11/05/2023

Philippe Boursier, Clémence Guimont (coord.), Écologies. Le vivant et le social, La Découverte, coll. « Hors collection Sciences humaines », 12 janvier 2023, 624 p., 28 €. ISBN : 9782348076886.

Présentation de l'éditeur. « Les crises écologiques multiples frappent avec une intensité croissante les écosystèmes, les groupes humains et non humains. Sous la pression du temps qu'elles gaspillent et des intérêts dominants qui les orientent, les sociétés mettent en péril leur propre survie et l'habitabilité de la planète. Il est donc impératif d'assumer le défi d'un grand virage écologique émancipateur.
Se croisent ici, avec rigueur et clarté, des approches issues des sciences sociales et des sciences de la nature, pour éclairer les processus qui précipitent les dévastations du vivant et exacerbent les inégalités. Sont aussi explorées les manières désirables et réalistes de prévenir, d'atténuer, d'empêcher les désastres mais aussi de vivre mieux.
Ce livre porte la voix des écologies qui œuvrent à une véritable critique des dominations et du statu quo. Deux approches sont articulées : l'une, intersectionnelle et anticapitaliste, ancrée dans la dynamique des mobilisations sociales ; l'autre, plus attentive aux liens que les sociétés humaines tissent avec le vivant non humain. Écoféminismes, extractivisme, racisme environnemental, politiques publiques, finance verte, cause animale ou droits de la nature sont autant de sujets décisifs abordés avec lucidité.
Près de 70 contributions thématiques de scientifiques, de philosophes, de journalistes et d'activistes, très accessibles et documentées, accompagnées de lexiques et ressources bibliographiques, pour saisir l'ampleur des défis auxquels se confrontent les écologies contemporaines ».


Le nombre des contributions, rappelé dans la présentation de l'éditeur, pourrait suffire à justifier le pluriel donné au mot « écologie » dans le titre de l'ouvrage. Mais c'est évidemment la pluralité des angles d'approche proposés (agronomie, philosophie, sciences politiques…) qui a plus de chances d'emporter la conviction du lecteur. À cette fin, on pourra prendre connaissance de la table des matières, ci-dessous.  

Quatre parties organisent cette somme de plus de six cents pages. La première, « Comptes à rebours », établit un constat de la situation. La deuxième s'interroge sur les causes qui l'expliquent : « D'où proviennent les catastrophes ? ».  Avec la troisième, « Des écologies émancipatrices », les auteurs abordent la question de la « nature » et de l'écologie, sous le rapport des différentes formes d'émancipation à l'œuvre. Par la suite, ils font le lien entre la situation actuelle et l'héritage de la colonisation (« Écologies décoloniales »). Enfin, la dernière (« S'en sortir ») , et la plus volumineuse, ouvre la porte à l'optimisme : il est possible de faire quelque chose pour combattre la catastrophe ; elle n'est donc pas inéluctable.

On ne peut raisonnablement pas faire un compte rendu de chaque contribution. Cependant, l'une des réflexions qui surgissent à la lecture des premières pages — et qui sous-tend l'ensemble de l'ouvrage —, est l'intuition de Murray Bookchin, qu'il a largement développée par la suite, selon quoi il y a un lien très fort entre les luttes sociales et les luttes écologiques. Et ce lien est constitué par la domination, concrétisée par l'exploitation des ressources, vivantes ou non, y compris l'humain lui-même. Autrement dit, que les hommes agissent sur les écosystèmes, et ils agissent sur eux-mêmes. De la même façon, l'évolution des écosystèmes entraîne des conséquences sur les sociétés humaines, que ce soient la diminution de la biodiversité, les atteintes au vivant et au non-vivant, le dérèglement climatique.

Les plus vulnérables sont évidemment les premières à les subir, à quelle échelle que ce soit. Ce sont les populations des pays économiquement les plus faibles, dont la situation doit beaucoup à l'exploitation coloniale, qui survit sous d'autres traits depuis les prises d'indépendance. Dans les sociétés prétendument développées, ce sont les couches sociales les plus fragiles qui vivent déjà dans des conditions précaires. Et partout, ce sont toutes les victimes de la domination, quelle qu'en soit l'expression : les femmes, les salariés, etc. Le mot « domination », là encore, mérite un pluriel, même si le capitalisme est le premier mis en cause (qu'il soit « vert » ne change pas grand chose à l'affaire). Et, finalement, c'est l'ensemble de la population (y compris les dominants) qui est exposée. Zoé Rollin rappelle la croissance des formes de cancer depuis le développement des industries pétro-chimiques, qui touchent les agriculteurs eux-mêmes

Ce qui signifie donc qu'une coordination des luttes, sociales et écologiques, doit émerger et est en train de le faire : la fin du monde et les fins de mois vont de pair. De récents épisodes, en France (mais pas seulement), l'ont montré, qui éclairent de plus en plus de monde : les consciences s'éveillent, malgré les biais des médias. La manifestation qui a eu lieu à Sainte-Soline a clairement montré l'accaparement d'une ressource essentielle à tous, pour le seul profit d'une petite poignée d'exploitants agricoles au service de l'agro-industrie. Elle a montré également la collusion entre le pouvoir politique et le pouvoir économique, dont la protection des intérêts a été assurée par les moyens militaires des forces dites « de l'ordre ». On a ainsi vu que l'enjeu était celui de la domination par une minorité capitalistique de l'eau, de la terre, donc de biens communs, ce qui s'est traduit par un combat brutal contre ceux qui la dénonçait. 

Devient donc de plus en plus perceptible et plus en plus sensible, dans l'opinion publique, une mutation déjà amorcée, à savoir celle de la perception de l'écologie. Des défenseurs des petites fleurs et des animaux, bien sympathiques dès lors qu'ils ne remuent pas trop, des contempteurs du nucléaire et des pollutions (moins bien considérés, notamment à cause du chantage à l'emploi…), rassemblés au sein de l'écologie au singulier, on envisage de plus en plus l'urgence du pluriel. Il y a une écologie environnementale ; il y a une écologie sociale; il y a un éco-féminisme ; il y a une écologie qui rejoint l'anti-colonialisme… On parle, pour préserver l'idée d'une cohérence de tous ces combats, d'une écologie intersectionnelle. Concrètement, cela se traduit par un accès de plus en plus large des individus à la sobriété (voir l'article de Barbara Nicoloso), les « petits gestes », le développement de l'alimentation végétale, d'une consommation biologique, des circuits courts… À quoi la communication gouvernementale ne manque pas de se référer et d'inciter, tentant de masquer ou son impuissance, ou son manque de volonté politique, ou son cynisme, ou, plus certainement, tout cela à la fois. 

On comprend, bien évidemment, que pour « S'en sortir », un élargissement de l'angle d'attaque est indispensable. La technologie, défendue sous couvert d'indépendance nationale, est une illusion, tant elle exige toujours davantage de ressources, importées en grande partie, en consolidant les rapports de domination. Les initiatives individuelles apparaissent bien vaines, même si elles illustrent que l'état d'esprit est en train de changer, ce qui n'est pas négligeable. La solution exige surtout de considérer l'ensemble du système, et donc une action globale.

 

 

Table des matières

Écologies. Le vivant et le social, par Philippe Boursier et Clémence Guimont
Témoigner de l'urgence d'agir : une ouverture par Jean Jouzel, par Jean Jouzel
 

Comptes à rebours
Les catastrophes sont partout
No limit ? Par François Graner et le Collectif Passerelle
Le temps joue contre nous, par Roland Lehoucq et le Collectif Passerelle
Planète bleue ? Par Jérôme Weiss
Trop d'eau, pas assez d'eau...Se mouiller collectivement pour faire face, par Geremy Panthou, Basile Hector et Christophe Peugeot
Sans risques, le nucléaire ? Par Bernard Laponche
Des trous dans la planète
Biodiversité : l'essence de la crise précède son existence, par Vincent Devictor
Océans naufragés, par Catherine Le Gall
" Espèces invasives " : une catégorie envahissante ? Par Philippe Chailan, Séverine Harnois et Philippe Boursier
Humains face au désastre
Demain, des guerres de l'eau ? Par Mathias Delori
Les jours d'après seront crises " sanitaires ", par Camille Besombes
Rongés : la fabrique sociale et écologique des cancers, par Zoé Rollin
La santé des travailleurs est-elle soluble dans la santé environnementale ? Par Annie Thébaud-Mony
Quels mondes s'effondrent ?
Basculements ? Par Jérôme Baschet
Peut-on encore éviter l'effondrement ? Par Luc Semal
 

D'où proviennent les catastrophes ?
Qui est coupable ?

La population : un coupable (trop) idéal de la crise écologique, par Hugo Lassalle
Les animaux, des viandes ? Par Émilie Dardenne
Criminels climatiques, par Mickaël Correia
Existe-t-il vraiment des alternatives aux pesticides ? Par Alexis Aulagnier
Consommateurs et consommatrices d'énergie, deux fois coupables ? Par Joseph Cacciari
Capitalismes sans issue
La finance " verte " pour sauver la planète (financière) ? Par Lucie Pinson
L'air : une marchandise, un marché ? Par Antonin Pottier
L'urgence de sortir de l'agriculture industrielle, par Hélène Tordjman
Pourquoi l'impunité industrielle ? Par Thomas Le Roux
Les gouvernants en action ?
Les COP, beaucoup de blabla, mais pas que, par Sandrine Mathy
Dernière station avant l'apocalypse ? L'économie relancée contre l'humanité, par Clément Sénéchal
Changement climatique : l'État (ir)responsable, par Marine Fleury
Les lobbies font-ils la loi ? Par Guillaume Courty
Quels obstacles pour l'action publique de l'environnement ? Par Clémence Guimont
Les villes et le climat : (im)puissance publique ? Par Cégolène Frisque 


Des écologies émancipatrices
Naturelle la "nature " ?

De quelle nature est la société ? Par Philippe Chailan et Philippe Boursier
La Nature, constructions historiques et techniques, par Jérôme Lamy
Biodiversité, ingénierie écologique et domination de la nature, par Clémence Guimont
Le commun est-il si commun ? Nature et conflits de classe, par Gabriel Mahéo
Causes animales, luttes sociales : une histoire partagée ? Par Roméo Bondon
L'écologie, c'est classe - et genre ?
Le commun des mortels : quelle écologie inclusive ? Par Philippe Chailan et Philippe Boursier
Aires d'accueil des gens du voyage : un racisme environnemental ? Par William Acker
Inégalités environnementales, par Valérie Deldrève
Le patriarcat contre la planète ? Débats écoféministes, par Jeanne Burgart Goutal
Peut-on concilier une recherche d'émancipation féministe et un mode de vie plus écolo ? Par Constance Rimlinger
Les imaginaires écologistes au prisme de l'intersectionnalité ? Par Stéphane Lavignotte
 

Écologies décoloniales
Exploitations, colonialismes et crimes écologiques, par Marie Thiann-Bo Morel
Fantasmes d'une nature vierge et colonialisme vert, par Guillaume Blanc
Chlordécone, un crime d'État impuni ? Par Patrick Le Moal et Philippe Pierre-Charles
Exploitations extractivistes ? Par Assia Boutaleb et Thomas Brisson
 

S'en sortir
Grandes luttes ou petits gestes ?

Écologiser la démocratie, par Clémence Guimont et Tin-Ifsan Floch
Le climat : au bonheur des juges ? Par Marine Fleury
Peut-on s'engager par sa consommation ? Par Sophie Dubuisson-Quellier
Les indigènes à l'avant-garde du combat en Amérique latine, par Michael Löwy
Irréductibles. Les zones autonomes comme conquête écologique, par Sylvaine Bulle
Écologies populaires
Sobriété = égalité ? Par Barbara Nicoloso
Plus d'écologie = moins d'emplois ? Par Laurent Éloi
Des graines et des émeutes : pourquoi reprendre des terres
en ville, par Jade Lindgaard
Liberté de circuler, droit de respirer. Pour une écologie Populaire, par Fatima Ouassak
La démocratie sociale au secours du vivant, par Philippe Boursier
Éléments de politique publique écologique
Gratuité des transports, pourquoi pas ? Par Marianne Fischman
Faire passer les enfants avant les voitures : comment changer le visage d'une ville avec un plan de circulation ? Par Sébastien Marrec, Florian Le Villain et Guy Baudelle
Transition ou bifurcation ?
Énergétique ou écologique ? Par Cégolène Frisque
Quelle planification écologique ? Par Hannah Bensussan
Une sécurité sociale écologique ? Par Marianne Fischman
Les communs, de l'invisibilité à de nouveaux horizons, par Gilles Allaire
D'autres mondes sont possibles
L'agroécologie peut-elle nous sauver ? par Marc Dufumier
Vider les villes ? par Guillaume Faburel
High-tech ou low-tech ? Par Philippe Bihouix
Une électricité 100 % renouvelable, est-ce ruineux ? Par Philippe Quirion
S'extraire de l'extractivisme ? Par Doris Buu-Sao
Le mouvement des droits de la nature : pour une jurisprudence du Vivant, par Marine Calmet
Ouverture
La part sauvage des communs ? Une enquête écologique au Marais Wiels, par par Léna Balaud, Antoine Chopot et Allan Wei
Et maintenant ? Par Philippe Boursier et Clémence Guimont
Remerciements.

Jean-Yves Le Naour (sc.), Iñaki Holgado et Marko (ill.), Aretha Battistutta (coul.), <i>Le réseau Comète. La ligne d'évasion des pilotes alliés</i>, Bamboo, coll. « Grand Angle », 56 p., 31 mai 2023. ISBN 978 2 8189 9395 8

Présentation de l'éditeur . « Des centaines de résistants de « l’armée des ombres », discrets, silencieux, un « ordre de la nuit » fait...