réformistes » ou « révolutionnaires » (pour reprendre l’opposition classique) auraient donc largement échoué, ainsi que celles qui consistent à fuir en se coupant de la société. Un examen plus fin permettrait probablement de nuancer cette vision des choses. Mais ce qu’Erik Olin Wright veut nous faire comprendre, c’est qu’on ne peut chercher à aménager le capitalisme : on n’obtient qu’une atténuation de ses effets les plus négatifs sans en entraver la marche en avant.
Toutefois, Erik Olin Wright estime qu’il existe une voie encore insuffisamment inexplorée : celle d’une érosion du capitalisme. À ses yeux, cette stratégie permettrait d’éviter une réaction, tout en protégeant chacun des attitudes radicales : il ne faut jamais perdre de vue que l’objectif est de favoriser l’émancipation individuelle. Or, les expériences révolutionnaires ont abouti à l’effet inverse. L’alternative proposée par Erik Olin Wright consiste donc à inscrire dans les mentalités l’idée qu’elle peut advenir, ce qui rognera les ailes de la réaction. En même temps, il s’agira de profiter des échéances électorales pour aller vers des réformes de fond susceptible de transformer la société en profondeur. Pour cela, il faut s’appuyer sur ce qui existe déjà en renforçant considérablement leur contrôle par la population : les services publics (à l’image de la Sécurité sociale au moins jusqu’en 1967), les comités d’entreprise (qui doivent acquérir un regard sur la gestion et la stratégie, ce qui rappelle les caisses d’investissement imaginées par Bernard Friot, alimentées par des cotisations sociales), les établissements financiers (pour orienter les investissements vers les secteurs propres à répondre aux besoins du plus grand nombre, tout en protégeant les ressources et l’environnement), les revenus (en approfondissant leur contrôle par ses bénéficiaires, de façon à renforcer leur autonomie [3]), etc. Autrement dit, favoriser l’émergence d’« activités économiques alternatives, non capitalistes, où prévalent des relations démocratiques et égalitaires ».
Il s’agit donc d’un travail de sape qui se pratiquera sur un long terme, qui peut être acquis en combinant les luttes sociales et les actions menées dans les structures publiques et privées. Un lecteur excessivement rapide pourra en conclure qu’Erik Olin Wright n’est rien d’autre qu’un social-démocrate. En réalité, son objectif d’émancipation le rapproche des expériences libertaires, envisager comme autant de laboratoires sociaux susceptibles de stimuler l’imagination et donc l’autonomie mais aussi la solidarité.
Reste à résoudre deux problèmes important. Le premier tient à l’émiettement social qui exacerbe les tendances individualistes. L’autre tient à la collusion entre les élites, qui tiennent à la fois les structures économiques et politiques. L’observation de l’Histoire montre que son évolution n’est jamais une ligne droite, mais est le résultat d’inflexions imposées par des paramètres particuliers. Les révolutions de 1789 ou de 1917 en sont un exemple : les acquis sociaux des lendemains de la seconde guerre mondiale en sont un autre. Les crises climatique et sanitaire qui se développent peuvent comporter une part d’opportunité susceptible d’attiser la conscience et l’imagination des populations et de les pousser à l’action. Ce qui s’est déroulé en France en mars 2020, par exemple, a montré l’impotence de l’État : le vide a favorisé des conduites autonomes pour faire face aux difficultés (dans l’Éducation nationale, notamment, mais pas seulement).
Mais face à ces initiatives, vite reprises en main par les autorités publiques, on ne doit pas négliger les capacités de réaction ou d’inertie (plus simplement) des élites : le chantage à l’emploi et à la dette est amplement utilisé, tout autant que le détournement des biens sociaux (outils de production, capitaux financiers…). Le temps long préconisé par Erik Olin Wright peut s’avérer opportun, à la condition d’une permanence des objectifs d’une génération à l’autre. On pourra également objecter que les conditions actuelles imposent un temps plus court : il est question d’une « urgence climatique », irréversible, à l’échelle de quelques décennies au mieux. C’est cette tension entre ces deux temporalités qui marque probablement la limite la plus importante à la thèse développée par Erik Olin Wright. Ce n’est cependant pas une raison pour la rejeter, car la synthèse qu’il a effectuée a le mérite d’être très stimulante.



Notes

[1La première édition avait paru en août 2017.

[2Ignacio Ramonet, « Un autre monde est possible », Le Monde diplomatique, mai 1998, p. 1.

[3On retrouve ici les thèses développées par Bernard Friot qui , sur la base de l’exemple des pensions de retraite, milite pour un salaire socialisé, attaché à la personne (comme c’est le cas des fonctionnaires) et non à une activité. Sur le travail de Bernard Friot, outre ses ouvrages, se reporter au site Réseau salariat

Jean-Yves Le Naour (sc.), Iñaki Holgado et Marko (ill.), Aretha Battistutta (coul.), <i>Le réseau Comète. La ligne d'évasion des pilotes alliés</i>, Bamboo, coll. « Grand Angle », 56 p., 31 mai 2023. ISBN 978 2 8189 9395 8

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