Présentation de l’éditeur.
« Aucun ouvrage n’avait jusqu’à présent réussi à restituer toute la
profondeur et l’extension universelle des dynamiques indissociablement
écologiques et anthropologiques qui se sont déployées au cours des dix
millénaires ayant précédé notre ère, de l’émergence de l’agriculture à
la formation des premiers centres urbains, puis des premiers États.
C’est ce tour de force que réalise avec un brio extraordinaire Homo domesticus.
Servi par une érudition étourdissante, une plume agile et un sens aigu
de la formule, ce livre démonte implacablement le grand récit de la
naissance de l’État antique comme étape cruciale de la « civilisation »
humaine.
Ce faisant, il nous offre une véritable écologie politique des formes primitives d’aménagement du territoire, de l’« autodomestication » paradoxale de l’animal humain, des dynamiques démographiques et épidémiologiques de la sédentarisation et des logiques de la servitude et de la guerre dans le monde antique.
Ce faisant, il nous offre une véritable écologie politique des formes primitives d’aménagement du territoire, de l’« autodomestication » paradoxale de l’animal humain, des dynamiques démographiques et épidémiologiques de la sédentarisation et des logiques de la servitude et de la guerre dans le monde antique.
Cette fresque omnivore et iconoclaste
révolutionne nos connaissances sur l’évolution de l’humanité et sur ce
que Rousseau appelait « l’origine et les fondements de l’inégalité parmi
les hommes ».La préface de cet ouvrage est rédigée par Jean-Paul
Demoule, spécialiste du Néolithique et de l’âge du Fer, professeur
émérite de protohistoire européenne à l’université de Paris 1
Panthéon-Sorbonne, et l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages, parmi
lesquels Mais où sont passés les Indo-Européens ? Aux origines du mythe de l’Occident et, avec Dominique Garcia et Alain Schnapp (dir.), Une histoire des civilisations. Comment l’archéologie bouleverse nos connaissances.
James C. Scott est
professeur émérite de science politique et d’anthropologie à
l’université Yale. Il est l’auteur de nombreux livres, dont trois ont
été traduits en français : La Domination et les arts de la résistance (Amsterdam, 2009), Zomia ou l’art de ne pas être gouverné (Seuil, 2013) et Petit Éloge de l’anarchisme (Lux, 2013) ».
Un
anthropologue (et politiste) qui se mêle d’histoire et même de
préhistoire ! Cet empiètement sur d’autres bandes que celles qui
lui sont familières est parfaitement assumé par James C. Scott dès le
départ ; il le revendique d’ailleurs, avec modestie, comme une façon
d’approcher un objet en étranger. Il n’en demeure pas moins que l’auteur
s’est appuyé sur une documentation particulièrement abondante (la
bibliographie tient sur dix-neuf pages, ce qui n’exclue pas des notes
qui ne puisent pas forcément toutes dans les références indiquées) et
relativement récente (l’ouvrage a en effet été publié en 2017). On
regrette de n’y voir que peu d’études francophones ; Jean-Paul Demoule,
qui assure la préface, n’est ainsi pas cité. Il n’empêche : les points
d’appui sont nombreux, très discutés par James C. Scott, dont on
apprécie l’esprit profondément critique et la distance qu’il prend par
rapport aux emprunts qu’il fait. C’est d’ailleurs la principale qualité
de cet ouvrage, outre que sa traduction offre un agrément de lecture non
négligeable.
James
C. Scott poursuit le questionnement qui l’anime, et qui rejoint ses
aspirations idéologiques : pourquoi les hommes ont-ils constitué des
pouvoirs, des États, qui n’ont pas manqué de les asservir ? N’y avait-il
pas d’autres voies que celle-là ? Était-elle inéluctable et inexorable
comme on nous l’a enseigné ?
Pour
répondre à cela, l’auteur prend en considération la Mésopotamie, sans
exclure d’autres régions : l’Égypte, mais aussi la Chine, le Japon, etc.
Sa thèse (qu’il n’est pas le premier à avoir formulé) prend à
contre-pied ce qu’on admet classiquement, à savoir que l’homme est passé
du stade de chasseur-cueilleur-pêcheur itinérant à celui d’agriculteur
sédentaire, et qu’à l’occasion de cette fixation géographique se sont
constitué des pouvoirs qui se sont structurés en États. S’il n’est pas
le premier à contester cette vision linéaire, il montre que l’idée du
progrès humain qui la sous-tend n’y est même pas associée. En effet (et
pour aller très vite), il montre le degré de liberté qu’avaient les
communautés de nomades, en même temps qu’ils avaient accès à un savoir
forcément très large sur leur environnement (quelles sont les habitudes
des animaux à chasser, comment récolter les fruits et les graines
sauvages, comment fonctionnent les grands courants maritimes pour
pouvoir se déplacer, les subtilités des rythmes saisonniers, etc.). La
disjonction entre l’homme et la nature n’avait alors aucun sens :
l’homme était dans la nature.
Le
passage à la domestication a impliqué des bouleversements
considérables, à commencer par une certaine sédentarisation (qui s’est
faite progressivement) mais aussi un alourdissement des tâches. Quand la
chasse, par exemple, suppose quelques heures, l’élevage et
l’agriculture réclament des soins permanents. Comme il l’indique, la
domestication d’espèces animales et végétales a débouché sur une
auto-domestication de l’homme, ce qui indique qu’il a dû s’assujettir à
elles. La concentration d’animaux et d’humains est aussi à l’origine de
nombreux problèmes : les parasites des premiers ont pu passé aux
seconds. Et avec le développement des agglomérations et de la
circulation, les maladies ont trouvé de quoi s’étendre : le déclin de
certaines civilisations peut d’ailleurs s’expliquer de cette façon.
D’autres explications tiennent à des crises alimentaires : l’agriculture
a sélectionné les espèces, ce qui a accru la dépendance des hommes,
avec les conséquences que l’on imagine en cas d’invasion de ravageurs,
sous toutes les formes (animaux, insectes, champignons) et de maladies
non moins diverses. James C. Scott s’interroge au passage sur le bien
fondé du choix du terme de « civilisation » qui s’applique aux
populations sédentarisées, agricoles, sous domination de pouvoirs :
est-ce être civilisé que d’avoir cherché à préserver sa liberté,
l’ampleur de ses connaissances, la diversité alimentaire ?
De
là, se pose la question de savoir ce qui explique cet asservissement
volontaire, s’il l’a été. L’élément étatique est alors avancé. Pour que
la liberté d’action régresse, il faut qu’il y ait eu contrainte. Si l’on
admet mal que l’on s’inflige volontairement des chaînes, il faut aussi
admettre qu’il y ait eu un système suffisamment puissant pour le faire.
Seul les États pouvaient y parvenir. Les pouvoirs ont cherché à
rassembler les hommes sur les secteurs les plus fertiles, dans des
espaces contrôlables voire fermés : l’attachement à la terre en était la
condition. Pour vivre, un État a besoin de ressources : les céréales
offraient la possibilité de pouvoir être quantifiés, leur récolte
prévisible (d’où le titre original de l’ouvrage : Against The Grain).
En outre, leur culture demandaient justement que une présence
permanente des hommes. Pour autant, ces États, dont l’autorité était
géographiquement assez réduite et s’affaiblissait considérablement leurs
marges, pouvaient décliner très rapidement, du fait de leur dépendance
au travail agricole. Ils devaient en outre faire face à la fuite des
paysans, ne supportant plus le contrôle extrême exercé sur eux, surtout
quand la promesse d’une sécurité ne débouchait que sur un accroissement
de l’insécurité (guerre, menace de l’esclavage, etc.). L’extinction de « civilisations », ce qu’on appelle des « temps obscurs » ont aussi tenu à ces éléments.
Bon nombre d’indices archéologiques montrent d’ailleurs des retours au
système antérieur, à savoir chasse-cueillette-pêche. Rappelons
d’ailleurs que l’agriculture ne s’est vraiment imposée à
l’humanité il n’y a que quatre ou cinq siècles. Pas plus qu’elle,
l’avènement des États n’avait rien d’une marche inexorable, et leur
stabilité doit être interrogée, quelque immuables puissent-ils paraître.
La synthèse de James C. Scott vient ainsi renforcer des travaux parmi lesquels ceux de Jean-Paul Demoule. Sa lecture s’impose à qui veut enseigner cette période de transition (dont on a compris qu’elle était un mythe) au terme de laquelle la sédentarisation se serait imposée.
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