02/05/2022

Francis Dupuis-Déri, Les Black Blocs. La liberté et l’égalité se manifestent, éd. Lux, coll. « Instinct de liberté », rééd. 2019, 344 p., 14 €


 Propos de l’éditeur. « Apparue à Berlin-Ouest vers 1980 et popularisée lors de la « bataille de Seattle » en 1999, la tactique du black bloc connaît un renouveau. Des black blocs ont manifesté lors du Sommet du G20 à Toronto, du Printemps arabe, du mouvement Occupy et des Indignés, lors des récentes grèves étudiantes au Québec et contre la vie chère au Brésil, dans les « cortèges de tête » en France et contre les néonazis aux États-Unis.

Cagoulés, vêtus de noir et s’attaquant aux symboles du capitalisme et de l’État, les black blocs sont souvent présentés comme des « casseurs » apolitiques et irrationnels, voire de dangereux «terroristes».

Publié une première fois en 2003 et depuis mis à jour et traduit en anglais et en portugais, ce livre est reconnu comme la référence pour qui veut comprendre l’origine du phénomène, sa dynamique et ses objectifs. Alliant observations de terrain, entretiens et réflexion éthique et politique, l’auteur inscrit les black blocs dans la tradition anarchiste de l’action directe ».

 

Francis Dupuis-Déri est professeur de science politique à l’UQAM (université du Québec à Montréal). Engagé dans les courants libertaires depuis longtemps, il a placé les mouvements sociaux au centre de ses thèmes d’étude. Mais qu’on ne s’y trompe pas : Les Black blocs n’est pas à considérer comme un plaidoyer pro domo. Bien au contraire, on a une étude très fouillée, très pointue qui mérite qu’on s’y attarde vraiment. La masse de documents utilisés et leur diversité montrent bien que Francis Dupuis-Déri s’est efforcé de restituer le résultat de ses recherches avec le maximum d’objectivité. On pourra d’ailleurs lire tout un chapitre concernant les critiques que l’on peut faire aux black blocs, que l’auteur discute.

Francis Dupuis-Déri prend pour base l’image colportée hâtivement par les médias, mais aussi les mots utilisés. On ne s’étonne plus que les black blocs soient des casseurs, des voyous qui ne cherchent qu’à assouvir leur désir de destruction, sans la moindre justification idéologique et sans aucune considération pour la foule des manifestants. C’est évidemment la représentation que s’en font les pouvoirs publics, à commencer par la police.C’est aussi celle de ce que l’auteur appelle l’ « élite progressiste », constituée des dirigeants politiques, syndicaux et associatifs, qui n’ont de cesse de dénoncer la violence des black blocs, quitte à s’emparer de certains de leurs membres et à les livrer à la police. En organisant un service de sécurité et en veillant à ce qu’il n’y ait aucun débordement, l’auteur considère que ces formations agissent en parfaits auxiliaires de la police, avec laquelle ils se concertent d’ailleurs. Le résultat consiste en des manifestations « bon enfant », qui n’attirent pas l’attention des médias et des pouvoirs publics, et qui échouent donc.

Patiemment, Francis Dupuis-Déri a accumulé non seulement des documents émanant des médias dominants et du pouvoir, mais il s’est également rapproché des militants et des manifestants.

Cette démarche lui a permis de nuancer très fortement l’idée que chacun se fait des black blocs. En premier lieu, il rappelle que l’expression ne désigne pas des personnes, au sens strict, mais une tactique de manifestation qui a des objectifs. Par extension, elle s’est appliquée aux groupes et à leurs membres. Il montre que cette tactique peut s’appuyer sur la violence, mais que ce n’est pas le moyen retenu a priori. Les membres de ces groupes peuvent aussi être présents, pacifiquement. Le choix de leur tenue et le fait d’apparaître masqué permet d’être distingué et de constituer un point de ralliement pour les manifestants qui souhaitent se joindre à eux, ou être protégés par eux des violences policières. Les bâtiments retenus permettent de les désigner comme des cibles porteurs d’un message idéologique : dénoncer l’exploitation des salariés, le travail des enfants, la brutalité d’État, etc. Ces cibles symboliques et la faiblesse de leur destruction cherchent à attirer l’attention des médias et, par contre coup, de l’opinion publique. Il n’y a guère de place pour le hasard, même s’il peut y avoir des destructions et des pillages aux alentours. Francis Dupuis-Déri donne d’ailleurs plusieurs exemples de situation dans lesquelles les black blocs se sont opposés à ces phénomènes et ont organisé des activités pour permettre l’indemnisation des victimes de ces violences annexes.

L’auteur montre surtout en quoi les black blocs sont attachés à l’idéologie anarchiste. Si l’on devait retenir quelques principes, cela consisterait à s’opposer à tout forme de pouvoir, de domination d’une minorité. L’État est perçu comme une entité qui cherche à protéger les intérêts capitalistes, ce qui l’amène à exercer une forme de violence pour que l’ordre public soit préservé. Pour cela, il faut contrôler la population par tous les moyens : fichage, surveillance, éducation, répression, etc. Il y a donc une dimension politique forte, ce que les médias et les pouvoirs publics dénient aux black blocs : dépolitiser pour ne garder que l’aspect criminel et délictueux[1].

 

Les black blocs cherchent au contraire à favoriser l’émancipation de chacun, à développer l’autonomie individuelle et collective. C’est la raison pour laquelle il n’y a pas de dirigeants, qui déformeraient forcément les opinions des uns et des autres et finiraient immanquablement par défendre leurs propres intérêts. Les décisions se prennent au sein de petits groupes, constitués par affinités (ce qui limite les risques d’infiltration), qui se rassemblent parfois en pleine action, sous le nez de la police. Il n’y a d’ailleurs pas d’Internationale black bloc, dont le centre d’action serait en Allemagne ou ailleurs, et pratiqueraient volontiers une sorte de tourisme militant.

On a peine à rendre compte des 344 pages de l’ouvrage, très stimulantes, tant elles permettent de considérer le phénomène des black blocs sous un autre angle. Il donne aussi l’occasion de réfléchir avec l’auteur à ce qui fait l’efficacité d’une action protestataire (notamment vis-à-vis des médias) et de la place que pourrait y occuper la violence. Il est en cela hautement recommandable. C’est d’ailleurs une nouvelle réédition, l’ouvrage ayant paru en 2003 et ayant fait l’objet de plusieurs refontes : il répond donc bien à une demande de l’opinion publique.

 

[1] Sur ce point, on pourra lire l’excellent petit ouvrage de Vanessa Codaccioni, Répression. L’État contre les contestations politiques, coll. « Petite encyclopédie critique », Textuel, 3 avril 2019, 96 p., 12,90 €.

26/04/2022

Renaud de Heyn (sc. et ill.), Semences sous influences, La Boîte à bulles, 6 avril 2022, 80 pages, 16 euros. EAN 9782849534267


Propos de l'éditeur. « Une plongée dans l'univers des semences, enjeu de pouvoir et de contre-pouvoir entre les multinationales et l'agriculture paysanne. 
 
L’alimentation figure en bonne position parmi les problématiques clés de notre société actuelle. De tout temps, le monde agricole a sélectionné ses semences pour améliorer sa production mais, depuis quelques décennies, des variétés sans cesse plus sophistiquées sont créées au service d'un productivisme effréné. Les technologies mécaniques, chimiques, biologiques ou génétiques, alliées à l'industrialisation, à la course perpétuelle au rendement nous ont conduit à un désastre environnemental, alimentaire et sanitaire.

Sans même parler des fameux OGM, dont l'usage reste heureusement strictement encadré en Europe, l'agriculture intensive, la surexploitation des terres, l’usage de semences dites « hybrides » ont rendu l'agriculture dépendante de produits nocifs pour l’ensemble du vivant.

Face à cette agriculture dominante, de petits agriculteurs développent, à l’échelle nationale et européenne, une alternative autour des semences anciennes. Mais le combat pour faire valoir leur droit à l'utilisation de semences non issues de laboratoires industriels est rude. En effet, la législation – et les critères de validation pour faire entrer les semences au « Catalogue officiel » – favorisent les produits industriels, et les agriculteurs agroécologiques ont été contraints d’opérer en toute illégalité durant des décennies.

Avec Semences, Renaud De Heyn nous invite à découvrir les coulisses d’un secteur au sein duquel les intérêts privés l’emportent trop souvent sur la préservation de l’environnement et la santé publique... ».

21/04/2022

Emmanuel Reuzé (ill. et sc.), Nicolas Rouhayd, Jorge Bernstein et Vincent Haudiquet (co-sc.), La Limite n'a pas de connerie, Fluide glacial, 6 avril 2022, 56 pages, 12,90 €. ISBN : 979 1 0382 0408 9


Présentation de l'éditeur. «
Vous avez fait le tour de l’humour absurde ? Que nenni. Découvrez en la quintessence.
Après le succès de Faut pas prendre les cons pour des gens, nous vous proposons aujourd’hui de remonter dans le temps et de découvrir les histoires d’Emmanuel Reuzé avant les Cons !  Des univers complètement barrés, des jeux olympiques du crime, une passion fiévreuse entre experts comptables ou encore les aventures de l’homme mal cadré… Reuzé parvient à repousser les frontières d’un humour complètement décalé encore plus loin ».
 
 
On trouvera une biographie d'Emmanuel Reuzé sur le site de Fluide. De sa production, on retiendra surtout la série Faut pas prendre les cons pour des gens (trois volumes, parus en 2019, 2020 et 2021), dont on remarque la similarité de construction du titre avec le présent album. Il permet surtout de bien donner le ton au lecteur, aidé encore par la couverture qui présente un astronaute (à moins que ce soit un cosmonaute, un taïkonaute, un spationaute, ou un vyomanaute : allez savoir…) adepte du rodéo urbain mais en milieu lunaire, pris en flagrant délit de conduite dangereuse par un agent de police, et dûment verbalisé. Et tout l'album est l'avenant, qui s'ouvre sur une série de préfaces (car Emmanuel Reuzé n'est pas du genre à faire dans la demi-mesure) de Kafka, Hugo, Duras, Proust, Rabelais, etc., et de lui-même (parce qu'il n'y a pas de raison, après tout…). Et là, c'est parti pour une série de dérapages incontrôlés en tout genre. On découvrira l'enfance de William Henry Bonney  (William Bonney… Ben si, enfin : William Bonney, quoi… Bon : Billy the Kid… Faut vraiment tout vous dire…). On verra aussi qu'être dans l'US Navy n'est pas de tout repos (ou de façon éternelle), qu'il vaut mieux ne pas déranger un tueur en série, comment obtenir un CAP de poule de ferme… On a aussi droit à un bonus (par quoi j'ai commencé…) montrant Batman affrontant la soif gorge sèche.
Entre chaque épisode, Emmanuel Reuzé a placé des dessins sur une page entière, et on saura ainsi comment les participants à un congrès de gastronomie fine ont pu survivre au crash de leur avion. Sans oublier le running gag des « Fabuleuses aventures de Super mal cadré ».

La plupart des planches rassemblées dans cet album ― « le plus drôle depuis l'invention des zygomatiques », selon la quatrième de couverture — ont paru dans Psykopat entre 2007 et 2009, et dans L'Écho des savanes en 2008. Mais à vrai dire, rien ne permet de considérer comme datées ou dépassées les histoires d'Emmanuel Reuzé : les références restent communes à tous. Les adeptes du non-sens et de l'absurdité — et les autres — se plongeront dans La Limite n'a pas de connerie avec bonheur et plaisir.

24/03/2022

Monsieur Le Chien, Julien Hervieux, Le Petit Théâtre des opérations, tome 2, « Faits d'armes incroyables mais bien réels... », 2 mars 2022, 56 pages, 14,90 €. ISBN : 979 1038 200 968


Présentation de l'éditeur. « Après le succès du premier tome, Julien Hervieux (aka L'Odieux Connard) et monsieur le chien continuent de rendre hommage aux faits et héros oubliés des deux Guerres mondiales.
Saviez-vous qu'en 1940, un char français se retrouva seul face à treize chars allemands dans le petit village de Stonne et l'emporta ? Que le plus grand tireur d'élite de l'histoire était un petit Finlandais qui n'utilisait même pas de lunette ? Que Mata Hari, si elle savait danser, savait beaucoup moins bien espionner ? Et saviez-vous aussi que c'est une charge de cavalerie qui précipita l'armistice de 1918 ? Et...
 
Actes de bravoure et anecdotes drôles, mais toujours improbables, le Petit Théâtre des Opérations est de retour. 
Le premier tome regroupait des histoires longues et des textes documentés sur divers faits de guerre. Ce second volume reprend la même formule tout en ajoutant des anecdotes sur l'origine des snipers, la création du café Liégeois ou encore ces chiens qui servirent d'arme antichar dans l'armée Soviétique.
 
Et si vous vous posiez la question, oui, tout est vrai ! ».


Le premier tome du Petit Théâtre des opérations avait paru il y a un an exactement (voir sa présentation sur le site de l'éditeur). On en avait beaucoup apprécié le choix des situations historiques, présentées sous leur aspect burlesque de façon à en souligner l'absurdité. Bien entendu, malgré ce que dit l'éditeur, tout n'est pas forcément à prendre au pied de la lettre. Si les personnages principaux et le contexte dans lequel ils se sont révélés ont réellement existé, les auteurs ont laissé libre cours (et de quelle façon…) à leur interprétation des faits, ce qui n'est pas plus mal. Le Petit Théâtre des opérations n'est donc pas un livre d'Histoire, mais un livre d'histoires : l'accent mis sur l'anecdotique laisse volontiers dans l'ombre des phénomènes plus amples. Avec cette fresque épique, le but des auteurs n'est pas l'érudition (quoi que…), mais de prendre des situations on ne peut plus sérieuses — les deux guerres mondiales — par le petit bout de la lorgnette et de nous faire rire. 
À signaler une nouveauté par rapport au premier tome : les auteurs ont inséré une page d'anecdotes entre chaque histoire, intitulée « Vous allez tout savoir… grâce à l'Odieux Connard ». On connaîtra l'origine du café liégeois ; on saura qu'il faillit exister des chiens antichar, qui était Mariya Oktyabrskaya, etc.
 
Des histoires véridiques ? Prenons celle de Jules Beaulieux (p. 34 et suiv.). Né le 7 novembre 1913 à Anzin (Nord), il était manœuvre au service traction du dépôt  SNCF de Valenciennes. Il est mobilisé le 25 août 1939 dans la première compagnie du premier bataillon du u Pont-du-Sarteau, au sud du canal séparant Condé-sur-l'Escaut et Fresnes-sur-Escaut. Le 20 mai (date en concurrence avec celle du 24, inscrite sur la stèle commémorative inaugurée en 1953), des éléments de deux régiments allemands se présentent  au nord du canal : le Pz.Jg.Abt. 670 (Panzerjäger-Abteilungen : groupe de chasseurs de chars) et le PI Btl 269 (Pionier-Bataillon : bataillon de pionniers). Sous la pression des canons anti-char, Jules Beaulieux renvoie bientôt les deux autres servants (l'un d'entre eux, blessé, aurait été évacué à Lille, où il meurt), et continue à interdire le passage du canal dont le pont du Sarteau a été démoli par le génie, mais pas le pont du Jard. Quatre coups tirés sur la tourelle en vinrent à bout. Comme l'album l'indique, Jules Beaulieux fut d'abord inhumé à proximité de sa tourelle par les Allemands, avant d'être rendu à sa famille et transféré au cimetière communal d'Anzin, le 1er juin 1940. Il obtint la médaille militaire et la croix de guerre à titre posthume ; une rue d'Anzin porte son nom. Où l'on voit qu'entre les faits et la traduction qu'en ont fait les auteurs, il n'y a pas beaucoup de marge : ils sont globalement respectés. Toutefois, la résistance des autres combattants dans le secteur est presque passée sous silence, ce qui est dommage. Mais on a au moins de quoi susciter la curiosité et l'envie d'aller plus loin : l'appétence pour l'Histoire se construit aussi de cette manière, incarnée dans des personnages.
 
Maintenant, le problème… Je me suis fait voler l'album par mes deux plus jeunes fils, dès son arrivée. Mon conseil : ne jamais faire une erreur pareille. Le plus petit (onze ans) n'arrête pas de le lire et de relire, celui-là et le premier tome (tant qu'on y est…). Bref, difficile de remettre la main sur la BD. J'ai voulu savoir ce qui l'intéressait (oui : parce qu'il continue à passer ses soirées dessus…). « Alors, euh…, des histoires variées, le ton décalé, drôle. J'ai bien aimé l'histoire de Simo Häyhä, d'Albert Jacka et de Jules Beaulieux ; bon, toute la BD, quoi… Les bonus avec les pages de précisions historiques. Euh… Bref, c'est pas mal… J'attends avec impatience le tome 3 ».
On ne saurait mieux dire…
 

18/03/2022

James C. Scott (tr. fr. : Marc Saint-Upéry), Homo Domesticus. Une histoire profonde des premiers États, La Découverte, coll. « Hors collection sciences humaines », janvier 2019, 302 p, 23 €

 Présentation de l’éditeur. « Aucun ouvrage n’avait jusqu’à présent réussi à restituer toute la profondeur et l’extension universelle des dynamiques indissociablement écologiques et anthropologiques qui se sont déployées au cours des dix millénaires ayant précédé notre ère, de l’émergence de l’agriculture à la formation des premiers centres urbains, puis des premiers États.

C’est ce tour de force que réalise avec un brio extraordinaire Homo domesticus. Servi par une érudition étourdissante, une plume agile et un sens aigu de la formule, ce livre démonte implacablement le grand récit de la naissance de l’État antique comme étape cruciale de la « civilisation » humaine.
Ce faisant, il nous offre une véritable écologie politique des formes primitives d’aménagement du territoire, de l’« autodomestication » paradoxale de l’animal humain, des dynamiques démographiques et épidémiologiques de la sédentarisation et des logiques de la servitude et de la guerre dans le monde antique.
Cette fresque omnivore et iconoclaste révolutionne nos connaissances sur l’évolution de l’humanité et sur ce que Rousseau appelait « l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes ».La préface de cet ouvrage est rédigée par Jean-Paul Demoule, spécialiste du Néolithique et de l’âge du Fer, professeur émérite de protohistoire européenne à l’université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne, et l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages, parmi lesquels Mais où sont passés les Indo-Européens ? Aux origines du mythe de l’Occident et, avec Dominique Garcia et Alain Schnapp (dir.), Une histoire des civilisations. Comment l’archéologie bouleverse nos connaissances.
James C. Scott est professeur émérite de science politique et d’anthropologie à l’université Yale. Il est l’auteur de nombreux livres, dont trois ont été traduits en français : La Domination et les arts de la résistance (Amsterdam, 2009), Zomia ou l’art de ne pas être gouverné (Seuil, 2013) et Petit Éloge de l’anarchisme (Lux, 2013) ».
 
 
Un anthropologue (et politiste) qui se mêle d’histoire et même de préhistoire ! Cet empiètement sur d’autres bandes que celles qui lui sont familières est parfaitement assumé par James C. Scott dès le départ ; il le revendique d’ailleurs, avec modestie, comme une façon d’approcher un objet en étranger. Il n’en demeure pas moins que l’auteur s’est appuyé sur une documentation particulièrement abondante (la bibliographie tient sur dix-neuf pages, ce qui n’exclue pas des notes qui ne puisent pas forcément toutes dans les références indiquées) et relativement récente (l’ouvrage a en effet été publié en 2017). On regrette de n’y voir que peu d’études francophones ; Jean-Paul Demoule, qui assure la préface, n’est ainsi pas cité. Il n’empêche : les points d’appui sont nombreux, très discutés par James C. Scott, dont on apprécie l’esprit profondément critique et la distance qu’il prend par rapport aux emprunts qu’il fait. C’est d’ailleurs la principale qualité de cet ouvrage, outre que sa traduction offre un agrément de lecture non négligeable. 
James C. Scott poursuit le questionnement qui l’anime, et qui rejoint ses aspirations idéologiques : pourquoi les hommes ont-ils constitué des pouvoirs, des États, qui n’ont pas manqué de les asservir ? N’y avait-il pas d’autres voies que celle-là ? Était-elle inéluctable et inexorable comme on nous l’a enseigné ?
Pour répondre à cela, l’auteur prend en considération la Mésopotamie, sans exclure d’autres régions : l’Égypte, mais aussi la Chine, le Japon, etc. Sa thèse (qu’il n’est pas le premier à avoir formulé) prend à contre-pied ce qu’on admet classiquement, à savoir que l’homme est passé du stade de chasseur-cueilleur-pêcheur itinérant à celui d’agriculteur sédentaire, et qu’à l’occasion de cette fixation géographique se sont constitué des pouvoirs qui se sont structurés en États. S’il n’est pas le premier à contester cette vision linéaire, il montre que l’idée du progrès humain qui la sous-tend n’y est même pas associée. En effet (et pour aller très vite), il montre le degré de liberté qu’avaient les communautés de nomades, en même temps qu’ils avaient accès à un savoir forcément très large sur leur environnement (quelles sont les habitudes des animaux à chasser, comment récolter les fruits et les graines sauvages, comment fonctionnent les grands courants maritimes pour pouvoir se déplacer, les subtilités des rythmes saisonniers, etc.). La disjonction entre l’homme et la nature n’avait alors aucun sens : l’homme était dans la nature.
Le passage à la domestication a impliqué des bouleversements considérables, à commencer par une certaine sédentarisation (qui s’est faite progressivement) mais aussi un alourdissement des tâches. Quand la chasse, par exemple, suppose quelques heures, l’élevage et l’agriculture réclament des soins permanents. Comme il l’indique, la domestication d’espèces animales et végétales a débouché sur une auto-domestication de l’homme, ce qui indique qu’il a dû s’assujettir à elles. La concentration d’animaux et d’humains est aussi à l’origine de nombreux problèmes : les parasites des premiers ont pu passé aux seconds. Et avec le développement des agglomérations et de la circulation, les maladies ont trouvé de quoi s’étendre : le déclin de certaines civilisations peut d’ailleurs s’expliquer de cette façon. D’autres explications tiennent à des crises alimentaires : l’agriculture a sélectionné les espèces, ce qui a accru la dépendance des hommes, avec les conséquences que l’on imagine en cas d’invasion de ravageurs, sous toutes les formes (animaux, insectes, champignons) et de maladies non moins diverses. James C. Scott s’interroge au passage sur le bien fondé du choix du terme de « civilisation » qui s’applique aux populations sédentarisées, agricoles, sous domination de pouvoirs : est-ce être civilisé que d’avoir cherché à préserver sa liberté, l’ampleur de ses connaissances, la diversité alimentaire ?
De là, se pose la question de savoir ce qui explique cet asservissement volontaire, s’il l’a été. L’élément étatique est alors avancé. Pour que la liberté d’action régresse, il faut qu’il y ait eu contrainte. Si l’on admet mal que l’on s’inflige volontairement des chaînes, il faut aussi admettre qu’il y ait eu un système suffisamment puissant pour le faire. Seul les États pouvaient y parvenir. Les pouvoirs ont cherché à rassembler les hommes sur les secteurs les plus fertiles, dans des espaces contrôlables voire fermés : l’attachement à la terre en était la condition. Pour vivre, un État a besoin de ressources : les céréales offraient la possibilité de pouvoir être quantifiés, leur récolte prévisible (d’où le titre original de l’ouvrage : Against The Grain). En outre, leur culture demandaient justement que une présence permanente des hommes. Pour autant, ces États, dont l’autorité était géographiquement assez réduite et s’affaiblissait considérablement leurs marges, pouvaient décliner très rapidement, du fait de leur dépendance au travail agricole. Ils devaient en outre faire face à la fuite des paysans, ne supportant plus le contrôle extrême exercé sur eux, surtout quand la promesse d’une sécurité ne débouchait que sur un accroissement de l’insécurité (guerre, menace de l’esclavage, etc.). L’extinction de « civilisations », ce qu’on appelle des « temps obscurs » ont aussi tenu à ces éléments. Bon nombre d’indices archéologiques montrent d’ailleurs des retours au système antérieur, à savoir chasse-cueillette-pêche. Rappelons d’ailleurs que l’agriculture ne s’est vraiment imposée à l’humanité il n’y a que quatre ou cinq siècles. Pas plus qu’elle, l’avènement des États n’avait rien d’une marche inexorable, et leur stabilité doit être interrogée, quelque immuables puissent-ils paraître.

 

La synthèse de James C. Scott vient ainsi renforcer des travaux parmi lesquels ceux de Jean-Paul Demoule. Sa lecture s’impose à qui veut enseigner cette période de transition (dont on a compris qu’elle était un mythe) au terme de laquelle la sédentarisation se serait imposée.

07/03/2022

Shlomo Sand (tr. fr. : Michel Bilis), Une brève histoire mondiale de la gauche, La Découverte, coll. « Cahiers libres », 20 janv. 2022, 320 pages, 20 €. ISBN : 9782348072277

Présentation de l'éditeur. «
Qu’arrive-t-il à la gauche ? Est-elle effectivement en train d’agoniser ? Si on n’a cessé, tout au long de sa brève existence, de prononcer son requiem, elle a jusqu’à présent toujours déjoué les pronostics. Pourtant, aujourd’hui, partout dans le monde, les mouvements de la gauche organisée connaissent un déclin important. C’est peut-être qu’il faut y voir le symptôme d’un effacement plus profond et bien plus problématique, celui de l’« imaginaire de l’égalité », qui fut le principal moteur de la gauche mondiale depuis sa naissance au XVIIIe siècle… C’est en tout cas l’hypothèse pour le moins perturbante de ce livre.
Et pour saisir sa pertinence, Shlomo Sand nous propose de remonter aux sources de cet « imaginaire » et d’étudier le façonnement, les transformations et les ajustements de l’idée d’égalité sur plus de deux siècles. Des Diggers de la première révolution anglaise à la formation de l’anarchisme et du marxisme, du tiers-mondisme aux révolutions anticoloniales, des féminismes post-MeToo au populisme de gauche aujourd’hui, ce livre revient en profondeur sur les penseurs et les mouvements qui ont bâti la gauche mondiale. Il montre à la fois les dynamiques globales et transnationales qui les ont animés, souvent en écho les unes avec les autres, la manière dont ils ont pensé l’égalité, mais aussi comment ils se sont heurtés au « mur » de l’égalité réelle et ont pu en tirer, ou non, les leçons nécessaires.
Avec le brio et l’engagement qu’on lui connaît, Shlomo Sand relève le difficile pari d’une brève histoire mondiale de la gauche qui s’adresse, avec un grand sens de la pédagogie, au plus grand nombre, tout en proposant des hypothèses originales à l’heure où nous devons nous employer, de toutes nos forces, à réactiver l’imaginaire égalitaire ».

 
Comme un fait exprès (qui n'en est pas un), Le Monde diplomatique du mois de janvier 2022 a consacré un dossier à la question « Pourquoi la gauche perd » (p.1, p. 11à 17). On note la forme affirmative de ce titre, et non interrogative : il en est ainsi. Et paraît donc cet essai de Shlomo Sand, professeur d'histoire émérite à l'université de Tel-Aviv, qui invite à une réflexion sur des bases à peu près identiques, comme l'exprime d'ailleurs la présentation de l'éditeur qu'on vient de lire. À cela près que l'auteur, « né à gauche » comme il se présente dès les premières pages, estime que le problème tient essentiellement à une dégradation de l'imaginaire égalitaire. 
Pour les auteurs du dossier du Monde diplomatique, le constat est plutôt celui d'un faillite des partis dits de « gauche », et plus précisément d'une trahison des formations sociaux-démocrates qui se sont ralliées aux thèses néo-libérales. Les réactions telles que celles qu'on connaît sous le nom d'Occupied Wall Street, des Indignés, des Gilets jaunes, etc., ont échoué, mais c'est en raison de leur nature propre, à savoir un rejet originel de toute structure et tout représentant, éléments indispensables pour s'établir dans le temps : Shlomo Sand fait d'ailleurs le même constat, regrettant qu'il n'ait « jamais été question d'une « mondialisation » de l'opposition ni de créer un mouvement international de solidarité ». Cela tient à une propension à la défiance à l'égard des formations politiques et syndicales structurées, alors que s'expriment des formes spontanées, souvent ponctuelles, d'engagement dans les luttes dont l'objet est clairement identifiable aux yeux de leurs participants. Il y a une nécessité de saisir les aspects concrets qui donnent tout de suite le sens de l'engagement, gage d'une préservation de la liberté individuelle.
La réflexion de Shlomo Sand repose à la fois sur une échelle mondiale et sur une large perspective historique, puisqu'il remonte au XVIe siècle. Cela lui permet de voir dans quelles circonstances apparaissent ce qui fondent les valeurs de la « gauche » : l'égalité, la liberté, l'émancipation, etc. Comme on l'a dit, il choisit de privilégier l'angle de vue de l'imaginaire égalitaire, selon lui « notion centrale si l'on veut déchiffrer l'apparition de la gauche dans l'histoire », et principe essentiel de toutes les luttes, y compris de celles qui visent à conquérir et renforcer les libertés, que ce soit en faveur des opprimés au travail, des esclaves, des colonisés, et finalement de tous les groupes sociaux opprimés d'une façon ou d'une autre. Ce faisant, on mesure mieux (si on n'en avait pas conscience) ce qui distingue ce courant idéologique multiforme des autres. En ces temps de confusion idéologique, d' « en même temps » qui regarde pourtant du même côté, ces précisions seront utiles à tous les lecteurs, déjà avertis ou non. Car, au fond, quels rapports entretient la « gauche » avec le libéralisme (néo ou pas), le nationalisme, etc. Shlomo Sand revisite l'histoire mondiale, principalement à partir du XVIIIe s., de façon à voir comment ces rapports évoluent, et donc la « gauche » en même temps. Être de gauche dans l'enceinte de l'Assemblée nationale le 28 août 1789 (jour où se produisit en France un regroupement des députés, à droite du président pour ceux qui étaient favorables, ou à sa gauche pour ceux qui étaient défavorables au droit de veto royal dans la constitution en débat, sans même parler des neutres), est-ce la même chose que défendre la République espagnole les armes à la main entre 1936 et 1939 (pour reprendre la photographie de la couverture) ? Qu'est-ce qui rassemble les Communards ou les bolcheviques des résistants au coup d'État chilien du 11 septembre 1973 ? Qu'y a-t-il de commun entre le combat féministe et l'écologie politique ? 
L'affaiblissement de cet imaginaire égalitaire suppose-t-il un épuisement des revendications ou des objets de luttes ? Shlomo Sand ne cède pas au pessimisme et en recense quelques-uns : un renouveau de l'État-providence ; la diminution et le parage du travail, le revenu de base universel, la gratuité des études supérieures, etc. Mais il manque encore de « constituer un bloc historique incluant les classes sociales dont les intérêts nécessitent des réformes radicales. […] Lorsque les salariés « d'en haut » se rendront compte que leur avenir dépend des salariés « d'en bas », notamment des plus jeunes, et que ces derniers seront lassés du culte inutile rendu aux idoles populistes, des stratégies menant à une politique différente, réformiste ou révolutionnaire pourront émerger ».
 
Ah ! J'oubliais que le dossier du Monde diplomatique comportait dans sa version podcastée un sous-titre : « Pourquoi la gauche perd (et pourquoi nous restons optimistes) ».

23/02/2022

Timothy Morton (trad. fr. : Cécile Wajsbrot), Être écologique, Zulma, coll. « Essais », 7 oct. 2021, 256 pages, 20 €. ISBN : 9791038700208


 Présentation de l'éditeur. « Le réchauffement climatique a déclenché la sixième extinction de masse, nous sommes dans l’ère de l’Anthropocène. Mais contempler la catastrophe ou chercher le coupable n’aident ni à prendre les bonnes décisions, ni à agir vraiment. Face à une avalanche de faits et de données toujours plus alarmants, n’est-il pas temps de se réaccorder à notre environnement ?

En recourant à des outils et des concepts comme l’intuition, l’art, l’empathie, l’interconnectivité, ou notre héritage néandertalien, Timothy Morton nous montre comment se remettre au diapason : à notre échelle, mais aussi à celles des bactéries, de la baleine à bosse, des écosystèmes, ou de la planète.
Être écologique, c’est changer de paradigme dans notre relation au monde, se libérer du déni et du désespoir. Une lecture performative aussi sérieuse que captivante.

« Être écologique, c’est se reconnecter à la biosphère. » The Financial Times

 « Un essai idéaliste et inspirant. » The Guardian ».

 

On avait rendu compte du précédent ouvrage de Timothy Morton traduit en français chez Zulma : La Pensée écologique. On y indiquait attendre la traduction de son Being Ecological, paru en janvier 2018 chez Pelican Books, dont il était dit qu'il s’adressait précisément à ceux qui n’ont rien à faire de l’écologie. Voilà qui est fait. 

Bien évidemment, cet ouvrage est dans la prolongement du premier. Toujours avec l'humour qui le caractérise, Timothy Morton indique que son livre (très stimulant) est inutile : on verra pourquoi. Il explore ici la façon dont l'écologie est considérée aujourd'hui, que ce soit du point de vue des alarmistes ou des éveilleurs de conscience, que de celui des tenants de la collapsologie (on oubliera les climato-sceptiques). La diversité de ces considérations sont le résultat, selon lui, de l'avalanche d'informations confuses sous laquelle l'opinion publique est ensevelie, empêchée de réfléchir sereinement. La majorité vont cependant dans le même sens et aboutissent à une culpabilisation. Même l'indifférence est pour lui la marque d'une volonté de fuir les problèmes. Pour l'auteur, ce fatras alimenté par une foison de données chiffrées, donc irréfutables, crée ce qu'il appelle une « bulle de peur anticipatoire ». Mais le résultat est à rebours de qui serait attendu : on est accablé par la terreur, et cette sidération nous laisse incapables de voir ce qui se passe réellement. Qui peut dire précisément les conséquences de la disparition pure et simple de milliers d'espèces vivantes ou, encore pire, de l'extinction de masse ? Que signifie réellement l'élévation des températures moyennes ? On ne comprend pas, et le réflexe est de se mettre la tête dans le sable : selon l'auteur, c'est le résultat d'une aliénation à ce que nous promet le futur, au désespoir inéluctable. De quoi suis-je, moi, coupable ? Pourquoi faudrait me charger de la responsabilité des conséquences de l'industrialisation (au mieux), sinon de tout ce que l'homme a entrepris ? Je m'évertue à ne pas gaspiller l'eau et l'énergie, mais au fond, est-ce que cela a la moindre efficacité ? Elle est bien belle, l'histoire du colibri de Rabhi… On retrouve finalement ce que Timothy Morton avait développé dans La Pensée écologique : les hyperobjets (radiations, extinction de masse, etc.), dont on avait dit, dans le compte rendu, qu'il s'agissait d' « éléments dont nous sommes conscients de l’existence, mais dont nous avons le plus grand mal à discerner les contours, à les voir ».

De là, tout se passe « comme si la fin du monde avait déjà eu lieu » : sans angoisse particulière, l'humanité se trouve dans un état de « stress post-traumatique ». On ne croit plus à l'efficacité de l'action, et les incitations à se remuer restent quasiment lettre morte : il n'y aurait plus à agir vraiment face au néant (même si, paradoxalement, on sent qu'il faudrait le faire du fait des injonctions reçues), mais à se résigner et à composer avec la situation.

Alors, dans ce fatalisme ambiant, que signifie « être écologique » ? Pour Timothy Morton, cela veut dire qu'il faut accepter le traumatisme causé par une évolution qui est en cours (tout de même), ce qui aidera justement à se libérer de son poids écrasant et considérer les choses avec un peu plus de recul, pour nous débarrasser de cette angoisse anesthésiante. Comme dans toute crise, il s'agit d'une mutation dont il faut chercher à faire advenir le meilleur. Et ce meilleur, c'est d'admettre enfin ce qu'il disait dans La Pensée écologique : l'homme n'est qu'un être parmi les autres, « un être symbiotique enchevêtré avec d'autres êtres symbiotiques ».

On comprend alors pourquoi son ouvrage est « inutile » : c'est parce que l'homme est déjà écologique, dans le sens qu'il donnait au mot écologie dans La Pensée : tous les êtres sont interconnectés dans la biosphère. Aussi, la période dans laquelle nous sommes entrés, l'Anthropocène, doit être considérée comme une opportunité à saisir pour modifier le rapport des hommes au monde, au-delà de l'opposition artificielle entre humanité et « nature ». Parvenir à « être écologique », c'est se donner les moyens d'agir écologiquement. Pour Morton, cette reconstruction passe notamment par l'art, pour traduire le réel de façon sensible. Il prend l'exemple d'Olafur Eliason et de son Ice Watch qui avait, en 2015, donnait à comprendre les effets concrets du réchauffement climatique au moment de la COP 21 : il avait disposé de volumineux blocs de glace du Groenland devant le Panthéon, lesquels fondaient à vue d’œil. La perception était immédiate. Cela montre que la sensibilisation peut emprunter d'autres voies que l'injonction à agir, le déversement d'informations toutes plus angoissantes les unes les autres. Alors, on peut se détendre : « vous êtes un être pleinement incarné qui n'a jamais été séparé des autres êtres biologiques […]. Vous êtes dans l'idée qu'il y a un intérieur et un extérieur de vous-même, et c'est sans doute la façon la plus profonde de commencer à penser qu'être écologique implique un changement énorme ». Envisager le futur, c'est donc considérer que les choses à venir peuvent être différentes de la façon dont on les imagine, pour qu'il soit désirable. Quitte à se tromper, à revenir un peu en arrière, trouver une alternative, sans chercher à être efficace, « performant »… Cela doit nous permettre de nous délivrer du tout ou rien : ou réussir, ou échouer. Or, cette possibilité de se tromper, ce droit, même, nous ouvre une troisième voie.

Eh bien, voilà un livre qui s'impose au moment de la campagne des élections françaises, aussi bien présidentielles que législatives, que devraient lire chacun des candidats.

Jean-Yves Le Naour (sc.), Iñaki Holgado et Marko (ill.), Aretha Battistutta (coul.), <i>Le réseau Comète. La ligne d'évasion des pilotes alliés</i>, Bamboo, coll. « Grand Angle », 56 p., 31 mai 2023. ISBN 978 2 8189 9395 8

Présentation de l'éditeur . « Des centaines de résistants de « l’armée des ombres », discrets, silencieux, un « ordre de la nuit » fait...