Présentation de l’éditeur. « Dans
la nuit du 12 septembre 1943, l’agent français André Rondenay atterrit
sur le sol de la France occupée. Ce jeune polytechnicien de 30 ans,
évadé des camps de prisonniers allemands, vient d’être formé par les
services secrets anglais, après son recrutement par le BCRA qui le
considère comme l’un de ses meilleurs atouts.
Les
missions de celui qui va devenir le représentant de la France libre
auprès de la Résistance intérieure pour l’ensemble de la zone Nord sont
de la plus haute importance : direction du plan Tortue visant à retarder
d’au moins huit heures l’arrivée des Panzers sur les lieux du futur
débarquement, destructions d’industries vitales pour l’armée allemande,
sabotages de chemins de fer…
Mais
sa mission la plus difficile sera d’unir les maquis du Morvan, divisés
en organisations aux orientations politiques parfois diamétralement
opposées, pour en faire un des plus puissants bastions de la Résistance
française. Dans cette entreprise à haut risque, il devra faire face aux
pires calomnies venant de son propre camp, jusqu’à ce que, trahi et
arrêté, il soit exécuté par les agents de la Gestapo, de l’Abwehr et de
la Milice qui l’avaient traqué sans relâche, à quelques jours de la
libération de Paris.
En
suivant le parcours d’un héros de la guerre de l’ombre, Joël Drogland
nous emmène au plus près de la vie des combattants clandestins,
retraçant leurs victoires, mais aussi leurs défaites et leurs luttes
fratricides ».
Saluons
pour commencer la qualité d’écriture et de synthèse de l’ouvrage que
vient de faire publier Joël Drogland, après bien des vicissitudes.
L’objet qu’il a choisi est particulièrement complexe : on s’y perdrait
facilement entre les organisations de résistance locales, celles de la
France libre, celles des Alliés, et enfin l’appareil répressif allemand
et vichyssois. Le livre comporte d’ailleurs de précieuses listes des
pseudonymes et des sigles, mais aussi des points particuliers sur
différents éléments : la plan Tortue, les missions Jedburgh, etc. De
quoi aider le lecteur. De plus, Joël Drogland montre une aisance assez
peu commune pour restituer cette période, ce qui permet de lire son
livre comme un roman : cela prouve tout simplement sa maîtrise du sujet,
qui lui est devenu familier. On est d’ailleurs époustouflé par la masse
d’archives qu’il a fallu dépouiller, qui laisse deviner l’épaisseur du temps
que ce travail (et d’autres, d’ailleurs) a nécessité. Car Joël Drogland
n’est pas un néophyte en la matière. Il est l’un des membres actifs de
l’association pour la recherche sur l’Occupation et la Résistance dans l’Yonne (ARORY), auteur de nombreuses publications, l’un des rédacteurs du Dictionnaire des fusillés et exécutés, etc. Il fallait bien cela pour restituer les derniers mois d’existence d’André Rondenay.
La quatrième de
couverture, qu’on a lu plus haut, donne une petite idée du parcours de
cet envoyé de la France libre, un ancien polytechnicien particulièrement
dynamique (comparse de Maurice Bourgès-Maunoury), évadé, qui a
finalement réussi à atteindre Londres après bien des difficultés. Après
une formation intensive assurée par les SOE britanniques (Special Operations Executive), il est déposé dans l’Indre à la mi-septembre 1943. La mission que
lui confie le BCRA (Bureau central de renseignements et d’action) est
de mettre en place le plan Tortue, qui « vise à ralentir le mouvement
des divisions blindées ennemies par la route » (p. 216), dans le cadre
de la préparation de la libération du territoire. André Rondenay « fut
par la suite nommé délégué militaire (DMR) de la région P (la région
parisienne au sens très large puisqu’elle inclut une dizaine de
départements), puis délégué militaire pour la zone Nord de la France
(DMZ). En septembre 1943, il reçut en outre la mission d’organiser
d’importants sabotages industriels dans la région parisienne ». On voit
par là quelle confiance Londres accorde à son agent, qu’elle reconnaît
d’ailleurs pour l’un des meilleurs. Le renforcement de la répression à
Paris incite le BCRA à éloigner Rondenay de la capitale, et à trouver
refuge dans « une région genre maquis » : ce sera le Morvan, pour
différentes raisons, où il
arrive au moment du débarquement. Là, il va chercher à unifier les
différents groupes du secteur, dans un massif assez peu peuplé qui
abrite des maquis nombreux et particulièrement actifs.
Cependant,
deux éléments vont contribuer à précipiter la fin de « Jarry »
(pseudonyme d’André Rondenay dans le Morvan). Il s’agit en premier lieu
des dissensions internes, dues à l’organisation de la Résistance à
Londres mais aussi aux inimitiés que la personnalité de Jarry va
susciter. Le dénigrement atteint à l’ignominie, un cadre militaire
l’estimant « tout juste bon à commander une batterie » (p. 121), un
autre le considérant comme un traître qui « mérite tout simplement une
balle dans la nuque ». Ces entreprises resteront dans certains esprits,
même longtemps après la mort d’André Rondenay , qui persisteront à le
considérer encore comme un agent double.
Un homme trouble
va savoir tirer profit de ces conflits, dont les entreprises expliquent
comment elles ont pu semer le doute : Henri Dupré. Ancien agent
franquiste infiltré dans les brigades internationales, il passe au
service de l’Abwehr très tôt, dûment stipendié pour son action.
Intelligent, il réussit à s’immiscer dans des réseaux qu’il contribue
puissamment à détruire, parvenant même à devenir l’un des responsables
des maquis de l’Aube et de l’Yonne. Son but est d’abattre Jarry.
Plusieurs guets-apens échouent, même si des chefs résistants sont
capturés. André Rondenay est finalement arrêté à la station de métro de
La Muette, le 27 juillet 1944. Il confie ultérieurement à d’autres
résistants que les Allemands disposaient de renseignements très précis
sur ses activités : Henri Dupré avait bien travaillé. Torturé à
plusieurs reprises, André Rondenay est enfermé à Fresnes avec certains
de ses compagnons. Un convoi de déportation est formé en toute hâte :
les Alliés se rapprochent de Paris. Le 15 août, il part de la gare
de Pantin, mais sans André Rondenay et quatre autres résistants.
Embarqués par un groupe d’Allemands et de miliciens, ils sont emmenés
dans la forêt de Montmorency, et abattus. Au passage, l’auteur nous
permet de comprendre l’efficacité du système de répression allemand,
s’appuyant sur la duplicité d’indicateurs infiltrés tels que Dupré, mais
aussi sur les forces de l’ordre françaises, des résistants retournés,
etc. C’est un aspect dont l’importance n’est pas toujours très bien
rendue, mais qui explique le démantèlement de nombreuses organisations,
notamment au début de l’année 1944. Faute de ces solides éléments
aguerris, on peut préjuger qu’auraient pu être évitées les conséquences
désastreuses d’erreurs commises par des inexpérimentés, lors des combats
pour la libération.
Cependant,
l’ouvrage de Joël Drogland ne s’arrête pas là. Il indique non seulement
comment Henri Dupré a tenté d’effacer les traces de ses forfaits après
la libération, comment il fut finalement démasqué et jugé au terme d’une
longue procédure, rendue difficile par le prestige et le soutien de
cadres résistants dont il bénéficie alors de façon éhontée.
Outre les
qualités rédactionnelles de son livre, il faut enfin reconnaître à Joël
Drogland le mérite d’avoir contribué à sortir du passé l’un de ces
délégués militaires régionaux, encore mal connus. Peu ont survécu, et
ils n’ont pas trouvé toute leur place dans la mémoire nationale, y
compris dans l’historiographie, alors que leur rôle a été décisif dans
l’organisation de la libération. André Rondenay n’échappe pas à cette
règle, dont la mémoire s’est constituée avec beaucoup de difficultés et
dans des proportions inverses aux services rendus.