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07/05/2022

Roxanne Dunbar-Ortiz (trad. fr. : Pascal Menoret), Contre-Histoire des États-Unis, éd. Wildproject, coll. « Le monde qui vient », 17 mai 2018, 336 p., 22 €. Réédition du 21 nov. 2021, ISBN : 9-782-381140-278.


Propos de l'éditeur. «
Ce livre répond à une question simple : pourquoi les Indiens dʼAmérique ont-ils été décimés ? Nʼétait-il pas pensable de créer une civilisation créole prospère qui permette aux populations amérindienne, africaine, européenne, asiatique et océanienne de partager lʼespace et les ressources naturelles des États-Unis ? Le génocide des Amérindiens était-il inéluctable ?

La thèse dominante aux États-Unis est quʼils ont souvent été tués par les virus apportés par les Européens avant même dʼentrer en contact avec les Européens eux-mêmes : la variole voyageait plus vite que les soldats espagnols et anglais. Les survivants auraient soit disparu au cours des guerres de la frontière, soit été intégrés, eux aussi, à la nouvelle société dʼimmigrés.

Contre cette vision irénique dʼune histoire impersonnelle, où les virus et lʼacier tiennent une place prépondérante et où les intentions humaines sont secondaires, Roxanne Dunbar-Ortiz montre que les États-Unis sont une scène de crime. Il y a eu génocide parce quʼil y a eu intention dʼexterminer : les Amérindiens ont été méthodiquement éliminés, dʼabord physiquement, puis économiquement, et enfin symboliquement ».

 

 

Le présent ouvrage est la traduction française de An Indigenous Peoples’ History of the United States* [Une Histoire des peuples indigènes des États-Unis], paru en 2014. On remarquera l’infidélité du titre français, toute relative car, en réalité, on a bien là une Contre-Histoire des États-Unis comme on va pouvoir le voir.

Roxanne Dunbar-Ortiz est née à San Antonio (Texas) en 1939. Elle s’est engagée dans les mouvements de libération à partir des années 1960, s’impliquant notamment dans la cause féminisme et celle des Indiens. Elle prend une part active au sein de l’American Indian Movement (AIM) et de l’International Indian Treaty Council, dont le but est de faire progresser le droit des peuples autochtones.

Dans son ouvrage, l’auteur déconstruit l’Histoire des États-Unis, telle qu’on la perçoit et telle qu’elle est enseignée. Elle met en lumière les mythes qui ont été mis en place pour justifier l’accaparement du territoire par les colons immigrés. Le découpage chronologique en est d’ailleurs l’héritage. Et son propos prend une force importante dès lors qu’elle prend le soin de le placer dans un cadre spatial beaucoup plus large. Cela lui permet de mettre fin à l’idée d’un « Nouveau Monde », prétendument « découvert » par Ch. Colomb, une terre vierge propre à être conquise et mise en valeur. Elle s’attache au contraire à rendre compte de la richesse des activités menées par tout un réseau de communautés complémentaires, qui ont développé une agriculture suffisante pour les faire vivre : on est loin de l’image de l’Indien nomade, chasseur et à peine cueilleur, davantage cousin des hommes du Paléolithique que des paysans européens du XVIe s.

Avec une grande minutie, Roxanne Dunbar-Ortiz décrit l’extrême violence qui a accompagné la progression de la colonisation, véritable « guerre totale » menée contre les communautés autochtones. Elle en retrouve tous les éléments, de l’extermination à la déportation des survivants dans d’infimes réserves qu’on n’a cessé de réduire jusque dans les années 1950. Elle montre l’effort exceptionnel pour effacer les traces de la civilisation indienne, multiforme, qui est allée jusqu’à l’appropriation des squelettes à des fins pseudo-scientifiques, ce qui ramène dans nos esprits le traitement infligée à Sarah Bartmann, la « vénus » hottentote promenée en Europe, et dont la dépouille a été disséquée pour en montrer ce qui sépare l’homme noir de l’homme blanc. Elle montre également comment le droit américain, avec le concept de « pays indien », a contribué à écraser les Indiens en leur déniant toute légitimité à résister.Et cette qualification est restée, à tel point que l’armée américaine l’a utilisée pour désigner le Viêt Nam, et, aujourd’hui encore, tout territoire ennemi.

On a eu là un génocide qui n’a jamais dit son nom. Dès les premières pages, on sent ce que violence qui caractérise la société étatsunienne doit à ce crime originel. De fait, Roxanne Dunbar-Ortiz en fait l’un de ses arguments. Elle va plus loin en montrant qu’elle est le trait fondamental de la politique extérieure du pays : les exactions commises à Guantánamo, en Irak, en Afghanistan ou ailleurs ne sont pas fortuites. Rien que de bien normal, puisqu’il s’agit de « pays indien ». Dans le même temps, un lecteur occidental ne pourra pas ne pas penser aux conditions dans lesquelles les Européens ont accaparé le monde à partir du XVe s. L'Histoire populaire de la France (voir le compte rendu sur ce même site) de Gérard Noiriel va exactement dans ce sens.

Aussi, l’auteur en appelle à une décolonisation des esprits, qui passe notamment par le travail d’historienne qu’elle mène depuis près de cinquante ans. Cela passe également par la reconnaissance des droits fondamentaux des Indiens, à qui sont dus des réparations et d’abord une restitution de leurs terres, de leur dignité, de leur culture, ce qui ne peut se solder par une poignée de dollars.

L’ouvrage de Roxanne Dunbar-Ortiz vient ainsi s’ajouter à la liste des auteurs essentiels qu’il faut lire pour aborder l’Histoire des États-Unis avec beaucoup plus de nuances. On le lira avec d’autant plus d’intérêt qu’un historien comme Howard Zinn n’avait guère abordé l’Histoire des États-Unis sous l’angle des peuples autochtones.

 

 

Plan de l'ouvrage

Introduction. Cette terre

  1. Suivez le maïs
  2. La culture de la conquête
  3. Le culte de lʼalliance
  4. Des empreintes de sang
  5. Naissance dʼune nation
  6. Le Dernier des Mohicans et la république blanche dʼAndrew Jackson
  7. Dʼun océan à lʼautre, étincelant
  8. Pays indien
  9. Triomphalisme et colonialisme en temps de paix
  10. La prophétie de la danse des esprits : une nation arrive
  11. La Doctrine de la Découverte

Conclusion. Lʼavenir des États-Unis

 

Note

* An Indigenous Peoples’ History of the United States, New York, Beacon, 2014

 

18/02/2022

Romaric Godin, La Guerre sociale en France. Aux sources économiques de la démocratie autoritaire, La Découverte, coll. « Poche / Essais», n° 547, 13 janvier 2022, 222 pages, 12 €. ISBN : 9782348073472


Présentation de l'éditeur. « La tentation d’un pouvoir autoritaire dans la France de 2019 trouve ses racines dans le projet économique du candidat Macron.

Depuis des décennies, la pensée néolibérale mène une guerre larvée contre le modèle social français de l’après-guerre. La résistance d’une population refusant des politiques en faveur du capital a abouti à un modèle mixte, intégrant des éléments néolibéraux plus modérés qu’ailleurs, et au maintien de plus en plus précaire d’un compromis social. À partir de la crise de 2008, l’offensive néolibérale s’est radicalisée, dans un rejet complet de tout équilibre.

Emmanuel Macron apparaît alors comme l’homme de la revanche d’un capitalisme français qui jadis a combattu et vaincu le travail, avec l’appui de l’État, mais qui a dû accepter la médiation publique pour « civiliser » la lutte de classes. Arrivé au pouvoir sans disposer d’une adhésion majoritaire à un programme qui renverse cet équilibre historique, le Président fait face à des oppositions hétéroclites mais qui toutes rejettent son projet néolibéral, largement à contretemps des enjeux de l’époque. Le pouvoir n’a ainsi d’autre solution que de durcir la démocratie par un excès d’autorité. Selon une méthode classique du néolibéralisme : de l’épuisement de la société doit provenir son obéissance ».

 
 

Romaric Godin est journaliste à Mediapart depuis 2017 (voir sa fiche biographique sur le site du journal), et s'est spécialisé dans les questions économiques. C'est sous cet angle qu'il analyse le fonctionnement de la société, aussi bien dans son journal que dans le présent ouvrage. Celui-ci est une réédition, non actualisée, de ce qui avait été publié sous le même titre en septembre 2019 (voir la présentation sur le site de La Découverte). L'auteur a toutefois écrit une postface qui prolonge le propos qu'il tenait il y a un peu plus de deux ans.

Le titre rappelle celui du journal du socialiste SFIO Gustave Hervé, qui exprimait une opinion antimilitariste et pacifiste à la veille de la Première Guerre mondiale avant de basculer très tôt dans l'Union sacrée (et de sombrer plus tard dans des considérations fascistes). Il avait été repris soixante-dix ans plus tard par un groupe d'extrême-gauche, qui se divise à propos du soutien à accorder au négationniste Robert Faurisson. Précisons tout de suite que Romaric Godin ne se revendique ni de l'une ni de l'autre publication : alors, de quelle guerre sociale s'agit-il ici ? L'auteur la définit comme le résultat d’une double dynamique : la poussée du néolibéralisme d'un côté, la « résistance du corps social » de l'autre. Elle se présente «comme une guerre sourde, intellectuelle, politique et sociale, qui chaque jour se joue dans les entreprises, dans les discussions politiques et dans les choix qui en découlent ». Si elle peut dégénérer en affrontements physiques, « son acuité dépend de la progression du projet néolibéral » (p. 10). On mesure alors le rôle que joue la propagande dans cette opposition : même si Romaric Godin n'y fait allusion tout de suite, on sent bien que sa définition met en avant que la possession des médias dominants se révèle être un élément particulièrement essentiel de cette guerre du capital contre le travail — l'offensive menée par Bolloré l'illustre parfaitement. Quant au néolibéralisme, il s'agit d'une idéologie qui s'est développée depuis les années 1970 (p. 9 et suiv.), réaction à la baisse du taux de profit qui a marqué le rééquilibrage entre capital et travail depuis la Seconde Guerre mondiale. « Ce paradigme défend l'idée que l'État doit, dans l'intérêt général [cette idée sert de justification permanente, comme on le verra plus loin], se placer du côté du capital pour favoriser la création de richesses à partager par une marchandisation élargie de la société ».

La question se pose alors de comprendre pourquoi ce mouvement néolibéral n'a pas encore tout emporté, puisqu'il est à l’œuvre depuis près de cinq décennies. La thèse de Romaric Godin tient à la conscience qu'ont eue des gouvernements de fournir des contreparties au monde du travail à chaque fois qu'une mesure importante (travestie sous le nom de « réforme ») était prise en faveur du capital. Un certain équilibre était plus ou moins maintenu, cachant de plus en plus mal le dépeçage des acquis (ou conquis) sociaux. Or, toujours l'auteur, on en est arrivé à un point de rupture (une « radicalisation du projet néolibéral », pour reprendre ses mots) avec l'avènement au pouvoir d'E. Macron, en tant que ministre des Finances et plus encore en tant que président de la République. De là l'idée d'une impasse multiforme qui prend la forme, les institutions de la V<sup>e</sup> République aidant, à une destruction des contre-pouvoirs, une exaspération de la population, une progression des thèmes de l'extrême-droite servant de chiffons rouges (si l'on peut dire…) agités pour distraire les électeurs de l'essentiel.

Bien évidemment, le propos de Romaric Godin s'arrête en 2019. Seules deux années du mandat présidentiel de Macron ont été analysées par l'auteur, qui en explore les fondements. La crise du COVID et le décret du « quoi qu'il en coûte » (à qui ? au profit de qui ?) n'ont fait que conforter ce qui est avancé par l'auteur.

Ce faisant, cette réédition tombe à pic. Non seulement l'ouvrage reste d'une parfaite actualité (et comment…) : il suffira au lecteur de confronter ce qu'il lira  aux éléments plus récents. Surtout, le déroulement de la campagne électorale montre que cette guerre sociale a été parfaitement intégrée au discours de droite et d'extrême droite, dont les candidats proclament haut et fort qu'il faut renforcer les moyens de répression (sous couvert de « sécurité », bien sûr). 

Quoi qu'il en soit, La Guerre sociale doit faire partie du bagage de l'honnête citoyen, en ce qu'il permet de l'éclairer sur les tenants et les aboutissants de ce qui se passe, et d'ôter les faux-nez des Tartuffes. Si on avait besoin d'un ouvrage de salut public, en voilà un.

Jean-Yves Le Naour (sc.), Iñaki Holgado et Marko (ill.), Aretha Battistutta (coul.), <i>Le réseau Comète. La ligne d'évasion des pilotes alliés</i>, Bamboo, coll. « Grand Angle », 56 p., 31 mai 2023. ISBN 978 2 8189 9395 8

Présentation de l'éditeur . « Des centaines de résistants de « l’armée des ombres », discrets, silencieux, un « ordre de la nuit » fait...