Affichage des articles dont le libellé est Résistance. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Résistance. Afficher tous les articles

07/05/2022

Olivier Bertrand, Les Imprudents, Seuil, 7 mars 2019, 336 p., 19 €


Note de l’éditeur. « Le 3 mars 1944, les habitants d’un hameau perdu des gorges de l’Ardèche ont été fusillés à l’aube par des soldats SS, parce qu’ils avaient caché des maquisards. Dans ce village, il y avait quinze habitants, mais on y a retrouvé seize corps. Qui était ce seizième homme ? Personne n’avait jamais cherché à le savoir.

Ce livre débute comme une enquête, soixante-quinze ans après les faits, pour identifier l’inconnu. Sur place, les réticences à parler sont encore fortes. Mais peu à peu, les langues se délient, des habitants exhument des boîtes en fer contenant des photos, des carnets de notes, autant de souvenirs de famille qui permettent de mieux comprendre la lourde chape de silence qui s’était posée sur ces derniers mois de l’Occupation. Ces découvertes lancent l’auteur sur les routes, à la poursuite du maquis Bir-Hakeim, groupe atypique, nomade et intrépide qui, dans un périple héroïque et tragique, de Toulouse à la Lozère, fut cause de sombres tensions au sein de la Résistance intérieure et avec les populations civiles.

Une enquête originale, à la fois road-trip et récit historique sensible, sur un de ces « petits massacres » oubliés du printemps 1944.

Olivier Bertrand est journaliste et auteur de documentaires. Longtemps à Libération, il est l’un des cofondateurs du site d’information Les Jours, pour lequel il couvrait la Turquie, ce qui lui a valu d’y être incarcéré, puis interdit de territoire. Sa famille est originaire de l’Ardèche ».

 

Comme l’indique la présentation de l’éditeur, Olivier Bertrand est parti à la recherche d’un inconnu qui a été ajouté à la liste des quinze habitants du hameau des Crottes (comm. de Labastide-de-Virac, Ardèche), massacrés le 3 mars 1944 par des SS. On suit l’auteur dans sa réflexion, découvrant la façon dont travaille un journaliste, laquelle diffère sensiblement des méthodes de l’historien. Pour cela, Olivier Bertrand est parti des témoignages de personnes qu’il a pu rencontrer, qui ont pu être confrontées directement ou indirectement aux faits. Il ne néglige pas pour autant de s’informer auprès de descendants de protagonistes. En plus des paroles, il recueille ainsi quelques documents, ce qui l’amène à constituer un réseau d’indices qu’il cherche à confronter les uns aux autres pour découvrir l’identité de l’inconnu des Crottes.

Ce faisant, Olivier Bertrand reconstitue la formation du maquis Bir-Hakeim, affilié à l’Armée secrète et commandé par Jean Capel. On en voit le développement et son parcours géographique, entre la Haute-Garonne, l’Hérault, le Gard et l’Ardèche, etc. Il nous apprend comment ses membres ont pu être recrutés, équipés, instruits.  On voit également les coups de main audacieux (en même temps que la nonchalance) que le groupe a pu organiser, ce qui a pu lui valoir une renommée certaine mais qui explique aussi les déplacements qu’il a dû effectuer. On voit aussi le concours apporté par la population civile en même temps que les réticences, sans exclure la gendarmerie locale. L’auteur ne néglige pas les cas de délation, et leur répression par les groupes résistants, d’autant qu’on les trouve aussi au sein de Bir-Hakeim. Cela explique que le groupe ait pu être localisé avec précision, par les forces de l’ordre françaises, la Milice et les services allemands. On voit aussi comment les massacres de civils ont pu être commis par les troupes d’occupation.

De fil en aiguille, Olivier Bertrand parvient à découvrir des objets ayant été retrouvés sur le corps du résistant tué, notamment un mouchoir avec les initiales « J.P. ». On lui confie une photo, avec un surnom : « grand-père ». Il apprend que l’inconnu est lié à Nice, à la Normandie, qu’il pouvait être juif. Surtout, il a accès aux archives de la famille de Roquemaurel : Christian de Roquemaurel (alias « RM ») et Marcel de Roquemaurel furent parmi ceux qui s’adjoignirent les premiers à Jean Capel pour fonder Bir-Hakeim. 

À l’auteur ensuite de vérifier ces pistes, ce qui s’avère assez difficile. Le fin mot de l’histoire lui sera donné par les archives, là où un historien aurait commencé (à condition d’avoir des indices de base), notamment par les dossiers conservés par le service historique de la Défense. On s’étonne d’ailleurs qu’Olivier Bertrand ne se soit pas tourné plus tôt vers les notices biographiques rassemblées dans le « Maitron des fusillés » (Dictionnaire biographique des fusillés, guillotinés, exécutés, massacrés. 1940-1944), rédigées par André Balent, et surtout qu’il n’en ait pas fait un usage plus important : une partie de ses interrogations auraient tout de suite pu être résolues. André Balent y avait pourtant déjà publié des fiches extrêmement bien renseignées sur les hommes et les lieux (la notice sur Labastide a été publiée en novembre 2016) dont il est question dans l’ouvrage, mais bien d’autres encore qui auraient pu permettre de rendre la complexité du maquis Bir-Hakeim, tant dans son organisation que dans ses actions. De cela, le livre n’a retenu qu’une partie, et notamment les faits les plus spectaculaires (l’attaque du dépôt de la police à Montpellier. Il est vrai que la quête de l’auteur concerne un personnage ; mais le maquis auquel il appartint aurait mérité qu’on en sache davantage. Rien ou presque n’est dit de la fin du groupe, après les épisodes du mas de Serret et des Crottes, et surtout après les combats de La Parade (Lozère) au cours desquels Jean Capel trouva la mort. À ce titre, le récent ouvrage de Joël Drogland, Des Maquis du Morvan au piège de la Gestapo. André Rondenay, agent de la France libre, reste une référence dans sa capacité à restituer la complexité de groupes de résistance au travers d’un personnage. À la défense d’Olivier Bertrand, l’histoire du maquis Bir-Hakeim est d’une extraordinaire complexité et qu’il reste encore beaucoup à découvrir sur ce qu’elle a été. Raison de plus pour être prudent.

En dépit de quelques erreurs factuelles (le chef de la Milice curieusement nommé « Darland » au lieu de Darnand, p. 121, etc.) et faiblesses méthodologiques, on suit le cheminement de l’auteur vers la découverte de la vérité, au prix de fausses pistes et d’interprétations parfois rapides, ou de formules qui peuvent faire passer des hypothèses pour la réalité (dans la description des comportements, etc.). L’historien ne peut que tiquer. Le lecteur, en revanche, se laissera porter par le récit car l’ouvrage se lit très aisément, à la façon d’un roman policier, d’autant qu’il repose sur des faits historiques et fait écho à de nombreux massacres perpétrés sur l’ensemble du territoire, notamment en 1944. On sait gré à Olivier Bertrand d’avoir placé son travail dans une perspective plus générale. Si rien n’est dit des relations entre Londres et Bir-Hakeim (ce qui laisse supposer que le maquis agit en parfaite indépendance, y compris à l’égard des autres groupements), l’auteur relie son récit par exemple aux décisions allemandes, notamment ce qu’il appelle « l’ordonnance Sperrle-Herlass » publiée le 3 février 1944. Il s’agit en réalité d’un décret du commandant du commandant en chef à l’Ouest, signé par le général Sperrle, le 3 février, qui fut complété par une autre décision prise après le débarquement en Normandie, le 8 juin1 . Ce dernier décret visait spécifiquement le sud de la France, et incitait très explicitement à y exercer une répression d’une « dureté impitoyable ». L’effort de guerre se portait donc indistinctement contre les populations civiles aussi bien que contre la Résistance, avec les conséquences que l’on sait : des peines collectives pour lutter contre les bandes terroristes (auxquelles on dénie le caractère militaire) ; fusiller les résistants au moment de leur capture ; aucune sanction envers des soldats allemands, même en cas d’exactions contre des civils. La porte était donc ouverte aux atrocités qui, ainsi légitimées, n’ont pas manqué de se développer. Olivier Bertrand confirme les méthodes utilisées : encerclement des villages ou hameau suspectés ; exécutions sommaires ; pillages ; incendies. Le scénario qui s’est concentré sur le seul nom d’Oradour-sur-Glane, s’est donc répété maintes fois avant le drame du 10 juin 1944.

 

Note

1.François Marcot (dir.), Dictionnaire historique de la Résistance, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2006, p. 780.

18/02/2022

Dimitri Manessis et Jean Vigreux, Rino Della Negra, footballeur et partisan, éd. Libertalia, coll. « Poche », 3 février 2022, 246 pages (cahier iconographique de 24 pages), 10 €. ISBN : 978 237 729 2417

 

Propos de l'éditeur. « Vie, mort et mémoire d’un jeune footballeur du « groupe Manouchian »

« Vous n’avez réclamé ni la gloire ni les larmes [...]

Vous vous étiez servi simplement de vos armes ».

Sportif exceptionnel brisé à l’âge de 20 ans, alors qu’il venait d’être recruté par le prestigieux club du Red Star, Rino Della Negra n’a jamais pu exprimer tout son talent de footballeur. Réfractaire au STO, membre du groupe Manouchian (FTP-MOI), martyr de la liberté fusillé par les nazis au Mont-Valérien le 21 février 1944, le jeune résistant plaçait les valeurs d’antifascisme et de solidarité au-dessus de tout. Cette étude inédite et fort documentée, par deux historiens du mouvement social, analyse la vie et la mémoire d’une icône du football populaire et du combat émancipateur.

Loin d’une conception surannée de « l’identité nationale », la biographie de Rino Della Negra s’intègre dans l’histoire d’un pays qui a su accueillir l’étranger, se construire grâce aux échanges multiples, et dont les membres des FTP-MOI ont pu écrire l’une des pages les plus lumineuses.

Dimitri Manessis est docteur en histoire ; Jean Vigreux est professeur d’histoire contemporaine à l’université de Bourgogne Franche-Comté ».


Le 15 décembre 2020, Dimitri Manessis soutenait une thèse (dirigée par Jean Vigreux) portant sur « Les secrétaires régionaux du Parti communiste français, du tournant antifasciste à l'interdiction du parti (1934-1939) ». A priori, rien à voir avec le football, ni avec la Résistance. Ce serait oublier l'arrière-plan du présent ouvrage, que restituent les deux auteurs. 

De quoi s'agit-il ? La présentation faite par l'éditeur indique tout de suite l'appartenance de Rino Della Negra au groupe FTP Missak Manouchian. Cela nous remet tout de suite en tête l'affiche rouge, diffusée après l'exécution du 21 février 1944 par les autorités d'occupation et Vichy pour discréditer la Résistance. Or, des « vingt et trois » fusillés (comme l'écrivait Louis Aragon dans ses Strophes pour se souvenir , 1955), les propagandistes n'ont retenu que dix photographies pour illustrer ce qu'ils ont appelé l'armée du crime : Szlama Grzywacz, Tomas Elek, Wolf Wasjbrot, Robert Witchitz, Moska Fingercweig, Joseph Boczor, Spartaco Fontanot, Celestino Alfonso, Maurice Rajman et Missak Manouchian. S'il apparaît dans le film L'Affiche rouge, de Frank Cassenti (1976), sous les traits de Bruno La Brasca (p. 211), Rino Della Negra semble absent (sauf erreur) du film de Robert Guédiguian (L'Armée du crime, 2009) et du livre de Didier Daeninckx (Missak, 2009). C'est dire s'il paraît être en retrait dans le groupe. L'inscription deupersonnage dans la mémoire collective s'est pourtant faite, ce qui occupe une bonne partie de l'ouvrage. Les deux auteurs montrent que son nom est bien sûr associé au football, avec une tribune bordant la pelouse du Red Star, comme il a été donné à des rues et qu'on retrouve sur des monuments, des plaques, la salle de quartier de Mazagrande à Argenteuil (avant 2001), etc. Cette mise en mémoire commence très tôt, le 4 novembre 1944, avec la cérémonie qui marque le rapatriement des restes de Rino Della Negra au cimetière d'Argenteuil, dans le carré des « morts pour la France ». Dimitri Manessis et Jean Vigreux montrent que la mémoire du résistant investit plusieurs cercles : la famille ; les martyrs de la Résistance ; les cercles immigrés, italiens en particulier ; le Parti communiste, avec l'organisation de compétitions sportives par la FSGT (Fédération sportive et gymnique du travail), etc. Elle investit des lieux : Vimy, le lieu de naissance de Rino Della Negra ; Argenteuil, là où il a vécu… On a donc à faire avec un résistant intéressant de par sa position mémorielle, tantôt associé au groupe Manouchian, tantôt célébré dans sa singularité : celle d'un sportif très prometteur, mais aussi celle d'un fils d'immigrés.

Cette biographie se lit très facilement : le lecteur béotien s'y retrouvera sans problème. Surtout, il permettra aux étudiants et à ceux que la Résistance intéresse d'avoir un ouvrage de synthèse très précis. Il repose sur un fonds documentaire très important, dévoilé en partie dans les annexes du volume. On appréciera d'ailleurs le cahier iconographique, qui montre notamment les différentes facettes mémorielles de Rino Della Negra. Les analyses faites montrent aussi une constante volonté d'objectivité de se tenir à distance de ce qui a été dit sur le groupe Manouchian, les FTP, etc., ce qui a amené les auteurs à une critique des thèses de personnages comme Franck Liaigre.

19/08/2020

Harry Mulisch (sc.), Milan Hulsing (ill., couleurs), L’Attentat , La Boîte à bulles, 19 août 2020, 176 pages, 22 €, 176 pages. EAN 9782849533116


Présentation de l’éditeur. « Un soir de janvier 1945 à Haarlem, alors que les Pays-Bas sont encore occupés, Anton Steenwijk, douze ans, voit sa vie s’effondrer. Fake Ploeg, un collaborateur nazi tristement célèbre pour sa cruauté est abattu dans la rue par des résistants hollandais. Le corps est retrouvé devant la porte de la maison familiale des Steenwijk. En représailles les Allemands brûlent la maison et assassinent les parents et le frère aîné. Des années plus tard, Anton devenu médecin offre l’image d’une tranquille réussite. Et pourtant, dans l’apparente quiétude de sa vie, des rencontres fortuites, des moments de crise font revivre le drame… jusqu’à ce qu’Anton apprenne finalement ce qui s’est réellement passé cette nuit-là, en 1945 — et pourquoi ».

 

28/10/2016

Gilles Perret, La Sociale, Rouge productions (prod. et diff.), 1 h 24, 9 novembre 2016

Gilles Perret, La Sociale, Rouge productions (prod. et diff.), 1 h 24, 9 novembre 2016
 
Présentation du diffuseur. « Il y a 70 ans, les ordonnances promulguant les champs d’application de la sécurité sociale étaient votées par le Gouvernement provisoire de la République. Un vieux rêve séculaire émanant des peuples à vouloir vivre sans l’angoisse du lendemain voyait enfin le jour. 
 
Le principal bâtisseur de cet édifice des plus humaniste qui soit se nommait Ambroise Croizat. Qui le connaît aujourd’hui ?
 
70 ans plus tard, il est temps de raconter cette belle histoire de « la sécu ». D’où elle vient, comment elle a pu devenir possible, quels sont ses principes de base, qui en sont ses bâtisseurs et qu’est-elle devenue au fil des décennies ?
 
Au final, se dresseront en parallèle le portrait d’un homme, l’histoire d’une longue lutte vers la dignité et le portrait d’une institution incarnée par ses acteurs du quotidien ». 
 

06/08/2015

Vincent Goubet, Faire quelque chose. Avoir Vingt ans en 1940, suivi de Et le mot frère, et le mot camarade, éd. Les Mutins de Pangée, 2013, 80', 20 €

Vincent Goubet, Faire quelque chose. Avoir Vingt ans en 1940 (avec livret, 64 p.), suivi de Et le mot frère, et le mot camarade, éd. Les Mutins de Pangée, 2013, 80', 20 €

 

  Présentation du diffuseur. « À la rencontre de résistants français de la Seconde Guerre mondiale. Le réalisateur recueille la parole de ces nonagénaires saisissants par leur vivacité d’esprit et la force intacte de leurs espérances. Des femmes et des hommes, qui, au début des années 40, étaient parfois plus proches de l’adolescence que de l’âge adulte. Certains n’ont jamais connu la peur, d’autres ont vécu avec elle jour et nuit. Certains ont pris des risques énormes pour faire paraître un tract, quand d’autres ont choisi la grenade. Ce qui les rapprochait était le choix de ne pas subir et la volonté irréductible de faire quelque chose. Ces échanges font évoluer le temps du film et nous questionnent sur ce que peut être l’engagement aujourd’hui.

Le Dvd est composé du film Faire quelque chose de Vincent Goubet et du film Et le mot frère et le mot camarade de René Vautier, accompagné d’un livret de 64 pages sur la Résistance. ».

 

06/11/2013

Gilles Perret, Walter. Retour en Résistance, et Les Jours heureux. Quand l’utopie des résistants devint réalité


Gilles Perret, Walter. Retour en Résistance, et Les Jours heureux. Quand l’utopie des résistants devint réalité, C-P Productions (diffusion : Les Mutins de Pangée), 2010 et 2013
Une fois n’est pas coutume, le compte rendu portera sur deux œuvres, étroitement associées. On les reliera à un troisième film, celui de Vincent Gauchet, Faire quelque chose. Avoir Vingt ans en 1940, qui a fait l’objet d’une précédente recension.
 
Walter. Retour en Résistance
concerne un personnage assez singulier, même le film montre qu’il ne se conçoit pas du tout comme cela, bien au contraire. Mais c'est précisément de sa banalité que surgit sa singularité. Résistant FTP dès 1943, il est resté fidèle au parti communiste ; mais il dit que, fréquentant le patronage, il aurait très bien pu participer à un mouvement chrétien. Le hasard en a voulu autrement. Ironiquement, on pourrait dire que son chemin a croisé deux religions : il y a pris qui était laïque. Pour autant, il ne regrette absolument rien. Il justifie d’ailleurs sa fidélité idéologique par ces mots : « Je suis entré pour l’idéal que représentait le communisme, quels que soient les dirigeants et leurs erreurs ».
On peut se demander ce qui a attiré l’attention de Gilles Perret : il se trouve simplement que ces deux-là sont voisins. L’effet de proximité joue à plein dans ce film : l’auteur entre chez Walter Bassan (c’est son nom) et l’accompagne partout. On comprend que l’utilisation du seul prénom dans le titre du film est un reflet de cette familiarité, mais aussi de la sympathie qu’éprouve le réalisateur pour son voisin. Pour autant, on aurait du mal à parler de connivence, dans son sens négatif. Au contraire, Gilles Perret donne de Walter un portrait tout en retenue, même si on sent bien que leur façon de voir le monde s’accorde. Pendant l’inauguration d’un musée par Bernard Accoyer et les discours officiels, les deux sont à l’extérieur, comme en dehors des conventions auxquelles il faudrait souscrire.

Qui est Walter Bassan ? Né le 5 novembre 1926 à Rovigo (Italie), sa famille fuit ensuite le régime fasciste pour migrer. On l’a dit, Walter Bassan est résistant, avec une vingtaine de camarades très jeunes (la plupart n’ont pas vingt ans). Mais au moment où il s’engage, cela n’a pas un sens profond pour lui. Il distribue des tracts ; il échappe aux poursuites nocturnes dans les rues : c’est plutôt un jeu, pour un garçon de 17 ans, qu’une lutte consciente. Dénoncé avec d’autres, il est arrêté par la Milice le 23 mars 1944, transféré à l’intendance d’Annecy puis à la prison Saint-Paul, à Lyon, où il est « interrogé » (pour utiliser le mot convenu, mais qui ne dit rien des souffrances endurées). Il est déporté par convoi I. 234 parti de Lyon le 29 juin 1944 vers Dachau le 29 juin 1944 (convoi I 234), où il arrive le 2 juillet. 350 hommes rentreront onze mois plus tard, sur les 720, essentiellement français1 . Au départ, il ne sait pas ce qu’il va advenir de lui, ni même ses camarades : on se figure aller travailler à l’Est. Les premières images du camp provoquent un profond traumatisme. Walter Bassan (matricule 75823) évoque les coups, dont on se protège au mieux, car l’infection des plaies est synonyme de mort. Il évoque aussi la solidarité : une cuillerée de la maigre soupe va à ceux qui ont le plus besoin. Mais cela s’avère souvent insuffisant : le frère aîné de Walter, Serge Bassan, déporté en même temps que lui, il en est rapidement séparé : Walter part pour le kommando de Kempten ; Serge est transféré à Weißensee (kommando dépendant de Dachau), et il meurt dans celui d’Ohrdruf (qui dépend de Buchenwald) le 2 mars 1945. Walter est libéré le 29 avril à Füssen.
Toujours vivant, Walter Bassan préside la Fédération nationale des déportés et internés, Résistants et patriotes (FNDIRP). Il participe à l’activité de l’association CHRA (Citoyens résistants, d’hier et d’aujourd’hui) : c’est bien là le cœur du film de Gilles Perret. On suit Walter Bassan accompagnant des élèves dans la visite de la prison Saint-Paul et à Dachau : il aide à la compréhension de cette époque et œuvre au travail de mémoire. On le suit également sur le plateau des Glières, dont un candidat à la présidence de la République a voulu faire son éphémère Roche de Solutré2 , ce qui a eu pour effet de lancer une contre-manifestation qui se prolonge encore aujourd’hui. Ainsi, le 13 mai 2009, environ trois mille personnes s’y sont rendus à l’initiative de CRHA, avec, parmi elles, de grands noms de la Résistance : Raymond Aubrac, Stéphane Hesse et d’autres ont cherché à rendre toute sa dignité à ce lieu, en rappelant les valeurs pour lesquelles ils s’étaient battus et la programme du Conseil national de la Résistance du 15 mars 1944, mis à mal par le MEDEF et le gouvernement d’alors 3 .

C’est sur ce point que Walter rejoint Les Jours heureux. Ce deuxième film prend pour cadre de départ le dernier déplacement de N. Sarkozy aux Glières, au cimetière de Morette, en mai 2011 (sans que celui-ci se doute que ce voyage sera le dernier). Gilles Perret en profite pour révéler le degré d’inculture de quelques participants et la façon dont ils appréhendent la cérémonie. Chacun invoque en effet un devoir de mémoire, expression qui reste très vague dans leur esprit. Mais les limites sont vite atteintes quand il s’agit d’aborder ce qu’est le CNR, et plus encore le programme du 15 mars 1944 (sur l’élaboration de quoi revient Gilles Perret). Interrogé hors de ce contexte, ceux qui s’affirment être les héritiers du gaullisme montrent les mêmes insuffisances, tordant complètement ce qu’est ce texte. Selon J.-F. Copé, par exemple, « la génération de la deuxième guerre mondiale, on risquait l’arrestation, le déportation, la faim, la soif, la mort. Aujourd’hui, notre sujet, c’est d’éviter le non-remboursement du Doliprane. Je demande qu’on remette tout ça en justes proportions, qu’on comprenne que le premier message du Conseil national de la Résistance, c’est le salut du pays viendra de l’effort que chacun mènera au service de lui-même mais aussi de notre pays, la France. C’est ça, le message du CNR ». Fr. Bayrou (non gaulliste) ne dit pas autre chose.
L’historien médiéviste Offenstadt, interrogé, indique clairement que cela reflète une manière romanesque d’appréhender le passé, constitué de grandes figures, de grands événements, de façon à se placer dans une continuité aseptisée, idéalisée, qui évite toute approche critique, toute tension, ce qui contribue à « désinscrire les gens de leur contexte social » et à saisir les véritables enjeux.
Et l’enjeu, ici, est de comprendre l’importance politique du programme du CNR, que les partisans du néo-libéralisme s’efforcent de réduire depuis les années 1970-1980, selon l’économiste Christophe Ramaux, par le biais de la privatisation de la protection sociale, des services publics, de la flexibilisation du droit du travail, et de la remise en question des politiques publiques. Cela prend l’aspect de la libéralisation financière, du libre-échange, de la mise en concurrence, de l’austérité salariale, de la contre-révolution fiscale (les plus aisés doivent payer moins d’impôts).
Il est aussi de comprendre quelle a été la portée de ce texte, approuvée par des représentants syndicaux et politiques, de gauche et de droite, et évidemment ceux des formations résistantes. Il comprend deux parties : un plan d’action immédiate (dont le but est la libération du territoire), dont le sens est donnée par le projet politique à appliquer après-guerre. Par son ambition, il est révolutionnaire, sans proposer d’abolir le capitalisme pour autant. Sa mise en œuvre est rendue possible par le contexte : la droite collaborationniste est à terre ; la droite modérée a signé le programme ; de Gaulle accepte les mesures d’étatisation, conforme à son approche colbertiste ; la guerre froide n’est pas encore tout à fait engagée ; et il n’y a pas encore de constitution, ce qui laisse les coudées franches à des gens comme Pierre Laroque, qui lance la Sécurité sociale en octobre 1945.
C’est cette portée qu’expliquent les résistants qui participent aux  rassemblements annuels des Glières. Raymond Aubrac indique clairement en 2009 que « le combat des Glières, c’est une promesse d’avenir, qui s’exprime à cette époque-là, dans le monument de la résistance qu’on appelle le programme du CNR ».

Au-delà de la défense de ce texte important, c’est aussi une conception du monde qui réunit les protagonistes de ces deux films, qui entendent poursuivre leur combat contre l’injustice et les inégalités, ce que Daniel Cordier résume bien : « Jusqu’à la fin du monde, vous aurez — hélas — des opprimés. Eh bien, si vous vous battez pour leur libération, pour leur avantage — je ne veux pas dire leur domination —, mais si vous vous battez pour eux, vous ne vous trompez jamais ».


  • 1. Source : http://www.bddm.org/liv/details.php?id=I.234
  • 2. Il s’y était rendu à la veille des élections, en 2007 et avait déclaré vouloir y revenir chaque année. Sa défaite l’a amené à réviser sa promesse : on ne l’y a plus revu depuis 2012.
  • 3. Il n’en fut malheureusement pas l’initiateur — la mise au pas de la Sécurité sociale commence avec les ordonnances Pompidou de 1967 —, ni le seul, ni le dernier. Mais il soutint la politique du MEDEF de démantèlement du programme du CNR, ouvertement combattu par le vice-président de cette organisation, dénis Kessler : « Le modèle social français est le pur produit du Conseil national de la Résistance. Un compromis entre gaullistes et communistes. Il est grand temps de le réformer, et le gouvernement s’y emploie. Les annonces successives des différentes réformes par le gouvernement peuvent donner une impression de patchwork, tant elles paraissent variées, d’importance inégale, et de portées diverses : statut de la fonction publique, régimes spéciaux de retraite, refonte de la Sécurité sociale, paritarisme… À y regarder de plus près, on constate qu’il y a une profonde unité à ce programme ambitieux. La liste des réformes ? C’est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. Elle est là. Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ! ». Challenges, nº 94, 4 octobre 2007, p. 38.

Jean-Yves Le Naour (sc.), Iñaki Holgado et Marko (ill.), Aretha Battistutta (coul.), <i>Le réseau Comète. La ligne d'évasion des pilotes alliés</i>, Bamboo, coll. « Grand Angle », 56 p., 31 mai 2023. ISBN 978 2 8189 9395 8

Présentation de l'éditeur . « Des centaines de résistants de « l’armée des ombres », discrets, silencieux, un « ordre de la nuit » fait...