Présentation de l’éditeur. « Si l’histoire du capitalisme est largement documentée, sa logique spatiale, elle, l’est beaucoup moins. Cette dernière est pourtant fondamentale à la compréhension de ce système et de ses contradictions.
Le présent ouvrage s’inscrit donc dans une discipline, la géographie
radicale, qui spatialise la question des rapports de forces produits par
le capitalisme.
L’auteur met au jour les logiques capitalistes à l’œuvre dans les
phénomènes spatiaux qui constituent les objets d’étude de la géographie,
à savoir la mondialisation, les inégalités de développement économique,
mais aussi l’aménagement du territoire, les replis identitaires, les
mouvements migratoires et les questions écologiques.
Il est nécessaire pour quiconque s’intéresse au fonctionnement du capitalisme de se réapproprier la géographie comme outil permettant d’envisager une sortie démocratique des impasses produites par ce système. Une géographie populaire ou, mieux, une géographie de combat qui permet d’articuler la lutte à l’échelle locale aux dynamiques globales ».
Selon
la page de La Découverte« , Renaud Duterme enseigne la géographie dans
un lycée en Belgique et collabore régulièrement au CADTM (Comité pour
l’abolition des dettes illégitimes). Il est l’auteur de plusieurs
ouvrages, dont De quoi l’effondrement est-il le nom ? (Utopia, 2016) et (avec Éric De Ruest) La Dette cachée de l’économie (Les Liens qui libèrent, 2014) ». Autant dire que son Petit manuel pour une géographie de combat
est donc un ouvrage partisan ? Oui, et l’auteur l’assume parfaitement.
Son but est d’aider à mieux comment fonctionne le capitalisme
contemporain.Or, si la géographie s’est emparée de la notion de
mondialisation depuis longtemps (y compris dans le champ scolaire avec
les programmes de lycée), une main pourrait peut-être suffire à compter
le nombre de chercheurs qui ont cherché à utiliser cette science pour
expliquer le capitalisme d’un point de vue spatial. Or, une grande
partie du vocabulaire utilisé par les géographes peut justement servir
cette fin : l’opposition entre centre et périphérie, les flux, les
nœuds, les interfaces, les villes-monde, etc. On sait que les
territoires attractifs ne le sont, d’un point de vue économique, qu’en
raison de la valeur qui découle des perspectives de profit, que, a contrario,
ceux qui sont délaissés (les « déserts ») doivent leur infortune à leur
manque d’intérêt, et que ce même intérêt et donc l’attractivité (ou le
caractère répulsif) peut fluctuer dans le temps. La concurrence qui
s’exerce entre les États (et les groupes multinationaux) tend ainsi à
renforcer la compétition entre les territoires et donc à approfondir les
inégalités, quelle que soit l’échelle d’observation. On reconnaît ainsi
des espaces pleinement insérés dans la mondialisation, bien pourvus en
moyens de transport et de communication rapides, qui se différencient
chaque jour davantage d’espaces marginalisés. C’est l’Union européenne
face l’Afrique ; ce sont les mégalopoles mondiales et les régions
enclavées ; ce sont les métropoles régionales (Lille, Lyon, Toulouse,
etc.) et la mythique « diagonale du vide », etc. Le résultat observable
est à chaque fois le même : malgré les nuances, on a une concentration
des moyens, des richesses, des lieux de pouvoir (effectifs ou
symboliques), de la population la mieux formée, etc. dans certains
espaces, dont l’emprise sur les espaces dominés et dépendants, voués à
l’exploitation, tend à se développer notamment d’un point de vue spatial
ou du point de vue de l’accaparement et du pillage des ressources
naturelles. Il en existe bien des traductions, ne serait-ce que le vote
pour des programmes de repli, xénophobes, volontiers sécuritaires censés
apporter une protection.
Ces phénomènes s’appuient sur les politiques des autorités publiques, qui contribuent à diriger le flux des investissements vers les zones déjà bien pourvues, au nom d’un inévitable « choc de compétitivité ». En cela, les États se font les alliés objectifs et nécessaire du néolibéralisme (voir Pierre Dardot et Christian Laval, Dominer. Enquête sur la souveraineté de l’État occidental, La Découverte, août 2020), malgré les systèmes de redistribution destinés à fournir une apparence aux formules telles que l’« égalité des chances ».
Alors que la géographie désormais classique observe et apporte des
éléments d’explication, Renaud Duterme estime qu’on peut aller plus
loin, et qu’il y a lieu de l’utiliser comme une arme pour lutter contre
les effets dévastateurs du capitalisme. Il lui semble en effet difficile
de lutter contre le réchauffement climatique sans aborder résolument la
question du libre-échange. Comment prétendre un instant protéger le
développement d’une agriculture respectueuse de l’environnement tout en
signant des traités internationaux comme l’accord récent entre l’Union
européenne et le Mercosur ? Selon l’auteur, la lutte des lieux rejoint
la lutte des classes : la compétition entre les territoires n’est que le
pendant spatial de l’opposition entre une minorité de dominants et une
majorité de dominés. Selon cette vision marxisante, il faut aider à la
conjonction des revendications, les enjeux présentant beaucoup de points
communs. Encore faut-il éveiller les consciences, ce à quoi la
géographie doit aider, à la condition qu’elle soit réellement mise à la
portée de tous, qu’elle soit une géographie populaire, pour reprendre le
titre de l’ouvrage de Gérard Noiriel [1].
Cela passe également par une réappropriation (ou une appropriation) des
outils politiques, comme le revendiquaient les Gilets jaunes, et comme
l’expérimentent les communautés autonomes qui s’installent dans les ZAD
(voir le compte rendu du livre de Sylvaine Bulle, Irréductibles. Enquête sur des milieux de vie. De Bure à Notre-Dame-des-Landes,
UGA Éditions, collection « Écotopiques », janvier 2020, 370 p., 25 €.
Mais aussi celui de l’ouvrage de Tiitu Takalo (sc., ill., coul.), Kirsi
Kinnunen (trad. fr.), Moi, Mikko et Annikki, Rue de l’Échiquier, 16 janv. 2020, 248 p., 21,90 €.). Il n’y a donc pas que la sociologie qui soit un sport de combat [2] : la géographie et son enseignement également… En cela, Renaud Duterme rejoint ses précurseurs que sont Élisée Reclus et Pierre Kropotkine (voir le compte rendu de lecture sur ce même site).
Disponible à un pris assez modique, ce Petit manuel pour une géographie de combat a été publié sous un format assez court qui en permet une lecture assez rapide, d’autant que le langage utilisé est très accessible aux néophytes. Illustré par des cartes et bien servi par une approche pédagogique appropriée, il se révèle très stimulant quel que soit le public. Les enseignants, en particulier, disposent d’une analyse très synthétique qu’ils pourront transposer dans leurs propres cours : l’éducation — voire l’édification — du citoyen, dont on nous rebat les oreilles tout en requérant une stricte neutralité — parfaitement chimérique, comme si les passions pouvaient se laisser au vestiaire, et comme si un cours n’avait pas de visée démonstrative — exige aussi ce genre de discours qui décile les yeux. Au professeur de réfléchir aux moyens de mettre en place une réflexion contradictoire et d’amener les élèves à… réfléchir.
Notes
[1] Gérard Noiriel, Une Histoire populaire de la France. De la guerre de Cent Ans à nos jours, Agone, 19 sept. 2018, 832 pages, 28.00 €. Voir le compte rendu de lecture sur ce même site.
[2] Pour reprendre le titre du film que Pierre Carles consacre à Pierre Bourdieu, La sociologie est un sport de combat, CP Productions et VF Films, 2008.