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15/10/2020

Erik Olin Wright (trad. fr. : Christophe Jaquet et Rémy Toulouse ; Vincent Farnea et Joao Alexandre Peschanski), Stratégies anticapitalistes pour le XXIe siècle et Utopies réelles, La Découverte, 15 octobre 2020. Respectivement : 184 p., 19 €, EAN : 9782348055621 ; coll. « Poche / Sciences humaines et sociales » n° 529, 529 p., 14 €, EAN : 9782348065484.



Présentation de Stratégies anticapitalistes pour le XXIe siècle par l’éditeur. « Alors que l’idée d’une stratégie anticapitaliste réapparaît ici ou là au sein des gauches mondiales, aucun essai d’ensemble visant à repenser ses voies éventuelles et ses chances effectives n’existe réellement. Les modèles historiques et pratiques ne manquent pourtant pas --- la rupture révolutionnaire, la fuite libertaire, la régulation globale de la social-démocratie, etc. Mais ces options sont presque toujours opposées les unes aux autres, jusqu’à polariser et diviser les gauches depuis des décennies alors qu’elles ont chacune fait la preuve de leurs insuffisances. Voilà pourquoi le débat sur la transition post-capitaliste est pauvre et l’imagination des socialistes asséchée. Le capitalisme a beau apparaître de plus en plus comme le problème majeur de notre temps, personne ne sait vraiment comment s’en défaire.

 C’est donc à l’invention d’une nouvelle formule de l’anticapitalisme, complète et efficace, qu’est dédié ce livre. À rebours du socialisme étatisé ou d’un appel à l’exode, les stratégies d’érosion qu’elle promeut consistent à investir par en bas toutes les zones et pratiques déjà existantes où la vie et la production s’organisent de manière non capitaliste, mais, dans le même temps, à mettre un pied dans les institutions et initier par en haut toutes les politiques susceptibles de développer ces formes et ces espaces de vie. À ceux qui, à gauche, nous disent que la fin du monde s’imagine mieux que celle du capitalisme, ce livre offre un cinglant démenti. Et il suggère qu’à l’optimisme de la volonté doit désormais être joint celui de l’intelligence ».


Présentation d’Utopies réelles par l’éditeur
. « Pourquoi et comment sortir du capitalisme ? Quelles sont les alternatives d’ores et déjà présentes ? Peut-on, doit-on réinventer les socialismes par des réalisations concrètes ? Avec quels outils, quelles formes d’action, quelles institutions ? Telles sont les vastes questions, solidaires les unes des autres, auxquelles répond ce livre original et magistral, synthèse d’une enquête internationale et collective de plusieurs années sur les théories les plus actuelles de l’émancipation ainsi que sur de nombreux projets vivants de transformation radicale, ou plus graduelle, déjà observables dans les domaines social, économique et politique.
Grâce à un regard rigoureux et acéré, appelé à fonder un nouveau programme de recherche sur les expérimentations postcapitalistes contemporaines, se détachent une conception neuve du progrès et de ses instruments potentiels ainsi qu’une vision scientifique des modalités de dépassement du capitalisme. Les utopies réelles ne sont ni pour les idéalistes ni pour les réalistes. Ce sont les expériences vécues, les projections audacieuses qui créent dès maintenant les conditions et les formes d’un avenir meilleur, d’un autre futur possible.
Traité savant, arme au service d’un renouveau nécessaire de l’imagination politique, Utopies réelles figure déjà parmi les classiques de la pensée sociale du XXIe siècle ».

 

 

Les éditions La Découverte viennent de publier la traduction française de l’ultime ouvrage du sociologue Erik Olin Wright : Stratégies anticapitalistes pour le XXe siècle. Très opportunément, elles proposent la version de poche de son copieux Utopies réelles [1]. Le lecteur pressé se précipitera sur le premier, avant (il faut l’espérer) d’aller vers le second. L’auteur, mort à la fin de janvier 2019, dit avoir conçu Stratégies anticapitalistes comme une version plus synthétique d’Utopies réelles. Il est, de fait, beaucoup plus abordable. L’approche de sa mort en a accéléré l’écriture, sans en altérer la cohérence et la pertinence, même si l’ouvrage est et restera inachevé. C’est principalement de celui-là dont il est question ici.

Sur la base de sa très longue observation des classes sociales (à quoi la sociologie contemporaine s’est moins intéressée que par le passé), Erik Olin Wright part de l’idée commune selon laquelle il serait plus facile d’envisager la fin du monde que celle du capitalisme. L’auteur réfute cette vision pessimiste et fataliste. Il démontre ainsi en quoi son renversement est non seulement pertinent, mais qu’il est de surcroît possible. Voilà de quoi apporter de l’eau au moulin d’Ignacio Ramonet, qui affirmait en guise de titre à un éditorial du Monde diplomatique, qu’« Un autre monde est possible » [2]. Et comme E. O. Wright, I. Ramonet ressentait non seulement qu’« sursaut collectif [devenait] indispensable », mais qu’il avait « un besoin d’utopie » face aux assauts du néo-libéralisme.

Le sociologue américain commence par préciser ce que cela est d’être anti-capitaliste. C’est se placer en opposition complète à l’emprise que l’idéologie capitaliste exerce sur les individus et les sociétés, en rognant davantage la liberté de chacun par une exploitation exacerbée, une mise en concurrence, résultats de la concentration des pouvoirs dans les mains d’une petite oligarchie. L’hétéronomie l’emporte donc davantage de jour en jour sur les capacités d’autonomie, pour reprendre les thèses popularisées par André Gorz, Cornelius Castoriodis ou Ivan Illich. Cependant, si la conscience de ce constat est largement répandue, l’opinion que l’on ne puisse guère y faire quelque chose l’est également. Une rapide rétrospective des luttes sociales menées ces dernières décennies et des résultats obtenus (quand il en est) suffit à annihiler tout esprit de révolte contre cet état de fait. Les positions capitalistes, protégées par les dispositifs sécuritaires étatiques, semblent inexpugnables. Les stratégies « réformistes » ou « révolutionnaires » (pour reprendre l’opposition classique) auraient donc largement échoué, ainsi que celles qui consistent à fuir en se coupant de la société. Un examen plus fin permettrait probablement de nuancer cette vision des choses. Mais ce qu’Erik Olin Wright veut nous faire comprendre, c’est qu’on ne peut chercher à aménager le capitalisme : on n’obtient qu’une atténuation de ses effets les plus négatifs sans en entraver la marche en avant.
Toutefois, Erik Olin Wright estime qu’il existe une voie encore insuffisamment inexplorée : celle d’une érosion du capitalisme. À ses yeux, cette stratégie permettrait d’éviter une réaction, tout en protégeant chacun des attitudes radicales : il ne faut jamais perdre de vue que l’objectif est de favoriser l’émancipation individuelle. Or, les expériences révolutionnaires ont abouti à l’effet inverse. L’alternative proposée par Erik Olin Wright consiste donc à inscrire dans les mentalités l’idée qu’elle peut advenir, ce qui rognera les ailes de la réaction. En même temps, il s’agira de profiter des échéances électorales pour aller vers des réformes de fond susceptible de transformer la société en profondeur. Pour cela, il faut s’appuyer sur ce qui existe déjà en renforçant considérablement leur contrôle par la population : les services publics (à l’image de la Sécurité sociale au moins jusqu’en 1967), les comités d’entreprise (qui doivent acquérir un regard sur la gestion et la stratégie, ce qui rappelle les caisses d’investissement imaginées par Bernard Friot, alimentées par des cotisations sociales), les établissements financiers (pour orienter les investissements vers les secteurs propres à répondre aux besoins du plus grand nombre, tout en protégeant les ressources et l’environnement), les revenus (en approfondissant leur contrôle par ses bénéficiaires, de façon à renforcer leur autonomie [3]), etc. Autrement dit, favoriser l’émergence d’« activités économiques alternatives, non capitalistes, où prévalent des relations démocratiques et égalitaires ».
Il s’agit donc d’un travail de sape qui se pratiquera sur un long terme, qui peut être acquis en combinant les luttes sociales et les actions menées dans les structures publiques et privées. Un lecteur excessivement rapide pourra en conclure qu’Erik Olin Wright n’est rien d’autre qu’un social-démocrate. En réalité, son objectif d’émancipation le rapproche des expériences libertaires, envisager comme autant de laboratoires sociaux susceptibles de stimuler l’imagination et donc l’autonomie mais aussi la solidarité.
Reste à résoudre deux problèmes important. Le premier tient à l’émiettement social qui exacerbe les tendances individualistes. L’autre tient à la collusion entre les élites, qui tiennent à la fois les structures économiques et politiques. L’observation de l’Histoire montre que son évolution n’est jamais une ligne droite, mais est le résultat d’inflexions imposées par des paramètres particuliers. Les révolutions de 1789 ou de 1917 en sont un exemple : les acquis sociaux des lendemains de la seconde guerre mondiale en sont un autre. Les crises climatique et sanitaire qui se développent peuvent comporter une part d’opportunité susceptible d’attiser la conscience et l’imagination des populations et de les pousser à l’action. Ce qui s’est déroulé en France en mars 2020, par exemple, a montré l’impotence de l’État : le vide a favorisé des conduites autonomes pour faire face aux difficultés (dans l’Éducation nationale, notamment, mais pas seulement).
Mais face à ces initiatives, vite reprises en main par les autorités publiques, on ne doit pas négliger les capacités de réaction ou d’inertie (plus simplement) des élites : le chantage à l’emploi et à la dette est amplement utilisé, tout autant que le détournement des biens sociaux (outils de production, capitaux financiers…). Le temps long préconisé par Erik Olin Wright peut s’avérer opportun, à la condition d’une permanence des objectifs d’une génération à l’autre. On pourra également objecter que les conditions actuelles imposent un temps plus court : il est question d’une « urgence climatique », irréversible, à l’échelle de quelques décennies au mieux. C’est cette tension entre ces deux temporalités qui marque probablement la limite la plus importante à la thèse développée par Erik Olin Wright. Ce n’est cependant pas une raison pour la rejeter, car la synthèse qu’il a effectuée a le mérite d’être très stimulante.



Notes

[1La première édition avait paru en août 2017.

[2Ignacio Ramonet, « Un autre monde est possible », Le Monde diplomatique, mai 1998, p. 1.

[3On retrouve ici les thèses développées par Bernard Friot qui , sur la base de l’exemple des pensions de retraite, milite pour un salaire socialisé, attaché à la personne (comme c’est le cas des fonctionnaires) et non à une activité. Sur le travail de Bernard Friot, outre ses ouvrages, se reporter au site Réseau salariat

06/02/2019

Thomas Azuélos (ill.), Simon Rochepeau (sc.), La ZAD. C’est plus grand que nous, éd. Futoropolis, 6 fév. 2019, 208 p., 25 €. ISBN : 9782754824149


Présentation de l’éditeur. « En 2000, l’ancien projet d’aéroport du Grand Ouest est réactivé dans le bocage de Notre-Dame-des-Landes, près de Nantes.

En 2009, après tous les recours juridiques imaginables, des habitants envisagent de s’opposer physiquement au démarrage des travaux et lancent l’appel des « habitant-e-s qui résistent ». Des centaines de jeunes gens de la France entière, issus des luttes politiques écologiques, anti-autoritaires ou à la recherche de modes de vie alternatifs, commencent à venir s’installer sur la zone promise aux grands travaux.

Le 16 octobre 2012, le gouvernement Ayrault lance « l’opération César » qui a pour but d’évacuer, par la force, Notre-Dame-des-Landes et d’en chasser les occupants qui s’opposent au projet de construction de l’aéroport.

Le 17 janvier 2018, le projet est officiellement abandonné. Entre ces deux dates, les zadistes résistent, s’organisent collectivement, cultivent, avec l’aide des paysans restés sur place, des terres dans le bocage, rêvent d’une autre façon de vivre : « Nous sommes une armée de rêveurs (rêveuses) et pour cette raison nous sommes invincibles.

Qui sont vraiment les zadistes de Notre-Dame-des-Landes ? Que veulent-ils ? Comment vivent-ils ? Embarqués pendant de longues semaines à leurs côtés, les auteurs ont choisi une fiction documentée pour rendre compte, au plus près, de la réalité de la vie sur la ZAD. Le récit de Thomas Azuélos et Simon Rochepeau est celui d’une lutte, hors des partis et mouvements traditionnels, contre l’aménagement capitaliste du territoire et pour défendre d’autres manières de vivre ».

 

 

Le dessin de Thomas Azuelos alterne des aplats de couleurs assez différents : du trait simple à une gamme de couleurs plus chatoyante. On obtient ainsi un univers graphique à plusieurs dimensions qui renvoie à des émotions différentes.

On a là un récit qui repose sur ce qu’ont vécu les deux auteurs, qui ont partagé la vie des zadistes de Notre-Dame-des-Landes pendant un temps. On pourrait alors penser qu’on tient alors un album partisan ; à tort. Bien sûr, on retrouve la tension entre forces de l’ordre et opposants au projet d’aéroport. Mais l’intérêt se situe ailleurs. La gendarmerie n’est guère montrée, symbole d’un État lointain, à distance de ce qui se passe réellement sur les lieux.

Les auteurs s’attachent à nous donner à voir des zadistes aux motivations différentes. Aux uns suffit la lutte contre le flic. D’autres voient à plus long terme, et considèrent le combat contre le projet comme la base d’une société alternative. Entre les deux, on a des individus qui ne savent pas forcément pourquoi ils sont là, certains ne cherchant qu’à satisfaire leurs intérêts. L’album nous apprend ainsi à nous départir de l’image colportée par les médias, au mieux de zadistes formant un ensemble homogène, au pire de marginaux errant sans but, mais toujours aux crochets de la société.

On a également un troisième groupe, constitué par les agriculteurs dont les familles sont implantées de longue date. Et on touche là à un autre intérêt du récit, qui est de montrer que là non plus, il n’y a pas de position unanime vis-à-vis des zadistes. Doit-on les considérer comme des amis ou des fauteurs de troubles ? Pour autant, les points de vue ne sont pas forcément figés, pour certains des protagonistes, en tout cas. C’est dans ces interstices qu’émergent de nouveaux rapports sociaux, et les germes d’une nouvelle société qui se développe avec difficulté.

Bien servi par une partie graphique très intéressante, ce bel album séduit par la restitution de toute la complexité des engagements militants, et celles des relations entre autochtones et nouveaux arrivants. Ce qui s’édifie dans cette ZAD est donc bien plus grand que nous.

Jean-Yves Le Naour (sc.), Iñaki Holgado et Marko (ill.), Aretha Battistutta (coul.), <i>Le réseau Comète. La ligne d'évasion des pilotes alliés</i>, Bamboo, coll. « Grand Angle », 56 p., 31 mai 2023. ISBN 978 2 8189 9395 8

Présentation de l'éditeur . « Des centaines de résistants de « l’armée des ombres », discrets, silencieux, un « ordre de la nuit » fait...