Affichage des articles dont le libellé est Philosophie. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Philosophie. Afficher tous les articles

27/02/2023

Martine Gasparov (sc.), Émilie Boudet (ill.), Philippe Marlu (coul.), La Liberté (vol. 5) ; La Justice (vol. 6), co-éd. La Boîte à bulles - Belin, coll. « Toute la Philo », 18 mai 2022, 56 p., 9,95 €. ISBN : 979 1035 8240 13 et 979 1035 8240 68

Présentation par les éditeurs :



« Tous nos choix sont-ils libres ?
Les lois nous empêchent-elles d’être libres ?
Être libre, est-ce satisfaire tous nos désirs ? ».

 
« L’être humain est-il naturellement juste ?
Peut-on faire justice soi-même ?
Être juste, est-ce obéir aux lois ? ».

 

 

 

 

 

 
 
 
 
 
 
 
Deux fascicules s'ajoutent à la collection « Toute la Philo » ; nous avions rendus compte ici même des quatre premiers. Avec La Liberté et La Justice, les élèves de Terminale (et les amateurs de philosophie) vont pouvoir disposer de compléments solides à leurs cours. Les deux derniers (La Religion ; Le Bonheur) ont été publiés en décembre 2022 : ils feront l'objet d'une recension prochainement.
Comme on peut s'en douter, on retrouve à la fois les mêmes auteurs, mais aussi le même esprit didactique qui est la marque de qualité de cette collection, décidément bien précieuse. On se contentera donc de reporter les lecteurs au compte rendu qui vient d'être signalé, mais aussi aux extraits disponibles sur le site de La Boîte à bulles.
 
Les couvertures composées par Émilie Boude comportent toujours des clins d’œil qui invitent à une première réflexion. 
Celle qui concerne La Liberté figure deux mouettes goguenardes, qui assistent au départ d'un voilier en se demandant si une tempête n'était pas prévue, alors que l'équipage est tout à sa joie de prendre le large. D'un côté la liberté ; de l'autre les contraintes : voilà les deux faces d'une même pièce sur quoi il s'agira de s'interroger. 
La couverture de La Justice semble plus convenue. On y voit la façade d'un palais de justice, très néo-classique avec son fronton triangulaire soutenu par des colonnes. Devant, on a établi une statue allégorique qui observe les allers et venues des justiciables et des gens de justice. Cette figure de la justice tient une balance équilibrée ; le glaive des sanctions est à son côté. Un bandeau ceint sa tête, mais ne masque qu'un seul œil. La justice pourrait-elle partiale ?
 
Les lecteurs pourront entrer très progressivement dans chaque sujet par un jeu de questions, que la présentation des éditeurs expose. Chaque chapitre est subdivisé en d'autres questions qui permettent de faire appel à une sélection de philosophes et de notions. Des points particuliers sont développés sous forme de petites bandes dessinées. On a ainsi un personnage qui interroge Jean-Paul Sartre, occasion de s'ouvrir à l'existentialisme (Liberté, p. 16). La réflexion sur la soumission à l'autorité est abordée au travers de l'expérience du psychologue Stanley Milgram (Liberté, p. 21). Publiée en 1963, son étude fut utilisée ultérieurement par Henri Verneuil, qui en fit l'un des moments marquants de son film I… comme Icare (1979). On regrettera seulement que les auteurs n'aient pas relativisé les apports de cette expérience (notamment le fait que trois-quarts des individus peut se transformer en tortionnaire dans un certain contexte), en exposant rapidement les controverses qu'elle a provoquées. Un lien peut d'ailleurs être établi avec ce que Hannah Arendt a conclu du procès Eichmann à Jérusalem (Justice, p. 35), en 1963, avec son Rapport sur la banalité du mal.
 
Enfin, comme dans les autres fascicules, on appréciera que les notions philosophiques viennent éclairer le contexte actuel. C'est le cas de la désobéissance civile, à quoi s'est intéressé John Rawls dans sa Théorie de la justice (1971) : un glissement est opéré de l'attitude de Gandhi et Rosa Parks (Justice, p. 38) pour aller vers aller vers la légitimité du recours à la violence pour contester l'injustice. Là encore, on se permettra un nouveau regret. Les thèmes de la liberté, de la résistance au pouvoir, de la justice auraient pu être l'occasion pour aborder des auteurs libertaires : peut-on vivre sans autorité surplombante ? Peut-on assurer un ordre social sans pouvoir, comme Proudhon le réclamait ? De même, il aurait été bienvenu de faire appel à des expériences d'autogestion ou d'auto-organisation, comme les systèmes d'échanges locaux (SEL), les ZAD, etc.

03/02/2019

Timothy Morton (trad. fr. : Cécile Wajsbrot), La Pensée écologique , éd. Zulma, coll. « Essais », 7 février 2019, 272 p., 20 €. ISBN : 9782843048500


 Présentation de l’éditeur. « Si l’agent spécial Dale Cooper (Twin Peaks) prenait la plume, voici le livre qu’il pourrait écrire. Car, à l’image du personnage de David Lynch dont le rapport au monde est bouleversé, Timothy Morton propose une philosophie radicale et troublante.

Le réchauffement climatique, phénomène irréversible dû à l’activité humaine, a déclenché la sixième extinction de masse. Le constat est simple : nous manquons d’outils conceptuels pour penser cette ère de l’Anthropocène. Et si nous nous affranchissions du concept de Nature ? Si, enfin, nous pensions grand (global plutôt que local) ? Et que dire du maillage, de l’interconnectivité de tout avec tout ?

Avec intelligence et humour, Timothy Morton nous libère des discours bien-pensants : adieu écologie verte, économie circulaire et développement durable. Tous ces petits pas pour un monde plus « vert » servent trop souvent à soulager les consciences et verdir les programmes électoraux. Il nous faut changer profondément notre manière de penser, notre manière d’être au monde. De Charles Darwin à Emmanuel Levinas, de William Wordsworth à Percy Shelley, Timothy Morton illustre ses bases théoriques d’exemples aussi concrets que l’art contemporain ou le cinéma de science-fiction – à l’image de Blade Runner ou Solaris. Voici un texte radical qui change notre regard sur le monde, à la fois très accessible et totalement nouveau dans le champ de la philosophie contemporaine ».

 

 

Philosophe né à Londres, Timothy Morton enseigne aujourd’hui dans une université du Texas. Le présent ouvrage est la traduction française de ce qu’il avait fait paraître en 2010 : The Ecological Thought (Harvard University Press). « Quoi ? C’est un livre de philo ? OK : on lâche… ». Sauf qu’on aurait bien tort, tant l’écriture est fluide et prenante. Il y a bien quelques concepts, comme on le verra par la suite, mais le tout se lit fort bien et très facilement, notamment grâce à des exemples qui sont dans un univers familier : le cinéma, la chanson, etc. On peut perdre le fil de temps en temps, l’auteur ne rechignant à passer d’une situation à une autre qui a priori n’a rien à voir avec la première. En réalité, on s’aperçoit vite que sa démonstration est très structurée, très solide, et on retrouve ses repères, sans exclure l’humour1.

Reste à savoir ce que Timothy Morton entend par « pensée écologique ». Il s’agit d’un concept très  globalisant, ce qui devrait satisfaire les historiens : « Penser écologique a à voir avec l’art, la philosophie, la littérature, la musique et la culture […], avec la pratique actuelle des sciences humaines [aussi bien] qu’avec les sciences dures, de même qu’avec les usines, les transports, l’architecture et l’économie » (p. 17). Aussitôt après, il indique que « l’écologie inclut toutes les voies imaginables du vivre ensemble. Au fond, l’écologie parle de coexistence ». Et la thèse du livre de Timothy Morton est entièrement fondée sur cette base.

Il considère en effet qu’absolument tous les êtres sont interconnectés dans la biosphère. La moindre bactérie est la sœur de l’homme. Si vous aviez oublié que les amibes de mes amibes sont aussi mes amibes, il va falloir que ce soit bien ancré dans votre esprit, car au-delà de la blague, Timothy Morton dit qu’avoir une conscience écologique suppose d’avoir d’abord conscience que l’ensemble des êtres vivants vivent dans un même ensemble et agissent les uns avec les autres. L’homme est un composé organique empli de bactéries et de virus : pourrait-il vivre indépendamment de ces êtres vivants, alors même qu’ils le constituent ? Allons plus loin, puisqu’il incorpore même parfois des éléments technologiques (implants divers, prothèses, chimie…) ; mais comment considérer ces matières exogènes ?  

Timothy Morton montre que cette interconnexion, ce « maillage » comme il le désigne, permet d’en finir avec l’idée de « nature ». De quelle nature s’agit-il ? De l’ensemble des êtres vivants, à l’exclusion de l’homme : la barrière est étanche entre ces deux univers indépendants l’un de l’autre. Et cette vision des choses (entendons : sans conscience) lui a donné un blanc-seing pour une exploitation sans vergogne, dont on voit aujourd’hui les limites. Exploiter une matière sans âme est quand même plus facile. L’histoire a montré que toutes les entreprises génocidaires reposaient sur le déshumanisation de l’Autre. On voit que tout est lié. 

Cela amène Morton à contester les actions qui visent précisément à protéger la nature, comme un objet qui serait en situation de faiblesse, d’infériorité par rapport aux hommes. Ces êtres ont-ils réellement besoin de nous ? Nous ont-ils seulement attendus ? Cette posture conduit à des actions à faible portée, à l’efficacité douteuse pour régler la crise environnementale… provoquée par l’homme. Elle sert surtout à donner bonne conscience au genre humain, à entretenir une barrière artificielle, mais elle contribue à avoir une conception complètement faussée : de gentils animaux agressés par les méchants hommes. Timothy Morton montre l’importance qu’il y a à considérer la situation telle qu’elle est, notamment dans ses aspects négatifs : il désigne cela par l’expression « écologie sombre ». Il y a des risques naturels ; les animaux se dévorent entre eux (si…) ; des arbres peuvent s’abattre sur une maison (horreur !)…

L’auteur estime, comme beaucoup, que nous sommes à un moment de rupture, une révolution qu’il pense être comparable avec l’influence de Copernic : l’homme n’est plus au centre du monde. Une période stable de 12 000 ans prend fin : l’Holocène. Lui succède l’Anthropocène. Pendant la première, l’homme s’est considéré de plus en plus distinct de la nature, comme nous l’avons vu, à mesure qu'augmentait sa puissance. Aujourd’hui, il prend conscience de constituer une force terrible : il est à l’origine du réchauffement climatique ; il peut détruire des espèces vivantes en quantité… Les actes les plus banals de notre vie quotidienne, ajoutés les uns aux autres, constituent un acte collectif dont nous voyons bien qu’il contribue directement aux destructions environnementales. Cependant, nous continuons à utiliser des moyens de transports polluants, nous consommons des produits utilisant des énergies non renouvelables… Et nous ne trouvons pas le moyen de réagir. Cela montre que la toute-puissance que l’homme pense détenir est un leurre, car il se heurte à ce que Timothy Morton appelle des « hyperobjets » : le réchauffement climatique en est un ; la radioactivité également, etc. Il s’agit d’éléments dont nous sommes conscients de l’existence, mais dont nous avons le plus grand mal à discerner les contours, à les voir. De là, il est facile de les mettre à distance, de créer une barrière similaire à celle qui distingue l’homme de la « nature » : ce serait admettre qu’il n’existe pas d’interdépendance entre les êtres. Pourtant, s’ils montrent les limites de la compréhension humaine et de la science et celles de sa puissance, ces hyperobjets font aussi aussi partie de la biosphère.

Est-ce la fin de tout ? Faut-il se résigner ? Timothy Morton rejette cette vision pessimiste. S’il admet (et comment…), la pleine responsabilité de l’homme dans les destructions environnementales, nous sommes face à une mutation importante dans la conception de la place qu’il occupe dans l’univers. Il n’est pas possible de maîtriser ces entités, ce qui montre que l’idée d’une domination complète de la nature était une illusion. Continuer dans la même voie en pensant que l’homme trouvera bien des solutions technologiques, comme l’intelligence dite « artificielle » (alors qu’il y a des hommes derrière), à la crise environnementale est une impasse : cela ne fera que retarder l’échéance fatale, tout en aggravant les désastres, jusqu’à la disparition de l’humanité. Au contraire, Timothy Morton estime que le moment est propice à l’émergence d’une forme de libération. En admettant qu’il fait partie du maillage, qu’il n’est qu’un élément en interconnexion avec les autres êtres vivants, l’homme peut prendre plaisir à établir une collaboration avec eux, donc à la vie.

Lecture faisant, on retrouve ce qui a été développé par d’autres auteurs et d’autres situations évoqués dans les comptes rendus de ce même site. Il en est ainsi de la description que l’on a faite de la permaculture2 , qui repose précisément sur cette idée d’interaction entre les êtres dans un espace donné. Le Petit Traité d’écologie sauvage, d’Alessandro Pignocchi3 avait montré l’absurdité sur laquelle repose le monde occidental, quand il est considéré par un anthropologue jivaro dont la culture est imprégnée de l’interdépendance entre les êtres. Tout cela montre que la thèse de Timothy Morton n’est pas le résultat d’élucubrations. La traduction en français de son œuvre qui débute avec cette Pensée écologique est donc à saluer, d’autant qu’elle ne s’adresse pas à un public de spécialistes. On attend avec impatience la publication en français de son prochain Being Ecological, paru en janvier 2018 chez Pelican Books, qui s’adresse précisément à ceux qui n’ont rien à faire de l’écologie.
 
 
Notes
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Jean-Yves Le Naour (sc.), Iñaki Holgado et Marko (ill.), Aretha Battistutta (coul.), <i>Le réseau Comète. La ligne d'évasion des pilotes alliés</i>, Bamboo, coll. « Grand Angle », 56 p., 31 mai 2023. ISBN 978 2 8189 9395 8

Présentation de l'éditeur . « Des centaines de résistants de « l’armée des ombres », discrets, silencieux, un « ordre de la nuit » fait...