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28/03/2023

Philippe Pelaez (sc.), Cédrick Le Bihan (ill., coul.), Dans l'Ombre, co-éd. J.-C. Lattès/Bamboo, coll. « Grand Angle », 5 avril 2023, 88 p., 18,90 €, .ISBN : 978 2 8189 9482 5


Présentation de l'éditeur. « Une campagne présidentielle, ça se prépare. Le Patron était prêt. Moi aussi. J’allais le faire gagner.
 
Après la victoire de son « patron » à la primaire, le premier conseiller d’un homme politique s’engage avec ferveur dans la campagne présidentielle. Ayant sacrifié sa vie pour ce moment et ce combat, il croyait tout connaître de son rôle, jusqu’aux compromis et aux renoncements.
Mais rien ne pouvait le préparer à ces mois de campagne, aux trahisons dont seuls sont capables ceux qui convoitent à tout prix le pouvoir. Lorsqu’il doit faire face aux soupçons de fraude qui entachent la victoire aux primaires, il en vient à questionner pour la première fois l’honnêteté de son candidat et par là même le sens de cette vie militante ».
 
 
Dans l'Ombre est l'adaptation en bande dessinée d'un roman de Gilles Boyer et Édouard Philippe, paru en 2011 (éd. J.-C. Lattès, coll. « Romans contemporains »). Ces deux auteurs ont souvent travaillé ensemble. Ils avaient publié L'Heure de vérité (Flammarion, 2007), où il était question des remous politiques suscités par la disparition d'un député du Morbihan et ancien ministre, Alexandre Caligny, favori de son camp à une importante élection. Ils ont récidivé en 2022 avec Impressions et lignes claires (éd. J.-C. Lattès).
 
Qui sont ces auteurs, en dehors des activités professionnelles qu'il ont pu avoir ou ont encore ?  Gilles Boyer a fait partir des structures de direction du RPR. Directeur de campagne d'Alain Juppé en 2016, il est trésorier lors de la mémorable campagne de Fr. Fillon jusqu'au 2 mars 2017. Il est élu au Parlement européen en 2019, et entre dans le groupe libéral Renew Europe.
Édouard Philippe (non, il ne s'agit pas d'un pseudonyme…) appartient à la même formation politique. Élu maire du Havre en 2010, il devient député de la Seine-Maritime deux ans plus tard. On sait qu'il a été nommé à Matignon de mai 2017 à juillet 2020 ; Gilles Boyer faisait partie de son cabinet.
 
Du côté de la BD elle-même, on connaît Philippe Pelaez. Il avait écrit le scénario du très bon album Puisqu'il faut des hommes. Joseph (avec Victor Lorenzo Pinel aux crayons) publié dans la collection « Grand Angle » en 2020, et dont on avait rendu compte ici même. Toujours dans la même collection et paru en août 2022, on avait aussi bien apprécié L'Écluse auquel avait participé Gilles Aris. Pour Dans l'Ombre, Philippe Pelaez est associé à Cédrick Le Bihan. Il ne semble pas que l'adaptation du roman ait été faite avec ses auteurs originels, même s'ils ont très probablement fait valoir quelques principes. 
 
La première difficulté était de passer de quatre cent trente-deux pages à quatre-vingt-huit. Cela implique d'opérer une sélection rigoureuse dans le corps du roman, tout en préservant l'intrigue, le rythme du récit, mais aussi ce qui caractérise les personnages et les enjeux liés au contexte choisi. Manifestement, ces contraintes n'ont guère entravé Philippe Pelaez. On est pris dès la première case, et on ne résout à lâcher l'album qu'à la dernière page. 
 
De quoi s'agit-il ? Le récit est donné par le plus proche collaborateur d'un candidat à des élections importantes, qu'on suppose présidentielles. Il se qualifie lui-même d'apparatchik (dont la définition nous est rappelée, p. 4). La formation politique n'est pas identifiée (mais on ne voit pas bien comment les auteurs auraient pu faire abstraction de leur expérience au sein de l'UMP…) ; la plupart des personnages ne sont d'ailleurs désignés que par un surnom : le narrateur reste donc l'apparatchik, et il sert le patron. Ce procédé permet de transposer l'histoire dans des contextes différents : chacun est libre d'y plaquer ses propres représentations.
 
Les primaires viennent de se dérouler, dont le « patron » (aucun nom n'est donné aux deux principaux protagonistes, ni à membres de leur équipe : ) sort vainqueur. Il bat d'une courte tête sa concurrente, Marie-France Trémeau : on sent que ces résultats très serrés vont contribuer à alourdir l'atmosphère au sein du parti. Une équipe de campagne est constituée, au sein de laquelle figure un jeune : Louis Caligny, fils du député et ministre dont il était question dans L'Heure de vérité
Dès la page 12, on apprend que les résultats des primaires auraient été falsifiés. De plus, un sénateur qui aurait pu donner quelques éclaircissements est retrouvé mort. La confiance de l'apparatchik en son patron est ébranlée : aurait-il gagné en trichant ? Comme dans la plupart des séries policières (au moins françaises), on sait que le coupable désigné en premier lieu en cache un autre. Mais rien ne permet d'écarter définitivement ce soupçon, relancé ponctuellement par des éléments équivoques, et qui empoisonne les relations au sein de la formation politique. De fait, telle qu'elle nous est donnée à voir, la campagne se déroule presque sans candidat adverse : le principal compétiteur, Vital, est évoqué à quelques reprises. Les auteurs mettent donc l'accent sur les rancœurs, les ambitions des uns et des autres, les alliances de circonstances, la perfidie, ce qui laisse libre cours (ou peu s'en faut…) aux intrigues de couloir et aux rumeurs plus ou moins habilement fabriquées. Ils n'oublient pas de nous exposer aux menaces, à la pression psychologique à quoi s'ajoute la violence physique. 

Les obstacles sur la route du patron sont donc parmi ceux qui devraient le soutenir : cela constitue le deuxième intérêt qui rive le lecteur à l'album, tandis que des messages téléphoniques anonymes (pleine page) viennent rythmer le récit. On ne peut évidemment rien dire du dénouement, très intéressant. 
 
En plus d'être très bien mené, l'album expose ce qui sous-tend l'objet des partis politiques, à savoir la conquête du pouvoir. On avait déjà pu en apercevoir quelques aspects ailleurs, notamment, sur des films aux registres différents : L'Exercice de l'État (Pierre Scholler, 2011) ; The Ides of March (Les Marches du pouvoir, 2011) de George Clooney ; All the President's Men (Les Hommes du président, 1972) d'Alan Pakula ; Cadaveri eccellenti (Francesco Rosi, Cadavres exquis, 1976 ; Z, de Costa-Gavras (1969), etc. Il est cependant intéressant de noter que les auteurs ne donnent aucun élément sur l'idéologie et les convictions défendues : aucun débat, aucune réflexion. La politique, dans son acception véritable, est complètement écrasée sous les manigances stratégiques ; le sens de l'intérêt commun disparaît derrière les ambitions personnelles. 
Voilà qui ne contribuera guère à atténuer le discrédit que l'univers « politique » laisse dans l'opinion publique.

Jean-Yves Le Naour (sc.), Iñaki Holgado et Marko (ill.), Aretha Battistutta (coul.), <i>Le réseau Comète. La ligne d'évasion des pilotes alliés</i>, Bamboo, coll. « Grand Angle », 56 p., 31 mai 2023. ISBN 978 2 8189 9395 8

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