Indispensable pour comprendre l’Histoire de France peu enseignée et
plus que jamais utile pour comprendre la France d’aujourd’hui.
Filmé
dans la sobriété monacale d’un studio de la Télévision Suisse Romande,
l’historien-conteur Henri Guillemin livre une analyse approfondie de
l’événement politique majeur du XIXe siècle : la Commune de Paris.
Avec
la précision d’un horloger helvète, Henri Guillemin décortique la
trahison des élites, la bassesse des bien-pensants, la servilité des
« honnêtes gens », la veulerie des dominants tout autant que les raisons
qui entraînèrent le Peuple de Paris à la faillite.
« Ce
qui m’émeut, dans la Commune, ce qui m’attachera toujours à elle, c’est
qu’on y a vu des gens, à la Delescluze, à la Rossel, à la Vallès, à la
Varlin (celui-là surtout, quelle haute figure, bouleversante), des
hommes qui ne « jouaient » pas, qui risquaient tout, et le sachant, des
courageux, des immolés. Parce qu’ils avaient une certaine idée du Bien
et qu’ils y vouaient leur existence même ».
Henri Guillemin, Journal de Genève, 22 avril 1965 ».
Les
Mutins de Pangée ont publié un coffret important sur l’histoire de la
Commune de Paris, comprenant trois DVD et un livret de 240 pages, le
tout illustré par des dessins de Jacques Tardi. Les DVD reprennent une
émission de la RTS (radio-télévision suisse) diffusée en 1971, Les Dossiers de l’Histoire.
En treize épisodes d’environ trente minutes, Henri Guillemin aborde les
sujets suivants les prémices de la Commune, son déroulement, sa
désastreuse fin face aux Versaillais, mais aussi ses prolongements,
notamment dans la mémoire collective. Le livret consiste en des Réflexions sur la Commune, toujours par Henri Guillemin. Selon la présentation des Mutins, « en avril 1971, paraissait aux éditions Gallimard dans la collection La Suite des temps,
la première édition d’un ouvrage consacré à la Commune de Paris, signé
Henri Guillemin. L’ouvrage que nous publions aujourd’hui est la
réédition corrigée et enrichie (en notes de bas de page et
bibliographie) de l’un des deux recueils qui étaient réunis dans un seul
volume : Réflexions sur la Commune (l’autre étant : L’avènement de Monsieur Thiers) ».
Mort en 1992,
Henri Guillemin est aujourd’hui très mal connu, malgré la notoriété dont
il bénéficiait de son vivant et en dépit des attaques qui l’ont visé.
Auteur très prolifique, on lui doit des dizaines d’ouvrages consistant
surtout en des biographies (Jeanne d’Arc, Robespierre, etc.), des
analyses sur l’histoire de la littérature, et des considérations sur des
épisodes de l’histoire nationale. Il a aussi ses talents de
conférencier, qu’il exerce entre autres à la télévision. Évidemment, à
près de cinquante ans de distance, on peut suppose que le déroulement
des épisodes ne sera guère engageant : la prise de vue est complètement
statique. Toutefois, Henri Guillemin sait emporter son auditoire, grâce à
un propos enlevée, très alerte. Pour aller très vite, sa thèse est
d’opposer la bourgeoisie nantie (la haute bourgeoisie) au monde ouvrier
(et la petite bourgeoisie), la première n’hésitant pas à mettre
l’intérêt national de côté pour se débarrasser des « rouges », quitte à
s’allier à Bismarck ou en tout cas à obtenir sa neutralité.
Ces treize
épisodes sont augmentés par différents éléments. On a ainsi une
intervention de Patrick Berthier, professeur de littérature française
mais aussi secrétaire de l’association des Ami-e-s d’Henri Guillemin,
qui apporte un éclairage biographique. Il rappelle ainsi que l’auteur
est à l’origine agrégé de Lettres, et non historien. On a également un
court-métrage de Stanislas Choko, Si on avait su,
1973, dont le narrateur est Raymond Bussières, qui permet de mesurer la
place de la Commune dans la mémoire ouvrière, cent ans après sa
répression.
Le propos d’Henri
Guillemin n’est pas celui d’un historien professionnel, position qu’il
ne cherche pas à usurper. Même s’il a utilisé de nombreuses sources
(dont on remarque qu’elles ne sont pas archivistiques mais littérales),
ses considérations tiennent du « pamphlet », terme qu’il revendique
d’ailleurs : il ne croit pas à l’objectivité de l’Histoire. On peut être
surpris voire agacé par certains raccourcis, les approximations, les
affirmations non étayées. Mais considérant que l’interprétation ne peut
être que subjective, il se sent légitime à porté un regard singulier sur
le passé. On peut aussi trouver un autre intérêt au travail d’Henri
Guillemin, dans la mesure où l’on a ici un témoignage sur le rapport au
passé d’un personnage issu d’un milieu modeste, et qui est l’un des
bénéficiaires de l’ascension sociale favorisée par la IIIe République :
boursier, il entre à l’École normale supérieure, devient ensuite agrégé
comme on l’a dit, et docteur ès Lettres.
Loin d’être une
conférence surannée et compassé, le propos d’Henri Guillemin ne doit pas
être négligé. Les critiques qualifient son approche de
« conspirationniste », ce qui signifierait que les élites (qu’Henri
Guillemin désignent par l’expression ironique « les gens de biens », au
pluriel) sont prêtes à tout pour sauvegarder leurs intérêts face au « peuple » (entendons par là : le reste de la population). Pourtant, de nombreuses situations historiques vont dans ce sens : pour ne prendre que cet exemple, l’Histoire populaire de la France, de Gérard Noiriel, montre qu’il en fut ainsi. A-t-on dit des considérations de Marc Bloch sur les causes du désastre de mai-juin 1940, quand a paru L’Étrange Défaite,
qu’elles avaient été conspirationnistes ? N’y a-t-il jamais eu de
rapports de force sociaux qui n’aient débouché sur des massacres, des
jacqueries à l’écrasement des grèves des XIX et XXe siècles ? Le tout
est cependant de ne pas créer des univers sociaux artificiels,
manichéens, et d’apprécier les choses avec nuance. Henri Guillemin,
d’ailleurs, ne s’y trompe pas : un Charles Delescluze fait partie de son
panthéon. Toutefois, on peut rester dubitatif devant l’accusation dont
il accable les républicains modérés (le « gouvernement des Jules »)
d’avoir souhaiter la défaite française : la République risquait alors
d’en endosser la responsabilité, ce qui eut compromis son établissement
et sa pérennité. Or, parmi les élites, il y eut des résistants,
des déportés, des fusillés ; du côté de la traîtrise, on trouve des
ouvriers, des employés. Encore ceux-là sont-ils marginaux au sein de
leur classe et ne peuvent pas avoir valeur d’exemples. Pour les besoins
de la vulgarisation et de sa démonstration, on peut reprocher à Henri
Guillemin de trop céder à la simplification. Mais rien ne permet de le
penser malhonnête ou insincère : on a un homme de passions et
convictions, animé notamment par une volonté de se déprendre de
l’histoire dite « officielle », dont il rappelle que Louise Michel dit
qu’elle est écrite par des assassins.
Enfin, la
parution de ce coffret permettra de combler une des béances des
programmes scolaires depuis plusieurs décennies, qui font l’impasse sur
l’un des moments marquants de l’histoire sociale, et a par la suite
marqué profondément les rapports sociaux .