02/05/2022

Eric Beynel, Gérard Gourguechon, Annick Coupé, Découvrir Solidaires. L’Union syndicale. [C’est quoi un syndicat ?], éd. de l'Atelier, 24 janvier 2019, 96 p., 7 €. ISBN : 9782708245877

 


Présentation de l’éditeur. « À quoi vous servez ? », « Vous faites de la politique ? », « Qui décide chez vous ? », « Pourquoi soutenir les sans-papiers ? »…

Alors que Solidaires vient de fêter ses vingt ans, ce petit ouvrage présente la spécificité de cette union syndicale. En douze questions impertinentes, sont abordés son fonctionnement et son positionnement face au système économique, son histoire et son identité, ses modalités d’actions et ses pratiques, son engagement sur les débats de société.

Un support pédagogique utile au grand public comme aux militant-e-s désireux de faire connaître cette organisation et d’écarter quelques idées reçues sur le syndicalisme en général ! ».

 

Voici un opuscule dont on souhaite vivement qu’il soit à l’origine d’une collection. C’est d’ailleurs ce à quoi on ne manque pas de penser quand on lit le haut de la couverture : « [C’est quoi un syndicat ?] ». À parcourir le catalogue des éditions de l’Atelier, il semble que ce ne soit malheureusement pas le cas.

On pourra probablement voir dans ce petit livre une sorte d’ouvrage de propagande, ne serait-ce qu’en raison de ses auteurs qui ont été ou sont encore des responsables de Solidaires. On écartera d’emblée ce mauvais procès : il suffira de prendre le recul nécessaire pour en retirer tout l’intérêt qu’il mérite ; la bibliographie (p. 94) y aidera.

Le propos est résolument didactique : il vise à apporter des réponses à des questions que le grand public pourrait se poser. En un moment où la confiance en un organe collectif de lutte pour le progrès social s’affaisse, il donne en réalité une réponse à la question qu’on vient d’évoquer : à quoi peut bien servir le syndicalisme aujourd’hui ? Les auteurs ont d’ailleurs construit leur progression dans ce sens, en partant d’une douzaine d’interrogations tout à fait légitimes :

  • Pourquoi y a-t-il autant de syndicats ?
  • À quoi vous servez ?
  • Vous n’avez rien trouvé de mieux que la grève ?
  • Donc, vous faites de la politique ?
  • Pourquoi se mêler de tout ?
  • Qui décide, chez vous ?
  • Pourquoi soutenir les sans-papiers ?
  • L’égalité hommes/femmes, c’est réglé, non ?
  • Le travail salarié, c’est dépassé ?
  • L’écologie, c’est pour faire joli ?
  • Le bien-être au travail, en quoi ça vous regarde ?
  • L’international, c’est pour faire du tourisme ?

Mais qu’est-ce que Solidaires ? C’est une « union professionnelle qui rassemble des organisations syndicales » (p. 9) depuis 1998, mais dont l’origine se situe dans l’apparition d’un groupe des Dix, en 1981. En 1989, SUD-PTT le rejoint puis, à sa suite, d’autres syndicats SUD. L’Union syndicale Groupe des Dix est constituée neuf ans plus tard, et le G10 devient Solidaires en 2001. Dans ce même élan fédérateur, des liens ne cessent de s’établir avec des syndicats étrangers. C’est sur cette base qu’est fondée en 2013 un Réseau syndical international de solidarité et de luttes, avec plus de soixantaine d’organisations. Enfin, vingt après la création du G10, Solidaires déménage rue Grange-aux-Belles, à Paris.

Solidaires a une place originale parmi les structures syndicales françaises, ce que l’on pourrait dire de chacune d’entre elles. Mais on note une attention particulière depuis l’origine à des problèmes qui pourraient sembler en marge de l’activité habituelle d’un syndicat : celui des sans-papiers (avec le soutien à ceux de l’église Saint-Bernard) en est un exemple, mais la sensibilité aux rapports hommes-femmes en est un autre. On retrouve Solidaires aux côtés des plus démunis (avec le DAL, par exemple), des zadistes (à Notre-Dame-des-Landes ou ailleurs). Cette démarche distingue cette union d’autres organisations, beaucoup plus centrées sur la défense des intérêts de leurs adhérents. En même temps, la critique a beau jeu de dénoncer ce qui peut ressembler à une dispersion ; on pourra cependant y voir une ouverture d’esprit qui est une source d’enrichissement pour la lutte syndicale, et un moyen d’être en prise avec les véritables préoccupations de la société. Car Solidaires est aussi une organisation qui se fait remarquer par un certain radicalisme dans ses actions et ses positions, ce qui n’exclue en rien des rapprochements avec d’autres organisations. Les auteurs insistent cependant sur le fait que chacune a une histoire et des valeurs spécifiques qui influent sur les formes de lutte et les objets défendus. Et on trouvera d’ailleurs des points communs entre Solidaires et d’autres syndicats.

Découvrir Solidaires constitue ainsi un excellent point de départ pour comprendre le mouvement social contemporain.

José Ardillo , La Liberté dans un monde fragile. Écologie et pensée libertaire, éd. de L'Échappée, coll. « Versus », 2018, 288 p., 18 €. EAN : 9782373090345

Présentation de l’éditeur. « Peut-on construire une société libre dans un monde aussi fragile que le nôtre ? Au cours des deux derniers siècles, la plupart des projets politiques qui avaient l’émancipation pour horizon ne se sont pas posé cette question, car tout leur paraissait possible. La raréfaction des ressources, la disparition des espèces et la pollution n’étaient pas prises en considération, la puissance des sciences et des technologies semblait alors sans limites.
A contrario, l’écologie nous enseigne aujourd’hui que la liberté de l’être humain doit être mise en regard des restrictions qu’impose le monde physique. Des auteurs comme Thoreau, Reclus, Kropotkine, Landauer, Huxley, Mumford, Ellul, Illich ou Bookchin ont compris très tôt que la nature et les limites de la planète et du monde vivant ne sont pas des chaînes qui entravent nos désirs et nos actions : elles sont au contraire les conditions de leur réalisation la plus authentique. Le point commun de ces penseurs : ils se sont tous situés, d’une manière ou d’une autre, au croisement de l’écologie et de la pensée libertaire.
Avec un style vivant et dans une langue accessible à tous, ce livre fait l’inventaire des jalons philosophiques et politiques posés par ces penseurs hors normes. Il est une invitation à revisiter leurs œuvres et à reprendre leur réflexion, en vue d’une critique radicale de la société industrielle ».

 

Les éditions de L’Échappée ont fait paraître un ouvrage ambitieux et exigeant, jusqu’ici disponible en version espagnole sous la forme d’un recueil édité en 2014. Il s’agit de la somme de différents articles que José Ardillo a écrit en différentes occasions. L’auteur s’est attaché à explorer l’œuvre de plusieurs penseurs, libertaires ou non, qui ont réfléchi aux « limites de la nature ainsi que sur la responsabilité humaine » (p. 7). Le propos est parfaitement d’actualité, à un moment où les pressions populaires se renforcent pour décider les gouvernements à agir résolument pour lutter contre le réchauffement climatique. Dans le même temps, d’autres voix (mais souvent les mêmes) réclament une « société libre et harmonieuse en accord avec la nature humaine (p. 7). José Ardillo pose clairement les limites de la notion de « progrès », qui apparaissent dès les débuts de l’industrialisation chez Henry Thoreau ou William Godwin, par exemple, ou le géographe Élisée Reclus. Le premier auteur dénonce déjà les atteintes à l’environnement par les entreprises humaines. Ernst Haeckel conçut les bases de la science écologique, classiquement définie par l’étude des relations entre les êtres vivants dans un milieu donné, à quoi il appliquait une vision pseudo-darwinienne selon laquelle seuls les plus forts étaient appelés à survivre dans une sorte de compétition.

Un autre penseur comme William Morris s’est attaché à remettre en cause les bienfaits supposés de la technologie, et, de là, les bases du capitalisme. À la place, il voyait une société formées de communautés humaines, autonomes. D’autres, comme Kropotkine, étaient d’accord avec Morris dans sa vision d’un machinisme réduisant l’homme à un quasi-esclavage, mais sans le rejeter : la machine devait aussi être un outil d’émancipation. La réflexion pouvait aller plus loin. Au tournant du XXe s., quelqu’un comme Gustav Landauer s’est intéressé aux « questions liées aux limites raisonnables pour une communauté humaine, à la démographie, aux formes d’alimentation et d’hygiène, aux relations entre les êtres humains et leur environnement physique.

Tout cela a constitué un terreau qui a permis à la pensée d’auteurs ultérieurs de se développer, comme Jacques Ellul, Murray Bookchin, Bernard Charbonneau, ou encore Ivan Illich et André Gorz. La société industrielle avait alors atteint son apogée ; le progrès montrait ses limites à travers les crises des années trente et celle qui est apparu à la fin des années soixante. C’est aussi le moment où la réflexion des membres du club de Rome paraît sous la forme du rapport Meadows (1972), qui pose clairement les limites de la croissance.

Le recueil de José Ardillo n’est pas toujours d’un abord facile, malgré une langue très claire : les concepts qu’il manie avec aisance doivent être bien assimilés pour mieux profiter de la lecture. Toutefois, les efforts qu’il exige apporteront une grande satisfaction, car il donne des clés de compréhension sur les difficultés environnementales que nous rencontrons aujourd’hui. Il invite à s’interroger sur les bases actuelles de la société et notamment sur les limites du capitalisme. La résolution des problèmes climatiques est-elle compatible avec ce modèle, ou passe-t-elle par sa disparition ?


Fred Duval, Jean-Pierre Pécau, Fred Blanchard (sc.), Jean-Michel Ponzio (ill.), Jour J, T. 37, « Lune rouge » (1/3), Delcourt, coll. « Neopolis », 2019, 14,95 €. EAN : 9782413008071

Présentation de l’éditeur. « Lune 1980, d’un bout à l’autre de l’Europe on s’apprête à fêter les 60 ans de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques d’Europe. 60 ans sont passés depuis que la révolution Russe à conquis l’Europe entière, et bien au-delà, car depuis les années 40, l’étoile rouge brille aussi sur la Lune.
La Lune, dont l’URSS tire sa plus grande richesse, l’hélium 3, unique source d’énergie du monde entier, l’hélium 3, extraite par la Glavnoïé oupravlénié laguéreï, autrement dit « l’Administration principale des camps », ou plus simplement le Goulag.
Car la prospérité de l’Europe soviétique tient uniquement au travail exténuant des Zeks sur la Lune, prisonniers de droits communs et surtout politiques qui partent régulièrement des bases de lancement du Sahara pour un voyage sans retour… Mais cette situation pourrait changer… ».

 

Delcourt poursuit notre voyage en dystopie. Comme la couverture l’annonce, la Lune sert désormais de lieu de relégation pour les dissidents d’une Europe sous emprise soviétique. La situation des zeks est simple : ils sont livrés à eux-mêmes, et plus particulièrement aux bandes rivales qui s’affrontent. La tension et la violence sont bien rendues par les auteurs. Les gardiens ? Il n’y en a pas, ou à proximité dans un module qui est un passage obligé pour venir ou retourner sur Terre. Un couple (pas encore constitué au début de l’album, mais les premières pages ne laissent guère de place à l’équivoque) va perturber cet univers carcéral ; on le sent, en tout cas : les deux volumes à paraître devraient nous rassurer sur ce point. Il s’agit de Babette Goss, une journaliste dissidente qui a été condamnée à cinq années de relégation ; Félix Ardan a eu plus de chance, puisqu’il ne fera que deux ans, pour colportage et contrebande de musique décadente (les Beatles) et de blue jeans.

Cela m’a remis en mémoire le tout premier volume de la série paru en 2010 : « Les Russes sur la Lune » (qui vient d’être réédité le 24 avril dernier). Les auteurs nous avaient placé au 19 septembre 1969, et on avait assisté à la conquête de la Lune par les Soviétiques, avant les Américains. Le président avait demandé à la NASA s’établir une base permanente, ce qui, en pleine guerre froide, pouvait constituer un nouveau point de friction. Dix ans plus tard, une issue intéressante fut trouvée. Il est intéressant de relire ce volume, plus optimiste que le premier. En tout cas, l’établissement d’un camp du Goulag n’y était pas prévisible. Mais la dystopie permet ces dérives, toujours intéressantes.

On note la différence dans l’illustration. Je n’ai pas été très convaincu par le dessin de Jean-Michel Ponzio, qui s’approche de la photographie, avec une sorte de dissonance entre les expressions des personnages avec les paroles.


Joseph Confavreux (textes réunis et présentés par), Le Fond de l’air est jaune. Comprendre une révolte inédite, Seuil, 24 janvier 2019, 224 p., 14,50 €


Présentation de l’éditeur
. « Les ronds-points sont une invention française, tout comme l’idée de les bloquer vêtus de gilets jaunes. En y installant leurs barrières, les manifestants les ont transformés en places publiques, permettant à des gens qui s’ignoraient jusqu’alors de fraterniser. Ils ont surtout réussi à mettre au centre du débat la question de la justice sociale — et celle, fondamentale pour toute l’humanité, du lien entre justice sociale et justice écologique.

De cette histoire en cours, il est possible de dessiner certains contours sans les figer. Fait singulier, pour le monde des idées, la mobilisation des gilets jaunes a suscité celle des sciences sociales et humaines, rarement aussi présentes et précises face à l’irruption du contemporain. On a vu, très vite, circuler des analyses issues des meilleurs travaux de l’histoire, de la sociologie, de la géographie, de la science politique, de la philosophie, de l’économie, des sciences de l’information. À la fois archives du présent et armes pour l’avenir, quinze d’entre elles sont réunies ici, accompagnées de photographies, de textes et de slogans qui documentent une révolte inédite.

Avec Étienne Balibar, Ludivine Bantigny, Louis Chauvel, Isabelle Coutant, Aurélien Delpirou, Olivier Ertzscheid, Michaël Foessel, David Graeber, Samuel Hayat, Jean-Claude Monod, Thomas Piketty, Pierre Rosanvallon, Alexis Spire, Sophie Wahnich et Michelle Zancarini-Fournel. Textes réunis et présentés par Joseph Confavreux ».

 

 

Les analyses du mouvement social dit des gilets jaunes qui a éclaté au début de l’hiver 2018 se sont multipliées. L’événement, inédit dans sa forme et son déroulement, n’a en effet pas manqué d’attirer l’attention, notamment dans le champ des sciences sociales. L’un des premiers ouvrages à s’y être intéressé de façon sérieuse est ce Fond de l’air est jaune, paru assez rapidement, deux mois et demi après l’irruption des Gilets jaunes. À ce moment, l’incrédulité domine, et les commentaires oscillent entre approbation et craintes. Craintes d’un mouvement « populiste » (sans qu’on sache toujours bien ce que recouvre l’adjectif), « poujadiste » (sans que l’on voit bien ce qu’il y a de poujadiste là-dessous), voire même d’extrême-droite, raciste, etc. Les médias dominants, à la remorque du pouvoir, mettent l’accent sur les violences (celles des manifestants ; pas celles de la police), l’incohérence des propos tenus, sans oublier une profonde condescendance et même un franc mépris prompt à dénoncer la pauvreté de la maîtrise de la langue quand ce n’est pas celle des revendications (pourtant méconnues et réduites à leur caricature).

Dans le présent ouvrage, et avec un recul de plusieurs mois, on est confondu par la pertinence des analyses portées. Joseph Confavreux a fait un excellent choix en convoquant philosophes, sociologues, historiens, etc. Leur regard croisé permet de saisir la singularité du mouvement social qui se développe alors, chose que chacun pressent : il y a de l’inédit ; mais quand à savoir ce qu’il en retourne, là, c’est plus difficile. L’ouvrage suit le plan général suivant :

  • Les Gilets jaunes sous le regard de l’Histoire
  • Les raisons d’une colère
  • Cinquante nuances de jaune
  • Le spectre des possibles

La première partie s’appuie sur certains des éléments utilisés par les manifestants : bonnets phrygiens, Arc de triomphe, etc. Le recours aux symboles révolutionnaires (ceux de 1789, voire de 1792) sont réinvestis, façon de légitimer le mouvement en s’attachant aux racines de la République. Ce réinvestissement ne tarde pas à servir de base à des revendications politiques : l’exigence d’une démocratie réelle.

Parmi les thèmes de revendications, les auteurs mettent en avant le souci de justice, et d’abord d’une justice fiscale : d’accord pour payer (on est donc loin du poujadisme), mais que la charge soit proportionnelle au degré de fortune. Il s’agit aussi de revendiquer un approfondissement de la démocratie, en s’appuyant sur la justice sociale : qu’il y ait des instances qui portent les aspirations populaires, qui commencent par les entendre, et qui les mettent en œuvre. Ces revendications indiquent enfin (et très certainement « d’abord ») une défiance à l’égard du discours néolibéral tenu par le pouvoir, enclin à défendre le « gros » contre le « petit ».

La troisième partie entre dans la sociologie des Gilets jaunes : qui sont-ils ? Le moins que l’on puisse percevoir est d’abord l’extrême hétérogénéité du mouvement. Mais les analyses montrent que ses protagonistes se situent spontanément dans un entre-deux : pas pauvre, pas aisé non plus, mais moyen, et même petit-moyen. On n’y retrouve pas les franges marginalisées par les bouleversements de la société : peu de chômeurs, pratiquement pas de SDF. Au contraire, on a une foule de salariés qui occupent des emplois (à défaut d’exercer un métier, celui qu’ils ont choisi), et même des chefs de petites entreprises (artisans, etc.). Malgré la profonde diversité des situations, tous ont en commun d’être installés dans des formes de précarité, ou de craindre d’y tomber : l’angoisse de la fin du mois, qui arrive toujours beaucoup trop tôt.

Enfin, d’autres auteurs élargissent le propos, en tentant de mettre en lumière ce que le mouvement révèle des difficultés et des aspirations de la société française. Domine surtout le sentiment d’une peur du déclassement, d’un fossé qui s’est creusé entre des élites, détentrices d’un pouvoir qu’elles exercent pour elles-mêmes, et le peuple. Il y a ainsi à la fois un ressentiment profond à l’égard de ceux qui sont sensés représenter l’ensemble des citoyens, et une très forte aspiration à une démocratie réelle. En témoigne la violence qui ne s’est pas exprimée de prime abord (les exemples de rapprochement avec la police le montrent assez), mais qui s’est développée à partir du moment où la seule réponse aux revendications a été l’arrogance et le mépris de classe.

Il ne s’agit là que d’un très bref résumé, forcément trop partiel, mais il y a lieu d’insister sur la nécessité de lire ces 250 pages à la fois denses et précises. Chaque contribution est de l’ordre d’une dizaine de pages, ce qui permet d’avoir des analyses ramassées, mais qui n’en restent pas moins très éclairantes et stimulantes. À cela s’ajoutent des documents : des photographies de slogans, de manifestations, les textes de manifestes (l’appel de Commercy, 2 déc. 2018) qui montrent la profondeur du trouble.

 

Jean-Yves Guengant, Nous ferons la grève générale. Jules Le Gall, les anarchistes et l’anarcho-syndicalisme à Brest et en Bretagne, éditions Goater, coll. « Mémoires immédiates », 14 mars 2019, 256 p., 18 €



Présentation de l’éditeur. « Dans la Bretagne de la première moitié du XXe siècle, les Anarchistes ont pu créer à Brest et Lorient de véritables enclaves libertaires. Jules Le Gall (1881 – 1944), militant ouvrier à l’arsenal de Brest, puis libraire, en devient la figure la plus connue. Il s’attire de violentes attaques de ses adversaires, qui le surnomment le « camelot » de l’Anarchie. Fondant le groupe libertaire brestois, il veut créer une Maison du Peuple, qui saura allier la force de la revendication à la beauté de la culture. Le théâtre devient un moyen de divertir et d’éduquer le peuple.

Après la guerre, pacifiste convaincu et militant internationaliste, il se bat pour le droit d’asile pour les anarchistes espagnols et italiens. Son grand combat sera la création d’un comité de défense des anarchistes américains, Sacco et Vanzetti. Il accueille également Nestor Makhno à Brest en 1927.

La guerre d’Espagne sera son dernier combat, le prélude à un conflit généralisé, qu’une seconde fois, les militants révolutionnaires n’auront pas pu empêcher.

Dénoncé en 1941 auprès des Allemands comme anarchiste et franc-maçon, il sera arrêté, et décède au camp de Buchenwald en juin 1944. « Oublié » dans l’euphorie de la victoire et effacé de la mémoire ouvrière.

Son histoire est une histoire de solidarité et d’amitié. Autour de lui, un cercle d’amis prend vie : Victor Pengam, le syndicaliste, promoteur du cinéma militant et des « pupilles » de la CGT, René Lochu, et ses amis de la Maison du Peuple.

Jean-Yves GUENGANT a publié des ouvrages et des articles consacrés aux mouvements utopistes en Bretagne. Son dernier ouvrage : « Pour un nouveau monde – les utopistes bretons au XIXe siècle », Apogée, 2015.
Il vit à Brest.

Le livre est fortement illustré de documents d’époque, d’affiches et de photographies ».

 

Dans le présent ouvrage, Jean-Yves Guengant retrace le parcours de Jules Le Gall, ouvrier à l’arsenal de Brest, antimilitariste et anarcho-syndicaliste. D’un dévouement extrême aux causes qu’il défend, le personnage prend une ampleur importante dans la première décennie du XXe siècle, aux côtés d’autres militants comme Victor Pengam. En 1903, ceux-là créent un groupe de la Jeunesse syndicaliste, destinée à former les jeunes ouvriers. Jules Le Gall contribue à l’extension du syndicaliste dans le Finistère, notamment au sein des ouvrières des conserveries de Douarnenez. Il œuvre notamment à la grève générale de février-mars 1904, qui montre la puissance du mouvement social à Brest. Mais compte tenu de l’extrême indigence des conditions de vie des ouvriers mais aussi de l’intransigeance de la préfecture maritime et des élites locales, les rapports sociaux sont très tendus. Ceux qui sont identifiés comme les meneurs sont l’objet d’arrestations et de poursuites judiciaires. Comme Victor Pengam, Jules Le Gall est interpellé à plusieurs reprises, notamment en août 1907, cette fois pour des motifs graves : incitation au meurtre, au vol, au pillage, et à la grève générale. Condamné, il est rapidement libéré, mais il perd son emploi à l’arsenal. À partir de ce moment, Jules Le Gall devient gérant d’une librairie coopérative : cela décide de son orientation vers l’action politique, et il travaille à la propagande libertaire, tout en restant fidèle aux principes qu’il n’a cessé de défendre. En 1910, il se présente aux élections législatives, ce qui peut surprendre de la part d’un anarchiste ; mais c’est en qualité de candidat abstentionniste, et dans le cadre d’une campagne anti-parlementaire.

Après la première guerre mondiale, Jules Le Gall entre au Grand Orient de France, tout en continuant à militer comme libertaire. Il anime un comité en faveur de Sacco et Vanzetti. Le groupe libertaire brestois accueille également l’anarchiste ukrainien Nestor Makhno à l’été 1927. Jules Le Gall prend part à la lutte anti-fasciste ; son groupe envoie des vêtements et des vivres en Catalogne, et organise le recueil des orphelins de guerre. L’occupation de Brest commence le 19 juin 1940. Jules Le Gall est interrogé en décembre par la police allemande sur ses activités au sein de la franc-maçonnerie. En juillet 1941, il est arrêté pour les mêmes faits. Interné à Nantes, il est transféré à Nantes puis au camp de Royallieu. Il est finalement déporté en janvier 1944 au KL de Buchenwald, où il meurt le 13 juin suivant.

En dépit d’erreurs typographiques assez vénielles (des majuscules non justifiées ; des signes de ponctuation mal placés, etc.), le principal intérêt de l’ouvrage de Jean-Yves Gueugant tient à la qualité de ses sources, aussi bien bibliographiques qu’archivistiques. Il contribue à la réintroduction de Jules Le Gall dans la mémoire du mouvement social. Au travers de ce personnage, on perçoit les difficultés du monde ouvrier dans la défense de ses intérêts, et, finalement, des profondes limites du système démocratique. On comprend particulièrement bien qu’il n’est pas de progrès social sans lutte : rien n’est concédé ; tout est à protéger. À se promener dans les rues de Brest, on pourrait se laisser prendre par leur quiétude qui camoufle ce qu’a été son passé ouvrier, ce qui vaut pour n’importe quel autre endroit. On se rappelle à ce propos l’excellente bande dessinée de Kris et Davodeau, consacrée aux conditions dans lesquelles l’ouvrier et ancien résistant Édouard Mazé est mort le 17 avril 1950 : Un Homme est mort (Futuropolis, 2006)1.

L’autre intérêt de cet ouvrage tient à l’abondance de la documentation reproduite, très diverse : en plus des encarts, elle pourra servir aux enseignants qui voudront travailler sur le mouvement ouvrier, même si, malheureusement, les programmes ne s’y prêtent guère. On peut cependant regretter que ces reproductions n’aient pas été mieux exploitées, sous la forme d’une analyse critique par exemple, même brève, ce qui aurait été très appréciée. En revanche, ont été particulièrement remarquées les annexes, qui complètent encore la documentation par de larges extraits de discours, d’articles, etc. On a également un lexique, qui ne se contente pas d’apporter des définitions mais de les placer dans le contexte des luttes sociales brestoises, une chronologie assez fournie, ainsi qu’un très utile index des personnes.



1. Cette bande dessinée a inspiré le long métrage d’animation de Olivier Cossu, 2017.

Une autre histoire de la Commune, par Henri Guillemin, historien pamphlétaire, Les Mutins de Pangée, 2018, 35 €. EAN 3770001117461


Présentation de l’éditeur. « « Plus qu’un coffret, un pavé ! »  (Le Canard enchaîné)

Indispensable pour comprendre l’Histoire de France peu enseignée et plus que jamais utile pour comprendre la France d’aujourd’hui.

Filmé dans la sobriété monacale d’un studio de la Télévision Suisse Romande, l’historien-conteur Henri Guillemin livre une analyse approfondie de l’événement politique majeur du XIXe siècle : la Commune de Paris.

Avec la précision d’un horloger helvète, Henri Guillemin décortique la trahison des élites, la bassesse des bien-pensants, la servilité des « honnêtes gens », la veulerie des dominants tout autant que les raisons qui entraînèrent le Peuple de Paris à la faillite.

« Ce qui m’émeut, dans la Commune, ce qui m’attachera toujours à elle, c’est qu’on y a vu des gens, à la Delescluze, à la Rossel, à la Vallès, à la Varlin (celui-là surtout, quelle haute figure, bouleversante), des hommes qui ne « jouaient » pas, qui risquaient tout, et le sachant, des courageux, des immolés. Parce qu’ils avaient une certaine idée du Bien et qu’ils y vouaient leur existence même ».
Henri Guillemin, Journal de Genève, 22 avril 1965 ».

 

Les Mutins de Pangée ont publié un coffret important sur l’histoire de la Commune de Paris, comprenant trois DVD et un livret de 240 pages, le tout illustré par des dessins de Jacques Tardi. Les DVD reprennent une émission de la RTS (radio-télévision suisse) diffusée en 1971, Les Dossiers de l’Histoire. En treize épisodes d’environ trente minutes, Henri Guillemin aborde les sujets suivants les prémices de la Commune, son déroulement, sa désastreuse fin face aux Versaillais, mais aussi ses prolongements, notamment dans la mémoire collective. Le livret consiste en des Réflexions sur la Commune, toujours par Henri Guillemin. Selon la présentation des Mutins, « en avril 1971, paraissait aux éditions Gallimard dans la collection La Suite des temps, la première édition d’un ouvrage consacré à la Commune de Paris, signé Henri Guillemin. L’ouvrage que nous publions aujourd’hui est la réédition corrigée et enrichie (en notes de bas de page et bibliographie) de l’un des deux recueils qui étaient réunis dans un seul volume : Réflexions sur la Commune (l’autre étant : L’avènement de Monsieur Thiers) ».

Mort en 1992, Henri Guillemin est aujourd’hui très mal connu, malgré la notoriété dont il bénéficiait de son vivant et en dépit des attaques qui l’ont visé. Auteur très prolifique, on lui doit des dizaines d’ouvrages consistant surtout en des biographies (Jeanne d’Arc, Robespierre, etc.), des analyses sur l’histoire de la littérature, et des considérations sur des épisodes de l’histoire nationale. Il a aussi ses talents de conférencier, qu’il exerce entre autres à la télévision. Évidemment, à près de cinquante ans de distance, on peut suppose que le déroulement des épisodes ne sera guère engageant : la prise de vue est complètement statique. Toutefois, Henri Guillemin sait emporter son auditoire, grâce à un propos enlevée, très alerte. Pour aller très vite, sa thèse est d’opposer la bourgeoisie nantie (la haute bourgeoisie) au monde ouvrier (et la petite bourgeoisie), la première n’hésitant pas à mettre l’intérêt national de côté pour se débarrasser des « rouges », quitte à s’allier à Bismarck ou en tout cas à obtenir sa neutralité.

Ces treize épisodes sont augmentés par différents éléments. On a ainsi une intervention de Patrick Berthier, professeur de littérature française mais aussi secrétaire de l’association des Ami-e-s d’Henri Guillemin, qui apporte un éclairage biographique. Il rappelle ainsi que l’auteur est à l’origine agrégé de Lettres, et non historien. On a également un court-métrage de Stanislas Choko, Si on avait su, 1973, dont le narrateur est Raymond Bussières, qui permet de mesurer la place de la Commune dans la mémoire ouvrière, cent ans après sa répression.

Le propos d’Henri Guillemin n’est pas celui d’un historien professionnel, position qu’il ne cherche pas à usurper. Même s’il a utilisé de nombreuses sources (dont on remarque qu’elles ne sont pas archivistiques mais littérales), ses considérations tiennent du « pamphlet », terme qu’il revendique d’ailleurs : il ne croit pas à l’objectivité de l’Histoire. On peut être surpris voire agacé par certains raccourcis, les approximations, les affirmations non étayées. Mais considérant que l’interprétation ne peut être que subjective, il se sent légitime à porté un regard singulier sur le passé. On peut aussi trouver un autre intérêt au travail d’Henri Guillemin, dans la mesure où l’on a ici un témoignage sur le rapport au passé d’un personnage issu d’un milieu modeste, et qui est l’un des bénéficiaires de l’ascension sociale favorisée par la IIIe République : boursier, il entre à l’École normale supérieure, devient ensuite agrégé comme on l’a dit, et docteur ès Lettres.

Loin d’être une conférence surannée et compassé, le propos d’Henri Guillemin ne doit pas être négligé. Les critiques qualifient son approche de « conspirationniste », ce qui signifierait que les élites (qu’Henri Guillemin désignent par l’expression ironique « les gens de biens », au pluriel) sont prêtes à tout pour sauvegarder leurs intérêts face au « peuple » (entendons par là : le reste de la population). Pourtant, de nombreuses situations historiques vont dans ce sens : pour ne prendre que cet exemple, l’Histoire populaire de la France, de Gérard Noiriel, montre qu’il en fut ainsi. A-t-on dit des considérations de Marc Bloch sur les causes du désastre de mai-juin 1940, quand a paru L’Étrange Défaite, qu’elles avaient été conspirationnistes ? N’y a-t-il jamais eu de rapports de force sociaux qui n’aient débouché sur des massacres, des jacqueries à l’écrasement des grèves des XIX et XXe siècles ? Le tout est cependant de ne pas créer des univers sociaux artificiels, manichéens, et d’apprécier les choses avec nuance. Henri Guillemin, d’ailleurs, ne s’y trompe pas : un Charles Delescluze fait partie de son panthéon. Toutefois, on peut rester dubitatif devant l’accusation dont il accable les républicains modérés (le « gouvernement des Jules ») d’avoir souhaiter la défaite française : la République risquait alors d’en endosser la responsabilité, ce qui eut compromis son établissement et sa pérennité. Or, parmi les élites, il y eut des résistants, des déportés, des fusillés ; du côté de la traîtrise, on trouve des ouvriers, des employés. Encore ceux-là sont-ils marginaux au sein de leur classe et ne peuvent pas avoir valeur d’exemples. Pour les besoins de la vulgarisation et de sa démonstration, on peut reprocher à Henri Guillemin de trop céder à la simplification. Mais rien ne permet de le penser malhonnête ou insincère : on a un homme de passions et convictions, animé notamment par une volonté de se déprendre de l’histoire dite « officielle », dont il rappelle que Louise Michel dit qu’elle est écrite par des assassins.

 

Enfin, la parution de ce coffret permettra de combler une des béances des programmes scolaires depuis plusieurs décennies, qui font l’impasse sur l’un des moments marquants de l’histoire sociale, et a par la suite marqué profondément les rapports sociaux1 .



1.Voir entre autres l’analyse de Gisèle Jamet et Joëlle Fontaine, Enseignement de l’histoire. Enjeux, controverses autour de la question du fascisme, Adapt-SNES éditions, Millau, 2016.

Francis Dupuis-Déri, Les Black Blocs. La liberté et l’égalité se manifestent, éd. Lux, coll. « Instinct de liberté », rééd. 2019, 344 p., 14 €


 Propos de l’éditeur. « Apparue à Berlin-Ouest vers 1980 et popularisée lors de la « bataille de Seattle » en 1999, la tactique du black bloc connaît un renouveau. Des black blocs ont manifesté lors du Sommet du G20 à Toronto, du Printemps arabe, du mouvement Occupy et des Indignés, lors des récentes grèves étudiantes au Québec et contre la vie chère au Brésil, dans les « cortèges de tête » en France et contre les néonazis aux États-Unis.

Cagoulés, vêtus de noir et s’attaquant aux symboles du capitalisme et de l’État, les black blocs sont souvent présentés comme des « casseurs » apolitiques et irrationnels, voire de dangereux «terroristes».

Publié une première fois en 2003 et depuis mis à jour et traduit en anglais et en portugais, ce livre est reconnu comme la référence pour qui veut comprendre l’origine du phénomène, sa dynamique et ses objectifs. Alliant observations de terrain, entretiens et réflexion éthique et politique, l’auteur inscrit les black blocs dans la tradition anarchiste de l’action directe ».

 

Francis Dupuis-Déri est professeur de science politique à l’UQAM (université du Québec à Montréal). Engagé dans les courants libertaires depuis longtemps, il a placé les mouvements sociaux au centre de ses thèmes d’étude. Mais qu’on ne s’y trompe pas : Les Black blocs n’est pas à considérer comme un plaidoyer pro domo. Bien au contraire, on a une étude très fouillée, très pointue qui mérite qu’on s’y attarde vraiment. La masse de documents utilisés et leur diversité montrent bien que Francis Dupuis-Déri s’est efforcé de restituer le résultat de ses recherches avec le maximum d’objectivité. On pourra d’ailleurs lire tout un chapitre concernant les critiques que l’on peut faire aux black blocs, que l’auteur discute.

Francis Dupuis-Déri prend pour base l’image colportée hâtivement par les médias, mais aussi les mots utilisés. On ne s’étonne plus que les black blocs soient des casseurs, des voyous qui ne cherchent qu’à assouvir leur désir de destruction, sans la moindre justification idéologique et sans aucune considération pour la foule des manifestants. C’est évidemment la représentation que s’en font les pouvoirs publics, à commencer par la police.C’est aussi celle de ce que l’auteur appelle l’ « élite progressiste », constituée des dirigeants politiques, syndicaux et associatifs, qui n’ont de cesse de dénoncer la violence des black blocs, quitte à s’emparer de certains de leurs membres et à les livrer à la police. En organisant un service de sécurité et en veillant à ce qu’il n’y ait aucun débordement, l’auteur considère que ces formations agissent en parfaits auxiliaires de la police, avec laquelle ils se concertent d’ailleurs. Le résultat consiste en des manifestations « bon enfant », qui n’attirent pas l’attention des médias et des pouvoirs publics, et qui échouent donc.

Patiemment, Francis Dupuis-Déri a accumulé non seulement des documents émanant des médias dominants et du pouvoir, mais il s’est également rapproché des militants et des manifestants.

Cette démarche lui a permis de nuancer très fortement l’idée que chacun se fait des black blocs. En premier lieu, il rappelle que l’expression ne désigne pas des personnes, au sens strict, mais une tactique de manifestation qui a des objectifs. Par extension, elle s’est appliquée aux groupes et à leurs membres. Il montre que cette tactique peut s’appuyer sur la violence, mais que ce n’est pas le moyen retenu a priori. Les membres de ces groupes peuvent aussi être présents, pacifiquement. Le choix de leur tenue et le fait d’apparaître masqué permet d’être distingué et de constituer un point de ralliement pour les manifestants qui souhaitent se joindre à eux, ou être protégés par eux des violences policières. Les bâtiments retenus permettent de les désigner comme des cibles porteurs d’un message idéologique : dénoncer l’exploitation des salariés, le travail des enfants, la brutalité d’État, etc. Ces cibles symboliques et la faiblesse de leur destruction cherchent à attirer l’attention des médias et, par contre coup, de l’opinion publique. Il n’y a guère de place pour le hasard, même s’il peut y avoir des destructions et des pillages aux alentours. Francis Dupuis-Déri donne d’ailleurs plusieurs exemples de situation dans lesquelles les black blocs se sont opposés à ces phénomènes et ont organisé des activités pour permettre l’indemnisation des victimes de ces violences annexes.

L’auteur montre surtout en quoi les black blocs sont attachés à l’idéologie anarchiste. Si l’on devait retenir quelques principes, cela consisterait à s’opposer à tout forme de pouvoir, de domination d’une minorité. L’État est perçu comme une entité qui cherche à protéger les intérêts capitalistes, ce qui l’amène à exercer une forme de violence pour que l’ordre public soit préservé. Pour cela, il faut contrôler la population par tous les moyens : fichage, surveillance, éducation, répression, etc. Il y a donc une dimension politique forte, ce que les médias et les pouvoirs publics dénient aux black blocs : dépolitiser pour ne garder que l’aspect criminel et délictueux[1].

 

Les black blocs cherchent au contraire à favoriser l’émancipation de chacun, à développer l’autonomie individuelle et collective. C’est la raison pour laquelle il n’y a pas de dirigeants, qui déformeraient forcément les opinions des uns et des autres et finiraient immanquablement par défendre leurs propres intérêts. Les décisions se prennent au sein de petits groupes, constitués par affinités (ce qui limite les risques d’infiltration), qui se rassemblent parfois en pleine action, sous le nez de la police. Il n’y a d’ailleurs pas d’Internationale black bloc, dont le centre d’action serait en Allemagne ou ailleurs, et pratiqueraient volontiers une sorte de tourisme militant.

On a peine à rendre compte des 344 pages de l’ouvrage, très stimulantes, tant elles permettent de considérer le phénomène des black blocs sous un autre angle. Il donne aussi l’occasion de réfléchir avec l’auteur à ce qui fait l’efficacité d’une action protestataire (notamment vis-à-vis des médias) et de la place que pourrait y occuper la violence. Il est en cela hautement recommandable. C’est d’ailleurs une nouvelle réédition, l’ouvrage ayant paru en 2003 et ayant fait l’objet de plusieurs refontes : il répond donc bien à une demande de l’opinion publique.

 

[1] Sur ce point, on pourra lire l’excellent petit ouvrage de Vanessa Codaccioni, Répression. L’État contre les contestations politiques, coll. « Petite encyclopédie critique », Textuel, 3 avril 2019, 96 p., 12,90 €.

Jean-Yves Le Naour (sc.), Iñaki Holgado et Marko (ill.), Aretha Battistutta (coul.), <i>Le réseau Comète. La ligne d'évasion des pilotes alliés</i>, Bamboo, coll. « Grand Angle », 56 p., 31 mai 2023. ISBN 978 2 8189 9395 8

Présentation de l'éditeur . « Des centaines de résistants de « l’armée des ombres », discrets, silencieux, un « ordre de la nuit » fait...