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25/01/2022

Malika Rahal, Ali Boumendjel. Une affaire française, une histoire algérienne, éd. La Découverte, coll. « Poche », n° 546, 6 janv. 2022, 13 €. ISBN : 978 2348 073229

Propos de l'éditeur.  « En mars 1957, la presse annonce la mort à Alger d’un « petit avocat musulman » : « Qui a tué Me Boumendjel ? » On s’interroge sur un faux suicide. Mais que faisait donc ce « modéré » de trente-huit ans entre les mains des « paras » ? Pourquoi a-t-il été assassiné, comme le reconnaîtra le général Aussaresses en 2001 ?

Cette affaire est à la fois une histoire française, qui a secoué les intellectuels français, et une histoire algérienne, celle d’un héros et d’un martyr. Dans ce livre, l’une et l’autre éclairent d’une lumière nouvelle les récits existants. Au mépris qu’Aussaresses exprime à l’encontre de cet intellectuel, aux abracadabrantes explications qu’il donne de son arrestation, Malika Rahal oppose un travail d’historienne. Et à l’histoire dominante algérienne, qui intègre Ali Boumendjel parmi ses martyrs en schématisant son parcours, elle oppose la richesse d’une biographie familiale, la complexité d’un engagement politique nuancé et d’un idéal algérien et républicain partagé par nombre de nationalistes d’alors.

Ce n’est qu’en mars 2021 que le président de la République française a reconnu qu’Ali Boumendjel a été « torturé puis assassiné » après avoir été « arrêté par l’armée française ». Cette biographie, initialement publiée en 2010 et actualisée, constitue dès lors une référence majeure. ».



Au début de ce mois-ci, La Découverte nous proposait un nouveau livre de Malika Rahal, Algérie 1962. Une histoire populaire, dont nous avons rendu compte. Le même jour, cette maison republiait son Ali Boumendjel, qui avait paru en 2010 aux Belles Lettres, qui comporte une préface inédite qui permet de mesurer le chemin parcouru en douze années. Le plus important est la reconnaissance par l'État français, le 2 mars 2021, de l'assassinat de l'avocat algérois par des militaires français. Cela mettait fin à la légende construite autour d'un prétendu suicide en 1957, au moment de la bataille d'Alger, masque dérisoire qui n'avait pas trompé ses soutiens. Cet acte venait à la suite d'une reconnaissance concernant Maurice Audin, le 13 septembre 2018, qui avait péri dans les mêmes circonstances. Pour importantes qu'elles soient, d'un point  de vue symbolique, ces deux reconnaissances ne font pas de ces deux hommes des cas emblématiques rassemblant toutes les victimes de la répression française. On pourra juger de la diversité des cas en consultant le site auquel travaille notamment Malika Rahal : Alger 1957. Des Maurice Audin par milliers. Dans la notice concernant Ali Boudmendjel, est reproduite la lettre adressée par sa veuve, Malika Boumendjel (morte en 2020), au président de la République, J. Chirac, et au Premier ministre, L. Jospin, qui ne reçut aucune forme de réponse.

 Cette biographie repose tout d'abord sur un travail très important mené pendant au moins huit ans, tant dans les archives disponibles, publiques ou privées, qu'auprès des témoins, à commencer par la famille de la victime. On avait relevé cette caractéristique dans Algérie 1962. Tous ces matériaux épars ont été assemblés avec patience et croisés, et ont permis à l'auteur d'avoir un large regard qui porte au-delà de la seule personne d'Ali Boumendjel, puisqu'elle croise à la fois l'histoire avec d'autres domaines d'observation. Cette façon de faire permet d'échapper à une apologie du personnage, même si Malika Rahal ne peut se départir d'une sympathie à son endroit : c'est là le moindre défaut qu'on pourrait lui adresser, mais qui est le propre du genre biographique.  Le livre suit le cours de la vie d'Ali Boudmendjel. Issu d'une famille de paysans kabyles, son père devient instituteur et s'établit dans l'Oranais : c'est à Relizane que naît son fils, en 1919. Malika Rahal insiste sur ces débuts particuliers : on a la fois un déracinement géographique et culturel, qui contribue à un élargissement de l'horizon, mais aussi une promotion sociale. Ali Boumendjel est ainsi le résultat de cette triple dynamique, qu'il va poursuivre, tout comme ses frères et sœurs (à une exception près) qui deviennent enseignants à leur tour. Un temps instituteur, il poursuit des études de droit à la faculté d'Alger (sur les traces de son frère aîné, Ahmed) avant de devenir avocat spécialisé dans le droit musulman et d'épouser Malika Amrane, qui provient de Kabylie. Ali Boudmendjel se trouve ainsi à la confluence de plusieurs Algérie, berbérophone, arabophone et francophone, rurale et urbaine… Cela vient nourrir son engagement politique, d'autant que son frère Ahmed est l'avocat de Messali Hadj, dirigeant du Parti du peuple algérien (PPA), fondé en 1937, auquel succèdent le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD) puis le Mouvement national algérien (MNA). Impliqué dans des courants politiques étudiants, Ali Boumendjel rejoint l'association des Amis du Manifeste et de la liberté (1944-1945), qui soutient les initiatives de Ferhat Abbas, puis l'Union démocratique du Manifeste algérien (UDMA) que celui-ci crée en 1946. L'avocat devient le responsable politique de la section de Blida puis de celle d'Alger, et publie des articles dans les journaux des formations auxquelles il adhère. Malika Rahal montre le rôle des réseaux qui contribue à la formation d'Ali Boumendjel, aussi bien familiaux que professionnels et amicaux, qu'elle est parvenue à reconstituer.

Les attentats de novembre 1954 constituent bien évidemment un tournant dans sa vie militante. Il défend des militants et des victimes de la répression, tout en participant à l'activité du FLN. On le retrouve ainsi à Stockholm, au Conseil mondial de la paix de 1956 ; il est l'un des conseillers de Ramdane Abbane (assassiné en décembre 1957), qui a facilité le ralliement au FLN de plusieurs organisations (dont l'UDMA) et responsable de la région d'Alger. L'adhésion d'Ali Boudmendjel au FLN n'est cependant pas certaine. Il n'empêche qu'il est arrêté par l'armée française le 9 février 1957, au début de la « bataille d'Alger », et gardé prisonnier jusqu'à son assassinat, le 23 mars suivant. L'auteur reprend, dans une dernière partie, les éléments qu'elle a rassemblés au sujet de la fin d'Ali Boudmendjel, et les confronte pour envisager les versions qui en ont été proposées. Les aveux d'Aussaresses, au travers de ses mémoires parus en 2001 (Services spéciaux en Algérie, 1955-1957 : mon témoignage sur la torture, Perrin), ont permis de percevoir l'embarras que leur cause le prisonnier. Il a avoué avoir contribué à un attentat, mais son transfert à la justice impliquerait sa libération. De plus, les témoignages d'autres prisonniers montrent l'état de délabrement physique d'Ali Boudmendjel après les séances de torture, qui, dès lors, ne peut plus être présenté devant un tribunal. Il doit être exécuté, et cette élimination présentée à la presse comme un suicide. C'est ce subterfuge que, par la suspension de ses cours, dénonce six jours après René Capitant, professeur de droit public à Paris (résistant et ancien ministre gaulliste), mais qui a exercé à Alger quand Ali Boumendjel était étudiant. Sa réaction paraît dans L'Express, mais France Observateur (ainsi que Le Monde) s'empare aussi de ce qui devient une affaire : Jean Daniel a été condisciple d'Ali Boumendjel au collège de Blida. Le gouvernement est interpellé, tandis qu'Ahmed Boumendjel utilise tous ses réseaux pour amplifier la réaction médiatique et politique. L'assassinat de son frère est l'occasion de revenir sur celui d'autres militants, comme Larbi Ben M'idi. L'image d'Ali Boumendjel évolue jusqu'à être assimilé à Pierre Brossolette. L'onde se propage ainsi dans le public, en même temps qu'il devient un martyr de la cause indépendantiste algérienne et du FLN. On comprend alors le sous-titre donné à l'ouvrage : « une affaire française ; une histoire algérienne ».

05/01/2022

Malika Rahal, Algérie 1962. Une histoire populaire, La Découverte, 6 janv. 2022, 493 pages, 25 €. ISBN : 9782348073038

 Présentation de l'éditeur. « En Algérie, l’année 1962 est à la fois la fin d’une guerre et la difficile transition vers la paix. Mettant fin à une longue colonisation française marquée par une combinaison rare de violence et d’acculturation, elle voit l’émergence d’un État algérien d’abord soucieux d’assurer sa propre stabilité et la survie de sa population. Si, dans les pays du Sud, cette date est devenue le symbole de l’ensemble des indépendances des peuples colonisés, en France, 1962 est connue surtout par les expériences des pieds-noirs et des harkis. En Algérie, l’historiographie de l’année 1962 se réduit pour l’essentiel à la crise politique du FLN et aux luttes fratricides qui l’ont accompagnée. Mais on connaît encore très mal l’expérience des habitants du pays qui y restent alors.

D’où l’importance de ce livre, qui entend restituer la façon dont la période a été vécue par cette majorité. L’année 1962 est scandée par trois moments : cessez-le-feu d’Évian du 19 mars, Indépendance de juillet, proclamation de la République algérienne le 25 septembre. L’histoire politique qu’ils dessinent cache des expériences vécues, que restitue finement Malika Rahal au fil d’une enquête mobilisant témoignages, autobiographies, photographies et films, chansons et poèmes. Émerge ainsi une histoire populaire largement absente des approches classiques : en faisant place au désespoir des Français d’Algérie dont le monde s’effondre – désarroi qui nourrit la violence de l’OAS –, elle relate le retour de 300 000 réfugiés algériens de Tunisie et du Maroc, la libération des camps de concentration où était détenu un quart de la population colonisée, ou la libération des prisons, ainsi que les spectaculaires festivités populaires. L’ouvrage décrit des expériences collectives fondatrices pour le pays qui naît à l’Indépendance : la démobilisation et la reconversion de l’Armée de libération nationale, la recherche des morts et disparus par leurs proches, l’occupation des logements et terres laissés par ceux qui ont fui le pays. Une fresque sans équivalent, de bout en bout passionnante.

Malika Rahal, historienne, chargée de recherche au CNRS, est spécialiste de l’histoire contemporaine de l’Algérie. Elle dirige, depuis 2022, l’Institut d’histoire du temps présent (IHTP). Elle est l’auteure de plusieurs ouvrages, notamment d’une biographie d’Ali Boumendjel, avocat et militant nationaliste assassiné en 1957 (Belles Lettres, 2011 ; réed. poche : La Découverte, 2022) et d’Algérie 1962. Une histoire populaire (La Découverte, 2022) »

 

 

La vision de la guerre d'Algérie, telle qu'elle s'est constituée en France, repose trop souvent sur un regard français sur son ancienne colonie. Cette vision reste encore trop unilatérale, faute de se nourrir du travail de fourmi des historiens algériens, et encore moins de ceux qui n'appartiennent pas à ces deux pays. L'ouvrage que propose aujourd'hui Malika Rahal se révèle donc des plus intéressants. Il offre non seulement un regard sur l'année 1962 vue par les Algériens eux-mêmes, mais sa documentation — des plus riches — embrasse un très large horizon. Pour aller vite, ses sources archivistiques, françaises (y compris les fonds audio-visuels) pour beaucoup du fait des difficultés d'accès aux dépôts algériens, sont complétées par d'autres éléments. Aux témoignages d'Algériens qui ont vécu cette période, l'auteur a exploité la presse algérienne, des documents réalisés par des diplomates étrangers (notamment le consulat américain à Alger) le CICR (Comité international de la Croix-Rouge), jusqu'aux films tournés sur place, des poèmes, des chansons, etc. Tous ces matériaux ont été combinés très subtilement pour restituer ce que fut cette année 1962, mais en partant du point de vue interne : le sous-titre donné en guise de programme, « Une histoire populaire », est donc parfaitement respecté. On a déjà souligné l'intérêt de cette histoire vue d'en-bas, notamment avec l'ouvrage de Gérard Noiriel, Une Histoire populaire de la France.

La proposition de Malika Rahal est d'éclairer la « dimension révolutionnaire » (p. 19) de cette année particulière, à la fois dans ses ruptures (la prise d'indépendance en est la plus évidente) et ses continuités (les conséquences de la guerre sur les corps, par exemple), le tout exprimé sous quatre angles : les violences ; les corps ; les espaces ; le temps

Comme souvent en histoire, 1962 n'est pas à limiter aux bornes chronologiques de cette seule année : elle se dilate avec souplesse dans un temps qui la dépasse largement. Sans s'enfermer (et les lecteurs en même temps) dans cet espace, Malika Rahal  estime qu'on peut considérer comme point de départ le mois de décembre 1960, avec les manifestations pour l'indépendance violemment réprimées, qui marquent une reconquête de l'espace (notamment urbain) par les Algériens, et par là même leur volonté de se le réapproprier. Elle se prolonge au moins jusqu'en 1965, si l'on considère la limite temporelle du choix de la nationalité, française ou algérienne, imposé par la loi de mars 1963 (c'est d’ailleurs le terme que retient Malika Rahal). En réalité, ses traces sont encore perceptibles au plus près de nous, le mouvement de l'hirak cha`bi reprenant par exemple le slogan « Un seul héros, le peuple » de cette année-là. 

On ne fera pas de résumé de l'ouvrage, qui sera forcément approximatif et incomplet. Mais sa lecture permet de s'arrêter sur certains points que le travail de Malika Rahal a permis de reconsidérer. On sait que le cessez-le-feu de mars 1962 n'a pas mis un terme définitifs aux violences en même temps qu'il arrêtait les combats. Les exactions de l'OAS se sont multipliées, pesant pour beaucoup dans le départ précipité de ceux qu'on appelle alors les « Français de souche européenne » (FSE), par opposition aux « musulmans », pour reprendre les qualificatifs utilisés alors. L'un des secteurs les plus exposés s'est trouvé à Oran (p. 81 et suiv.), avec le massacre du 5 juillet qui a fortement marqué les imaginaires. Or, Malika Rahal en explore la genèse pour en montrer que cet événement ne survient pas spontanément. Il est le point culminant d'un cycle de violences qui n'a cessé de se renforcer tout au long de l'année, et dont un moment important a glissé dans l'oubli : il s'agit de l'attentat du 28 février, pourtant qualifié par la presse du « plus sanglant de la guerre d'Algérie » (p. 92 et suiv.).

Cette remise en perspective concerne aussi le drame des harkis, dont la mémoire (en France, tout du moins, à tel point — phénomène exceptionnel — que le président de la République a présenté les excuses du pays) a conservé l'idée d'une extermination, d'exactions répondant à un désir de vengeance. Malika Rahal démontre que la réalité a été beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît. Si beaucoup ont été emprisonnés (dans les centres de détention vidés des prisonniers algériens faits par les autorités françaises), torturés, exécutés sommairement, faute d'avoir pu rejoindre la France métropolitaine, un bon nombre a traversé la période sans encombre. Elle en a trouvé qui ont rallié les rangs de l'ALN (pratique qui précède largement l'année 1962), mais aussi d'autres qui ont pu regagner leur quartier ou leur village. Cela rappelle des sorties de guerre telles celle que la France a connues à la Libération : des collaborateurs (ou jugés ainsi) ont été abattus. Mais les nouvelles autorités ont cherché à instaurer une justice pour canaliser la violence. C'est aussi le cas de chefs de secteurs de l'ALN dans certaines wilayas, qui ont très vite cherché à établir des formes légitimes de procès, de façon à apaiser les tensions. 

L'une des préoccupations est de retrouver les siens (p. 198). Des familles se sont mises en quête des disparus, patient et très difficile travail complété par la restitution tardive de corps (parfois partiels) par la France. Malika Rahal s'y joint également, par le site biographique 1000 autres, : « Alger 1957 - des Maurice Audin par milliers », qui cherche à recenser et renseigner les « enlevés, détenus clandestinement, torturés et parfois assassinés par l’armée française ». La question du deuil se trouve au centre de la population, en même temps que se constitue la mémoire des hommes et des événements, notamment dans la toponymie.

Un autre aspect intéressant tient au retour de la population qui a été enfermée dans des camps de regroupement souvent précaires, mais aussi des exilés en Tunisie et au Maroc, sans parler de l'ALN extérieures. Malika Rahal montre les difficultés de cette entreprise. Le passage des frontières a été un premier péril, du fait du minage du terrain par l'armée française. Une fois arrivés, se pose la question des besoins élémentaires : se loger, manger. Or, les villages des zones interdites ont souvent été pulvérisés. Des mines ont aussi été placées ça et là (environ douze millions), qui font des dégâts sur le long terme. Des forêts ont été incendiées, facilitant le travail de l'érosion. Les champs (les plus mauvais, qui n'ont pas été accaparés par la colonisation française) sont devenus des friches. Le départ massif des « Européens » offre des terres, du matériel, des logements, mais comment les répartir ? On a là l'un des défis les plus importants des autorités algériennes, confrontées à l'indigence des moyens disponibles. 

Se pose également le manque de cadres et la formation intellectuelle des plus jeunes (deux millions). Sur ce dernier point, un effort considérable a été fait, auquel la France s'était refusé. Au premier point, les réponses trouvées ont été diverses. On a assisté à un développement spontané de l'autogestion (qui a été observé comme modèle par des délégations étrangères), dans un certain nombre d'entreprises industrielles aussi bien qu'agricoles. De très jeunes, parce que diplômés ou ayant fait preuve d'un sens de l'organisation pendant la guerre, ont été placés à la tête d'établissements. On retrouve ici la façon dont la France révolutionnaire a dû répondre au départ des aristocrates. Malika Rahal nuance, là encore, l'exode européen qui représente environ 60 à 70 % de la population. Beaucoup sont donc restés, certains sont revenus, souvent temporairement, posant la question de la légitimité de la propriété du foncier et des biens matériels vacants, qui a exclu d'emblée les Algériens spoliés à partir de 1830 : trop de temps était passé.


Beaucoup d'autres aspects de cette nouvelle Algérie ont été abordés (notamment les rivalités entre les autorités, à l'été 1962 ; l'éviction du MNA de Messali Hadj, etc.), qui font du travail de Malika Rahal un ouvrage des plus intéressants sur la période. Outre cela, il faut relever la présence d'un index des personnes, ce qui devient une rareté, d'autant plus remarquable qu'il est doublé de nombreuses fiches biographiques. A également été appréciée l'iconographie. On aurait aimé une synthèse de termes peu communs à un lecteur francophone (fïddaï, chouhadas, etc.), dont la signification n'est pas donnée d'emblée. De la même façon, on regrette que l'effort fait pour proposer des illustrations intéressantes soit limité par l'échelle exiguë d'un certain nombre de cartes (comme celle des camps de regroupement, p. 307), ou mal orientées (les sources se présentant à l'envers). Il en est de même pour quelques reproductions photographiques, parfois d'un format trop petit pour être lisibles, ou dont les originaux ne sont visiblement pas de bonne qualité (p. 220, par exemple)

22/12/2021

Joseph Andras, De nos Frères blessés, Actes Sud, mai 2016, 17 €. ISBN : 978-2-330-06322-1

Présentation de l'éditeur. « Alger, 1956. Fernand Iveton a trente ans quand il pose une bombe dans son usine. Ouvrier indépendantiste, il a choisi un local à l’écart des ateliers pour cet acte symbolique : il s’agit de marquer les esprits, pas les corps. Il est arrêté avant que l’engin n’explose, n’a tué ni blessé personne, n’est coupable que d’une intention de sabotage, le voilà pourtant condamné à la peine capitale.

Si le roman relate l’interrogatoire, la détention, le procès d’Iveton, il évoque également l’enfance de Fernand dans son pays, l’Algérie, et s’attarde sur sa rencontre avec celle qu’il épousa. Car avant d’être le héros ou le terroriste que l’opinion publique verra en lui, Fernand fut simplement un homme, un idéaliste qui aima sa terre, sa femme, ses amis, la vie – et la liberté, qu’il espéra pour tous les frères humains.

Quand la Justice s’est montrée indigne, la littérature peut demander réparation. Lyrique et habité, Joseph Andras questionne les angles morts du récit national et signe un fulgurant exercice d’admiration ».

 

Jeune auteur, Joseph Andras nous propose son premier ouvrage. Sans attendre, je ne peux que dire le plaisir que j’ai pu avoir à lire De nos Frères blessés, qui tient à la fois pour le sujet retenu et la façon de raconter.Le roman prend pour cadre les premières années de la guerre d’indépendance algérienne, et l’année 1956 en particulier, et pour personnage principal Fernand Iveton (aucune erreur de frappe : non pas « Yveton », mais « Iveton », comme l’administration coloniale — et le socialiste Robert Lacoste, alors ministre résident et gouverneur général de l’Algérie — tend à l’écrire systématiquement). Joseph Andras s’est donc reposé sur la réalité pour la restituer sous la forme d’un roman, car Fernand Iveton a réellement existé ; l’éditeur nous en propose d’ailleurs la photographie, de face et de profil, à la manière des fiches anthropométriques pénitentiaires. René Gallissot a d’ailleurs publié une notice biographique sur lui, dans le Dictionnaire « Algérie » du « Maitron », laquelle pourra fournir des renseignements qui viennent compléter ce qu’on peut lire dans le roman. Et vérifier au passage le travail documentaire réalisé par Joseph Andras.

Pour résumer, disons que Fernand Iveton appartient à la classe populaire européenne qui vit à Alger, dans un quartier du Clos-Salembien (El Madania) où elle cohabite avec des musulmans dont elle partage les difficiles conditions d’existence. Comme son père, Fernand Iveton milite au parti communiste et à la CGT ; il travaille également dans une usine à gaz. En 1953, il rencontre Hélène Ksiazek, qu’il épouse. L’activité militante de Fernand Iveton s’accentue : en 1955, il crée le Commando du grand Alger avec d’autres indépendantistes, et participe à des actions terroristes. Préparant un attentat contre les canalisations de l’usine à gaz, qui ne doit pas faire de victimes, une bombe est découverte dans son casier, où il l’a cachée provisoirement. Il est arrêté à son travail, torturé.

Joseph Andras nous fait entrer dans la vie de Fernand Iveton au moment où il doit recevoir le matériel. On le suit alors, pas à pas, dans son interpellation, les séances de torture qu’il subit, son procès, la pression de l’opinion publique des Européens d’Algérie attisée par la presse colonialiste, laquelle conduit à sa condamnation à mort prononcée par un tribunal militaire (en vertu des « pouvoirs spéciaux » votés sous le ministère Mollet, avec l’appui des députés communistes). On suit également les espoirs suscités par l’action d’Hélène, celle des avocats, et principalement du « ténor du barreau » communiste Joé Nordman, qui fait le déplacement à Alger. On suit les atermoiements de Fernand Iveton qui doit faire face à l’échafaud qui lui est promis, et l’échec du recours en grâce qui a été rejeté par René Coty (sur proposition du ministre du Garde des sceaux d’alors, François Mitterrand), et à l’absence de mobilisation en métropole. Son exécution (et celle de deux autres militants algériens) a lieu dans la cour de la prison Barberousse, à Alger, le lundi 11 février 1957. Un an plus tard, Jean-Paul Sartre commençait un article par ces mots : « Nous sommes tous des assassins ». Il paraphrasait très probablement (et à dessein) le titre du film d’André Cayatte, sorti en 1952, dont le héros (la victime) était René Le Guen (interprété par Marcel Mouloudji), jeune résistant qui avait basculé dans la délinquance après la libération[Jean Meckert a publié la même année un roman librement inspiré du scénario du film, et sous le même titre, chez Gallimard, dans la collection Blanche. L’ouvrage est aujourd’hui disponible aux éditions Joëlle Losfeld, collection « Arcanes », 2008, 224 pages, 10,15 €.].

Joseph Andras se place dans le sillage de Jean-Paul Sartre. On sent à quel point il s’est identifié à son héros (car c’est bien comme cela qu’il nous le donne à percevoir), dans un exercice d’écriture où il ne cherche à produire un livre objectif, mais très consciemment subjectif. Comment ne pourrait-on pas être du côté de Fernand Iveton ? Et surtout comment comprendre, et donc prendre parti pour la peine capitale qui lui a été infligée ?
De plus, sa façon d’écrire, très alerte, ne permet de lâcher le livre jusqu’à la dernière ligne : les cent quarante pages sont absorbées sans qu’on puisse reprendre son souffle. L’ouvrage a reçu le Goncourt du premier roman cette année, ce qui est parfaitement mérité.

01/12/2021

Olivia Burton, Mahi Grand, L’Algérie, c’est beau comme l’Amérique, coll. « 10 Ans », Steinkis, 7 oct. 2021, 177 p., 22 €. ISBN 9782368465417

Présentation de l'auteur. «  Lauréat du prix du festival BD de Sainte-Livrade - 2016

Petite-fille de pieds-noirs, Olivia a toujours entendu parler de l’Algérie. Mais ces récits familiaux lui pesaient : entre nostalgie, images de cartes postales et blessures de guerre, elle trouvait cet héritage plutôt gênant.

Dans les années 1990, alors que l’Algérie plonge dans la guerre civile, Olivia a envie d’en savoir plus sur l’histoire familiale. Elle demande à sa grand-mère d’écrire ses mémoires mais n’obtient d’elle qu’un sourire fatigué. Pourtant, en triant ses affaires après son décès, Olivia tombe sur un dossier qui lui est destiné. À l’intérieur : ses souvenirs d’Algérie.

Dix ans plus tard, elle décide d’aller sur place, pour confronter ces récits à la réalité.
Olivia part seule, avec dans ses bagages le numéro de téléphone d’un contact sur place, Djaffar.

Ce roman graphique raconte ce voyage : quête des origines, travail de la mémoire entre souvenirs et fantasmes, questionnement sur l’héritage, la honte et le sentiment d’exil et amitié improbable et cocasse entre les héritiers d’une histoire brûlante.
Une quête initiatique remplie de rencontres fortes et savoureuses, sensible et souvent drôle, le tout dans un décor de western et de barrages policiers ».


11/11/2020

Raphaëlle Branche, Papa, qu'as-tu fait en Algérie ? Enquête sur un silence familial, éd. La Découverte, 3 sept. 2020, 512 p. 25 €. ISBN : 9782707198785

Présentation de l'éditeur. « De 1954 à 1962, plus d’un million et demi de jeunes Français sont partis faire leur service militaire en Algérie. Mais ils ont été plongés dans une guerre qui ne disait pas son nom. Depuis lors, les anciens d’Algérie sont réputés n’avoir pas parlé de leur expérience au sein de leur famille. Le silence continuerait à hanter ces hommes et leurs proches. En historienne, Raphaëlle Branche a voulu mettre cette vision à l’épreuve des décennies écoulées depuis le conflit.

Fondé sur une vaste collecte de témoignages et sur des sources inédites, ce livre remonte d’abord à la guerre elle-même : ces jeunes ont-ils pu dire à leur famille ce qu’ils vivaient en Algérie ? Ce qui s’est noué alors, montre Raphaëlle Branche, conditionne largement ce qui sera transmis plus tard. Son enquête suit ensuite les métamorphoses des silences et des récits jusqu’à nos jours. Elle pointe l’importance des bouleversements qu’a connus la société française et leurs effets sur ce qui pouvait être dit, entendu et demandé dans les familles à propos de la guerre d’Algérie. Elle éclaire en particulier pourquoi, six décennies après la fin du conflit, beaucoup d’enfants ont toujours la conviction qu’existe chez leur père une zone sensible à ne pas toucher.

Grâce à cette enquête, c’est plus largement la place de la guerre d’Algérie dans la société française qui se trouve éclairée : si des silences sont avérés, leurs causes sont moins personnelles que familiales, sociales et, ultimement, liées aux contextes historiques des dernières décennies. Avec le temps, elles se sont modifiées et de nouveaux récits sont devenus possibles. 

Prix Augustin Thierry 2020 ».

 

08/01/2020

Philippe Pelaez (sc.), Victor Lorenzo Pinel (ill., coul.), Puisqu'il faut des hommes. Joseph, éd. Bamboo, coll. « Grand Angle », 8 janvier 2020, 64 pages, 15,90 €. EAN 9782818969076

 

Présentation de l'éditeur. « Parfois, il est des secrets qu’il vaut mieux taire.

1961 - Joseph revient d’Algérie. Pour les habitants du village, il n'est qu'un planqué qui officiait dans un bureau plutôt que sur les zones de combat, un lâche qui a esquivé les durs travaux de la ferme. Personne ne lui pardonne d’avoir abandonné sa famille, alors que son frère est cloué sur une chaise roulante, victime d’un accident de tracteur pendant son absence. D’enfant du pays, Joseph revient en paria. Heureusement, l'honneur du village est sauf : le fils du cafetier, lui, s'est battu en Algérie. Mais quand il revient à son tour de la guerre et révèle aux habitants le secret de Joseph, l'invraisemblable vérité éclate au grand jour ».

10/06/2015

Florence Dosse, Les Héritiers du silence. Enfants d’appelés en Algérie

Florence Dosse, Les Héritiers du silence. Enfants d’appelés en Algérie, Stock, coll. « Un ordre d'idées », 282 pages, 25 janvier 2012, 20 €. EAN : 9782234071643

 

05/03/2015

René Vautier en Algérie, 1954-1988, Les Mu­tins de Pangée, 2014. Quatre DVD et un livret d’ac­compagnement. EAN 3770001117195


Les éditions Mutins de Pangée reviennent avec un coffret DVD sur le parcours en Algérie de René Vautier, récemment disparu.

De René Vautier, mort il y a deux mois, en janvier 2015, on connaît surtout le célébrissime Avoir Vingt Ans dans les Aurès (1972, 102′). Et dès que l’on a mis la main sur le coffret édité par la coopérative Les Mu­tins de Pangée (2014), on ne peut s’empêcher de se précipiter dessus : c’est bien évidemment ce que j’ai fait, d’autant que le film est présent ici en version restaurée, telle qu’elle est sortie en salle en 2012. Avoir Vingt Ans a en outre fait l’objet d’un site Internet : cela faisait beaucoup pour que j’ajoute ma graine. Je le ferai toutefois, mais à la lumière des nombreux autres films que contient le coffret (525′, sans compter les 98′ de compléments sous forme d’entretiens), qui concernent principalement l’Algérie telle que l’a connue René Vautier, et permettent de retracer une grande partie de son parcours avec ce qui apparaît comme l’un de ses fils directeurs.

Le coffret permet de voir René Vautier comme acteur direct du conflit colonial, notamment avec Algé­rie en flammes (22′, 1958), au cours du tournage duquel il est blessé à trois reprises : aux prises directes avec l’action du FLN, il filme les soldats français qui le visent et atteignent sa caméra, dont un morceau reste incrusté dans son crâne. Au-delà de cette anecdote spectaculaire, mais qui indique assez le degré d’implica­tion et les risques assumés par le cinéaste (qui a dû faire sien le principe de Robert Capa : si une photogra­phie est mauvaise, c’est qu’on n’est pas assez près de son sujet), le film, tourné en 1957-1958, cherche à montrer la proximité entre la rébellion armée et la population algérienne, dont l’effort commun ne peut que parvenir à l’indépendance. Le parallèle avec la lutte de la Résistance française est très prégnant. En plus de sa propre expérience de combattant au sein d’un réseau, on sent quelles sont les sources d’inspiration de René Vau­tier : le déraillement d’un train militaire évoque immanquablement Bataille du rail de René Clé­ment (1946). À ce détail près que l’occupant dénoncé par le film a changé en l’espace d’une dizaine d’an­nées…


On retrouve René Vautier comme cinéaste engagé aux côtés de la jeune République socialiste. Ve­nant de créer le Centre audiovisuel d’Alger, il réalise notamment Peuple en marche (50′, 1963), qui montre les difficultés du pays qui vient d’arracher son indépendance, notamment au regard des défis de sa recons­truction et de son développement économique et social. Tournée vers son ancienne métropole et avec un très faible encadrement, l’Algérie doit accomplir une formidable mutation. L’heure du pouvoir autoritaire des militaires n’est pas encore venue, et on ne voit pas que René Vautier l’ait pressentie, porté par l’enthou­siasme des premières années de liberté et de la tâche à laquelle il se consacre. Il s’agit véritablement de la naissance d’une nation, pour reprendre le titre de l’un des films de D. W. Griffith (The Birth of a Nation, 1915).

Revenu en France en 1966, tout en s’intéressant à d’autres thèmes, le militant reste fixé sur son sujet de prédilection, mais il réoriente son regard en cherchant à prendre du recul et à considérer les deux côtés de la Méditerranée. René Vautier devient une sorte de mémorialiste (si ce terme peut s’appliquer au cinéma, mais pourquoi pas, après tout), qui ne se cantonne pas à un rôle de contemplatif, mais un observateur sou­cieux de comprendre et de rendre compte de la façon dont la guerre de décolonisation est devenu un enjeu aussi bien en France qu’en Algérie.


Il recueille ainsi des heures de témoignages, et travaille notamment sur la façon dont l’Histoire de la guerre d’Algérie se construit alors, que ce soit pour la résurgence de la torture (À propos de… l’autre détail, 1988), sans oublier l’immigration algérienne (avec les deux fictions Les Ajoncs, et Les Trois Cousins, 1970). En 1985, René Vautier reprend l’un de ses premiers flms, Une Nation : l’Algérie (1955) — malheureusement absent du coffret — et cherche à comprendre les causes du nationalisme algérien et de la dérive vers le guerre d’indépendance. Cela donnera notamment Déjà le sang de mai ensemençait novembre (61′), en 1985. La même année, il analyse également le rôle des films sur le conflit (Guerre aux images en Algérie, 73′), y compris les images que René Vautier a lui-même tournées. Les 15 minutes de Techniquement si simple (1971) sont, à ce titre, d’une efficacité terrifiante. On assiste au monologue d’un personnage d’une extrême banalité ; toutes proportions gardées, tant dans les faits que dans la dimension et les responsabili­tés du personnage, on ne peut s’empêcher de considérer ce témoignage comme un autre rapport sur la ba­nalité du mal. Ancien appelé du contingent filmé chez lui, celui-ci raconte d’une façon très détachée ce qu’il faisait, à savoir poser des mines, sans jamais s’interroger sur les répercussions de ses actes : il obéît. Vau­tier le filme en noir et blanc, ce qui renforce encore la distanciation du propos de son interlocuteur et de ce qui a été commis. Le ton de la relation m’a rappelé l’aimable conversation entre Marcel Ophüls et Christian de la Mazière (ou plutôt Christian Lamazière), dans Le Chagrin et la pitié (1971, étonnamment), sans l’atti­tude mondaine de celui-ci, mais avec une certaine désinvolture dans l’irresponsabilité. Confronté en effet à des enfants mutilés par son partenaire algérien d’alors, l’ancien appelé s’étonne même avec véhémence de l’absence de courtoisie et de tact de son camarade, réaction tout à fait symptomatique de la profonde mé­connaissance de l’Algérie par les Français qui y furent précipités, et de l’inconséquence des actes commis en toute légalité.

Des enfants, il en est encore question dans J’ai huit ans (1961), très court métrage dans lequel René Vautier montre le traumatisme de la guerre chez de très jeunes réfugiés algériens, orphelins, en Tunisie, dont la naïveté des dessins ne cherche pas à camoufler la douleur physique et psychologique, notamment celle de l’arrachement au pays.

Le coffret n’est cependant pas complet. On regrette notamment de n’avoir pas Une Nation : l’Algérie (1955), qui est probablement le premier film sur la guerre d’indépendance, qui éclate au moment où René Vautier termine son travail préparatoire à partir de documents d’archives et notamment de textes des géné­raux qui ont fait la conquête du pays. Mais il en est d’autres, qu’il a réalisé seul ou en collaboration avec des partenaires, ou auxquels il a beaucoup contribué : Ahmed et Jeïda, 1960-1961, L’Aube des damnés, dont il confie la réalisation à Ahmed Rachedi, ou La Nuit du dernier recours (1984), à partir de témoignages fran­çais et algériens sur l’insurrection de la Toussaint rouge.

On regrette plus encore les kilomètres de pellicules qui ont été saccagés en 1984, sur lesquelles Re­né Vautier avait filmé entre 1980 et 1985 des entretiens, notamment avec des protagonistes importants de cette guerre (Massu, Germaine Tillon, Paul Teitgen, Argoud, de Bollardière, etc.) mais aussi des anonymes. Initialement intitulé Des Images pour écrire l’Histoire, le film a fait l’objet d’un montage qui a été produit en 1985 devant la 17e Chambre correctionnelle de Paris, en soutien au Canard enchaîné et Libération poursui­vis pour diffamation par J.-M. Le Pen, accusé de tortures en Algérie. Seul ce montage a pu réchapper des ci­sailles, dont on a une synthèse, À propos de… l’autre détail (1988, 45′), consacrée au lieutenant tortionnaire, avec des analyses de Paul Teitgen et de Pierre Vidal-Naquet. On a là une réflexion sur les conséquences des lois d’amnistie sur l’écriture de l’Histoire, menée également par Henri Alleg.

Enfin, on peut s’étonner de films qui n’ont pas de liens directs avec l’Algérie, même si ce pays a été un refuge pour nombre de révolutionnaires du Tiers-Monde (comme le montre Alger : Révolution africaine, 2014, entretien entre René Vautier et l’historien Jacques Choukroun, 12′) : Le Glas (1964, 5′), sur la pendai­son de trois activistes en Rhodésie du Sud (actuel Zimbabwe), ou Frontline (1976, 74′), film contre l’Apar­theid en Afrique du Sud. Mais il s’agit là encore de luttes de libération.

Au total, malgré ses manques inévitables, l’intérêt du coffret est de restituer une certaine cohérence dans l’œuvre de René Vautier, en nous donnant un important (et très apprécié) aperçu de son travail sur l’Al­gérie. Il s’agit bien sûr de films militants (René Vautier conçoit son cinéma comme une arme de combat, qui doit « refléter les choses sous-jacentes à la réalité » filmée), mais c’est d’abord le regard plus complexe d’un cinéaste qui s’étale et évolue sur une cinquantaine d’années, tout en interrogeant les deux rives méditerra­néennes. L’enseignant y trou­vera ainsi matière à travailler tant sur la colonisation que la décolonisation et sur les lendemains difficiles de l’in­dépendance algérienne.

La question peut être posée de savoir sur quoi repose l’intérêt ou plutôt la passion que nourrit René Vautier pour l’Algérie. Ce serait oublier les jeunes années de ce fils d’un ouvrier et d’une institutrice, qui entre en Résistance à Quimper, d’abord par la poésie puis dans l’action directe : sa lutte pour l’indépendance et contre un occupant y trouve des racines directes. Ce serait aussi oublier ses premiers travaux à l’Institut des hautes études cinématographiques (IDHEC, 1946-1948), sur les manifestations contre le racisme, et surtout son premier film, Afrique 50 (1950), ouvertement anticolonialiste, alors qu’il est, à l’origine, une commande de la Ligue française de l’enseignement sur la mission éducative de la France en AOF. Il poursuit dans la même veine, avec Terre tunisienne (1951), qui lui vaut d’être expulsé du protectorat encore français. Très tôt, René Vautier est ce qu’il est convenu d’appeler un cinéaste « engagé », l’adjectif ne rendant compte que très faiblement des risques qu’il a pu prendre, loin des tables de montage et des tapis rouges.

Son expérience directe de la guerre d’Algérie, ses documentaires, sa collecte de témoignages, d’ar­chives, ses lectures (notamment le livre de Noël Favrelière, Le Désert à l’aube, 1960, qui inspire le person­nage de Nono), trouvent un point d’aboutissement provisoire avec Avoir Vingt Ans dans les Aurès, film de fic­tion qui lui permettra d’obtenir une grande reconnaissance avec le prix de la critique internationale qu’il reçoit à Cannes (1972). Une sorte de synthèse provisoire, qui se prolonge jusque dans les derniers mois de la vie de René Vautier, dont l’œuvre à elle-même semble contredire l’idée selon laquelle la guerre en Algérie n’a pas été l’objet de nombreux films : si cela est vrai de la fiction, le travail documentaire a été important, même si sa diffusion a été difficile. C’est un autre mérite de ce coffret que de nous le montrer.

 

Jean-Yves Le Naour (sc.), Iñaki Holgado et Marko (ill.), Aretha Battistutta (coul.), <i>Le réseau Comète. La ligne d'évasion des pilotes alliés</i>, Bamboo, coll. « Grand Angle », 56 p., 31 mai 2023. ISBN 978 2 8189 9395 8

Présentation de l'éditeur . « Des centaines de résistants de « l’armée des ombres », discrets, silencieux, un « ordre de la nuit » fait...