Affichage des articles dont le libellé est Pensée politique et sociale. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Pensée politique et sociale. Afficher tous les articles

19/09/2017

Arnaud Tomès, Philippe Caumières, Pour l’autonomie. La pensée politique de Castoriadis, L’Échappée, coll. « Versus », 19 sept. 2017, 240 p, 18 €. EAN : 9782373090253


Présentation de l’éditeur. « Venu du marxisme, dont il a constaté très tôt les impasses, Cornelius Castoriadis a voulu réinventer la révolution. Selon lui, la modernité voit s’affronter deux projets de société : celui d’une maîtrise rationnelle du réel et celui d’une autonomie de toutes et de tous. Le premier a donné des résultats désastreux en engendrant le règne de la technique et de l’économie. Le second reste encore à construire pour qu’advienne une société vraiment démocratique dans laquelle le peuple se gouverne lui-même, se passant de toute classe dirigeante.

Castoriadis a mis en lumière les origines de ce projet d’autonomie qui remontent à la Grèce antique. Il en a analysé les expressions modernes, de la révolution russe de 1917 aux révoltes des années 1960. Mais surtout, il en a examiné les conditions pour que se développe une politique émancipatrice aujourd’hui : auto-organisation des luttes, pratique de l’égalité et sens des limites.

Ce projet d’autonomie n’est pas un programme clés en main. Il est un imaginaire autant qu’une expérience. Il est un horizon, celui d’une société consciente du fait que le pouvoir est l’affaire de tous. C’est cette réflexion multiforme et souvent complexe que présente et questionne ce livre qui offre pour la première fois une synthèse claire, accessible et percutante de la pensée politique de Castoriadis ».

 

Vouloir restituer la pensée politique de Cornelius Castoriodis [1], même en 240 pages, est une gageure. Les auteurs s’attaquent en effet à l’un des penseurs dont on redécouvre la philosophie, notamment au travers d’un colloque, vingt ans après sa mort [2]. Ils n’en sont cependant pas à leur coup d’essai, puisqu’ils publièrent, voici un an, un Cornelius Castoriodis. Réinventer la politique après Marx [3]. Force est de reconnaître d’ors et déjà que le pari tenté est réussi.

Le maître-mot de la pensée de Castoriodis est l’autonomie [4] : chaque être doit pouvoir y parvenir, et, ce faisant, c’est l’ensemble de la société qui doit en bénéficier et maîtriser son destin. C’est, aux yeux du philosophe, le stade ultime de la démocratie, dont la base (le « germe » comme disent ici les deux auteurs) a été posée par l’antique Athènes. On mesure dès lors l’écart qui sépare cet idéal de la situation du modèle libéral de nos démocraties occidentales, aussi avancées soient-elles. Coincée entre la personnalisation du pouvoir, incarné par un seul personnage, l’administration bureaucratique, sans parler des inégalités entre les classes sociales, notamment du point de vue culturel, et de celles qui existent entre les individus, quelle est la place de la démocratie ? Quel crédit accorder à la définition que l’on continue à enseigner, à savoir d’un régime où le pouvoir est le fait de tous au bénéfice de l’ensemble des citoyens ? Bref, sommes-nous dans une véritable démocratie ? La question soulevée par Castoriodis est bien sûr celle d’un accaparement du pouvoir par un petit nombre. Son analyse contribue à identifier une oligarchie qui, même élective, se paie de mots en s’affublant de celui de « démocratie ». À quel point les citoyens maîtrisent-ils les règles du jeu, qu’ils s’activent ou non au sein de structures partisanes ? Cette pression qui s’exerce sur eux et qui empêche d’agir se nomme « hétéronomie » ; elle crée même une situation de dépendance à l’égard de ces moyens, que ce soit la religion, la publicité, aussi bien que n’importe laquelle des normes auxquelles il faudrait se conformer. Castoriodis n’est d’ailleurs pas le premier à utiliser le terme d’hétéronomie : Kant y avait réfléchi en son temps [5], voyant dans la Raison un moyen de s’en abstraire. La notion a depuis été reprise et développée par d’autres penseurs, comme, pus proches de nous, André Gorz ou Ivan Illich. Être conscient de ces formes d’asservissement, c’est déjà être sur le chemin de l’autonomie : là est la véritable révolution à laquelle Castoriodis appelle.

À le lire trop vite, on pourrait reconnaître en Castoriadis un marxiste : classe contre classe ; citoyens opprimés contre une minorité d’oligarques au pouvoir. Ce serait oublier son passé, notamment le rôle qu’il a tenu au sein de Socialisme ou Barbarie (1948-1967), groupe de réflexion (et d’action) qu’il a animé au plus fort de la guerre froide avec Claude Lefort [6], pour analyser le totalitarisme, et notamment le soviétisme. À l’heure de commémorer le centenaire de la Révolution russe, la lecture de Pour l’autonomie permettra de nuancer ce qu’on en dira.

Le mérite de l’ouvrage tient à ce que ses auteurs expriment l’actualité de la pensée politique de Castoriadis, s’attachant notamment à faire le détail de ses liaisons avec certains champs en particulier. On sera notamment attentif à ce qui est dit de l’éducation. Encore ne doit-on pas la réduire à la seule scolarisation, tant que celle-ci demeurera ce que Castoriadis estime être un processus de dressage. Il entend en réalité l’effort permanent qui s’étend à la vie entière et englobe toutes les expériences que l’on peut faire, notamment dans les débats auxquels on peut participer. Cette confrontation dynamique doit permettre l’affermissement d’une faculté de chacun à « s’orienter dans la histoire (et dans la vie) » (p. 165). C’est sur cette idée que le projet de Castoriodis est fondamentalement optimiste, sans que cela soit entendu comme un défaut : il est possible de progresser sur la voie de l’autonomie individuelle et collective (que les auteurs ne se privent pas d’explorer), et, partant, d’approfondir la démocratie, à la condition (entre autres) que les plus conscients ne cessent leur combat.

Dire que Pour l’autonomie est un ouvrage d’un abord facile d’accès serait exagérer : il suppose en effet une solide culture. Il manque, de plus, un index, qui permettrait de faire de l’ouvrage une sorte de manuel et d’en faciliter l’usage. Pour autant, l’accès à la pensée politique de Castoriadis mérite bien que l’on prenne le temps nécessaire de lire cette synthèse, d’y réfléchir, et d’y revenir ultérieurement. Pour qui se prétend être un citoyen actif, et a fortiori pour qui prétend faire acte d’éducation, cet effort est même une nécessité.

Notes

[1Sur sa vie, lire François Dosse, Castoriadis, une vie, La Découverte, 2014.

[2« Actualité dʼune pensée radicale, Hommage à Cornelius Castoriadis », 26 au 28 octobre 2017, organisé par l’EHESS et Paris VII Denis-Diderot.

[3PUF, coll. « Fondements de la politique », déc. 2016.

[4Les auteurs y consacrent spécifiquement une vingtaine de pages, mais la notion surgit partout ailleurs dans l’ouvrage. Philippe Caumières a par ailleurs été l’auteur d’un Castoriodis. Le projet d’autonomie, publié chez Michalon en 2007.

[5Emmanuel Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs, 1796.

[6Sur ce point, lire Nicolas Poirier, Cornelius Castoriadis et Claude Lefort : l’expérience démocratique, Le Bord de l’eau, 2015 .

 

 

 

 

 

 

 

 

Jean-Yves Le Naour (sc.), Iñaki Holgado et Marko (ill.), Aretha Battistutta (coul.), <i>Le réseau Comète. La ligne d'évasion des pilotes alliés</i>, Bamboo, coll. « Grand Angle », 56 p., 31 mai 2023. ISBN 978 2 8189 9395 8

Présentation de l'éditeur . « Des centaines de résistants de « l’armée des ombres », discrets, silencieux, un « ordre de la nuit » fait...