18/02/2022

Romaric Godin, La Guerre sociale en France. Aux sources économiques de la démocratie autoritaire, La Découverte, coll. « Poche / Essais», n° 547, 13 janvier 2022, 222 pages, 12 €. ISBN : 9782348073472


Présentation de l'éditeur. « La tentation d’un pouvoir autoritaire dans la France de 2019 trouve ses racines dans le projet économique du candidat Macron.

Depuis des décennies, la pensée néolibérale mène une guerre larvée contre le modèle social français de l’après-guerre. La résistance d’une population refusant des politiques en faveur du capital a abouti à un modèle mixte, intégrant des éléments néolibéraux plus modérés qu’ailleurs, et au maintien de plus en plus précaire d’un compromis social. À partir de la crise de 2008, l’offensive néolibérale s’est radicalisée, dans un rejet complet de tout équilibre.

Emmanuel Macron apparaît alors comme l’homme de la revanche d’un capitalisme français qui jadis a combattu et vaincu le travail, avec l’appui de l’État, mais qui a dû accepter la médiation publique pour « civiliser » la lutte de classes. Arrivé au pouvoir sans disposer d’une adhésion majoritaire à un programme qui renverse cet équilibre historique, le Président fait face à des oppositions hétéroclites mais qui toutes rejettent son projet néolibéral, largement à contretemps des enjeux de l’époque. Le pouvoir n’a ainsi d’autre solution que de durcir la démocratie par un excès d’autorité. Selon une méthode classique du néolibéralisme : de l’épuisement de la société doit provenir son obéissance ».

 
 

Romaric Godin est journaliste à Mediapart depuis 2017 (voir sa fiche biographique sur le site du journal), et s'est spécialisé dans les questions économiques. C'est sous cet angle qu'il analyse le fonctionnement de la société, aussi bien dans son journal que dans le présent ouvrage. Celui-ci est une réédition, non actualisée, de ce qui avait été publié sous le même titre en septembre 2019 (voir la présentation sur le site de La Découverte). L'auteur a toutefois écrit une postface qui prolonge le propos qu'il tenait il y a un peu plus de deux ans.

Le titre rappelle celui du journal du socialiste SFIO Gustave Hervé, qui exprimait une opinion antimilitariste et pacifiste à la veille de la Première Guerre mondiale avant de basculer très tôt dans l'Union sacrée (et de sombrer plus tard dans des considérations fascistes). Il avait été repris soixante-dix ans plus tard par un groupe d'extrême-gauche, qui se divise à propos du soutien à accorder au négationniste Robert Faurisson. Précisons tout de suite que Romaric Godin ne se revendique ni de l'une ni de l'autre publication : alors, de quelle guerre sociale s'agit-il ici ? L'auteur la définit comme le résultat d’une double dynamique : la poussée du néolibéralisme d'un côté, la « résistance du corps social » de l'autre. Elle se présente «comme une guerre sourde, intellectuelle, politique et sociale, qui chaque jour se joue dans les entreprises, dans les discussions politiques et dans les choix qui en découlent ». Si elle peut dégénérer en affrontements physiques, « son acuité dépend de la progression du projet néolibéral » (p. 10). On mesure alors le rôle que joue la propagande dans cette opposition : même si Romaric Godin n'y fait allusion tout de suite, on sent bien que sa définition met en avant que la possession des médias dominants se révèle être un élément particulièrement essentiel de cette guerre du capital contre le travail — l'offensive menée par Bolloré l'illustre parfaitement. Quant au néolibéralisme, il s'agit d'une idéologie qui s'est développée depuis les années 1970 (p. 9 et suiv.), réaction à la baisse du taux de profit qui a marqué le rééquilibrage entre capital et travail depuis la Seconde Guerre mondiale. « Ce paradigme défend l'idée que l'État doit, dans l'intérêt général [cette idée sert de justification permanente, comme on le verra plus loin], se placer du côté du capital pour favoriser la création de richesses à partager par une marchandisation élargie de la société ».

La question se pose alors de comprendre pourquoi ce mouvement néolibéral n'a pas encore tout emporté, puisqu'il est à l’œuvre depuis près de cinq décennies. La thèse de Romaric Godin tient à la conscience qu'ont eue des gouvernements de fournir des contreparties au monde du travail à chaque fois qu'une mesure importante (travestie sous le nom de « réforme ») était prise en faveur du capital. Un certain équilibre était plus ou moins maintenu, cachant de plus en plus mal le dépeçage des acquis (ou conquis) sociaux. Or, toujours l'auteur, on en est arrivé à un point de rupture (une « radicalisation du projet néolibéral », pour reprendre ses mots) avec l'avènement au pouvoir d'E. Macron, en tant que ministre des Finances et plus encore en tant que président de la République. De là l'idée d'une impasse multiforme qui prend la forme, les institutions de la V<sup>e</sup> République aidant, à une destruction des contre-pouvoirs, une exaspération de la population, une progression des thèmes de l'extrême-droite servant de chiffons rouges (si l'on peut dire…) agités pour distraire les électeurs de l'essentiel.

Bien évidemment, le propos de Romaric Godin s'arrête en 2019. Seules deux années du mandat présidentiel de Macron ont été analysées par l'auteur, qui en explore les fondements. La crise du COVID et le décret du « quoi qu'il en coûte » (à qui ? au profit de qui ?) n'ont fait que conforter ce qui est avancé par l'auteur.

Ce faisant, cette réédition tombe à pic. Non seulement l'ouvrage reste d'une parfaite actualité (et comment…) : il suffira au lecteur de confronter ce qu'il lira  aux éléments plus récents. Surtout, le déroulement de la campagne électorale montre que cette guerre sociale a été parfaitement intégrée au discours de droite et d'extrême droite, dont les candidats proclament haut et fort qu'il faut renforcer les moyens de répression (sous couvert de « sécurité », bien sûr). 

Quoi qu'il en soit, La Guerre sociale doit faire partie du bagage de l'honnête citoyen, en ce qu'il permet de l'éclairer sur les tenants et les aboutissants de ce qui se passe, et d'ôter les faux-nez des Tartuffes. Si on avait besoin d'un ouvrage de salut public, en voilà un.

Patrice Ordas (sc.), Philippe Tarral (ill.), Le Journal. Les premiers mots d’une nation, vol. 1, Grand Angle, 2 mars 2022, 56 pages, 14,90 €. ISBN : 978 2 8189 7950 1


Propos de l'éditeur. « En 1781, durant la guerre d’Indépendance, Nathan Prius vend des petits billets dans l’armée de Washington dans lesquels il relate les nouvelles du front. George Ellis lui propose de publier ses articles dans son journal, mais rapidement il s’en attribue la paternité. Meurtri par cette trahison, Nathan Prius décide de lancer son propre journal, premières pages de ce qui deviendra bientôt un empire de la presse, traversant les décennies, témoin privilégié de toutes les époques ».




Mort en décembre 2019, Patrice Ordas s'était partagé entre la Haute École de joaillerie, dont il a été directeur pendant longtemps, le dessin, la roman historique, et la bande dessinée. Le Journal se trouve être son dernier opus, après la parution de L'École buissonnière en 2021 chez Grand Angle. Il s'est associé ici à Philippe Tarral, pour la première fois, mais les deux avaient travaillé avec Patrick Cothias.
Comme l'indique la présentation de l'éditeur, le début de l'histoire est placée dans le contexte de la fin de la guerre d'indépendance américaine, en octobre 1781, au moment de la bataille de Yorktown, quelques jours avant la reddition anglaise (19 octobre) face aux Américains insurgés et au corps expéditionnaire français de Rochambeau et les volontaires commandés par La Fayette. Les auteurs ont imaginé le personnage de Nathan Prius, qui appartient au 2e régiment de Virginie. Celui-ci est apprenti au Richmond  News, qui appartient à George Ellis ; il écrit de petits billets sur la guerre, édité dans la Liberty Sentinel, édité par la même maison. À la fin du conflit, Nathan Prius revient à Richmond. Il a appris que ses billets étaient suivis très assidûment par un public important, alors que le Richmond News périclite, que ses billets étaient signés par son patron. Découvert, George Ellis poursuit son ancien apprenti de sa haine. Nathan Prius réussit cependant à fonder son propre titre : le Liberty Herald.

La presse prend son essor notamment au moment des révolutions qui marquent les États-Unis et la France, dans le dernier tiers du XVIII<sup>e</sup> siècle. Elle accompagne le mouvement de liberté qui s'étend, dont elle s'avère être un élément fondamental en devenant le symbole de la liberté d'expression, mais un symbole fragile puisque sa solidité dépend de l'argent et des relations. Les deux auteurs ont cherché à bien le montrer, de façon assez subtile, par la guerre qui oppose Ellis à Prius, le premier cherchant à faire taire son ancien employé par tous les moyens possibles : l'intimidation, le vol, la justice… Tout est bon pour faire disparaître le Liberty Herald. Cela assure par ailleurs le ressort de bien des péripéties, que le lecteur découvrira par lui-même. De ce point de vue, l'entreprise est réussi.
L'historien ou le compulseur d'archives modernes (jusqu'à la Révolution française, pour les béotiens…) déploreront cependant que la calligraphie des manuscrits de Nathan Prius ne correspond guère à la façon d'écrire de la fin du XVIII<sup>e</sup> (lire à ce propos « L'art d'écrire en Occident, XVIe-XVIIIe siècles », par Carine Picaud, sur le site de la Bibliothèque nationale de France). C'est d'autant plus dommage qu'une reproduction d'un journal de cette époque a été choisie pour illustrer la couverture, ce qui était de bon augure. Mais ce ne sont que des détails finalement assez négligeables, car beaucoup de détails (les vêtements, etc.) montrent qu'il y a eu une recherche historique sérieuse de la part des auteurs.
 
Mais un autre intérêt, non prévu, se trouve ailleurs, qui vient renforcer l'argument principal du récit, à savoir l'importance d'une presse libre dans une démocratie. En effet, la parution de cette bande dessinée coïncide en France avec un contexte qui lui donne un relief particulier. Ce n'est pas la première fois, bien sûr, mais le hasard a bien fait les choses. Il se trouve qu'inquiète de plus en plus l'appétit d'un Bolloré (qui n'a pas hérité du sobriquet donné à Robert Hersant, dans les années soixante-dix : le papivore) qui étend son empire sans que les autorités publiques y trouvent quoi que ce soit à dire. L'audition consternante des milliardaires qui contrôlent les principaux médias par une commission de sénateurs, fin janvier 2022, l'a suffisamment montré, qui a tourné à une aimable conversation entre gens de bonne compagnie. En contrepoint, on ne saurait trop conseiller d'aller voir le film Media Crash (voir les projections sur le site de Mediapart), qui sort cette semaine. Le Journal viendra montrer que ces préoccupations ne sont pas récentes.

25/01/2022

Éric Corbeyran et Alexis Saint-Georges, Mort aux cons (d'apr. le roman de Carl Aderhold), Jungle Ramdam, 20 janv. 2022, 136 pages, 18,95 €. ISBN : 978 2828 230 476

Propos de l'éditeur. « Des cons, il y en a partout. Il y en a toujours eu. Il y en aura toujours. Le con est une engeance qui s’adapte à tous les climats, à tous les reliefs, à toutes les époques.
Le con est endémique, on n’arrive pas à s’en débarrasser, comme le chiendent, c’est à désespérer.

L’histoire que vous allez lire prouve pourtant qu’avec un zeste de bonne volonté, une dose de lucidité et un plan d’action solide, on peut s’attaquer au problème à la racine. L’élimination systématique des cons n’est cependant pas une entreprise ordinaire. Ça n’a rien d’un hobby innocent, c’est un job à plein temps. Mieux : un combat.

Mort aux cons
raconte le parcours de Ben, ce combattant qui a un jour décidé de franchir le pas… ».


« Les cons, ça ose tout ; c'est même à ça qu'on les reconnaît » : la formule que place Michel Audiard dans la bouche de Fernand Naudin (Georges Lautner, Les Tontons flingueurs, 1963) aurait pu servir de titre (quoi que trop long) à la bande de ssinée de Corbeyran et Saint-Georges (et probablement aussi au roman de Carl Aderhold, si je l'avais lu). Car c'est bien la destinée cachée du protagoniste principal, Ben, passablement désœuvré, qui se dessine dans sa quête du con : on est toujours le con de quelqu'un d'autres…

C'est le hasard qui détermine le héros dans son action. Avachi devant un talk-show télévisé, il en vient à jeter par-dessus son balcon le chat de sa voisine qui vient de le griffer sans raison. Le lendemain matin, le voisinage bruie au pied de l'immeuble où l'animal a été retrouvé. Mais ce que constate Ben, c'est que les individus sont sortis de leur torpeur habituel : la mort du chat provoque un élan de compassion qui rassemble les gens. La connerie serait-elle vaincue par la sociabilité ? Ben poursuit l'expérience en tuant d'autres animaux de compagnie, qui ne révèle finalement pas concluante. Il s'attaque alors directement aux personnes, sans la moindre émotion : il s'agit de lutter contre la connerie. L'hécatombe est engagée, mais, peu à peu, l'ampleur de la tâche pousse Ben à mieux cerner le sujet : qu'est-ce qu'un con ? Il sera aidé dans son essai de définition par un commissaire de police (qui ressemble étrangement au commandant Roger van der Weyden, joué par Bernard Pruvost dans la série P'tit Quinquin, de Bruno Dumont, 2014), venu d'abord enquêter sur les assassinats qui se multiplient.

En lisant les premières pages, on se prend à se demander comment les auteurs vont tenir pendant plus de cent pages. Tout le monde s'est posé la question de savoir ce qu'est un con, et a une petite idée de la chose, mais il n'y a pas de quoi en faire une thèse. Mais l'argument est soutenu par des relances qui permettent au lecteur de se laisser prendre au jeu, et peut-être même de se glisser subrepticement dans la peau d'un Ben cynique à souhait, histoire de se défouler aussi. Mais il suffit de prendre l'histoire au second degré pour en profiter, qui rappelle d'autres situations : Le Couperet, de Donald Westlake ; C’est arrivé près de chez vous, de Rémy Belvaux, André Bonzel et Benoît Poelvoorde, etc.

Le dessin d'Alexis Saint-Georges aide au plaisir de la lecture de l'album. Les teintes sont assez sombres, comme il sied à une histoire de ce genre, limitées à quelques nuances de brun. Les dialogues sont restreints à l'essentiel, alors que l’adaptation d'un ouvrage peut toujours laisser craindre le contraire.

Malika Rahal, Ali Boumendjel. Une affaire française, une histoire algérienne, éd. La Découverte, coll. « Poche », n° 546, 6 janv. 2022, 13 €. ISBN : 978 2348 073229

Propos de l'éditeur.  « En mars 1957, la presse annonce la mort à Alger d’un « petit avocat musulman » : « Qui a tué Me Boumendjel ? » On s’interroge sur un faux suicide. Mais que faisait donc ce « modéré » de trente-huit ans entre les mains des « paras » ? Pourquoi a-t-il été assassiné, comme le reconnaîtra le général Aussaresses en 2001 ?

Cette affaire est à la fois une histoire française, qui a secoué les intellectuels français, et une histoire algérienne, celle d’un héros et d’un martyr. Dans ce livre, l’une et l’autre éclairent d’une lumière nouvelle les récits existants. Au mépris qu’Aussaresses exprime à l’encontre de cet intellectuel, aux abracadabrantes explications qu’il donne de son arrestation, Malika Rahal oppose un travail d’historienne. Et à l’histoire dominante algérienne, qui intègre Ali Boumendjel parmi ses martyrs en schématisant son parcours, elle oppose la richesse d’une biographie familiale, la complexité d’un engagement politique nuancé et d’un idéal algérien et républicain partagé par nombre de nationalistes d’alors.

Ce n’est qu’en mars 2021 que le président de la République française a reconnu qu’Ali Boumendjel a été « torturé puis assassiné » après avoir été « arrêté par l’armée française ». Cette biographie, initialement publiée en 2010 et actualisée, constitue dès lors une référence majeure. ».



Au début de ce mois-ci, La Découverte nous proposait un nouveau livre de Malika Rahal, Algérie 1962. Une histoire populaire, dont nous avons rendu compte. Le même jour, cette maison republiait son Ali Boumendjel, qui avait paru en 2010 aux Belles Lettres, qui comporte une préface inédite qui permet de mesurer le chemin parcouru en douze années. Le plus important est la reconnaissance par l'État français, le 2 mars 2021, de l'assassinat de l'avocat algérois par des militaires français. Cela mettait fin à la légende construite autour d'un prétendu suicide en 1957, au moment de la bataille d'Alger, masque dérisoire qui n'avait pas trompé ses soutiens. Cet acte venait à la suite d'une reconnaissance concernant Maurice Audin, le 13 septembre 2018, qui avait péri dans les mêmes circonstances. Pour importantes qu'elles soient, d'un point  de vue symbolique, ces deux reconnaissances ne font pas de ces deux hommes des cas emblématiques rassemblant toutes les victimes de la répression française. On pourra juger de la diversité des cas en consultant le site auquel travaille notamment Malika Rahal : Alger 1957. Des Maurice Audin par milliers. Dans la notice concernant Ali Boudmendjel, est reproduite la lettre adressée par sa veuve, Malika Boumendjel (morte en 2020), au président de la République, J. Chirac, et au Premier ministre, L. Jospin, qui ne reçut aucune forme de réponse.

 Cette biographie repose tout d'abord sur un travail très important mené pendant au moins huit ans, tant dans les archives disponibles, publiques ou privées, qu'auprès des témoins, à commencer par la famille de la victime. On avait relevé cette caractéristique dans Algérie 1962. Tous ces matériaux épars ont été assemblés avec patience et croisés, et ont permis à l'auteur d'avoir un large regard qui porte au-delà de la seule personne d'Ali Boumendjel, puisqu'elle croise à la fois l'histoire avec d'autres domaines d'observation. Cette façon de faire permet d'échapper à une apologie du personnage, même si Malika Rahal ne peut se départir d'une sympathie à son endroit : c'est là le moindre défaut qu'on pourrait lui adresser, mais qui est le propre du genre biographique.  Le livre suit le cours de la vie d'Ali Boudmendjel. Issu d'une famille de paysans kabyles, son père devient instituteur et s'établit dans l'Oranais : c'est à Relizane que naît son fils, en 1919. Malika Rahal insiste sur ces débuts particuliers : on a la fois un déracinement géographique et culturel, qui contribue à un élargissement de l'horizon, mais aussi une promotion sociale. Ali Boumendjel est ainsi le résultat de cette triple dynamique, qu'il va poursuivre, tout comme ses frères et sœurs (à une exception près) qui deviennent enseignants à leur tour. Un temps instituteur, il poursuit des études de droit à la faculté d'Alger (sur les traces de son frère aîné, Ahmed) avant de devenir avocat spécialisé dans le droit musulman et d'épouser Malika Amrane, qui provient de Kabylie. Ali Boudmendjel se trouve ainsi à la confluence de plusieurs Algérie, berbérophone, arabophone et francophone, rurale et urbaine… Cela vient nourrir son engagement politique, d'autant que son frère Ahmed est l'avocat de Messali Hadj, dirigeant du Parti du peuple algérien (PPA), fondé en 1937, auquel succèdent le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD) puis le Mouvement national algérien (MNA). Impliqué dans des courants politiques étudiants, Ali Boumendjel rejoint l'association des Amis du Manifeste et de la liberté (1944-1945), qui soutient les initiatives de Ferhat Abbas, puis l'Union démocratique du Manifeste algérien (UDMA) que celui-ci crée en 1946. L'avocat devient le responsable politique de la section de Blida puis de celle d'Alger, et publie des articles dans les journaux des formations auxquelles il adhère. Malika Rahal montre le rôle des réseaux qui contribue à la formation d'Ali Boumendjel, aussi bien familiaux que professionnels et amicaux, qu'elle est parvenue à reconstituer.

Les attentats de novembre 1954 constituent bien évidemment un tournant dans sa vie militante. Il défend des militants et des victimes de la répression, tout en participant à l'activité du FLN. On le retrouve ainsi à Stockholm, au Conseil mondial de la paix de 1956 ; il est l'un des conseillers de Ramdane Abbane (assassiné en décembre 1957), qui a facilité le ralliement au FLN de plusieurs organisations (dont l'UDMA) et responsable de la région d'Alger. L'adhésion d'Ali Boudmendjel au FLN n'est cependant pas certaine. Il n'empêche qu'il est arrêté par l'armée française le 9 février 1957, au début de la « bataille d'Alger », et gardé prisonnier jusqu'à son assassinat, le 23 mars suivant. L'auteur reprend, dans une dernière partie, les éléments qu'elle a rassemblés au sujet de la fin d'Ali Boudmendjel, et les confronte pour envisager les versions qui en ont été proposées. Les aveux d'Aussaresses, au travers de ses mémoires parus en 2001 (Services spéciaux en Algérie, 1955-1957 : mon témoignage sur la torture, Perrin), ont permis de percevoir l'embarras que leur cause le prisonnier. Il a avoué avoir contribué à un attentat, mais son transfert à la justice impliquerait sa libération. De plus, les témoignages d'autres prisonniers montrent l'état de délabrement physique d'Ali Boudmendjel après les séances de torture, qui, dès lors, ne peut plus être présenté devant un tribunal. Il doit être exécuté, et cette élimination présentée à la presse comme un suicide. C'est ce subterfuge que, par la suspension de ses cours, dénonce six jours après René Capitant, professeur de droit public à Paris (résistant et ancien ministre gaulliste), mais qui a exercé à Alger quand Ali Boumendjel était étudiant. Sa réaction paraît dans L'Express, mais France Observateur (ainsi que Le Monde) s'empare aussi de ce qui devient une affaire : Jean Daniel a été condisciple d'Ali Boumendjel au collège de Blida. Le gouvernement est interpellé, tandis qu'Ahmed Boumendjel utilise tous ses réseaux pour amplifier la réaction médiatique et politique. L'assassinat de son frère est l'occasion de revenir sur celui d'autres militants, comme Larbi Ben M'idi. L'image d'Ali Boumendjel évolue jusqu'à être assimilé à Pierre Brossolette. L'onde se propage ainsi dans le public, en même temps qu'il devient un martyr de la cause indépendantiste algérienne et du FLN. On comprend alors le sous-titre donné à l'ouvrage : « une affaire française ; une histoire algérienne ».

05/01/2022

Malika Rahal, Algérie 1962. Une histoire populaire, La Découverte, 6 janv. 2022, 493 pages, 25 €. ISBN : 9782348073038

 Présentation de l'éditeur. « En Algérie, l’année 1962 est à la fois la fin d’une guerre et la difficile transition vers la paix. Mettant fin à une longue colonisation française marquée par une combinaison rare de violence et d’acculturation, elle voit l’émergence d’un État algérien d’abord soucieux d’assurer sa propre stabilité et la survie de sa population. Si, dans les pays du Sud, cette date est devenue le symbole de l’ensemble des indépendances des peuples colonisés, en France, 1962 est connue surtout par les expériences des pieds-noirs et des harkis. En Algérie, l’historiographie de l’année 1962 se réduit pour l’essentiel à la crise politique du FLN et aux luttes fratricides qui l’ont accompagnée. Mais on connaît encore très mal l’expérience des habitants du pays qui y restent alors.

D’où l’importance de ce livre, qui entend restituer la façon dont la période a été vécue par cette majorité. L’année 1962 est scandée par trois moments : cessez-le-feu d’Évian du 19 mars, Indépendance de juillet, proclamation de la République algérienne le 25 septembre. L’histoire politique qu’ils dessinent cache des expériences vécues, que restitue finement Malika Rahal au fil d’une enquête mobilisant témoignages, autobiographies, photographies et films, chansons et poèmes. Émerge ainsi une histoire populaire largement absente des approches classiques : en faisant place au désespoir des Français d’Algérie dont le monde s’effondre – désarroi qui nourrit la violence de l’OAS –, elle relate le retour de 300 000 réfugiés algériens de Tunisie et du Maroc, la libération des camps de concentration où était détenu un quart de la population colonisée, ou la libération des prisons, ainsi que les spectaculaires festivités populaires. L’ouvrage décrit des expériences collectives fondatrices pour le pays qui naît à l’Indépendance : la démobilisation et la reconversion de l’Armée de libération nationale, la recherche des morts et disparus par leurs proches, l’occupation des logements et terres laissés par ceux qui ont fui le pays. Une fresque sans équivalent, de bout en bout passionnante.

Malika Rahal, historienne, chargée de recherche au CNRS, est spécialiste de l’histoire contemporaine de l’Algérie. Elle dirige, depuis 2022, l’Institut d’histoire du temps présent (IHTP). Elle est l’auteure de plusieurs ouvrages, notamment d’une biographie d’Ali Boumendjel, avocat et militant nationaliste assassiné en 1957 (Belles Lettres, 2011 ; réed. poche : La Découverte, 2022) et d’Algérie 1962. Une histoire populaire (La Découverte, 2022) »

 

 

La vision de la guerre d'Algérie, telle qu'elle s'est constituée en France, repose trop souvent sur un regard français sur son ancienne colonie. Cette vision reste encore trop unilatérale, faute de se nourrir du travail de fourmi des historiens algériens, et encore moins de ceux qui n'appartiennent pas à ces deux pays. L'ouvrage que propose aujourd'hui Malika Rahal se révèle donc des plus intéressants. Il offre non seulement un regard sur l'année 1962 vue par les Algériens eux-mêmes, mais sa documentation — des plus riches — embrasse un très large horizon. Pour aller vite, ses sources archivistiques, françaises (y compris les fonds audio-visuels) pour beaucoup du fait des difficultés d'accès aux dépôts algériens, sont complétées par d'autres éléments. Aux témoignages d'Algériens qui ont vécu cette période, l'auteur a exploité la presse algérienne, des documents réalisés par des diplomates étrangers (notamment le consulat américain à Alger) le CICR (Comité international de la Croix-Rouge), jusqu'aux films tournés sur place, des poèmes, des chansons, etc. Tous ces matériaux ont été combinés très subtilement pour restituer ce que fut cette année 1962, mais en partant du point de vue interne : le sous-titre donné en guise de programme, « Une histoire populaire », est donc parfaitement respecté. On a déjà souligné l'intérêt de cette histoire vue d'en-bas, notamment avec l'ouvrage de Gérard Noiriel, Une Histoire populaire de la France.

La proposition de Malika Rahal est d'éclairer la « dimension révolutionnaire » (p. 19) de cette année particulière, à la fois dans ses ruptures (la prise d'indépendance en est la plus évidente) et ses continuités (les conséquences de la guerre sur les corps, par exemple), le tout exprimé sous quatre angles : les violences ; les corps ; les espaces ; le temps

Comme souvent en histoire, 1962 n'est pas à limiter aux bornes chronologiques de cette seule année : elle se dilate avec souplesse dans un temps qui la dépasse largement. Sans s'enfermer (et les lecteurs en même temps) dans cet espace, Malika Rahal  estime qu'on peut considérer comme point de départ le mois de décembre 1960, avec les manifestations pour l'indépendance violemment réprimées, qui marquent une reconquête de l'espace (notamment urbain) par les Algériens, et par là même leur volonté de se le réapproprier. Elle se prolonge au moins jusqu'en 1965, si l'on considère la limite temporelle du choix de la nationalité, française ou algérienne, imposé par la loi de mars 1963 (c'est d’ailleurs le terme que retient Malika Rahal). En réalité, ses traces sont encore perceptibles au plus près de nous, le mouvement de l'hirak cha`bi reprenant par exemple le slogan « Un seul héros, le peuple » de cette année-là. 

On ne fera pas de résumé de l'ouvrage, qui sera forcément approximatif et incomplet. Mais sa lecture permet de s'arrêter sur certains points que le travail de Malika Rahal a permis de reconsidérer. On sait que le cessez-le-feu de mars 1962 n'a pas mis un terme définitifs aux violences en même temps qu'il arrêtait les combats. Les exactions de l'OAS se sont multipliées, pesant pour beaucoup dans le départ précipité de ceux qu'on appelle alors les « Français de souche européenne » (FSE), par opposition aux « musulmans », pour reprendre les qualificatifs utilisés alors. L'un des secteurs les plus exposés s'est trouvé à Oran (p. 81 et suiv.), avec le massacre du 5 juillet qui a fortement marqué les imaginaires. Or, Malika Rahal en explore la genèse pour en montrer que cet événement ne survient pas spontanément. Il est le point culminant d'un cycle de violences qui n'a cessé de se renforcer tout au long de l'année, et dont un moment important a glissé dans l'oubli : il s'agit de l'attentat du 28 février, pourtant qualifié par la presse du « plus sanglant de la guerre d'Algérie » (p. 92 et suiv.).

Cette remise en perspective concerne aussi le drame des harkis, dont la mémoire (en France, tout du moins, à tel point — phénomène exceptionnel — que le président de la République a présenté les excuses du pays) a conservé l'idée d'une extermination, d'exactions répondant à un désir de vengeance. Malika Rahal démontre que la réalité a été beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît. Si beaucoup ont été emprisonnés (dans les centres de détention vidés des prisonniers algériens faits par les autorités françaises), torturés, exécutés sommairement, faute d'avoir pu rejoindre la France métropolitaine, un bon nombre a traversé la période sans encombre. Elle en a trouvé qui ont rallié les rangs de l'ALN (pratique qui précède largement l'année 1962), mais aussi d'autres qui ont pu regagner leur quartier ou leur village. Cela rappelle des sorties de guerre telles celle que la France a connues à la Libération : des collaborateurs (ou jugés ainsi) ont été abattus. Mais les nouvelles autorités ont cherché à instaurer une justice pour canaliser la violence. C'est aussi le cas de chefs de secteurs de l'ALN dans certaines wilayas, qui ont très vite cherché à établir des formes légitimes de procès, de façon à apaiser les tensions. 

L'une des préoccupations est de retrouver les siens (p. 198). Des familles se sont mises en quête des disparus, patient et très difficile travail complété par la restitution tardive de corps (parfois partiels) par la France. Malika Rahal s'y joint également, par le site biographique 1000 autres, : « Alger 1957 - des Maurice Audin par milliers », qui cherche à recenser et renseigner les « enlevés, détenus clandestinement, torturés et parfois assassinés par l’armée française ». La question du deuil se trouve au centre de la population, en même temps que se constitue la mémoire des hommes et des événements, notamment dans la toponymie.

Un autre aspect intéressant tient au retour de la population qui a été enfermée dans des camps de regroupement souvent précaires, mais aussi des exilés en Tunisie et au Maroc, sans parler de l'ALN extérieures. Malika Rahal montre les difficultés de cette entreprise. Le passage des frontières a été un premier péril, du fait du minage du terrain par l'armée française. Une fois arrivés, se pose la question des besoins élémentaires : se loger, manger. Or, les villages des zones interdites ont souvent été pulvérisés. Des mines ont aussi été placées ça et là (environ douze millions), qui font des dégâts sur le long terme. Des forêts ont été incendiées, facilitant le travail de l'érosion. Les champs (les plus mauvais, qui n'ont pas été accaparés par la colonisation française) sont devenus des friches. Le départ massif des « Européens » offre des terres, du matériel, des logements, mais comment les répartir ? On a là l'un des défis les plus importants des autorités algériennes, confrontées à l'indigence des moyens disponibles. 

Se pose également le manque de cadres et la formation intellectuelle des plus jeunes (deux millions). Sur ce dernier point, un effort considérable a été fait, auquel la France s'était refusé. Au premier point, les réponses trouvées ont été diverses. On a assisté à un développement spontané de l'autogestion (qui a été observé comme modèle par des délégations étrangères), dans un certain nombre d'entreprises industrielles aussi bien qu'agricoles. De très jeunes, parce que diplômés ou ayant fait preuve d'un sens de l'organisation pendant la guerre, ont été placés à la tête d'établissements. On retrouve ici la façon dont la France révolutionnaire a dû répondre au départ des aristocrates. Malika Rahal nuance, là encore, l'exode européen qui représente environ 60 à 70 % de la population. Beaucoup sont donc restés, certains sont revenus, souvent temporairement, posant la question de la légitimité de la propriété du foncier et des biens matériels vacants, qui a exclu d'emblée les Algériens spoliés à partir de 1830 : trop de temps était passé.


Beaucoup d'autres aspects de cette nouvelle Algérie ont été abordés (notamment les rivalités entre les autorités, à l'été 1962 ; l'éviction du MNA de Messali Hadj, etc.), qui font du travail de Malika Rahal un ouvrage des plus intéressants sur la période. Outre cela, il faut relever la présence d'un index des personnes, ce qui devient une rareté, d'autant plus remarquable qu'il est doublé de nombreuses fiches biographiques. A également été appréciée l'iconographie. On aurait aimé une synthèse de termes peu communs à un lecteur francophone (fïddaï, chouhadas, etc.), dont la signification n'est pas donnée d'emblée. De la même façon, on regrette que l'effort fait pour proposer des illustrations intéressantes soit limité par l'échelle exiguë d'un certain nombre de cartes (comme celle des camps de regroupement, p. 307), ou mal orientées (les sources se présentant à l'envers). Il en est de même pour quelques reproductions photographiques, parfois d'un format trop petit pour être lisibles, ou dont les originaux ne sont visiblement pas de bonne qualité (p. 220, par exemple)

22/12/2021

Joseph Andras, De nos Frères blessés, Actes Sud, mai 2016, 17 €. ISBN : 978-2-330-06322-1

Présentation de l'éditeur. « Alger, 1956. Fernand Iveton a trente ans quand il pose une bombe dans son usine. Ouvrier indépendantiste, il a choisi un local à l’écart des ateliers pour cet acte symbolique : il s’agit de marquer les esprits, pas les corps. Il est arrêté avant que l’engin n’explose, n’a tué ni blessé personne, n’est coupable que d’une intention de sabotage, le voilà pourtant condamné à la peine capitale.

Si le roman relate l’interrogatoire, la détention, le procès d’Iveton, il évoque également l’enfance de Fernand dans son pays, l’Algérie, et s’attarde sur sa rencontre avec celle qu’il épousa. Car avant d’être le héros ou le terroriste que l’opinion publique verra en lui, Fernand fut simplement un homme, un idéaliste qui aima sa terre, sa femme, ses amis, la vie – et la liberté, qu’il espéra pour tous les frères humains.

Quand la Justice s’est montrée indigne, la littérature peut demander réparation. Lyrique et habité, Joseph Andras questionne les angles morts du récit national et signe un fulgurant exercice d’admiration ».

 

Jeune auteur, Joseph Andras nous propose son premier ouvrage. Sans attendre, je ne peux que dire le plaisir que j’ai pu avoir à lire De nos Frères blessés, qui tient à la fois pour le sujet retenu et la façon de raconter.Le roman prend pour cadre les premières années de la guerre d’indépendance algérienne, et l’année 1956 en particulier, et pour personnage principal Fernand Iveton (aucune erreur de frappe : non pas « Yveton », mais « Iveton », comme l’administration coloniale — et le socialiste Robert Lacoste, alors ministre résident et gouverneur général de l’Algérie — tend à l’écrire systématiquement). Joseph Andras s’est donc reposé sur la réalité pour la restituer sous la forme d’un roman, car Fernand Iveton a réellement existé ; l’éditeur nous en propose d’ailleurs la photographie, de face et de profil, à la manière des fiches anthropométriques pénitentiaires. René Gallissot a d’ailleurs publié une notice biographique sur lui, dans le Dictionnaire « Algérie » du « Maitron », laquelle pourra fournir des renseignements qui viennent compléter ce qu’on peut lire dans le roman. Et vérifier au passage le travail documentaire réalisé par Joseph Andras.

Pour résumer, disons que Fernand Iveton appartient à la classe populaire européenne qui vit à Alger, dans un quartier du Clos-Salembien (El Madania) où elle cohabite avec des musulmans dont elle partage les difficiles conditions d’existence. Comme son père, Fernand Iveton milite au parti communiste et à la CGT ; il travaille également dans une usine à gaz. En 1953, il rencontre Hélène Ksiazek, qu’il épouse. L’activité militante de Fernand Iveton s’accentue : en 1955, il crée le Commando du grand Alger avec d’autres indépendantistes, et participe à des actions terroristes. Préparant un attentat contre les canalisations de l’usine à gaz, qui ne doit pas faire de victimes, une bombe est découverte dans son casier, où il l’a cachée provisoirement. Il est arrêté à son travail, torturé.

Joseph Andras nous fait entrer dans la vie de Fernand Iveton au moment où il doit recevoir le matériel. On le suit alors, pas à pas, dans son interpellation, les séances de torture qu’il subit, son procès, la pression de l’opinion publique des Européens d’Algérie attisée par la presse colonialiste, laquelle conduit à sa condamnation à mort prononcée par un tribunal militaire (en vertu des « pouvoirs spéciaux » votés sous le ministère Mollet, avec l’appui des députés communistes). On suit également les espoirs suscités par l’action d’Hélène, celle des avocats, et principalement du « ténor du barreau » communiste Joé Nordman, qui fait le déplacement à Alger. On suit les atermoiements de Fernand Iveton qui doit faire face à l’échafaud qui lui est promis, et l’échec du recours en grâce qui a été rejeté par René Coty (sur proposition du ministre du Garde des sceaux d’alors, François Mitterrand), et à l’absence de mobilisation en métropole. Son exécution (et celle de deux autres militants algériens) a lieu dans la cour de la prison Barberousse, à Alger, le lundi 11 février 1957. Un an plus tard, Jean-Paul Sartre commençait un article par ces mots : « Nous sommes tous des assassins ». Il paraphrasait très probablement (et à dessein) le titre du film d’André Cayatte, sorti en 1952, dont le héros (la victime) était René Le Guen (interprété par Marcel Mouloudji), jeune résistant qui avait basculé dans la délinquance après la libération[Jean Meckert a publié la même année un roman librement inspiré du scénario du film, et sous le même titre, chez Gallimard, dans la collection Blanche. L’ouvrage est aujourd’hui disponible aux éditions Joëlle Losfeld, collection « Arcanes », 2008, 224 pages, 10,15 €.].

Joseph Andras se place dans le sillage de Jean-Paul Sartre. On sent à quel point il s’est identifié à son héros (car c’est bien comme cela qu’il nous le donne à percevoir), dans un exercice d’écriture où il ne cherche à produire un livre objectif, mais très consciemment subjectif. Comment ne pourrait-on pas être du côté de Fernand Iveton ? Et surtout comment comprendre, et donc prendre parti pour la peine capitale qui lui a été infligée ?
De plus, sa façon d’écrire, très alerte, ne permet de lâcher le livre jusqu’à la dernière ligne : les cent quarante pages sont absorbées sans qu’on puisse reprendre son souffle. L’ouvrage a reçu le Goncourt du premier roman cette année, ce qui est parfaitement mérité.

01/12/2021

Olivia Burton, Mahi Grand, L’Algérie, c’est beau comme l’Amérique, coll. « 10 Ans », Steinkis, 7 oct. 2021, 177 p., 22 €. ISBN 9782368465417

Présentation de l'auteur. «  Lauréat du prix du festival BD de Sainte-Livrade - 2016

Petite-fille de pieds-noirs, Olivia a toujours entendu parler de l’Algérie. Mais ces récits familiaux lui pesaient : entre nostalgie, images de cartes postales et blessures de guerre, elle trouvait cet héritage plutôt gênant.

Dans les années 1990, alors que l’Algérie plonge dans la guerre civile, Olivia a envie d’en savoir plus sur l’histoire familiale. Elle demande à sa grand-mère d’écrire ses mémoires mais n’obtient d’elle qu’un sourire fatigué. Pourtant, en triant ses affaires après son décès, Olivia tombe sur un dossier qui lui est destiné. À l’intérieur : ses souvenirs d’Algérie.

Dix ans plus tard, elle décide d’aller sur place, pour confronter ces récits à la réalité.
Olivia part seule, avec dans ses bagages le numéro de téléphone d’un contact sur place, Djaffar.

Ce roman graphique raconte ce voyage : quête des origines, travail de la mémoire entre souvenirs et fantasmes, questionnement sur l’héritage, la honte et le sentiment d’exil et amitié improbable et cocasse entre les héritiers d’une histoire brûlante.
Une quête initiatique remplie de rencontres fortes et savoureuses, sensible et souvent drôle, le tout dans un décor de western et de barrages policiers ».


Jean-Yves Le Naour (sc.), Iñaki Holgado et Marko (ill.), Aretha Battistutta (coul.), <i>Le réseau Comète. La ligne d'évasion des pilotes alliés</i>, Bamboo, coll. « Grand Angle », 56 p., 31 mai 2023. ISBN 978 2 8189 9395 8

Présentation de l'éditeur . « Des centaines de résistants de « l’armée des ombres », discrets, silencieux, un « ordre de la nuit » fait...