Présentation de l'éditeur. « Partout, la colère monte ; partout, l’aspiration à un changement profond se fait entendre. Après vingt années d’engagement au coeur des mouvements sociaux, Aurélie Trouvé analyse dans ce livre comment l’exigence d’égalité réelle exprimée par les populations dominées est en train de bouleverser l’ordre établi. En s’engageant frontalement, sans le concours des médiations traditionnelles, ces dernières heurtent le vieux monde de la politique. Mais cette puissance qui se dégage du côté de l’écologie dissidente, des insurrections populaires, des luttes antipatriarcales et antiracistes et des mouvements syndicaux reste fragmentée, incapable de se constituer en véritable force politique.
L’hypothèse de ce livre est que la radicalité des prises de position
actuelles est en réalité un facteur d’inclusion, et non de déliaison.
Car cette radicalité est aussi celle des urgences écologiques,
économiques et sociales, qui sont liées entre elles et qui requièrent de
nous que nous nous hissions collectivement à leur hauteur. En 1969, à
Chicago, la Rainbow Coalition rassemblait Black Panthers, Young Lords et
Young Patriots. Cette alliance en apparence modeste d’organisations
jusqu’alors désunies pour lutter contre la ségrégation raciale et
sociale fit trembler les fondations de la démocratie bourgeoise
états-unienne. Il est temps de renouer avec la stratégie du Bloc
arc-en-ciel et de créer les conditions d’un exercice résolument
démocratique du pouvoir politique ».
Depuis la sortie de Bloc arc-en-ciel, à la rentrée 2021,
l'actualité politique a fortement évolué en raison de la campagne pour les
élections présidentielles (et législatives, même s'il n'en est pas
ouvertement question). C'est un truisme que de l'écrire, bien évidemment,
tout c'est le propre de ces essais de poser un regard éphémère à un moment
donné. Est-ce un ouvrage jetable pour autant, valable pour la seule
période dans laquelle il a paru ?
Aurélie Trouvé, ingénieure agronome et maîtresse de conférences en
économie à AgroTech Paris, s'est engagée au sein du mouvement ATTAC
(Association pour la taxation des transactions financières et pour
l'action citoyenne), apparu en 1998. Elle en est devenue co-présidente en
2006 puis sa porte-parole en 2016. Après la sortie du
Bloc arc-en-ciel, en octobre, Aurélie Trouvé a déclaré quitter ses
fonctions. Elle a rejoint le parlement de l'Union populaire (PUP), organe
de la campagne électorale de Jean-Luc Mélenchon, dont elle préside les
débats depuis novembre. En juin 2022, elle sera candidate LFI dans le
département de Seine-Saint-Denis. Cette évolution d'un parcours personnel
peut surprendre : les ralliements, les retournements de veste constituent
le lot des élections. Or, Aurélie Trouvé montre que ses choix relèvent
d'une cohérence politique, résumés dans le sous-titre de son essai : «
pour une stratégie politique radicale et inclusive ». Elle souhaite
travailler à « alliance de forces suffisamment large pour espérer prendre
le pouvoir », de façon à construire le fameux monde de demain, celui «
d'après le patriarcat, le capitalisme, le racisme et le productivisme »
(p. 24). S'éclaire alors le symbole du titre : les couleurs de
l'arc-en-ciel allient (sans en être la simple addition) « le rouge des
traditions communistes et syndicales, le vert des mouvements écologistes,
le jaune des insurrections populaires, le multicolore des luttes pour
l'égalité réelle, antipatriarcales et antiracistes » (p. 67), ainsi que «
le violet du féminisme » (p. 87). Ces couleurs sont aussi celles de la
Rainbow Coalition, fondée en 1969 par Fred Hampton (tué par le FBI
en décembre de la même année), qui cherchait à regrouper différentes
organisations pour « faire face aux violences policières
systématiques, à la ségrégation raciale et sociale brutale […] et aux
inégalités d'accès aux services de base » (p. 5). L'objectif était de
faire front commun sur la base de la condition sociale en dépassant les
clivages raciaux artificiellement mis en place : la misère d'un Blanc
n'est pas différente de celle d'un Noir.
Ce bloc arc-en-ciel auquel aspire Aurélie Trouvé vise à réunir les forces
de gauche, qu'elles soient institutionnelles (formations politiques,
syndicales, associatives) ou plus spontanées (gilets jaunes, Nuit debout,
là où se produit un « bouillonnement de la rue, des ronds-points, des
places, des zones à défendre »), chaque courant préservant son autonomie.
Le but est de fédérer les oppositions aux différentes expressions de la
domination : la lutte des classes n'est pas indissociable de toutes les
autres formes de luttes sociales ; elles sont complémentaires. Et pour
cela, il faut proposer un bloc politique auquel les électeurs pourront se
rallier en votant pour lui, et ainsi donner une amplification des
mobilisations spontanées en les portant dans l'action politique. On
retrouve finalement l'argument du dernier ouvrage d'Erik Olin Wright
traduit en français,
Stratégies anticapitalistes pour le XXIe siècle
(voir le
compte rendu sur ce même site), paru en octobre 2020 à La Découverte. L'auteur se demander comment
vaincre l'ordre social en le remplaçant par une alternative démocratique.
La solution qu'il préconisait visait à lutter à la fois à l'intérieur des
institutions et en dehors. Pour Aurélie Trouvé, tous les moyens sont bons
pour ce remplacement (et non de simples aménagements réformistes), comme
sa participation à différents types actions l'a montré (décrochage des
photographies de Macron dans les mairies, etc.) : sabotages, actions
juridiques, grèves… Et faire ainsi en sorte de développer ce qu'elle
appelle des écosystèmes, des lieux de réflexion et d'actions concrètes,
capables de convaincre qu'un autre monde est possible.
Que propose ce bloc ? Trois axes sont esquissés. Il s'agit de réfléchir à
une planification sociale et écologique destinées à donner une vision à
long terme propre à contrer les marchés. À la mondialisation, une
relocalisation des productions s'impose, mais une relocalisation solidaire
qui ne se fasse contre les migrants et les étrangers. À cela s'ajoute une
socialisation démocratique qui cherchera à restituer les services
d'intérêt général à la population (les « communs » : eau, énergie,
banques, transports, santé…) et leur contrôle par les citoyens.
Évidemment, il faudra faire face au réflexe de méfiance envers les
tentatives de récupération politique des mouvements spontanés, et leur
instrumentalisation au service d'un candidat (ou d'une candidate). À cela,
Aurélie Trouvé répond par l'urgence de la réponse ferme et radicale à
apporter au néo-libéralisme, à l'amplification des conséquences déjà
visibles du réchauffement climatique.
On aura compris que Le Bloc arc-en-ciel n'est pas un ouvrage jetable, valable pour un moment déterminé. Il porte des propositions radicales, ambitieuses qui pourront nourrir la réflexion de chaque citoyen. On pourra regretter que des couleurs n'aient pas mérité un développement plus large (on pense à l'antiracisme, par exemple). Considérons l'ouvrage comme une base, et rendons-nous attentifs aux travaux du PUP.
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