Présentation de l'éditeur. « La tentation d’un pouvoir autoritaire dans la France de 2019 trouve ses racines dans le projet économique du candidat Macron.
Depuis des décennies, la pensée néolibérale mène une guerre larvée contre le modèle social français de l’après-guerre. La résistance d’une population refusant des politiques en faveur du capital a abouti à un modèle mixte, intégrant des éléments néolibéraux plus modérés qu’ailleurs, et au maintien de plus en plus précaire d’un compromis social. À partir de la crise de 2008, l’offensive néolibérale s’est radicalisée, dans un rejet complet de tout équilibre.
Emmanuel Macron apparaît alors comme l’homme de la revanche d’un capitalisme français qui jadis a combattu et vaincu le travail, avec l’appui de l’État, mais qui a dû accepter la médiation publique pour « civiliser » la lutte de classes. Arrivé au pouvoir sans disposer d’une adhésion majoritaire à un programme qui renverse cet équilibre historique, le Président fait face à des oppositions hétéroclites mais qui toutes rejettent son projet néolibéral, largement à contretemps des enjeux de l’époque. Le pouvoir n’a ainsi d’autre solution que de durcir la démocratie par un excès d’autorité. Selon une méthode classique du néolibéralisme : de l’épuisement de la société doit provenir son obéissance ».
Romaric Godin est journaliste à Mediapart depuis 2017 (voir sa fiche biographique sur le site du journal), et s'est spécialisé dans les questions économiques. C'est sous cet angle qu'il analyse le fonctionnement de la société, aussi bien dans son journal que dans le présent ouvrage. Celui-ci est une réédition, non actualisée, de ce qui avait été publié sous le même titre en septembre 2019 (voir la présentation sur le site de La Découverte). L'auteur a toutefois écrit une postface qui prolonge le propos qu'il tenait il y a un peu plus de deux ans.
Le titre rappelle celui du journal du socialiste SFIO Gustave Hervé, qui exprimait une opinion antimilitariste et pacifiste à la veille de la Première Guerre mondiale avant de basculer très tôt dans l'Union sacrée (et de sombrer plus tard dans des considérations fascistes). Il avait été repris soixante-dix ans plus tard par un groupe d'extrême-gauche, qui se divise à propos du soutien à accorder au négationniste Robert Faurisson. Précisons tout de suite que Romaric Godin ne se revendique ni de l'une ni de l'autre publication : alors, de quelle guerre sociale s'agit-il ici ? L'auteur la définit comme le résultat d’une double dynamique : la poussée du néolibéralisme d'un côté, la « résistance du corps social » de l'autre. Elle se présente «comme une guerre sourde, intellectuelle, politique et sociale, qui chaque jour se joue dans les entreprises, dans les discussions politiques et dans les choix qui en découlent ». Si elle peut dégénérer en affrontements physiques, « son acuité dépend de la progression du projet néolibéral » (p. 10). On mesure alors le rôle que joue la propagande dans cette opposition : même si Romaric Godin n'y fait allusion tout de suite, on sent bien que sa définition met en avant que la possession des médias dominants se révèle être un élément particulièrement essentiel de cette guerre du capital contre le travail — l'offensive menée par Bolloré l'illustre parfaitement. Quant au néolibéralisme, il s'agit d'une idéologie qui s'est développée depuis les années 1970 (p. 9 et suiv.), réaction à la baisse du taux de profit qui a marqué le rééquilibrage entre capital et travail depuis la Seconde Guerre mondiale. « Ce paradigme défend l'idée que l'État doit, dans l'intérêt général [cette idée sert de justification permanente, comme on le verra plus loin], se placer du côté du capital pour favoriser la création de richesses à partager par une marchandisation élargie de la société ».
La question se pose alors de comprendre pourquoi ce mouvement néolibéral n'a pas encore tout emporté, puisqu'il est à l’œuvre depuis près de cinq décennies. La thèse de Romaric Godin tient à la conscience qu'ont eue des gouvernements de fournir des contreparties au monde du travail à chaque fois qu'une mesure importante (travestie sous le nom de « réforme ») était prise en faveur du capital. Un certain équilibre était plus ou moins maintenu, cachant de plus en plus mal le dépeçage des acquis (ou conquis) sociaux. Or, toujours l'auteur, on en est arrivé à un point de rupture (une « radicalisation du projet néolibéral », pour reprendre ses mots) avec l'avènement au pouvoir d'E. Macron, en tant que ministre des Finances et plus encore en tant que président de la République. De là l'idée d'une impasse multiforme qui prend la forme, les institutions de la V<sup>e</sup> République aidant, à une destruction des contre-pouvoirs, une exaspération de la population, une progression des thèmes de l'extrême-droite servant de chiffons rouges (si l'on peut dire…) agités pour distraire les électeurs de l'essentiel.
Bien évidemment, le propos de Romaric Godin s'arrête en 2019. Seules deux années du mandat présidentiel de Macron ont été analysées par l'auteur, qui en explore les fondements. La crise du COVID et le décret du « quoi qu'il en coûte » (à qui ? au profit de qui ?) n'ont fait que conforter ce qui est avancé par l'auteur.
Ce faisant, cette réédition tombe à pic. Non seulement l'ouvrage reste d'une parfaite actualité (et comment…) : il suffira au lecteur de confronter ce qu'il lira aux éléments plus récents. Surtout, le déroulement de la campagne électorale montre que cette guerre sociale a été parfaitement intégrée au discours de droite et d'extrême droite, dont les candidats proclament haut et fort qu'il faut renforcer les moyens de répression (sous couvert de « sécurité », bien sûr).
Quoi qu'il en soit, La Guerre sociale doit faire partie du bagage de l'honnête citoyen, en ce qu'il permet de l'éclairer sur les tenants et les aboutissants de ce qui se passe, et d'ôter les faux-nez des Tartuffes. Si on avait besoin d'un ouvrage de salut public, en voilà un.