Cagoulés, vêtus de noir et s’attaquant aux symboles du capitalisme et de l’État, les black blocs sont souvent présentés comme des « casseurs » apolitiques et irrationnels, voire de dangereux «terroristes».
Publié une première fois en 2003 et depuis mis à jour et traduit en anglais et en portugais, ce livre est reconnu comme la référence pour qui veut comprendre l’origine du phénomène, sa dynamique et ses objectifs. Alliant observations de terrain, entretiens et réflexion éthique et politique, l’auteur inscrit les black blocs dans la tradition anarchiste de l’action directe ».
Francis
Dupuis-Déri est professeur de science politique à l’UQAM (université du
Québec à Montréal). Engagé dans les courants libertaires depuis
longtemps, il a placé les mouvements sociaux au centre de ses thèmes
d’étude. Mais qu’on ne s’y trompe pas : Les Black blocs n’est pas à considérer comme un plaidoyer pro domo.
Bien au contraire, on a une étude très fouillée, très pointue qui
mérite qu’on s’y attarde vraiment. La masse de documents utilisés et
leur diversité montrent bien que Francis Dupuis-Déri s’est efforcé de
restituer le résultat de ses recherches avec le maximum d’objectivité.
On pourra d’ailleurs lire tout un chapitre concernant les critiques que
l’on peut faire aux black blocs, que l’auteur discute.
Francis
Dupuis-Déri prend pour base l’image colportée hâtivement par les médias,
mais aussi les mots utilisés. On ne s’étonne plus que les black blocs
soient des casseurs, des voyous qui ne cherchent qu’à assouvir leur
désir de destruction, sans la moindre justification idéologique et sans
aucune considération pour la foule des manifestants. C’est évidemment la
représentation que s’en font les pouvoirs publics, à commencer par la
police.C’est aussi celle de ce que l’auteur appelle l’ « élite
progressiste », constituée des dirigeants politiques, syndicaux et
associatifs, qui n’ont de cesse de dénoncer la violence des black blocs,
quitte à s’emparer de certains de leurs membres et à les livrer à la
police. En organisant un service de sécurité et en veillant à ce qu’il
n’y ait aucun débordement, l’auteur considère que ces formations
agissent en parfaits auxiliaires de la police, avec laquelle ils se
concertent d’ailleurs. Le résultat consiste en des manifestations « bon
enfant », qui n’attirent pas l’attention des médias et des pouvoirs
publics, et qui échouent donc.
Patiemment, Francis Dupuis-Déri a accumulé non seulement des documents émanant des médias dominants et du pouvoir, mais il s’est également rapproché des militants et des manifestants.
Cette démarche lui a permis de nuancer très fortement l’idée que chacun se fait des black blocs. En premier lieu, il rappelle que l’expression ne désigne pas des personnes, au sens strict, mais une tactique de manifestation qui a des objectifs. Par extension, elle s’est appliquée aux groupes et à leurs membres. Il montre que cette tactique peut s’appuyer sur la violence, mais que ce n’est pas le moyen retenu a priori. Les membres de ces groupes peuvent aussi être présents, pacifiquement. Le choix de leur tenue et le fait d’apparaître masqué permet d’être distingué et de constituer un point de ralliement pour les manifestants qui souhaitent se joindre à eux, ou être protégés par eux des violences policières. Les bâtiments retenus permettent de les désigner comme des cibles porteurs d’un message idéologique : dénoncer l’exploitation des salariés, le travail des enfants, la brutalité d’État, etc. Ces cibles symboliques et la faiblesse de leur destruction cherchent à attirer l’attention des médias et, par contre coup, de l’opinion publique. Il n’y a guère de place pour le hasard, même s’il peut y avoir des destructions et des pillages aux alentours. Francis Dupuis-Déri donne d’ailleurs plusieurs exemples de situation dans lesquelles les black blocs se sont opposés à ces phénomènes et ont organisé des activités pour permettre l’indemnisation des victimes de ces violences annexes.
L’auteur montre surtout en quoi les black blocs sont attachés à l’idéologie anarchiste. Si l’on devait retenir quelques principes, cela consisterait à s’opposer à tout forme de pouvoir, de domination d’une minorité. L’État est perçu comme une entité qui cherche à protéger les intérêts capitalistes, ce qui l’amène à exercer une forme de violence pour que l’ordre public soit préservé. Pour cela, il faut contrôler la population par tous les moyens : fichage, surveillance, éducation, répression, etc. Il y a donc une dimension politique forte, ce que les médias et les pouvoirs publics dénient aux black blocs : dépolitiser pour ne garder que l’aspect criminel et délictueux[1].
Les black blocs cherchent au contraire à favoriser l’émancipation de chacun, à développer l’autonomie individuelle et collective. C’est la raison pour laquelle il n’y a pas de dirigeants, qui déformeraient forcément les opinions des uns et des autres et finiraient immanquablement par défendre leurs propres intérêts. Les décisions se prennent au sein de petits groupes, constitués par affinités (ce qui limite les risques d’infiltration), qui se rassemblent parfois en pleine action, sous le nez de la police. Il n’y a d’ailleurs pas d’Internationale black bloc, dont le centre d’action serait en Allemagne ou ailleurs, et pratiqueraient volontiers une sorte de tourisme militant.
[1] Sur ce point, on pourra lire l’excellent petit ouvrage de Vanessa Codaccioni, Répression. L’État contre les contestations politiques, coll. « Petite encyclopédie critique », Textuel, 3 avril 2019, 96 p., 12,90 €.
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