18/09/2019

Gerardo Balsa, L’Ombre du Condor, t. 1, « 1936. Duel sous le ciel d’Espagne », éd. du Long Bec, 18 sept. 2019, 98 p., 15,90 €


 Présentation de l’éditeur. « Sur terre comme dans les airs, les destins croisés de deux soldats que tout oppose… Un constat édifiant sur l’horreur de la guerre d’Espagne… ».


Le récit se place dans les premiers temps de la guerre d’Espagne, entre juillet et octobre 1936. Il met aux prises plusieurs protagonistes. On a un aristocrate allemand qui appartient à la légion Condor, Dieter von Moltke, figure très chevaleresque qui entend qu’on se batte en respectant certaines règles : on ne tire pas sur le parachute d’un pilote abattu. Dans le camp républicain, plusieurs personnages apparaissent parmi lesquels un mécanicien, Pedro Goya (sic), se fait remarquer par ses talents de mitrailleur, et qui ne tarde pas à être embarqué en vol. Toutefois, le propos ne tarde pas à décevoir : on n’a rien que de bien classique, sur fond d’amour (dont on ne voit pas bien ce que cela apporte), de héros au grand cœur, etc. Il reprend de l’altitude, si l’on peut dire, avec l’utilisation du contexte international. On a en effet les initiatives prises par Pierre Cot, ministre de l’Air, qui organise l’approvisionnement des républicains en appareils français. L’opération est confiée à André Malraux. De l’autre côté, on voit comment l’aviation a été un élément important dans le succès franquiste, après l’échec du coup d’État du 18 juillet 1936.

Dans ce monde d’hommes, les femmes semblent jouer un rôle secondaire, trop souvent réduites à servir au repos du guerrier. Pourtant, l’une d’elles est Sofia Rigau, compagne de Pedro Goya, mais surtout militante et organisatrice de l’administration de l’escadrille d’Espagne.

Néanmoins, l’album se signale par la grande qualité des illustrations. Gerardo Balsa n’en est en effet pas à sa première bande dessinée. Il en a notamment publiées à Zéphyr Éditions, qu’il a consacrées à l’aviation, domaine dans lequel il excelle à restituer le moindre détail des appareils qu’il dessine. Et il y en a un sacré lot dans ce récit sur la guerre d’Espagne : Bréguet XIX (dont les premiers modèles remontent à la première guerre mondiale), Heinkel He-51, Potez 540, Dewoitine D371/372, Loire 46, Bloch MB 210, Vickers Vildebeest, Nieport-Delage NiD 52, Focke-Wulf FW 44 Stieglitz, Junckers  Ju/52, évidemment le Polikarpov I-15, etc. Tous les appareils font d’ailleurs l’objet d’une notice technique dans un cahier final, avec un commentaire concernant leur rôle dans ce conflit. Autant dire que le travail de Gerardo Salsa s’appuie sur une documentation très solide.

On a également apprécié la préface d’Antonio Martín, qui aide bien à comprendre les enjeux de la guerre d’Espagne au travers de l’album, et propose également quelques affiches républicaines intéressantes.

Stéphane Heurteau, Long Kesh. Bobby Sands et l’enfer irlandais, éd. du Long Bec, 18 sept. 2019, 160 p., 20 €. ISBN 978-2-37938-030-3


Présentation de l’éditeur. « Un roman graphique poignant, consacré à la détention et la mort de Bobby Sands, grande figure de l’IRA, incarcéré dans la prison de Long Kesh. Entre récit historique, polar et reportage… ».

 

Les luttes qui ont marqué l’histoire de l’Irlande au XXe siècle constituent un thème dont la bande dessinée s’est emparée. On avait d’ailleurs rendu compte dans la Cliothèque de l’adaptation du roman de Sorj Chalandon, Mon Traître. Pourtant, si l’Irlande fait partie de l’Union européenne, son passé récent est assez mal connu : n’apparaissant jamais dans les programmes d’histoire-géographie en France, il a rejoint néanmoins l’imaginaire révolutionnaire avec toute la subjectivité que cela représente. Aussi, chaque nouvelle publication est l’occasion de s’interroger sur cet objet particulier.

Long Kesh n’échappe à ce principe, d’autant qu’il s’inscrit dans la réalité : celle du combat de Booby Sands et de ses compagnons de l’IRA contre l’oppression britannique. Ce qui frappe d’abord le lecteur, c’est le dessin. Les couleurs sombres dominent des lignes sobres, d’où émergent les visages des protagonistes. Stéphane Heurteau excelle à rendre les expressions, dans leur dureté notamment, et « l’enfer irlandais » qui s’est constitué dans cette prison de Long Kesh, nom donné au centre pénitentiaire de Maze (Irlande du Nord). Il excelle également à restituer la violence qui s’est exercée sur les prisonniers politiques. L’auteur montre également les stratagèmes que ces derniers utilisent pour communiquer entre eux et avec l’extérieur, et la lutte qu’ils entament : le refus de porter les vêtements de prisonniers, mais de simples couvertures trouées en guise ponchos ; la destruction du mobilier ; le refus d’utiliser leur droit de visite mensuelle ; l’organisation d’une tentative d’évasion ; la grève de l’hygiène (les excréments étalés sur les murs des cellules, avec les conséquences qu’on imagine), etc.

Le paroxysme est constitué par la grève de la faim entamée progressivement par douze prisonniers, dans un premier temps, pour que le mouvement dure plus longtemps. On apprend d’ailleurs que des femmes enfermées dans la prison d’Armagh s’y joignent également. On suit en particulier Bobby Sands, en proie aux turpitudes de certains gardiens, qui continuent à lui donner un plateau de nourriture (souillée) chaque jour. On voit à cette occasion que cette lutte interne se double d’actions à l’extérieur. En plus de la médiatisation des actions, des exécutions visent des gardiens, parmi les plus féroces. Des prisonniers sont présentés aux élections par le Sinn Fein : Booby Sands est ainsi élu député, tout en étant empêché d’aller au parlement. Pendant ce temps, les grévistes de la faim commencent à subir les conséquences de l’absence d’alimentation : la cécité les gagne au fur et à mesure que leurs forces déclinent. Booby Sands meurt le 5 mai 1981, au terme de soixante-six jours de grève. En même temps que la très forte émotion que sa mort provoque, des émeutes éclatent en Irlande du Nord. Le gouvernement britannique reste pourtant insensible au sort des autres grévistes : neuf autres prisonniers meurent bientôt entre mai et août 1981, après quarante-six ou soixante-treize jours de lutte.

L’auteur précise qu’une tentative d’évasion réussit : trente-huit prisonniers s’échappent en 1982. Huit ans après les accords d’avril 1998, Long Kesh est détruite.

Au dessin dont on a déjà souligné les qualités s’ajoutent des dialogues épurés, ce qui contribue à donner une force incroyable à l’album très réussi. C’est peu de dire qu’on ne sort pas indifférent de sa lecture, tant la tension est maintenue de bout en bout.

01/09/2019

Renaud Garcia, Pierre Kropotkine & l'économie par l'entraide, Le Passager clandestin, coll. « Précurseur.ses de la décroissance », septembre 2019, 132 p., 10 € ISBN : 978-2-36935-232-7


Présentation de l'éditeur. « Pourquoi l'entraide est-elle notre unique chance de survie ?

Géographe, naturaliste, explorateur, militant et théoricien du communisme anarchiste, Pierre Kropotkine (1842-1921) s'est insurgé contre la vision d'une société régie par la compétition et la concurrence. Réfutant les théories du darwinisme social, il montre que la coopération et la solidarité sont un facteur essentiel de la survie des espèces.

Il trace les contours d'une économie par l'entraide qui garantit la satisfaction des besoins, évite le gaspillage et engendre une organisation collective maîtrisable par les individus.

Renaud Garcia rappelle que les propositions du "prince des anarchistes" restent des pistes d'actualités pour contrer l'idéologie capitaliste compétitive et le productivisme ».

21/08/2019

Jean-Yves Le Naour, Marko, Inaki Holgado, Les Compagnons de la Libération : Jean Moulin, Bamboo, coll. « Grand Angle », 21 août 2019, 56 pages. ISBN : 978 2 8189 6728 7


Présentation de l’éditeur. « L’homme qui unifia la Résistance.

Après leur débarquement en Afrique du Nord, en novembre 1942, les Alliés soutiennent le général Giraud pour contrecarrer les plans de de Gaulle. Mais l’homme du 18 juin n’est pas du genre à se laisser écarter de l’échiquier politique. Sur le terrain, dans la France occupée, Jean Moulin œuvre pour unifier la résistance. Mais si coaliser les mouvements combattants est déjà difficile, les faire cohabiter avec des responsables politiques de tous bords s’avère presque impossible. Pourtant, De Gaulle fait venir Jean Moulin à Londres et le charge de créer le Conseil National de la Résistance… ».

 

Une série est consacrée depuis quelques temps aux Compagnons de la Libération, avec le soutien du musée de l’ordre de la Libération. Parus le 29 mai 2019, deux précédents volumes avaient été consacrés à Pierre Messmer, qui rallia très tôt la France libre dès 1940, et à Philippe de Hauteclocque, véritable nom de Leclerc. Fort logiquement, un album devait être réservé à la personnalité qui aujourd’hui symbolise à elle seule la Résistance, c’est-à-dire Jean Moulin. Mille trente huit personnes furent admises dans l’ordre de la Libération ; du choix des trois premières retenues pour la série de BD, on voit que le critère principal tient à la notoriété. Il est cependant à espérer que d’autres plus obscures soient retenues, mais aussi des femmes, d’autant qu’il n’y en eut que six seulement : Bertie AlbrechtLaure DieboldMarie HackinMarcelle HenrySimone Michel-Lévy et Émilienne Moreau-Évrard.

L’album s’ouvre sur l’interrogatoire de Moulin par Barbie, le 21 juin 1943, avant un retour sur les mois précédents, en novembre 1942 ; la scène sert d’ailleurs de point de référence au lecteur. Lyon est alors occupée par les troupes allemandes, après le débarquement allié en Afrique du Nord. Les auteurs placent tout de suite les lecteurs face aux oppositions qui animent les principaux chefs de la Résistance, surtout Henri Frenay, qui compte bien sur un retournement de situation pour contrer de Gaulle. En décembre, Darlan est assassiné par le jeune Fernand Bonnier de la Chapelle, fusillé deux jours plus tard, le 26. Eisenhower fait alors le choix du général Giraud comme haut-commissaire, « un militaire qui ne se préoccupe pas de politique […], le contraire de de Gaulle », persuadé de détacher Pétain de la collaboration et de faire plier de Gaulle. C’est dans ce contexte troublé que Jean Moulin cherche à obtenir l’aval des chefs de la zone Sud pour demander que l’Afrique du Nord soit remise entre les mains de de Gaulle. Libération sud donne son accord, poussant même à ce que le futur Conseil national de la Résistance intègre les partis politiques en plus des mouvements de Résistance. Les autres responsables ont la même attitude. Cela aide de Gaulle lors de la conférence de Casablanca (22 janvier 1943), qui démontre ainsi la faible légitimité de Giraud aux dirigeants alliés.

Pierre Brossolette arrive de Londres pour demander à Jean Moulin d’y aller. Pendant ce temps, il doit entreprendre l’unification des mouvements de la zone Nord. Cependant, Brossolette est hostile à l’intégration des partis politiques. De Gaulle confie alors à Jean Moulin le temps de constituer le Conseil national de la Résistance, qui doit rassembler en outre les syndicats ouvriers. De retour en mars, le délégué permanent se heurte à Frenay et d’Astier de la Vigerie. Ceux-ci cherchent à préserver leur indépendance par un contact direct avec les Américains ; Moulin obtient des chefs des mouvements de la zone Sud qu’ils désapprouvent officiellement cette attitude, et Frenay est convoqué à Londres.

Les choses évoluent ensuite rapidement. Le 27 mai 1943, rue du Four à Paris, le Conseil national de la Résistance tient sa première réunion. Cependant, les filets des services de renseignements allemands se resserrent. Le7 juin, le général Delestraint (Armée secrète) est arrêté à Paris ; René Hardy (Combat) également, avant qu’il soit relâché ; un rapport de Frenay sur les activités de Moulin est aussi tombé dans les mains allemandes. Une réunion est prévue à Caluire, le 21 ; Bénouville doit y représenter Combat, mais charge finalement Hardy de cette mission. Les auteurs choisissent de montrer celui-ci donnant des renseignements à Barbie, prenant fait et cause en faveur de sa trahison. Une agent double apprend cela, mais le cloisonnement est tel que l’information ne peut remonter : les arrestations interviennent rapidement.

L’album se finit sur un extrait du discours de Malraux, le 19 décembre 1964, celui qui fait de Moulin le nouveau symbole de la Résistance. Un dossier documentaire en retrace la vie.

Cette biographie dessinée de Jean Moulin se signale par un dessin honnête : les personnages ont été travaillé de façon à donner une vraisemblance au récit. Ce souci va jusque dans d’autres détails, notamment les paysages, les véhicules, etc. L’apport d’un historien, Jean-Yves Le Naour (qui a déjà collaboré au premier volume sur Leclerc), se révèle également précieux, même si celui-ci est surtout connu pour ses travaux sur la première guerre mondiale : le scénario qu’il a établi contribue à donner un bon rythme à l’album.

On a, en somme, une biographie très honnête qui permettra à des adolescents (et à des adultes) d’en savoir davantage sur les derniers mois de vie de Jean Moulin. D’autant que rien n’est caché des dissensions qui opposent les chefs des mouvements. Si Jean Moulin a été imposé comme l’incarnation de la Résistance, cet aspect ne doit pas être négligé. Cela renforce la crédibilité de la série, dont on pouvait craindre a priori qu’elle ne soit qu’une suite hagiographique.

Philippe Thirault (sc.), Roberto Zaghi (ill.), Le Vent des libertaires, T. 1

Philippe Thirault (sc.), Roberto Zaghi (ill.), Le Vent des libertaires, T. 1, Les Humanoïdes associés, 21 août 2019, 56 p., 14,50 €


Présentation de l’éditeur. « Ukraine, début du XXe siècle. Issu de la paysannerie très pauvre et adopté par une famille bourgeoise, le jeune Nestor Makhno ne trouve pas sa place dans un monde impitoyable, dominé par les riches. L’histoire romancée du plus grand des anarchistes ukrainiens qui, défiant à la fois les Bolcheviques et les Allemands, a traversé un demi-siècle de révoltes et de révolutions ».

10/08/2019

Emmanuel Dockès, Voyage en misarchie. Essai pour tout reconstruire, éditions du Détour, 16 mai 2019, 512 pages, 13,90 €. ISBN : 979-10-97079-44-4


Présentation de l’éditeur. « Misarchie. n.f. : régime dont le principe est une réduction maximale des pouvoirs et des dominations.

Sébastien est professeur de droit. À la suite d’un accident d’avion, il se retrouve sur une terre inconnue qu’il va peu à peu découvrir et dont l’organisation politique est une forme radicale de démocratie, politique, économique et sociale : la misarchie. Une utopie politique pour penser autre société, plus libre, plus égalitaire, plus diverse.

Emmanuel Dockès expose dans cet essai ses propositions pour repenser notre société dans tous ses aspects. Au fil de l’ouvrage, l’auteur mobilise les idées les plus progressistes et les plus audacieuses sur la monnaie, la démocratie participative, le partage du travail, la propriété d’usage, la rotation des familles, l’autogestion, la liberté d’entreprendre, les services publics, l’autodétermination…
Ce livre nous entraîne dans une aventure politique concrète, dans un pays où les règles visent à empêcher les abus de pouvoir et à préserver les libertés (avec toute l’imperfection que cela implique). L’ouvrage prend la forme facétieuse du témoignage fictif d’un personnage englué dans les préjugés de notre époque, perdu sur une terre inconnue dont il va découvrir les règles et les mœurs.

Juriste engagé Emmanuel Dockès est professeur de droit du travail à l’université Paris Ouest Nanterre. Il réfléchit et écrit également au-delà du domaine juridique, et notamment sur les rapports de pouvoir en démocratie. Il collabore à plusieurs expérimentations misarchiques. Il a ainsi participé à l’exposition Lieux infinis à la Biennale d’architecture de Venise en 2018 sur le thème de friches, avec le collectif rennais de l’Hôtel Pasteur ».


Le présent ouvrage est la réédition au format poche du livre d’Emmanuel Dockès paru en mars 20171 . Outre le terme de « misarchie », j’avais été attiré par le sous-titre : Essai pour tout reconstruire. J’y voyais la promesse d’un prolongement de l’éditorial d’Ignacio Ramonet, paru dans Le Monde diplomatique en mai 1998 : « Un autre monde est possible »2 . En fait d’essai, on a plutôt un roman, qui met en scène un « autre monde […] possible ». Quelque chose qui rappelle les Lettres persanes de Montesquieu, car Emmanuel Dockès plonge son personnage principal dans un univers étranger qu’il doit décoder. Sébastien Debourg aborde l’Arcanie par hasard, à la suite d’un accident d’avion. En gros balourd, il est d’abord complètement déstabilisé par ce qu’il découvre. Mais peu à peu, les personnes qu’il rencontre vont l’informer sur le fonctionnement d’une misarchie, qu’il n’est pas question ici de détailler. On se contentera de dire qu’il n’y a pas d’État, mais un ensemble de districts dont les dimensions géographiques sont extrêmement variables : disons qu’il s’agit d’un espace de vie, à l’image d’une vallée, d’un « bassin d’emploi » (appellation administrative requise même si le taux de chômage atteint des sommets). Mais on peut trouver un district à l’échelle d’un immeuble. Si chaque Arcanien fait partie d’un district, il peut aussi appartenir à une association : l’adhésion se fait sur la base du volontariat, en fonction de ses affinités philosophiques ou autres. Chaque association édicte des principes de vie à respecter.

Ce grand arcane vise à favoriser l’émancipation de chacun, dans le respect des autres. Très tôt, les enfants doivent ainsi effectuer des périodes dans d’autres familles de milieux complètement différents, pour développer la complexité de la société et être confronté à sa diversité. Un autre aspect important est la méfiance à l’égard de toute forme de pouvoir : s’il existe une fiscalité, une monnaie, une police et une justice à l’échelle de l’Arcanie, on a pris soin de définir des contre-pouvoirs assez subtils, qui reposent sur les oppositions avérées (car tout n’est pas rose en Arcanie) et la psychologie humaine. Les mesures sont ainsi prises en fonction de réactions prévisibles.

La solidarité est poussée à un point important. Le temps de travail est de l’ordre de seize heures hebdomadaires, pour que chacun puisse avoir une activité rémunérée, mais aussi un temps libre qu’il occupera à poursuivre ses études, à œuvrer au service des autres, à ne rien faire ou à effectuer des heures supplémentaires (taxées à hauteur des trois-quarts de la rémunération), etc. Pour autant, il n’y a pas de revenu universel, même si une prise en charge des nouveaux arrivants (comme Sébastien Debourg) et des plus pauvres existe. Les soins, l’éducation, les transports, l’énergie sont gratuits.

L’héritage a été supprimé, même s’il existe encore des inégalités. Il n’est pas possible de louer un appartement, mais le système d’achat de l’immobilier permet d’en acquérir un très facilement. Les salariés détiennent une part de l’entreprise qui les emploie (comme les coopératives, mais avec quelques nuances), ce qui leur permet d’introduire la démocratie dans la vie économique et de donner plus de sens à leur travail. Emmanuel Dockès montre que si le système misarchique est encore perfectible, on a là une utopie en action, une contre-société si on veut l’opposer à la civilisation occidentale. Une sorte d’idéal vers quoi aller.

Ce Voyage en misarchie n’est pas exempt de reproches : l’abus de l’emploi de l’onomatopée « ho » à la place de l’interjection « oh » finit par être assez agaçante, ainsi que les erreurs typographiques. On sent bien que l’auteur n’est pas romancier, ce qui explique des longueurs dans le récit, des situations dont l’issue est prévisible (les relations entre Clisthène et Sébastien Debourg, par exemple), des personnages assez incohérents, subtils par certains côtés et beaucoup moins par d’autres, etc. Néanmoins, les cinq cents pages se lisent avec beaucoup de facilité. Surtout — et c’est l’objectif du projet —, il donne à réfléchir, ce qui est beaucoup plus important que de s’attacher aux défauts qui viennent d’être indiqués. On ne peut s’empêcher de comparer la situation de notre société à la misarchie, et on découvre des clés pour améliorer la situation. Emmanuel Dockès excelle, au travers de son personnage principal, à montrer les absurdités de notre fonctionnement social : ainsi, qu’est-ce qui justifie l’écart de rémunération de un à cent, entre l’employé le plus mal payé et le dirigeant de son entreprise ? Comment comprendre que le contrôle des élus par les citoyens ne puisse pas se faire, en dehors des élections (et encore…) ? Notre système mérite-t-il vraiment le nom de « démocratie » ? À ce titre, le roman se révèle bien être un essai, l’appareil théorique étant donné sous la forme de dialogues. Le lecteur est ainsi guidé, ce qui n’entrave en rien sa liberté de réflexion.


Notes 












05/06/2019

Yann Rambaut, Le Nouveau Président , éd. Delcourt, coll. « Pataquès », 5 juin 2019, 96 p., 15,95€


Présentation de l’éditeur. « Pour le deuxième anniversaire de l’élection d’Emmanuel Macron, retrouvez un personnage principal en tout point semblable ou presque, dans cet ouvrage de référence, qui servira de guide pour toute personne souhaitant briguer le poste de président.

Suite à la mystérieuse disparition du président de la République française, des élections sont organisées. Ce livre, au récit palpitant, guidera au mieux le lecteur dans des problématiques complexes que seul un président peut connaître, telles que :
– Doit-on prendre un duvet et des draps quand on vient vivre à l’Élysée ?
– Un ministère de la rhubarbe, pour quoi faire ?
– Comment résister à la pression incessante du lobby du parmesan ? ».

 

Les éditions Delcourt présente la collection Pataquès comme suit : « Pataquès – L’humour qui prend aux strips. Une collection dirigée par James avec :

  • Un humour contemporain : traiter des sujets de société, porter un regard critique, décalé ou absurde sur le monde qui nous entoure, sur nos comportements.
  • Des formes courtes (stries, gags en une page, courtes chroniques) et les petits formats. Revenir à l’essence pop et pulp de la bande dessinée.
  • Un esprit d’équipe parmi les auteurs, avec des passerelles, des collaborations croisées, dans l’esprit de ce qu’on vit dans les rédactions ».

Le Nouveau Président avait donc toute sa place dans cette collection, avec un album qui rappelle beaucoup un auteur comme FabCaro, quoi que Yann Rambaud soit « un auteur majeur de notre civilisation, aux côtés d’Albert Camus, Romain Gary et Patrick Sébastien ».

On suit un candidat aux élections présidentielles dans les dernières secondes qui précèdent l’annonce des résultats du second tour : plus que 9996 secondes… Ce candidat — dont on ne saura jamais le nom, mais sa silhouette donne des indices — et père de famille — il a un fils, Maurice-Papon, et un autre de rechange — représente le parti des républicains oligarques et ultra-techniques l’emporte par 3 à 0 face à la candidate du parti de l’extrême centre. Mais dès son installation à l’Élysée le soir même, il est confronté à un obscur lobby du parmesan qui va s’employer à mettre à mal sa politique si le nouvel élu ne favorise pas ce fromage. Ce groupe de pression utilise la corruption, et va jusqu’à assassiner des conseillers présidentiels à coups de CD de Pascal Obispo. Cependant, il contrôle aussi le budget de l’État, et les comptes sont rapidement à zéro (il reste 145 euros sur le compte courant), avec une dette très importantes (2000 milliards d’euros) : il faut trouver des solutions. Le président décide de payer de sa personne, et cherche un petit boulot. Il chante dans les rues, mais la situation continue à se dégrader : hausse du chômage, crise financière, scandales écologiques, montée des extrêmes. Le président est alors enlevé par le lobby du parmesan. Il apprend alors coup sur coup que  non seulement Stéphane Bern en fait partie, mais que le numéro 2 du parti des républicains oligarques veut l’assassiner. Le dénouement — heureux de cet enlèvement — ne sera pas dévoilé hier.

Les personnages sont dessinés de façon volontairement incomplètes, sans les yeux, ce qui peut perturber. Les situations et les dialogues sont complètement loufoques, et tendent à désacraliser les fonctions et les personnages qui les exercent. Évidemment, on se doute que ce n’est pas l’album idéal pour travailler en éducation morale et civique : le but recherché par Yann Rambaud n’est absolument pas là. Mais les amateurs de non-sense y trouveront leur compte…

Jean-Yves Le Naour (sc.), Iñaki Holgado et Marko (ill.), Aretha Battistutta (coul.), <i>Le réseau Comète. La ligne d'évasion des pilotes alliés</i>, Bamboo, coll. « Grand Angle », 56 p., 31 mai 2023. ISBN 978 2 8189 9395 8

Présentation de l'éditeur . « Des centaines de résistants de « l’armée des ombres », discrets, silencieux, un « ordre de la nuit » fait...