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02/05/2022

Sylvain Bourmeau (dir.) , AOC [Analyse Opinion Critique], cahier n° 1, « « Gilets jaunes » : hypothèses sur un mouvement », La Découverte, 2019, 216 p., 12 €. ISBN 978-2-348-04370-3

L’enseignement scolaire de l’histoire ne s’intéresse qu’à des objets relatifs à un passé souvent très éloignés dans le temps. Aborder les événements liés aux entreprises terroristes comme le 11 septembre 2001 apparaît déjà un exploit, alors que la plupart des élèves à qui nous nous adressons n’étaient même pas nés à ce moment-là. Il n’empêche que les professeurs de notre discipline ont à s’imprégner de l’actualité, ne serait-ce que parce que ses racines tiennent précisément à l’histoire : par nature, il n’y a pas de phénomène surgissant ex abrupto

Pour ignorer ce principe de base, faute de culture historique, par manque d’intérêt ou tout simplement de temps1 , trop de journalistes développent une analyse trop superficielle sur les faits qu’ils rapportent. La « crise » dite des « gilets jaunes » (avec ou sans les guillemets, avec ou sans majuscules initiales) en est l’illustration la plus révélatrice du moment. Sa complexité mérite mieux que les amalgames et raccourcis que les médias dominants n’ont cessé de colporter, faute d’avoir les moyens de la saisir. Pour autant, le phénomène n’est pas  encore achevé que la recherche scientifique s’y intéresse déjà, avec les infinies réserves que la faible distance chronologique à l’objet étudié imposent en pareil cas, et parce qu’il n’a fini de se transformer et de produire toutes ses conséquences. C’est précisément le but que s’est assigné AOC, depuis un an, en soumettant l’actualité à des chercheurs sans attendre : « il n’y a pas un temps pour le journalisme et un temps pour la recherche », comme le rappelle Sylvain Bourmeau (p. 9).

Ici, ce sont vingt-quatre scientifiques qui ont été sollicités pour délivrer leur analyse2 , qu’ils soient sociologues, philosophes, etc., et bien sûr historiens ou géographes. La richesse de leur production ne peut être restituée en quelques lignes : on ne peut qu’engager à lire les articles, d’autant qu’ils sont assez courts (six à huit pages, en général), mais très bien informés et très accessibles. On se contentera de donner quelques éléments très (trop) synthétiques qui viennent en contrepoint de ce que la presse a cru voir3 .

On oppose souvent les espaces ruraux, supposés pauvres, aux espaces urbains, qui concentrent population et richesses. Or, les deux -tiers des ménages les plus pauvres vivent dans les aires urbaines. De plus, les nombreuses interdépendances territoriales ont été révélées par le mouvement qui s’est développé depuis novembre, grâce à la voiture rendue nécessaire pour pouvoir accéder aux différents espaces. À ce compte, on estime généralement que ce sont les habitants des couronnes périurbains qui ont fourni les premiers contingents des « gilets jaunes ». De fait, la périurbanisation4 a entraîné un allongement des distances entre résidence et lieux de travail et de consommation, restés en ville, encouragée par des municipalités soucieuses de développement (démographique et économique). Or, ce schéma simpliste ignore le fait que les dynamiques qui sont à l’origine des emplois est plus important dans les espaces périurbains que les centres des villes. Au contraire, ces espaces sont perçus négativement : on met en avant les contraintes5 (qui concernent notamment les transports), l’inadéquation avec les impératifs environnementaux, sans parler de l’uniformisation des paysages, rongés par des lotissements de pavillons individuels6 . Cette perception conduit au sentiment d’espaces périurbains qui seraient abandonnés, par rapport aux centres des villes, bien mieux pourvus en transports en commun modernes (tramways…) et en services de toute nature.

La relation médiatique fait apparaître que le mouvement est porté par les couches inférieures des classes moyennes et les classes populaires. Il s’agit plus précisément de membres de professions intermédiaires, dont, pourtant, le revenu et le pouvoir d’achat sont relativement stables, sans atteindre une marge de confort suffisante pour les protéger en cas de difficultés conjoncturelles. Mais cette sensibilité crée un sentiment d’injustice au regard des efforts exigés par les politiques néo-libérales, que ces catégories sociales supporteraient essentiellement, et celui d’une érosion du pouvoir d’achat, révélé par les hausses ponctuelles du prix des carburants (en oubliant les baisses). Pour autant, les « gilets jaunes » tendent à se distinguer des « assistés », bénéficiaires des aides sociales, tout en exigeant une meilleure distribution des richesses. On retrouve ici l’un des effets du discours libéral qui vise à un émiettement de la société en une somme d’individus, responsables de leur destin et de leurs conditions sociales : être pauvre serait ainsi le résultat d’une volonté personnelle (ou plutôt un manque de volonté), voire même d’un désir de vivre en parasite aux dépends des autres.

D’autres contributions s’attachent aux références historiques brandies par les « gilets jaunes », notamment la Révolution française (d’une façon indistincte)7 . Mais on lira avec autant d’intérêt les articles portant sur l’analyse politique du mouvement (abusivement assimilé à l’extrême droite ou à l’extrême gauche), sur la perception du pouvoir exécutif et des actions engagées, sur celle du pouvoir et des élites par les « gilets jaunes », etc. Une mention particulière doit cependant être accordée à la contribution de Bruno Latour, qui place ce mouvement dans une perspective dépassant le cadre national, à savoir celle de la nécessaire transition écologique8 . Il montre en effet que le mouvement est l’occasion d’éclairer en quoi consiste cette transition : pour produire quelle civilisation ? À ses yeux, il révèle l’incohérence entre d’une part l’état réel de la planète et, d’autre part, les modes de vie et l’idée de progrès qui persistent à être promus. Or,  qui s’en remettre ? L’État est impuissant, pris dans les logiques de développement territorial qu’il a construites. Pour Bruno Latour, il faut s’inspirer de l’exemple de ceux qui ont déjà opté pour un mode de vie tout à fait alternatif, reposant sur une autre vision du territoire, qui dépasse complètement le maillage administratif actuel, réellement utilisé par les citoyens. Ce sont eux seuls qui sont en mesure d’évaluer leurs propres besoins, d’estimer sur quelles ressources ils peuvent compter, et de faire le tri entre leurs souhaits et ce qui est possible. S’il doit y avoir une consultation nationale, elle ne doit pas être une injonction étatique. Elle doit reposer au contraire sur des groupements (militants, associations, scientifiques, etc.), dont la légitimité ne peut être mise en doute, dont le travail de réflexion doit être soutenu. Le but est de dresser une « cartographie des controverses ».

On n’oubliera pas, enfin, la nouvelle d’Éric Chauvier (« Bikini rouge sur fond jaune », p. 195) qui retrace la trajectoire d’une fille sur une trentaine d’années, jusqu’à un rond-point, en décembre 2018.

 

 Notes

1. On n’ignore pas les conditions déplorables de travail de l’immense majorité des journalistes et des pigistes, masqués par la poignée d’éditorialistes omniprésents et omniscients (ce qu’ils croient).
2. Chacune de ces analyses est à chaque fois datée, ce qui prévient l’étonnement de ne pas voir tel ou tel fait, qui, s’étant produit ultérieurement, n’aura donc pas pu être pris en compte. On regrette cependant l’absence de sources qui permettraient d’aller plus loin. On se référera toutefois aux principaux travaux des auteurs que l’on jugera les plus intéressants.
3. Lire en particulier Yves Citton, « Abécédaire de quelques idées reçues sur les « gilets jaunes » » (p. 37 et suiv.).
4. Voir la contribution de Michel Lussault, « La condition périurbaine » (p.171 et suiv.).
5. On lira notamment la contribution du géographe Samuel Dupraz, « La France contrainte des « gilets jaunes » » (p. 75 et suiv.).
6. Michel Lussault rappelle la couverture du magazine Télérama avait consacré à « La France moche » en février 2010 (p. 178).
7. Guillaume Mazeau, « Les « gilets jaunes » et la Révolution française : quand le peuple reprend l’histoire » (p. 107).
8. Bruno Latour, « Du bon usage de la consultation nationale » (p. 189).

 

Joseph Confavreux (textes réunis et présentés par), Le Fond de l’air est jaune. Comprendre une révolte inédite, Seuil, 24 janvier 2019, 224 p., 14,50 €


Présentation de l’éditeur
. « Les ronds-points sont une invention française, tout comme l’idée de les bloquer vêtus de gilets jaunes. En y installant leurs barrières, les manifestants les ont transformés en places publiques, permettant à des gens qui s’ignoraient jusqu’alors de fraterniser. Ils ont surtout réussi à mettre au centre du débat la question de la justice sociale — et celle, fondamentale pour toute l’humanité, du lien entre justice sociale et justice écologique.

De cette histoire en cours, il est possible de dessiner certains contours sans les figer. Fait singulier, pour le monde des idées, la mobilisation des gilets jaunes a suscité celle des sciences sociales et humaines, rarement aussi présentes et précises face à l’irruption du contemporain. On a vu, très vite, circuler des analyses issues des meilleurs travaux de l’histoire, de la sociologie, de la géographie, de la science politique, de la philosophie, de l’économie, des sciences de l’information. À la fois archives du présent et armes pour l’avenir, quinze d’entre elles sont réunies ici, accompagnées de photographies, de textes et de slogans qui documentent une révolte inédite.

Avec Étienne Balibar, Ludivine Bantigny, Louis Chauvel, Isabelle Coutant, Aurélien Delpirou, Olivier Ertzscheid, Michaël Foessel, David Graeber, Samuel Hayat, Jean-Claude Monod, Thomas Piketty, Pierre Rosanvallon, Alexis Spire, Sophie Wahnich et Michelle Zancarini-Fournel. Textes réunis et présentés par Joseph Confavreux ».

 

 

Les analyses du mouvement social dit des gilets jaunes qui a éclaté au début de l’hiver 2018 se sont multipliées. L’événement, inédit dans sa forme et son déroulement, n’a en effet pas manqué d’attirer l’attention, notamment dans le champ des sciences sociales. L’un des premiers ouvrages à s’y être intéressé de façon sérieuse est ce Fond de l’air est jaune, paru assez rapidement, deux mois et demi après l’irruption des Gilets jaunes. À ce moment, l’incrédulité domine, et les commentaires oscillent entre approbation et craintes. Craintes d’un mouvement « populiste » (sans qu’on sache toujours bien ce que recouvre l’adjectif), « poujadiste » (sans que l’on voit bien ce qu’il y a de poujadiste là-dessous), voire même d’extrême-droite, raciste, etc. Les médias dominants, à la remorque du pouvoir, mettent l’accent sur les violences (celles des manifestants ; pas celles de la police), l’incohérence des propos tenus, sans oublier une profonde condescendance et même un franc mépris prompt à dénoncer la pauvreté de la maîtrise de la langue quand ce n’est pas celle des revendications (pourtant méconnues et réduites à leur caricature).

Dans le présent ouvrage, et avec un recul de plusieurs mois, on est confondu par la pertinence des analyses portées. Joseph Confavreux a fait un excellent choix en convoquant philosophes, sociologues, historiens, etc. Leur regard croisé permet de saisir la singularité du mouvement social qui se développe alors, chose que chacun pressent : il y a de l’inédit ; mais quand à savoir ce qu’il en retourne, là, c’est plus difficile. L’ouvrage suit le plan général suivant :

  • Les Gilets jaunes sous le regard de l’Histoire
  • Les raisons d’une colère
  • Cinquante nuances de jaune
  • Le spectre des possibles

La première partie s’appuie sur certains des éléments utilisés par les manifestants : bonnets phrygiens, Arc de triomphe, etc. Le recours aux symboles révolutionnaires (ceux de 1789, voire de 1792) sont réinvestis, façon de légitimer le mouvement en s’attachant aux racines de la République. Ce réinvestissement ne tarde pas à servir de base à des revendications politiques : l’exigence d’une démocratie réelle.

Parmi les thèmes de revendications, les auteurs mettent en avant le souci de justice, et d’abord d’une justice fiscale : d’accord pour payer (on est donc loin du poujadisme), mais que la charge soit proportionnelle au degré de fortune. Il s’agit aussi de revendiquer un approfondissement de la démocratie, en s’appuyant sur la justice sociale : qu’il y ait des instances qui portent les aspirations populaires, qui commencent par les entendre, et qui les mettent en œuvre. Ces revendications indiquent enfin (et très certainement « d’abord ») une défiance à l’égard du discours néolibéral tenu par le pouvoir, enclin à défendre le « gros » contre le « petit ».

La troisième partie entre dans la sociologie des Gilets jaunes : qui sont-ils ? Le moins que l’on puisse percevoir est d’abord l’extrême hétérogénéité du mouvement. Mais les analyses montrent que ses protagonistes se situent spontanément dans un entre-deux : pas pauvre, pas aisé non plus, mais moyen, et même petit-moyen. On n’y retrouve pas les franges marginalisées par les bouleversements de la société : peu de chômeurs, pratiquement pas de SDF. Au contraire, on a une foule de salariés qui occupent des emplois (à défaut d’exercer un métier, celui qu’ils ont choisi), et même des chefs de petites entreprises (artisans, etc.). Malgré la profonde diversité des situations, tous ont en commun d’être installés dans des formes de précarité, ou de craindre d’y tomber : l’angoisse de la fin du mois, qui arrive toujours beaucoup trop tôt.

Enfin, d’autres auteurs élargissent le propos, en tentant de mettre en lumière ce que le mouvement révèle des difficultés et des aspirations de la société française. Domine surtout le sentiment d’une peur du déclassement, d’un fossé qui s’est creusé entre des élites, détentrices d’un pouvoir qu’elles exercent pour elles-mêmes, et le peuple. Il y a ainsi à la fois un ressentiment profond à l’égard de ceux qui sont sensés représenter l’ensemble des citoyens, et une très forte aspiration à une démocratie réelle. En témoigne la violence qui ne s’est pas exprimée de prime abord (les exemples de rapprochement avec la police le montrent assez), mais qui s’est développée à partir du moment où la seule réponse aux revendications a été l’arrogance et le mépris de classe.

Il ne s’agit là que d’un très bref résumé, forcément trop partiel, mais il y a lieu d’insister sur la nécessité de lire ces 250 pages à la fois denses et précises. Chaque contribution est de l’ordre d’une dizaine de pages, ce qui permet d’avoir des analyses ramassées, mais qui n’en restent pas moins très éclairantes et stimulantes. À cela s’ajoutent des documents : des photographies de slogans, de manifestations, les textes de manifestes (l’appel de Commercy, 2 déc. 2018) qui montrent la profondeur du trouble.

 

18/02/2022

Romaric Godin, La Guerre sociale en France. Aux sources économiques de la démocratie autoritaire, La Découverte, coll. « Poche / Essais», n° 547, 13 janvier 2022, 222 pages, 12 €. ISBN : 9782348073472


Présentation de l'éditeur. « La tentation d’un pouvoir autoritaire dans la France de 2019 trouve ses racines dans le projet économique du candidat Macron.

Depuis des décennies, la pensée néolibérale mène une guerre larvée contre le modèle social français de l’après-guerre. La résistance d’une population refusant des politiques en faveur du capital a abouti à un modèle mixte, intégrant des éléments néolibéraux plus modérés qu’ailleurs, et au maintien de plus en plus précaire d’un compromis social. À partir de la crise de 2008, l’offensive néolibérale s’est radicalisée, dans un rejet complet de tout équilibre.

Emmanuel Macron apparaît alors comme l’homme de la revanche d’un capitalisme français qui jadis a combattu et vaincu le travail, avec l’appui de l’État, mais qui a dû accepter la médiation publique pour « civiliser » la lutte de classes. Arrivé au pouvoir sans disposer d’une adhésion majoritaire à un programme qui renverse cet équilibre historique, le Président fait face à des oppositions hétéroclites mais qui toutes rejettent son projet néolibéral, largement à contretemps des enjeux de l’époque. Le pouvoir n’a ainsi d’autre solution que de durcir la démocratie par un excès d’autorité. Selon une méthode classique du néolibéralisme : de l’épuisement de la société doit provenir son obéissance ».

 
 

Romaric Godin est journaliste à Mediapart depuis 2017 (voir sa fiche biographique sur le site du journal), et s'est spécialisé dans les questions économiques. C'est sous cet angle qu'il analyse le fonctionnement de la société, aussi bien dans son journal que dans le présent ouvrage. Celui-ci est une réédition, non actualisée, de ce qui avait été publié sous le même titre en septembre 2019 (voir la présentation sur le site de La Découverte). L'auteur a toutefois écrit une postface qui prolonge le propos qu'il tenait il y a un peu plus de deux ans.

Le titre rappelle celui du journal du socialiste SFIO Gustave Hervé, qui exprimait une opinion antimilitariste et pacifiste à la veille de la Première Guerre mondiale avant de basculer très tôt dans l'Union sacrée (et de sombrer plus tard dans des considérations fascistes). Il avait été repris soixante-dix ans plus tard par un groupe d'extrême-gauche, qui se divise à propos du soutien à accorder au négationniste Robert Faurisson. Précisons tout de suite que Romaric Godin ne se revendique ni de l'une ni de l'autre publication : alors, de quelle guerre sociale s'agit-il ici ? L'auteur la définit comme le résultat d’une double dynamique : la poussée du néolibéralisme d'un côté, la « résistance du corps social » de l'autre. Elle se présente «comme une guerre sourde, intellectuelle, politique et sociale, qui chaque jour se joue dans les entreprises, dans les discussions politiques et dans les choix qui en découlent ». Si elle peut dégénérer en affrontements physiques, « son acuité dépend de la progression du projet néolibéral » (p. 10). On mesure alors le rôle que joue la propagande dans cette opposition : même si Romaric Godin n'y fait allusion tout de suite, on sent bien que sa définition met en avant que la possession des médias dominants se révèle être un élément particulièrement essentiel de cette guerre du capital contre le travail — l'offensive menée par Bolloré l'illustre parfaitement. Quant au néolibéralisme, il s'agit d'une idéologie qui s'est développée depuis les années 1970 (p. 9 et suiv.), réaction à la baisse du taux de profit qui a marqué le rééquilibrage entre capital et travail depuis la Seconde Guerre mondiale. « Ce paradigme défend l'idée que l'État doit, dans l'intérêt général [cette idée sert de justification permanente, comme on le verra plus loin], se placer du côté du capital pour favoriser la création de richesses à partager par une marchandisation élargie de la société ».

La question se pose alors de comprendre pourquoi ce mouvement néolibéral n'a pas encore tout emporté, puisqu'il est à l’œuvre depuis près de cinq décennies. La thèse de Romaric Godin tient à la conscience qu'ont eue des gouvernements de fournir des contreparties au monde du travail à chaque fois qu'une mesure importante (travestie sous le nom de « réforme ») était prise en faveur du capital. Un certain équilibre était plus ou moins maintenu, cachant de plus en plus mal le dépeçage des acquis (ou conquis) sociaux. Or, toujours l'auteur, on en est arrivé à un point de rupture (une « radicalisation du projet néolibéral », pour reprendre ses mots) avec l'avènement au pouvoir d'E. Macron, en tant que ministre des Finances et plus encore en tant que président de la République. De là l'idée d'une impasse multiforme qui prend la forme, les institutions de la V<sup>e</sup> République aidant, à une destruction des contre-pouvoirs, une exaspération de la population, une progression des thèmes de l'extrême-droite servant de chiffons rouges (si l'on peut dire…) agités pour distraire les électeurs de l'essentiel.

Bien évidemment, le propos de Romaric Godin s'arrête en 2019. Seules deux années du mandat présidentiel de Macron ont été analysées par l'auteur, qui en explore les fondements. La crise du COVID et le décret du « quoi qu'il en coûte » (à qui ? au profit de qui ?) n'ont fait que conforter ce qui est avancé par l'auteur.

Ce faisant, cette réédition tombe à pic. Non seulement l'ouvrage reste d'une parfaite actualité (et comment…) : il suffira au lecteur de confronter ce qu'il lira  aux éléments plus récents. Surtout, le déroulement de la campagne électorale montre que cette guerre sociale a été parfaitement intégrée au discours de droite et d'extrême droite, dont les candidats proclament haut et fort qu'il faut renforcer les moyens de répression (sous couvert de « sécurité », bien sûr). 

Quoi qu'il en soit, La Guerre sociale doit faire partie du bagage de l'honnête citoyen, en ce qu'il permet de l'éclairer sur les tenants et les aboutissants de ce qui se passe, et d'ôter les faux-nez des Tartuffes. Si on avait besoin d'un ouvrage de salut public, en voilà un.

Jean-Yves Le Naour (sc.), Iñaki Holgado et Marko (ill.), Aretha Battistutta (coul.), <i>Le réseau Comète. La ligne d'évasion des pilotes alliés</i>, Bamboo, coll. « Grand Angle », 56 p., 31 mai 2023. ISBN 978 2 8189 9395 8

Présentation de l'éditeur . « Des centaines de résistants de « l’armée des ombres », discrets, silencieux, un « ordre de la nuit » fait...