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20/05/2022

Amity Shlaes, Paul Rivoche (ill.), Claire Martinet (tr. fr.), The Forgotten Man. Nouvelle Histoire de la Grande Dépression, Steinkis, 14 février 2018, 320 p., 22 €. ISBN : 9782368461754


Présentation de l'éditeur. «
L’adaptation d’un ouvrage économique de référence sur la Grande Dépression [Robert Crais, The Forgotten Man : A New History of the Great Depression, traduit en français par Hubert Tézenas, et publié notamment en poche chez Pocket, 2007, sous le titre : L'Homme sans passé], traduit en allemand, en italien, en chinois, en coréen et en japonais, The Forgotten Man : A New History of the Great Depression est utilisé comme support pédagogique dans les écoles et universités américaines.

1929. Les États-Unis plongent dans une crise sans précédent. L’Amérique sombre et ressemble à l’Angleterre de Dickens… Prenant à rebours l’historiographie classique qui fait la part belle au New Deal, l’angle d’Amity Shlaes est celui de la petite histoire, de l’anecdote et du détail. Elle décrypte l’envers du New Deal et propose une analyse à hauteur d’homme. Captivant, original, révisant complètement notre point de vue sur la Grande Dépression, The Forgotten Man est un ouvrage de référence et un outil pour analyser notre époque contemporaine ».

 

 

Les éditions Steinkis ont fait un pari ambitieux en publiant une version française de The Forgotten Man, pour ce qui est du graphisme et du fonds.

Précisons tout de suite qu’Amity Shlaes a une formation d’économiste. Sa sensibilité la place du côté des libertariens, qui font de la liberté individuelle la valeur sur laquelle doit être fondée une société. En conséquence, l’État doit être réduit à sa plus simple expression. En résumant peut-être de façon excessive, on a là une forme de libéralisme exacerbée.

Amity Shlaes fait aussi partie de la Fondation présidentielle Calvin Coolidge (qui a précédé Franklin D. Roosevelt à la Maison blanche), ce qui est un autre élément important pour comprendre The Forgotten Man.

Il s’agit d’une adaptation graphique de l’ouvrage éponyme paru en juin 2007, traduit dans plusieurs langues. L’objectif est, comme le sous-titre le suggère fortement, de faire pièce à l’interprétation habituelle du New Deal1. Faut-il le croire quand il prétend être une « nouvelle Histoire de la Grande Dépression » ? On sait que les avancées sociales et économiques obtenues à partir de 1933 ont été combattues dès cette époque, notamment par l’école de Chicago et Milton Friedman. Partisan de la politique de Roosevelt (et porte-parole du Trésor), il en est devenu l’un des contempteurs les plus virulents ; son ouvrage Capitalisme et liberté (paru en 1962) a fait date, et reste une référence essentielle. Ajoutons l’opposition de Friedrich Hayek au keynésianisme1 , qui a aspiré le New Deal. Bref, en matière de nouveauté, on ne voit pas bien ce qu’Amity Shlaes apporte. Cette impression est renforcée par le choix de l’illustrateur, Paul Rivoche. Ses dessins sont en noir, et le trait rappelle les comics des années quarante, notamment ceux qui traitaient des super-héros. Cela permet toutefois au lecteur d’être plongé dans un univers graphique qui ne lui est guère familier, un brin désuet.

L’histoire est menée par Wendell Willlkie, qui donne son interprétation des années trente à une éditrice qui est aussi une éditorialiste (au New York Times) en vue, Irita Bradford Van Doren, dont il est très proche. Démocrate, il soutient activement la candidature de Roosevelt. Devenu président d’une importante compagnie de production électrique en 1933, ses intérêts sont bousculés par la mise en œuvre de la Tennessee Valley Authority, société publique constituée par le gouvernement fédéral pour développer la production de la même énergie, mais à un prix de consommation moindre. Wendell Willkie devient alors opposant au New Deal, passe au parti républicain, à tel point qu’il est désigné pour le représenter lors des élections présidentielles de 1939.

Dès lors, on voit sur quels sentiments s’appuie son interprétation des faits. Il décrit la société américaine aux mains d’un État omniprésent, dont la puissance ne cesse de se renforcer. L’argument d’une soviétisation est évidemment amené, s’appuyant notamment sur le voyage en URSS de conseillers du nouveau président, en 1927 : Paul Douglas, Rexford Guy Tugwell, Start Chase. Willkie fait ainsi de la coopérative agricole Casa Grande (Arizona) le symbole de ce que les États-Unis sont en train de devenir, avec ses paysans dépossédés, sans ambition, travaillant à peine dans un cadre collectif inadapté. Cette dénonciation de l’omnipotence de l’État, insoucieux des conséquences de son administration calamiteuse, est à l’image de ce qu’on peut lire dans Atlas Shrugged 2 , le roman d’une autre libertarienne, Ayn Rand.

Le récit est chronologique. Les auteurs ont pris soin de rappeler à chaque fois l’évolution du taux de chômage et de l’indice Dow Jones, pour bien marquer l’échec patent du New Deal. Ils font de cette politique une suite de mesures sans cohérence les unes par rapport, Roosevelt se laissant porter par ses conseillers et par ses lubies. Lui-même n’apparaît que comme une ombre, un fantôme malfaisant qui a fait main basse sur le pays. Au contraire, son prédécesseur républicain, Calvin Coolidge, est montré comme l’auteur des initiatives qui ont été ultérieurement couronnées de succès. En somme, la voie était déjà tracée par ce républicain qui n’a pas démérité, mais que l’électorat a délaissé au profit d’un démagogue qui a su trouver les mots pour l’emporter. Rien n’est dit, cependant, des réélections de Roosevelt jusqu’en 1944, alors que le titre du livre semble suggérer qu’il n’a rien fait pour ce Forgotten Man, expression vague désignant symbolisant les «obscurs et les sans-grade» chers à un populiste français, que les classes moyennes menacées de déclassement.

On voit clairement le parti pris idéologique de l’ouvrage. L’avant-propos indique qu’«il est enseigné dans les écoles et universités américaines» : on frémit à l’idée qu’il soit utilisé sans un solide appareil critique. Toutefois, si l’on doit accorder un mérite à ce livre, c’est effectivement d’apporter un contre-point à la version du New Deal. Il délaisse cependant des éléments importants de la politique de l’administration de Roosevelt, notamment le Social Security Act, l’extension des libertés syndicales, les initiatives visant à protéger les travailleurs et les agriculteurs, etc. Ces éléments doivent être réintroduits pour avoir une vision plus objectives des choses. On y ajoutera le travail de l’historien Howard Zinn pour faire bonne mesure.

Enfin, cette hésitation à en recommander la lecture à des élèves repose repose également sur le caractère très dense de l’histoire, qui requiert une bonne connaissance du contexte (ce qui permettra de conserver un indispensable recul critique). La multiplicité des personnages, que le dessin ne permet pas toujours de bien distinguer, vient renforcer ces préventions.

 

Notes

1. Fr. Hayek, Droit, législation et liberté, PUF, coll. « Quadrige », 2007.
2. Paru en 1957, l’ouvrage a été traduit en français sous le titre La Grève, 2011 et 2017 (éd. Les Belles Lettres ; tr. fr. : Sophie Bastide-Foltz). L’auteur montre ce que devient un pays dominé par l’État, et ce qui se passerait si la meilleure partie de la société, à commencer par les patrons, en venait à quitter leurs fonctions.

 

Kelly Nyks, Peter D. Hutchinson, Jared P. Scott, Malcolm Francis (compositeur), avec la participation de Noam Chomsky, Requiem pour le rêve américain, Les Mutins de Pangée, sept. 2018, 71', 10 €


 Présentation de l’éditeur. « COMPRENDRE CE QUI NOUS ARRIVE. 

Avec la force d’une analyse toujours très argumentée et documentée, le célèbre linguiste américain Noam Chomsky s’exprime sur les mécanismes de concentration des richesses, avec une lucidité contagieuse. Il expose clairement les principes qui nous ont amenés à des inégalités sans précédent, retraçant un demi-siècle de politiques conçues pour favoriser les plus riches. Une boite à outils pour comprendre le Pouvoir et gagner beaucoup de temps ».


Le sous-titre de ce nouveau DVD édité par Les Mutins (disponible également en VOD et en téléchargement sur leur site) est plus révélateur du contenu du film que le titre ne le laisse paraître. Bien sûr, il est question des États-Unis, mais on peut tirer de l’entretien avec Noam Chomsky des enseignements valables pour la France et bien d’autres pays.  On se reportera à l’ouvrage qui reprend le propos du film : Noam Chomsky, Requiem pour le rêve américain [Requiem For The American Dream], Flammarion, coll. « Climats. Essais », 27 sept. 2017, 144 p., 14 €.

On ne fera pas l’injure de rappeler qui est Noam Chomsky, éminent linguiste américain au MIT, et militant de très longue date. Pour ceux qui n’en savent rien, ou pas grand chose, et ceux qui voudraient en savoir davantage, on se reportera à ses écrits mais aussi aux productions des Mutins. Le présent film donne d’ailleurs quelques-unes de ses interventions publiques dans les années 1960. Autrement dit, son expérience (avec son lot d’erreurs) donne suffisamment de crédit à l’analyse qu’il délivre ici, qui rejoint en cela bien d’autres auteurs.

Le film est très didactique, s’organisant sur la base de dix principes, qui conduisent à comprendre « les principes de la concentration de la richesse et du pouvoir ». En se basant sur l’exemple des États-Unis, Noam Chomsky démontre en quoi les concepteurs du projet politique américain a, dès l’origine, cherché à limiter fortement la démocratie : en se méfiant du peuple, le pouvoir ne devait revenir qu’aux meilleurs, seuls aptes à comprendre et à agir dans l’intérêt de tous, d’où le choix d’un système basé sur la représentation par des élus, et non par les citoyens eux-mêmes. L’alliance entre le pouvoir politique et la richesse a de même tout de suite été conclue, engageant un cercle vicieux : pour être élu, il faut avoir de l’argent ; en se tournant vers les entreprises, l’élu ne pourra pas faire moins que les favoriser, etc.

Il a fallu attendre les années soixante pour voir s’organiser des franges de la population qui étaient jusque là passives, et voir progresser les « droits des minorités, ceux des femmes, la défense de l’environnement, le combat contre la violence, l’empathie pour les autres ». Mais s’est ensuivi une forte réaction consécutive des possédants et des conservateurs pour ne pas perdre leurs positions. Le mémorandum de Lewis Powell (août 1971) a alerté sur les dangers de cette situation : le monde des affaires risquait de perdre le contrôle de la société, notamment de la jeunesse qu’il faut reprendre en main (par le biais d’un contrôle des universités et des écoles) et de l’opinion publique (par la télévision et toutes les formes de communication). Pour Powell, l’« homme oublié » qu’est l’entreprise (voir la recension du très libéral The Fortoggen Man, publiée ici) exige qu’on lui redonne toute sa place et toute son influence, en utilisant tous les moyens : information, tribunaux, lobbies, etc. Il a donc été fait appel aux entreprises (les plus importantes) pour contrer et attaquer l’approfondissement de la démocratie. L’une des armes a été constituée par la Commission trilatérale, rassemblant des dirigeants et des intellectuels occidentaux (dont le sociologue français Michel Crozier, Samuel Huntington, etc.), qui a notamment publié The Crisis of Democracy (1975), qui s’émeut d’un « excès de démocratie » et des droits concédés aux « intérêts spéciaux » (entendez la majorité de la population, mais considérée comme autant de groupes sociaux qui ont obtenu une amélioration de leur sort). L’endoctrinement des jeunes est particulièrement jugé préoccupant : ils doivent être contenus.

La réaction s’engage également sur le terrain économique (principe 3. « Redessiner l’économie »), en donnant un rôle plus important aux institutions financières (banques, assurances, fonds de pension…). De fait, le résultat est aujourd’hui une « financiarisation de l’économie », les gestionnaires issus des grandes écoles de commerce ayant remplacé les ingénieurs à la tête des entreprises, dont l’objet est d’abord de satisfaire les actionnaires quel que soit le type de production. C’est à ce moment-là qu’il est mis fin à la séparation entre banques d’investissement et banques commerciales. La dérégulation débouche sur une instabilité : les crises se succèdent les unes aux autres, alors que le phénomène avait disparu entre les années quarante et soixante-dix. La mondialisation des échanges et le libre-échange sans contrôle a fait le reste : le capital doit circuler, principe qui ne vaut pas pour les hommes (sauf pour les élites). Les conséquences sociales ont été désastreuses, avec une mise en concurrence des salariés, toujours plus exploités.

À cela, on a ajouté un « déplacement du fardeau » (principe 4). Dans les années fastes et stables, les bénéfices étaient fortement imposés, ce qui a permis de développer un État-providence, et en particulier les conditions sanitaires, l’éducation, etc. La reprises en main amorcée dans les années soixante-dix y a mis fin. Les entreprises ont réussi à obtenir que « les charges » financières soient allégées en leur faveur, de façon à libérer l’investissement, avec ou sans contrepartie sur l’emploi. Aujourd’hui, des firmes comme Apple ne sont imposées qu’à hauteur de 8 %. En revanche, l’impôt a été aggravé pour le reste de la population, quelle qu’en soit la forme. Les services publics se sont dégradés. L’accès à l’université s’est ainsi fermé : dans l’après-guerre, les GI’s démobilisés ont pu bénéficier de bourses d’étude ; aujourd’hui, il faut s’endetter lourdement pour étudier, ce qui place les étudiants dans une situation de précarité et de dépendance à l’égard de leurs créanciers.

Dans le même temps, on s’en en pris à la solidarité (principe 5). La méthode est simple : alourdir les contributions et amoindrir les prestations. De cette façon, on a obtenu une insatisfaction de la population, laquelle s’est tourné vers des assurances privées. À la solidarité du groupe s’est substitué un système basé sur l’individu, seul face aux risques.

On a également assisté à un renforcement des intérêts économiques (le « marché ») pour mieux contrôler les législateurs (principe 6), par l’intermédiaire des groupes de pression (les « lobbies »). Le moment a été donné par l’adoption de mesures progressistes par l’administration Nixon, en faveur des consommateurs et des salariés, et également de l’environnement ; Chomsky considère que ce républicain a été le dernier président du New Deal. À partir de là, les lobbies n’ont eu de cesse que d’obtenir une dérégulation. Au mépris des principes du libéralisme, pourtant défendu par les entreprises, le gouvernement est constamment intervenu pour renflouer les pertes des sociétés en difficulté, ce qui est une perversion du système capitaliste. Autrement dit, le contribuable a été appelé au secours de ceux qui ont pris des risques inconsidérés et garantir les profits de ceux qui cherchent à échapper à l’impôt. Bien évidemment, l’endettement excessif des particuliers n’est pas pris en charge par les pouvoirs publics : il y a donc une double mesure.

Le principe 7 concerne la manipulation des élections. On a dit que la collusion entre les élus et les groupes économiques qui finançaient leurs campagnes électorales. Un degré a été franchi dans les années 1970, quand les entreprises ont obtenu un droit d’expression équivalent à celui des particuliers. cela s’est traduit par une absence de plafond pour le financement politique, entendu comme un moyen d’expression comme un autre. Sauf qu’il s’agit alors de défendre l’intérêt particulier face à l’intérêt commun. On peut donc facilement prédire qui pourra être le prochain président : celui qui aura obtenu davantage de dons que ses concurrents. Cela s’est vérifié lors des dernières élections présidentielles. Clinton avait reçu le plus de don ; si elle n’a pas été élue, en raison de l’archaïsme du système électoral américain, elle a tout de même eu deux millions de suffrages de plus que Trump. Plus encore, on voit que de grands groupes financent les uns et les autres, certains de s’y retrouver par la suite : il s’agit d’un investissement toujours rentable. L’électorat n’est pas dupe, ce qui explique la faiblesse de la participation aux élections. Il faut y voir aussi l’effet de la « maîtrise de la populace » (principe 8). Pour cela, il a fallu s’employer dès les années 1920 à détruire le syndicalisme, force démocratique importante contre les excès des entreprises. Il a cependant pu renaître à partir de 1935, mais la contre-offensive s’est vite fait ressentir, avec la loi Taft-Hardley (1947) qui limite les actions syndicales, et le développement du maccarthysme. Un sentiment anti-syndical a pu alors se diffuser dans la population : aujourd’hui, 7 % des employés privés sont syndiqués (comme en France). En même temps, on s’est acharné à sortir l’idée même d’une lutte des classes de l’esprit des Américains, en cherchant à « modeler le consentement » (principe 9). On s’est peu à peu rendu compte que la violence ne pouvait être un moyen efficace pour façonner les croyances et les comportements de l’opinion publique, et que des moyens plus subtils se révélaient beaucoup plus efficaces comme la consommation, comme l’ont très tôt montré Thorstein Veblen, Walter Lippmann ou Edward Bernays (non cité dans le film). Le consommateur ne s’intéresse alors plus qu’à la superficialité des choses, enfermé dans des émotions et mu par elles sous l’effet de la publicité et des moyens de communication (télévision ou Internet). Le but est donc de favoriser des comportements irrationnels, sans aucune réflexion critique : l’électeur pourra voter contre ses propres intérêts.

De proche en proche, cet électeur ne sera même plus nécessaire. Peu importe même qu’il en soit conscient : 70 % de la population américaine estime qu’elle n’a aucune influence sur la définition des politiques publiques. On en arrive alors au principe 10 : « marginaliser la population ». L’effet recherché est un rejet des institutions, contre lesquelles l’opinion publique exprimera sa colère, sans aucune conscience d’une auto-destruction. Il suffira alors de gérer ces émotions populaires, la passivité ayant été obtenue. Pire encore : dans ce développement de tensions sociales, on aura réussi à introduire l’idée de ne rien faire pour les autres et l’illusion que la solution est dans les propres capacités individuelles.

En conclusion, Chomsky ne cède pas au pessimisme. Il rappelle que John Dewey pensait qu’il ne peut y avoir de démocratie forte tant que les institutions de production, de commerce et les médias ne seront pas sous un contrôle participatif et démocratique. Il faut démanteler les formes d’autorité qui ne peuvent pas se justifier. Mais il ne faut pas oublier qu’il n’y a eu de progrès obtenu sans une forte mobilisation populaire : les droits n’ont pu été arrachés en établissant un rapport de force, au risque de la violence. Or, nous sommes dans des sociétés libres : il est possible de manifester, de réclamer, de se défendre. Noam Chomsky termine en évoquant Howard Zinn, autre grand intellectuel et militant dont on s’est fait l’écho à plusieurs reprises sur ce site : « Seules importent les innombrables petites actions des inconnus qui sont à la base des événements les plus significatifs de l’Histoire ».

 

Il y a ici des leçons à tirer pour tout enseignant, et d’abord en tant que citoyen : ce film agit en tant qu’éveilleur de conscience. Le contexte de l’élection en 2017 (et de sa réélection en 2022) en France d’un président dont on sait qu’il a bénéficié des moyens financiers les plus importants, d’une dégradation de la participation électorale, de la défiance à l’égard des institutions, de la crise dite des « gilets jaunes », de sa répression, de la réclamation d’une démocratie directe qui puisse permettre aux citoyens de jouer leur rôle, tout cela tombe à point nommé pour qu’on prête à ce Déclin du rêve américain toute l’attention qu’il mérite d’avoir.

07/05/2022

Roxanne Dunbar-Ortiz (trad. fr. : Pascal Menoret), Contre-Histoire des États-Unis, éd. Wildproject, coll. « Le monde qui vient », 17 mai 2018, 336 p., 22 €. Réédition du 21 nov. 2021, ISBN : 9-782-381140-278.


Propos de l'éditeur. «
Ce livre répond à une question simple : pourquoi les Indiens dʼAmérique ont-ils été décimés ? Nʼétait-il pas pensable de créer une civilisation créole prospère qui permette aux populations amérindienne, africaine, européenne, asiatique et océanienne de partager lʼespace et les ressources naturelles des États-Unis ? Le génocide des Amérindiens était-il inéluctable ?

La thèse dominante aux États-Unis est quʼils ont souvent été tués par les virus apportés par les Européens avant même dʼentrer en contact avec les Européens eux-mêmes : la variole voyageait plus vite que les soldats espagnols et anglais. Les survivants auraient soit disparu au cours des guerres de la frontière, soit été intégrés, eux aussi, à la nouvelle société dʼimmigrés.

Contre cette vision irénique dʼune histoire impersonnelle, où les virus et lʼacier tiennent une place prépondérante et où les intentions humaines sont secondaires, Roxanne Dunbar-Ortiz montre que les États-Unis sont une scène de crime. Il y a eu génocide parce quʼil y a eu intention dʼexterminer : les Amérindiens ont été méthodiquement éliminés, dʼabord physiquement, puis économiquement, et enfin symboliquement ».

 

 

Le présent ouvrage est la traduction française de An Indigenous Peoples’ History of the United States* [Une Histoire des peuples indigènes des États-Unis], paru en 2014. On remarquera l’infidélité du titre français, toute relative car, en réalité, on a bien là une Contre-Histoire des États-Unis comme on va pouvoir le voir.

Roxanne Dunbar-Ortiz est née à San Antonio (Texas) en 1939. Elle s’est engagée dans les mouvements de libération à partir des années 1960, s’impliquant notamment dans la cause féminisme et celle des Indiens. Elle prend une part active au sein de l’American Indian Movement (AIM) et de l’International Indian Treaty Council, dont le but est de faire progresser le droit des peuples autochtones.

Dans son ouvrage, l’auteur déconstruit l’Histoire des États-Unis, telle qu’on la perçoit et telle qu’elle est enseignée. Elle met en lumière les mythes qui ont été mis en place pour justifier l’accaparement du territoire par les colons immigrés. Le découpage chronologique en est d’ailleurs l’héritage. Et son propos prend une force importante dès lors qu’elle prend le soin de le placer dans un cadre spatial beaucoup plus large. Cela lui permet de mettre fin à l’idée d’un « Nouveau Monde », prétendument « découvert » par Ch. Colomb, une terre vierge propre à être conquise et mise en valeur. Elle s’attache au contraire à rendre compte de la richesse des activités menées par tout un réseau de communautés complémentaires, qui ont développé une agriculture suffisante pour les faire vivre : on est loin de l’image de l’Indien nomade, chasseur et à peine cueilleur, davantage cousin des hommes du Paléolithique que des paysans européens du XVIe s.

Avec une grande minutie, Roxanne Dunbar-Ortiz décrit l’extrême violence qui a accompagné la progression de la colonisation, véritable « guerre totale » menée contre les communautés autochtones. Elle en retrouve tous les éléments, de l’extermination à la déportation des survivants dans d’infimes réserves qu’on n’a cessé de réduire jusque dans les années 1950. Elle montre l’effort exceptionnel pour effacer les traces de la civilisation indienne, multiforme, qui est allée jusqu’à l’appropriation des squelettes à des fins pseudo-scientifiques, ce qui ramène dans nos esprits le traitement infligée à Sarah Bartmann, la « vénus » hottentote promenée en Europe, et dont la dépouille a été disséquée pour en montrer ce qui sépare l’homme noir de l’homme blanc. Elle montre également comment le droit américain, avec le concept de « pays indien », a contribué à écraser les Indiens en leur déniant toute légitimité à résister.Et cette qualification est restée, à tel point que l’armée américaine l’a utilisée pour désigner le Viêt Nam, et, aujourd’hui encore, tout territoire ennemi.

On a eu là un génocide qui n’a jamais dit son nom. Dès les premières pages, on sent ce que violence qui caractérise la société étatsunienne doit à ce crime originel. De fait, Roxanne Dunbar-Ortiz en fait l’un de ses arguments. Elle va plus loin en montrant qu’elle est le trait fondamental de la politique extérieure du pays : les exactions commises à Guantánamo, en Irak, en Afghanistan ou ailleurs ne sont pas fortuites. Rien que de bien normal, puisqu’il s’agit de « pays indien ». Dans le même temps, un lecteur occidental ne pourra pas ne pas penser aux conditions dans lesquelles les Européens ont accaparé le monde à partir du XVe s. L'Histoire populaire de la France (voir le compte rendu sur ce même site) de Gérard Noiriel va exactement dans ce sens.

Aussi, l’auteur en appelle à une décolonisation des esprits, qui passe notamment par le travail d’historienne qu’elle mène depuis près de cinquante ans. Cela passe également par la reconnaissance des droits fondamentaux des Indiens, à qui sont dus des réparations et d’abord une restitution de leurs terres, de leur dignité, de leur culture, ce qui ne peut se solder par une poignée de dollars.

L’ouvrage de Roxanne Dunbar-Ortiz vient ainsi s’ajouter à la liste des auteurs essentiels qu’il faut lire pour aborder l’Histoire des États-Unis avec beaucoup plus de nuances. On le lira avec d’autant plus d’intérêt qu’un historien comme Howard Zinn n’avait guère abordé l’Histoire des États-Unis sous l’angle des peuples autochtones.

 

 

Plan de l'ouvrage

Introduction. Cette terre

  1. Suivez le maïs
  2. La culture de la conquête
  3. Le culte de lʼalliance
  4. Des empreintes de sang
  5. Naissance dʼune nation
  6. Le Dernier des Mohicans et la république blanche dʼAndrew Jackson
  7. Dʼun océan à lʼautre, étincelant
  8. Pays indien
  9. Triomphalisme et colonialisme en temps de paix
  10. La prophétie de la danse des esprits : une nation arrive
  11. La Doctrine de la Découverte

Conclusion. Lʼavenir des États-Unis

 

Note

* An Indigenous Peoples’ History of the United States, New York, Beacon, 2014

 

22/11/2019

Arnaud Floc'h, Emmett Till. Derniers jours d’une courte vie, et Mojo Hand

Arnaud Floc'h, Emmett Till. Derniers jours d’une courte vie, et Mojo Hand, éd. Sarbacane (co-éd. Amnesty International pour le premier titre), 21 août 2019, 88 p. et 112 p. 19,50 €. EAN: 9782377312955 et 9782377312023

Présentation de l’éditeur. Emmett Till. Derniers jours d’une courte vie. « Un livre salutaire et nécessaire. Pour ne jamais oublier. En partenariat avec l’association Amnesty International.

De nos jours, un homme blanc, jeune journaliste, questionne un vieux musicien noir. En fait il s’intéresse assez peu au blues : il voudrait savoir quels ont été – 60 ans plus tôt – les liens du musicien (alors âgé de treize ans), avec Emmett Till. Et le bluesman, non sans émotion, accepte de parler, et de remonter le temps…

Quand Emmett Till, jeune adolescent noir de quatorze ans venu de Chicago passer ses vacances chez Moïse son grand-oncle, descend le 24 août 1955 du train en gare de Money dans le Mississippi, il ne sait pas encore qu’il va vivre les cinq derniers jours de sa courte vie.
Il aura eu la malchance de pénétrer dans une épicerie réservée aux Blancs et de se comporter de « manière provocante » vis-à-vis de Carolyn, épouse de l’épicier, Roy Bryant.

Mis au courant de « l’affront », Roy, accompagné de son demi-frère Milan, part dans une chasse à l’homme qui finira tragiquement. Après avoir kidnappé Emmett, ils le tortureront avant de le jeter dans l’eau de la rivière. Ils seront plus tard acquittés et se vanteront de leur « exploit » dans la presse ».

 

Présentation de l’éditeur. Mojo Hand. « La face sombre de l’Amérique. Louisiane, 1926, comté de St James. Quand Wilson Dardonne ramène à la maison un bébé blanc abandonné dans le bayou, il ne sait pas encore que celui-ci va devenir le frère de cœur de Cletus, son unique fils, aveugle et petit génie du blues en devenir.

Mais quelle idée de recueillir un enfant blanc dans un Sud follement ségrégationniste quand on est soi-même descendant d’esclave ?

C’est ce que ne cesse de lui répéter sa femme, Delilah : « Et tu crois qu’il va s’passer quoi si on trouve c’petit cul blanc chez des nègres, hein ? »… ».

 

 

Jean-Yves Le Naour (sc.), Iñaki Holgado et Marko (ill.), Aretha Battistutta (coul.), <i>Le réseau Comète. La ligne d'évasion des pilotes alliés</i>, Bamboo, coll. « Grand Angle », 56 p., 31 mai 2023. ISBN 978 2 8189 9395 8

Présentation de l'éditeur . « Des centaines de résistants de « l’armée des ombres », discrets, silencieux, un « ordre de la nuit » fait...