Propos de l'éditeur. « En 1781, durant la guerre d’Indépendance, Nathan Prius vend
des petits billets dans l’armée de Washington dans lesquels il relate
les nouvelles du front. George Ellis lui propose de publier ses articles
dans son journal, mais rapidement il s’en attribue la paternité.
Meurtri par cette trahison, Nathan Prius décide de lancer son propre
journal, premières pages de ce qui deviendra bientôt un empire de la
presse, traversant les décennies, témoin privilégié de toutes les
époques ».
Mort en décembre 2019, Patrice Ordas s'était partagé entre la Haute École de joaillerie, dont il a été directeur pendant longtemps, le dessin, la roman historique, et la bande dessinée. Le Journal se trouve être son dernier opus, après la parution de L'École buissonnière en 2021 chez Grand Angle. Il s'est associé ici à Philippe Tarral, pour la première fois, mais les deux avaient travaillé avec Patrick Cothias.
Comme l'indique la présentation de l'éditeur, le début de l'histoire est placée dans le contexte de la fin de la guerre d'indépendance américaine, en octobre 1781, au moment de la bataille de Yorktown, quelques jours avant la reddition anglaise (19 octobre) face aux Américains insurgés et au corps expéditionnaire français de Rochambeau et les volontaires commandés par La Fayette. Les auteurs ont imaginé le personnage de Nathan Prius, qui appartient au 2e régiment de Virginie. Celui-ci est apprenti au Richmond News, qui appartient à George Ellis ; il écrit de petits billets sur la guerre, édité dans la Liberty Sentinel, édité par la même maison. À la fin du conflit, Nathan Prius revient à Richmond. Il a appris que ses billets étaient suivis très assidûment par un public important, alors que le Richmond News périclite, que ses billets étaient signés par son patron. Découvert, George Ellis poursuit son ancien apprenti de sa haine. Nathan Prius réussit cependant à fonder son propre titre : le Liberty Herald.
La presse prend son essor notamment au moment des révolutions qui marquent les États-Unis et la France, dans le dernier tiers du XVIII<sup>e</sup> siècle. Elle accompagne le mouvement de liberté qui s'étend, dont elle s'avère être un élément fondamental en devenant le symbole de la liberté d'expression, mais un symbole fragile puisque sa solidité dépend de l'argent et des relations. Les deux auteurs ont cherché à bien le montrer, de façon assez subtile, par la guerre qui oppose Ellis à Prius, le premier cherchant à faire taire son ancien employé par tous les moyens possibles : l'intimidation, le vol, la justice… Tout est bon pour faire disparaître le Liberty Herald. Cela assure par ailleurs le ressort de bien des péripéties, que le lecteur découvrira par lui-même. De ce point de vue, l'entreprise est réussi.
L'historien ou le compulseur d'archives modernes (jusqu'à la Révolution française, pour les béotiens…) déploreront cependant que la calligraphie des manuscrits de Nathan Prius ne correspond guère à la façon d'écrire de la fin du XVIII<sup>e</sup> (lire à ce propos « L'art d'écrire en Occident, XVIe-XVIIIe siècles
», par Carine Picaud, sur le site de la Bibliothèque nationale de France). C'est d'autant plus dommage qu'une reproduction d'un journal de cette époque a été choisie pour illustrer la couverture, ce qui était de bon augure. Mais ce ne sont que des détails finalement assez négligeables, car beaucoup de détails (les vêtements, etc.) montrent qu'il y a eu une recherche historique sérieuse de la part des auteurs.
Mais un autre intérêt, non prévu, se trouve ailleurs, qui vient renforcer l'argument principal du récit, à savoir l'importance d'une presse libre dans une démocratie. En effet, la parution de cette bande dessinée coïncide en France avec un contexte qui lui donne un relief particulier. Ce n'est pas la première fois, bien sûr, mais le hasard a bien fait les choses. Il se trouve qu'inquiète de plus en plus l'appétit d'un Bolloré (qui n'a pas hérité du sobriquet donné à Robert Hersant, dans les années soixante-dix : le papivore) qui étend son empire sans que les autorités publiques y trouvent quoi que ce soit à dire. L'audition consternante des milliardaires qui contrôlent les principaux médias par une commission de sénateurs, fin janvier 2022, l'a suffisamment montré, qui a tourné à une aimable conversation entre gens de bonne compagnie. En contrepoint, on ne saurait trop conseiller d'aller voir le film Media Crash (voir les projections sur le site de Mediapart), qui sort cette semaine. Le Journal viendra montrer que ces préoccupations ne sont pas récentes.
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