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18/02/2022

Romaric Godin, La Guerre sociale en France. Aux sources économiques de la démocratie autoritaire, La Découverte, coll. « Poche / Essais», n° 547, 13 janvier 2022, 222 pages, 12 €. ISBN : 9782348073472


Présentation de l'éditeur. « La tentation d’un pouvoir autoritaire dans la France de 2019 trouve ses racines dans le projet économique du candidat Macron.

Depuis des décennies, la pensée néolibérale mène une guerre larvée contre le modèle social français de l’après-guerre. La résistance d’une population refusant des politiques en faveur du capital a abouti à un modèle mixte, intégrant des éléments néolibéraux plus modérés qu’ailleurs, et au maintien de plus en plus précaire d’un compromis social. À partir de la crise de 2008, l’offensive néolibérale s’est radicalisée, dans un rejet complet de tout équilibre.

Emmanuel Macron apparaît alors comme l’homme de la revanche d’un capitalisme français qui jadis a combattu et vaincu le travail, avec l’appui de l’État, mais qui a dû accepter la médiation publique pour « civiliser » la lutte de classes. Arrivé au pouvoir sans disposer d’une adhésion majoritaire à un programme qui renverse cet équilibre historique, le Président fait face à des oppositions hétéroclites mais qui toutes rejettent son projet néolibéral, largement à contretemps des enjeux de l’époque. Le pouvoir n’a ainsi d’autre solution que de durcir la démocratie par un excès d’autorité. Selon une méthode classique du néolibéralisme : de l’épuisement de la société doit provenir son obéissance ».

 
 

Romaric Godin est journaliste à Mediapart depuis 2017 (voir sa fiche biographique sur le site du journal), et s'est spécialisé dans les questions économiques. C'est sous cet angle qu'il analyse le fonctionnement de la société, aussi bien dans son journal que dans le présent ouvrage. Celui-ci est une réédition, non actualisée, de ce qui avait été publié sous le même titre en septembre 2019 (voir la présentation sur le site de La Découverte). L'auteur a toutefois écrit une postface qui prolonge le propos qu'il tenait il y a un peu plus de deux ans.

Le titre rappelle celui du journal du socialiste SFIO Gustave Hervé, qui exprimait une opinion antimilitariste et pacifiste à la veille de la Première Guerre mondiale avant de basculer très tôt dans l'Union sacrée (et de sombrer plus tard dans des considérations fascistes). Il avait été repris soixante-dix ans plus tard par un groupe d'extrême-gauche, qui se divise à propos du soutien à accorder au négationniste Robert Faurisson. Précisons tout de suite que Romaric Godin ne se revendique ni de l'une ni de l'autre publication : alors, de quelle guerre sociale s'agit-il ici ? L'auteur la définit comme le résultat d’une double dynamique : la poussée du néolibéralisme d'un côté, la « résistance du corps social » de l'autre. Elle se présente «comme une guerre sourde, intellectuelle, politique et sociale, qui chaque jour se joue dans les entreprises, dans les discussions politiques et dans les choix qui en découlent ». Si elle peut dégénérer en affrontements physiques, « son acuité dépend de la progression du projet néolibéral » (p. 10). On mesure alors le rôle que joue la propagande dans cette opposition : même si Romaric Godin n'y fait allusion tout de suite, on sent bien que sa définition met en avant que la possession des médias dominants se révèle être un élément particulièrement essentiel de cette guerre du capital contre le travail — l'offensive menée par Bolloré l'illustre parfaitement. Quant au néolibéralisme, il s'agit d'une idéologie qui s'est développée depuis les années 1970 (p. 9 et suiv.), réaction à la baisse du taux de profit qui a marqué le rééquilibrage entre capital et travail depuis la Seconde Guerre mondiale. « Ce paradigme défend l'idée que l'État doit, dans l'intérêt général [cette idée sert de justification permanente, comme on le verra plus loin], se placer du côté du capital pour favoriser la création de richesses à partager par une marchandisation élargie de la société ».

La question se pose alors de comprendre pourquoi ce mouvement néolibéral n'a pas encore tout emporté, puisqu'il est à l’œuvre depuis près de cinq décennies. La thèse de Romaric Godin tient à la conscience qu'ont eue des gouvernements de fournir des contreparties au monde du travail à chaque fois qu'une mesure importante (travestie sous le nom de « réforme ») était prise en faveur du capital. Un certain équilibre était plus ou moins maintenu, cachant de plus en plus mal le dépeçage des acquis (ou conquis) sociaux. Or, toujours l'auteur, on en est arrivé à un point de rupture (une « radicalisation du projet néolibéral », pour reprendre ses mots) avec l'avènement au pouvoir d'E. Macron, en tant que ministre des Finances et plus encore en tant que président de la République. De là l'idée d'une impasse multiforme qui prend la forme, les institutions de la V<sup>e</sup> République aidant, à une destruction des contre-pouvoirs, une exaspération de la population, une progression des thèmes de l'extrême-droite servant de chiffons rouges (si l'on peut dire…) agités pour distraire les électeurs de l'essentiel.

Bien évidemment, le propos de Romaric Godin s'arrête en 2019. Seules deux années du mandat présidentiel de Macron ont été analysées par l'auteur, qui en explore les fondements. La crise du COVID et le décret du « quoi qu'il en coûte » (à qui ? au profit de qui ?) n'ont fait que conforter ce qui est avancé par l'auteur.

Ce faisant, cette réédition tombe à pic. Non seulement l'ouvrage reste d'une parfaite actualité (et comment…) : il suffira au lecteur de confronter ce qu'il lira  aux éléments plus récents. Surtout, le déroulement de la campagne électorale montre que cette guerre sociale a été parfaitement intégrée au discours de droite et d'extrême droite, dont les candidats proclament haut et fort qu'il faut renforcer les moyens de répression (sous couvert de « sécurité », bien sûr). 

Quoi qu'il en soit, La Guerre sociale doit faire partie du bagage de l'honnête citoyen, en ce qu'il permet de l'éclairer sur les tenants et les aboutissants de ce qui se passe, et d'ôter les faux-nez des Tartuffes. Si on avait besoin d'un ouvrage de salut public, en voilà un.

01/10/2020

Antoine Perraud, Le Capitalisme réel. Ou la preuve par le virus, La Découverte, coll. « Petits cahiers libres », 1er oct. 2020, 250 p., 15 €. ISBN : 9782348059551


Présentation de l’éditeur. « Le capitalisme, une fois terrassé l’ennemi communiste en 1989, s’est retrouvé sans contre-modèle. Tout à son hubris de vainqueur, ce système effréné a adopté les tares du vaincu : bureaucratie, opacité, autoritarisme, inégalitarisme. Il ne manquait plus que la preuve par le virus : la pandémie de Covid-19 a fait office de révélateur et d’accélérateur en cette année 2020. Trente-quatre ans après Tchernobyl, qui avait signé l’arrêt d’obsolescence du « socialisme réel ».

Rongée par la financiarisation galopante, au service d’une nomenklatura échappant à l’impôt, cette économie globale de marché en est venue à saper les services publics et à désintégrer la classe moyenne, gage de démocratie. Tournant le dos aux approches keynéso-rooseveltiennes, débarrassé du devoir d’incarner un modèle attractif aux yeux de populations vivant sous un régime communiste, le système a muté. Et ce pour déboucher sur un capitalisme de surveillance propre à deux puissances laboratoires en la matière : la Chine et la Russie.

L’heure est au droit de grève traité en activité anticapitaliste, aux samizdats électroniques (Leaks en tous genres), voire aux dissidents (d’Edward Snowden à Julian Assange) ; tandis que Donald Trump prend des airs de Nicolae Ceausescu. Le tout sur fond de croyance indécrottable en un marché total – le pendant de l’État total des démocraties populaires de naguère. Trente et un ans après la chute du mur de Berlin, voici que le soviétisme s’avère stade suprême du capitalisme ».

 

Aujourd’hui journaliste à Médiapart, Antoine Perraud nous gratifie de billets dans lesquels nous retrouvons la verve et la malice de celui qui anima longtemps, sur France Culture, l’émission « Tire ta langue ». Son ton mesuré masquait mal l’amusement avec lequel il jouait avec les subtilités de la langue française. Reconnaissons-lui un autre mérite : celui de ne pas l’avoir dans la poche. Il le démontre encore une fois dans l’ouvrage qu’il vient de faire paraître. Profitons-en car Antoine Perraud n’est pas du genre prolixe : son dernier, La Barbarie journalistique, date de 2007.

Dans cet essai, il nous donne à voir le capitalisme assez gauche, si l’on peut dire, empreint d’une grande tristesse depuis trente ans. C’est qu’il lui manque son vis-à-vis, qui lui tendait son miroir : le socialisme réel. Alors, il n’a rien trouvé de mieux que de le ressusciter, presque, en s’affublant de ses oripeaux. Lla crise du (ou de la) COVID-19 qui en a fait prendre conscience Antoine Perraud, qui l’a alors débusqué dans le réduit où il se déguise. À l’en croire, le capitalisme aurait réussi là où le socialisme réel a échoué, en achevant son programme. Car derrière les forces de l’ordre matraquant à tout va les Gilets jaunes, comment ne pas voir l’ombre des Schupos d’Erich Honecker réprimant à grand peine, en 1989, les Allemands de l’Est cherchant à faire tomber les frontières. Il saisit également les atteintes de plus en plus sévères à la liberté de la presse pour le démasquer : il faut désormais faire bonne figure avant que d’être accepté à suivre la police, en marchant et en regardant là où il faut. Les Trump et Johnson ne sont finalement que des socialistes de l’ancien temps, derrière leur faux-nez. Le temps est donc venu de l’avènement du capitalisme réel.

Les deux cent cinquante pages se dévorent à toute vitesse, sans que jamais l’indigestion soit à craindre. Outre le plaisir qu’on à le lire, Antoine Perraud s’appuie sur un nombre important de références, à des articles, des ouvrages scientifiques. C’est que sa thèse n’est en rien l’œuvre d’un facétieux plaisantin qui n’aurait rien trouver de mieux à faire, pendant le confinement du printemps, que d’écrire pour amuser la galerie. Sitôt la dernière page lue, on se prend à ouvrir grands les yeux, à se dire que la vision l’ami Perraud n’est pas dénué d’un sens certain de la réalité, et surtout à se demander ce qu’il reste de la démocratie réelle.

16/01/2020

Renaud Duterme, Petit manuel pour une géographie de combat, La Découverte, coll. « Petits cahiers libres », janvier 2020, 208 p., 14 €. ISBN : 9782348055577


Présentation de l’éditeur. « Si l’histoire du capitalisme est largement documentée, sa logique spatiale, elle, l’est beaucoup moins. Cette dernière est pourtant fondamentale à la compréhension de ce système et de ses contradictions.

Le présent ouvrage s’inscrit donc dans une discipline, la géographie radicale, qui spatialise la question des rapports de forces produits par le capitalisme.

L’auteur met au jour les logiques capitalistes à l’œuvre dans les phénomènes spatiaux qui constituent les objets d’étude de la géographie, à savoir la mondialisation, les inégalités de développement économique, mais aussi l’aménagement du territoire, les replis identitaires, les mouvements migratoires et les questions écologiques.

Il est nécessaire pour quiconque s’intéresse au fonctionnement du capitalisme de se réapproprier la géographie comme outil permettant d’envisager une sortie démocratique des impasses produites par ce système. Une géographie populaire ou, mieux, une géographie de combat qui permet d’articuler la lutte à l’échelle locale aux dynamiques globales ».

Selon la page de La Découverte« , Renaud Duterme enseigne la géographie dans un lycée en Belgique et collabore régulièrement au CADTM (Comité pour l’abolition des dettes illégitimes). Il est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont De quoi l’effondrement est-il le nom ? (Utopia, 2016) et (avec Éric De Ruest) La Dette cachée de l’économie (Les Liens qui libèrent, 2014) ». Autant dire que son Petit manuel pour une géographie de combat est donc un ouvrage partisan ? Oui, et l’auteur l’assume parfaitement. Son but est d’aider à mieux comment fonctionne le capitalisme contemporain.Or, si la géographie s’est emparée de la notion de mondialisation depuis longtemps (y compris dans le champ scolaire avec les programmes de lycée), une main pourrait peut-être suffire à compter le nombre de chercheurs qui ont cherché à utiliser cette science pour expliquer le capitalisme d’un point de vue spatial. Or, une grande partie du vocabulaire utilisé par les géographes peut justement servir cette fin : l’opposition entre centre et périphérie, les flux, les nœuds, les interfaces, les villes-monde, etc. On sait que les territoires attractifs ne le sont, d’un point de vue économique, qu’en raison de la valeur qui découle des perspectives de profit, que, a contrario, ceux qui sont délaissés (les « déserts ») doivent leur infortune à leur manque d’intérêt, et que ce même intérêt et donc l’attractivité (ou le caractère répulsif) peut fluctuer dans le temps. La concurrence qui s’exerce entre les États (et les groupes multinationaux) tend ainsi à renforcer la compétition entre les territoires et donc à approfondir les inégalités, quelle que soit l’échelle d’observation. On reconnaît ainsi des espaces pleinement insérés dans la mondialisation, bien pourvus en moyens de transport et de communication rapides, qui se différencient chaque jour davantage d’espaces marginalisés. C’est l’Union européenne face l’Afrique ; ce sont les mégalopoles mondiales et les régions enclavées ; ce sont les métropoles régionales (Lille, Lyon, Toulouse, etc.) et la mythique « diagonale du vide », etc. Le résultat observable est à chaque fois le même : malgré les nuances, on a une concentration des moyens, des richesses, des lieux de pouvoir (effectifs ou symboliques), de la population la mieux formée, etc. dans certains espaces, dont l’emprise sur les espaces dominés et dépendants, voués à l’exploitation, tend à se développer notamment d’un point de vue spatial ou du point de vue de l’accaparement et du pillage des ressources naturelles. Il en existe bien des traductions, ne serait-ce que le vote pour des programmes de repli, xénophobes, volontiers sécuritaires censés apporter une protection.

Ces phénomènes s’appuient sur les politiques des autorités publiques, qui contribuent à diriger le flux des investissements vers les zones déjà bien pourvues, au nom d’un inévitable « choc de compétitivité ». En cela, les États se font les alliés objectifs et nécessaire du néolibéralisme (voir Pierre Dardot et Christian Laval, Dominer. Enquête sur la souveraineté de l’État occidental, La Découverte, août 2020), malgré les systèmes de redistribution destinés à fournir une apparence aux formules telles que l’« égalité des chances ».

Alors que la géographie désormais classique observe et apporte des éléments d’explication, Renaud Duterme estime qu’on peut aller plus loin, et qu’il y a lieu de l’utiliser comme une arme pour lutter contre les effets dévastateurs du capitalisme. Il lui semble en effet difficile de lutter contre le réchauffement climatique sans aborder résolument la question du libre-échange. Comment prétendre un instant protéger le développement d’une agriculture respectueuse de l’environnement tout en signant des traités internationaux comme l’accord récent entre l’Union européenne et le Mercosur ? Selon l’auteur, la lutte des lieux rejoint la lutte des classes : la compétition entre les territoires n’est que le pendant spatial de l’opposition entre une minorité de dominants et une majorité de dominés. Selon cette vision marxisante, il faut aider à la conjonction des revendications, les enjeux présentant beaucoup de points communs. Encore faut-il éveiller les consciences, ce à quoi la géographie doit aider, à la condition qu’elle soit réellement mise à la portée de tous, qu’elle soit une géographie populaire, pour reprendre le titre de l’ouvrage de Gérard Noiriel [1]. Cela passe également par une réappropriation (ou une appropriation) des outils politiques, comme le revendiquaient les Gilets jaunes, et comme l’expérimentent les communautés autonomes qui s’installent dans les ZAD (voir le compte rendu du livre de Sylvaine Bulle, Irréductibles. Enquête sur des milieux de vie. De Bure à Notre-Dame-des-Landes, UGA Éditions, collection « Écotopiques », janvier 2020, 370 p., 25 €. Mais aussi celui de l’ouvrage de Tiitu Takalo (sc., ill., coul.), Kirsi Kinnunen (trad. fr.), Moi, Mikko et Annikki, Rue de l’Échiquier, 16 janv. 2020, 248 p., 21,90 €.). Il n’y a donc pas que la sociologie qui soit un sport de combat [2] : la géographie et son enseignement également… En cela, Renaud Duterme rejoint ses précurseurs que sont Élisée Reclus et Pierre Kropotkine (voir le compte rendu de lecture sur ce même site).

Disponible à un pris assez modique, ce Petit manuel pour une géographie de combat a été publié sous un format assez court qui en permet une lecture assez rapide, d’autant que le langage utilisé est très accessible aux néophytes. Illustré par des cartes et bien servi par une approche pédagogique appropriée, il se révèle très stimulant quel que soit le public. Les enseignants, en particulier, disposent d’une analyse très synthétique qu’ils pourront transposer dans leurs propres cours : l’éducation — voire l’édification — du citoyen, dont on nous rebat les oreilles tout en requérant une stricte neutralité — parfaitement chimérique, comme si les passions pouvaient se laisser au vestiaire, et comme si un cours n’avait pas de visée démonstrative — exige aussi ce genre de discours qui décile les yeux. Au professeur de réfléchir aux moyens de mettre en place une réflexion contradictoire et d’amener les élèves à… réfléchir.


Notes

[1Gérard Noiriel, Une Histoire populaire de la France. De la guerre de Cent Ans à nos jours, Agone, 19 sept. 2018, 832 pages, 28.00 €. Voir le compte rendu de lecture sur ce même site.

[2Pour reprendre le titre du film que Pierre Carles consacre à Pierre Bourdieu, La sociologie est un sport de combat, CP Productions et VF Films, 2008.

Jean-Yves Le Naour (sc.), Iñaki Holgado et Marko (ill.), Aretha Battistutta (coul.), <i>Le réseau Comète. La ligne d'évasion des pilotes alliés</i>, Bamboo, coll. « Grand Angle », 56 p., 31 mai 2023. ISBN 978 2 8189 9395 8

Présentation de l'éditeur . « Des centaines de résistants de « l’armée des ombres », discrets, silencieux, un « ordre de la nuit » fait...