07/12/2022

Philippe Pelaez (sc.) et Gilles Aris (ill.), L'Écluse, 64 p., éd. Bamboo, coll. « Grand Angle », 10 août 2022, 15,90 €. ISBN : 978 2818 978 238



Présentation de l'éditeur. « Il est des eaux moins paisibles qu’elles en ont l’air

Trois noyées en moins d’un an…
C’est beaucoup pour la petite écluse dont s’occupe Octave.
Dans le village, les rumeurs vont bon train et le jeune éclusier un peu attardé au visage déformé a tout du suspect idéal. L’émoi est tel que deux policiers de la ville viennent enquêter pour tirer cette affaire au clair, mais aussi pour faire face à la fureur des habitants bien décidés à rendre la justice eux-mêmes.
Les eaux de la rivière sont paresseuses, mais dans ses méandres, la cruauté et la méchanceté ne sont jamais très loin ».


D'un côté Octave, difforme, muet et souffre-douleur. De l'autre, Fanette, en jeune fille qui cherche à le protéger. Et enfin Alban, en petite terreur qui règne sur le village. On a ici les ingrédients qui font immanquablement penser aux personnages de Notre-Dame de Paris : Quasimodo, Esmeralda, Claude Frollo… On y est d'autant plus incité que la couverture de l'album montre Octave sauvant Fanette, référence explicite à ce que l'on a pu lire dans le roman de Victor Hugo.
D'autres références viennent pourtant en tête, notamment dans le cinéma : Panique (1946), de Julien Duvivier, que Patrice Leconte reprend en 1989 sous le titre M. Hire, les deux étant l'adaptation du roman de Georges Simenon,
Les Fiançailles de monsieur Hire (1933). On pense aussi à Fury, de Fritz Lang (1936), etc. Le thème de l'injustice n'a cessé d'inspirer, sur le terreau des jalousies, des mesquineries villageoises, des petits pouvoirs que les uns s'arrogent sur de plus faibles, et de la vindicte populaire attisée par les forts en gueule. Les auteurs de L'Écluse y ont ajouté d'autres thèmes, que ce soit celui des discriminations, du poids des histoires intra-familiales, etc. Le lecteur ne se perd pas avec cette multiplicité d'approches, et c'est d'ailleurs l'un des mérites de l'album que d'y avoir réussi.

Si l'on reprend l'évocation que l'on a faite de
Notre-Dame-de-Paris, il faut dire qu'on n'a pas affaire à une banale réplique, ce qui n'aurait pas beaucoup d'intérêt. Les premières différences, comme on s'en doute, tiennent à l'espace et à la période.

L'action se déroule en effet dans un petit village du Quercy, Douelle (arrondissement de Cahors), qui s'est développé dans un méandre du Lot. Il ne semble pas, sauf erreur, qu'il y ni canal, ni écluse, par conséquent. C'est en tout cas ce village dont Jean Fourastié a retracé l'évolution entre 1945 et 1975, étude qui lui a permis de concevoir l'idée des Trente Glorieuses[Jean Fourastié,
Les Trente Glorieuses ou la révolution invisible de 1946 à 1975, Fayard, 1979). Mais les auteurs n'y ont pas fait référence.  On peut les remercier d'avoir limité les clichés sur le Sud-Ouest. Si « con » apparaît comme un signe de ponctuation vocal, les tentatives de restituer le parler local en restent là. Cette subtilité laisse au lecteur toute latitude pour imaginer que l'intrigue peut finalement se placer n'importe où en France. On est ainsi, et très heureusement, bien loin des lourdes pagnolades de Claude Berry (1986).
 
L'époque diffère également et embrasse le troisième quart du XXe siècle. On part de la Libération de la région jusqu'au début des années soixante. Au cours de cette quinzaine d'années, les relations au sein du village sont imprégnées par ce qui s'est passé sous l'Occupation. Octave apparaît comme une synthèse vivante de cette atmosphère.

Le dessin décontenance un peu. La physionomie des personnages présente en effet un tracé assez anguleux, assez nerveux, comme on en trouvait sous le crayon de Jean Tabary, avec ses Totoche ou Corinne et Jeannot. Dans L'Écluse, on a l'impression que cette façon de les restituer est destinée à mettre certains protagonistes sur un pied d'égalité avec les infirmités d'Octave : le monstre n'est pas celui que l'on pourrait croire.
 
On note cependant des maladresses, avec quelques rares anachronismes ou bizarreries. Les mêmes gendarmes portent au côté un bâton de gardien de la paix, alors qu'ils en sont dépourvus dans les autres vignettes, et que, surtout, cet outil ne fait pas partie de leur équipement quotidien (sauf dans une régulation du trafic). Ils peuvent porter des cheveux exagérément longs (p. 55-56). On a aussi un drapeau nazi qui a bizarrement été placé sur la façade de l'église du village (p. 5). Sur la même page, un militaire libérateur est accoutré en soldat français de la Première Guerre mondiale. On a un modèle assez rare de 2cv (p. 24), qui présente une malle bombée à l'arrière : quelques entreprises s'y étaient essayées avant que Citroën sorte la 2CV AZLP en 1957.

Il n'empêche que les qualités de l'album l'emportent très largement, tant du point de vue du scénario (notamment pour l'épilogue, dont on ne dira évidemment rien) que du dessin.

Jean-Yves Le Naour (sc.), Iñaki Holgado et Marko (ill.), Aretha Battistutta (coul.), <i>Le réseau Comète. La ligne d'évasion des pilotes alliés</i>, Bamboo, coll. « Grand Angle », 56 p., 31 mai 2023. ISBN 978 2 8189 9395 8

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