01/09/2019

Renaud Garcia, Pierre Kropotkine & l'économie par l'entraide, Le Passager clandestin, coll. « Précurseur.ses de la décroissance », septembre 2019, 132 p., 10 € ISBN : 978-2-36935-232-7


Présentation de l'éditeur. « Pourquoi l'entraide est-elle notre unique chance de survie ?

Géographe, naturaliste, explorateur, militant et théoricien du communisme anarchiste, Pierre Kropotkine (1842-1921) s'est insurgé contre la vision d'une société régie par la compétition et la concurrence. Réfutant les théories du darwinisme social, il montre que la coopération et la solidarité sont un facteur essentiel de la survie des espèces.

Il trace les contours d'une économie par l'entraide qui garantit la satisfaction des besoins, évite le gaspillage et engendre une organisation collective maîtrisable par les individus.

Renaud Garcia rappelle que les propositions du "prince des anarchistes" restent des pistes d'actualités pour contrer l'idéologie capitaliste compétitive et le productivisme ».

21/08/2019

Jean-Yves Le Naour, Marko, Inaki Holgado, Les Compagnons de la Libération : Jean Moulin, Bamboo, coll. « Grand Angle », 21 août 2019, 56 pages. ISBN : 978 2 8189 6728 7


Présentation de l’éditeur. « L’homme qui unifia la Résistance.

Après leur débarquement en Afrique du Nord, en novembre 1942, les Alliés soutiennent le général Giraud pour contrecarrer les plans de de Gaulle. Mais l’homme du 18 juin n’est pas du genre à se laisser écarter de l’échiquier politique. Sur le terrain, dans la France occupée, Jean Moulin œuvre pour unifier la résistance. Mais si coaliser les mouvements combattants est déjà difficile, les faire cohabiter avec des responsables politiques de tous bords s’avère presque impossible. Pourtant, De Gaulle fait venir Jean Moulin à Londres et le charge de créer le Conseil National de la Résistance… ».

 

Une série est consacrée depuis quelques temps aux Compagnons de la Libération, avec le soutien du musée de l’ordre de la Libération. Parus le 29 mai 2019, deux précédents volumes avaient été consacrés à Pierre Messmer, qui rallia très tôt la France libre dès 1940, et à Philippe de Hauteclocque, véritable nom de Leclerc. Fort logiquement, un album devait être réservé à la personnalité qui aujourd’hui symbolise à elle seule la Résistance, c’est-à-dire Jean Moulin. Mille trente huit personnes furent admises dans l’ordre de la Libération ; du choix des trois premières retenues pour la série de BD, on voit que le critère principal tient à la notoriété. Il est cependant à espérer que d’autres plus obscures soient retenues, mais aussi des femmes, d’autant qu’il n’y en eut que six seulement : Bertie AlbrechtLaure DieboldMarie HackinMarcelle HenrySimone Michel-Lévy et Émilienne Moreau-Évrard.

L’album s’ouvre sur l’interrogatoire de Moulin par Barbie, le 21 juin 1943, avant un retour sur les mois précédents, en novembre 1942 ; la scène sert d’ailleurs de point de référence au lecteur. Lyon est alors occupée par les troupes allemandes, après le débarquement allié en Afrique du Nord. Les auteurs placent tout de suite les lecteurs face aux oppositions qui animent les principaux chefs de la Résistance, surtout Henri Frenay, qui compte bien sur un retournement de situation pour contrer de Gaulle. En décembre, Darlan est assassiné par le jeune Fernand Bonnier de la Chapelle, fusillé deux jours plus tard, le 26. Eisenhower fait alors le choix du général Giraud comme haut-commissaire, « un militaire qui ne se préoccupe pas de politique […], le contraire de de Gaulle », persuadé de détacher Pétain de la collaboration et de faire plier de Gaulle. C’est dans ce contexte troublé que Jean Moulin cherche à obtenir l’aval des chefs de la zone Sud pour demander que l’Afrique du Nord soit remise entre les mains de de Gaulle. Libération sud donne son accord, poussant même à ce que le futur Conseil national de la Résistance intègre les partis politiques en plus des mouvements de Résistance. Les autres responsables ont la même attitude. Cela aide de Gaulle lors de la conférence de Casablanca (22 janvier 1943), qui démontre ainsi la faible légitimité de Giraud aux dirigeants alliés.

Pierre Brossolette arrive de Londres pour demander à Jean Moulin d’y aller. Pendant ce temps, il doit entreprendre l’unification des mouvements de la zone Nord. Cependant, Brossolette est hostile à l’intégration des partis politiques. De Gaulle confie alors à Jean Moulin le temps de constituer le Conseil national de la Résistance, qui doit rassembler en outre les syndicats ouvriers. De retour en mars, le délégué permanent se heurte à Frenay et d’Astier de la Vigerie. Ceux-ci cherchent à préserver leur indépendance par un contact direct avec les Américains ; Moulin obtient des chefs des mouvements de la zone Sud qu’ils désapprouvent officiellement cette attitude, et Frenay est convoqué à Londres.

Les choses évoluent ensuite rapidement. Le 27 mai 1943, rue du Four à Paris, le Conseil national de la Résistance tient sa première réunion. Cependant, les filets des services de renseignements allemands se resserrent. Le7 juin, le général Delestraint (Armée secrète) est arrêté à Paris ; René Hardy (Combat) également, avant qu’il soit relâché ; un rapport de Frenay sur les activités de Moulin est aussi tombé dans les mains allemandes. Une réunion est prévue à Caluire, le 21 ; Bénouville doit y représenter Combat, mais charge finalement Hardy de cette mission. Les auteurs choisissent de montrer celui-ci donnant des renseignements à Barbie, prenant fait et cause en faveur de sa trahison. Une agent double apprend cela, mais le cloisonnement est tel que l’information ne peut remonter : les arrestations interviennent rapidement.

L’album se finit sur un extrait du discours de Malraux, le 19 décembre 1964, celui qui fait de Moulin le nouveau symbole de la Résistance. Un dossier documentaire en retrace la vie.

Cette biographie dessinée de Jean Moulin se signale par un dessin honnête : les personnages ont été travaillé de façon à donner une vraisemblance au récit. Ce souci va jusque dans d’autres détails, notamment les paysages, les véhicules, etc. L’apport d’un historien, Jean-Yves Le Naour (qui a déjà collaboré au premier volume sur Leclerc), se révèle également précieux, même si celui-ci est surtout connu pour ses travaux sur la première guerre mondiale : le scénario qu’il a établi contribue à donner un bon rythme à l’album.

On a, en somme, une biographie très honnête qui permettra à des adolescents (et à des adultes) d’en savoir davantage sur les derniers mois de vie de Jean Moulin. D’autant que rien n’est caché des dissensions qui opposent les chefs des mouvements. Si Jean Moulin a été imposé comme l’incarnation de la Résistance, cet aspect ne doit pas être négligé. Cela renforce la crédibilité de la série, dont on pouvait craindre a priori qu’elle ne soit qu’une suite hagiographique.

Philippe Thirault (sc.), Roberto Zaghi (ill.), Le Vent des libertaires, T. 1

Philippe Thirault (sc.), Roberto Zaghi (ill.), Le Vent des libertaires, T. 1, Les Humanoïdes associés, 21 août 2019, 56 p., 14,50 €


Présentation de l’éditeur. « Ukraine, début du XXe siècle. Issu de la paysannerie très pauvre et adopté par une famille bourgeoise, le jeune Nestor Makhno ne trouve pas sa place dans un monde impitoyable, dominé par les riches. L’histoire romancée du plus grand des anarchistes ukrainiens qui, défiant à la fois les Bolcheviques et les Allemands, a traversé un demi-siècle de révoltes et de révolutions ».

10/08/2019

Emmanuel Dockès, Voyage en misarchie. Essai pour tout reconstruire, éditions du Détour, 16 mai 2019, 512 pages, 13,90 €. ISBN : 979-10-97079-44-4


Présentation de l’éditeur. « Misarchie. n.f. : régime dont le principe est une réduction maximale des pouvoirs et des dominations.

Sébastien est professeur de droit. À la suite d’un accident d’avion, il se retrouve sur une terre inconnue qu’il va peu à peu découvrir et dont l’organisation politique est une forme radicale de démocratie, politique, économique et sociale : la misarchie. Une utopie politique pour penser autre société, plus libre, plus égalitaire, plus diverse.

Emmanuel Dockès expose dans cet essai ses propositions pour repenser notre société dans tous ses aspects. Au fil de l’ouvrage, l’auteur mobilise les idées les plus progressistes et les plus audacieuses sur la monnaie, la démocratie participative, le partage du travail, la propriété d’usage, la rotation des familles, l’autogestion, la liberté d’entreprendre, les services publics, l’autodétermination…
Ce livre nous entraîne dans une aventure politique concrète, dans un pays où les règles visent à empêcher les abus de pouvoir et à préserver les libertés (avec toute l’imperfection que cela implique). L’ouvrage prend la forme facétieuse du témoignage fictif d’un personnage englué dans les préjugés de notre époque, perdu sur une terre inconnue dont il va découvrir les règles et les mœurs.

Juriste engagé Emmanuel Dockès est professeur de droit du travail à l’université Paris Ouest Nanterre. Il réfléchit et écrit également au-delà du domaine juridique, et notamment sur les rapports de pouvoir en démocratie. Il collabore à plusieurs expérimentations misarchiques. Il a ainsi participé à l’exposition Lieux infinis à la Biennale d’architecture de Venise en 2018 sur le thème de friches, avec le collectif rennais de l’Hôtel Pasteur ».


Le présent ouvrage est la réédition au format poche du livre d’Emmanuel Dockès paru en mars 20171 . Outre le terme de « misarchie », j’avais été attiré par le sous-titre : Essai pour tout reconstruire. J’y voyais la promesse d’un prolongement de l’éditorial d’Ignacio Ramonet, paru dans Le Monde diplomatique en mai 1998 : « Un autre monde est possible »2 . En fait d’essai, on a plutôt un roman, qui met en scène un « autre monde […] possible ». Quelque chose qui rappelle les Lettres persanes de Montesquieu, car Emmanuel Dockès plonge son personnage principal dans un univers étranger qu’il doit décoder. Sébastien Debourg aborde l’Arcanie par hasard, à la suite d’un accident d’avion. En gros balourd, il est d’abord complètement déstabilisé par ce qu’il découvre. Mais peu à peu, les personnes qu’il rencontre vont l’informer sur le fonctionnement d’une misarchie, qu’il n’est pas question ici de détailler. On se contentera de dire qu’il n’y a pas d’État, mais un ensemble de districts dont les dimensions géographiques sont extrêmement variables : disons qu’il s’agit d’un espace de vie, à l’image d’une vallée, d’un « bassin d’emploi » (appellation administrative requise même si le taux de chômage atteint des sommets). Mais on peut trouver un district à l’échelle d’un immeuble. Si chaque Arcanien fait partie d’un district, il peut aussi appartenir à une association : l’adhésion se fait sur la base du volontariat, en fonction de ses affinités philosophiques ou autres. Chaque association édicte des principes de vie à respecter.

Ce grand arcane vise à favoriser l’émancipation de chacun, dans le respect des autres. Très tôt, les enfants doivent ainsi effectuer des périodes dans d’autres familles de milieux complètement différents, pour développer la complexité de la société et être confronté à sa diversité. Un autre aspect important est la méfiance à l’égard de toute forme de pouvoir : s’il existe une fiscalité, une monnaie, une police et une justice à l’échelle de l’Arcanie, on a pris soin de définir des contre-pouvoirs assez subtils, qui reposent sur les oppositions avérées (car tout n’est pas rose en Arcanie) et la psychologie humaine. Les mesures sont ainsi prises en fonction de réactions prévisibles.

La solidarité est poussée à un point important. Le temps de travail est de l’ordre de seize heures hebdomadaires, pour que chacun puisse avoir une activité rémunérée, mais aussi un temps libre qu’il occupera à poursuivre ses études, à œuvrer au service des autres, à ne rien faire ou à effectuer des heures supplémentaires (taxées à hauteur des trois-quarts de la rémunération), etc. Pour autant, il n’y a pas de revenu universel, même si une prise en charge des nouveaux arrivants (comme Sébastien Debourg) et des plus pauvres existe. Les soins, l’éducation, les transports, l’énergie sont gratuits.

L’héritage a été supprimé, même s’il existe encore des inégalités. Il n’est pas possible de louer un appartement, mais le système d’achat de l’immobilier permet d’en acquérir un très facilement. Les salariés détiennent une part de l’entreprise qui les emploie (comme les coopératives, mais avec quelques nuances), ce qui leur permet d’introduire la démocratie dans la vie économique et de donner plus de sens à leur travail. Emmanuel Dockès montre que si le système misarchique est encore perfectible, on a là une utopie en action, une contre-société si on veut l’opposer à la civilisation occidentale. Une sorte d’idéal vers quoi aller.

Ce Voyage en misarchie n’est pas exempt de reproches : l’abus de l’emploi de l’onomatopée « ho » à la place de l’interjection « oh » finit par être assez agaçante, ainsi que les erreurs typographiques. On sent bien que l’auteur n’est pas romancier, ce qui explique des longueurs dans le récit, des situations dont l’issue est prévisible (les relations entre Clisthène et Sébastien Debourg, par exemple), des personnages assez incohérents, subtils par certains côtés et beaucoup moins par d’autres, etc. Néanmoins, les cinq cents pages se lisent avec beaucoup de facilité. Surtout — et c’est l’objectif du projet —, il donne à réfléchir, ce qui est beaucoup plus important que de s’attacher aux défauts qui viennent d’être indiqués. On ne peut s’empêcher de comparer la situation de notre société à la misarchie, et on découvre des clés pour améliorer la situation. Emmanuel Dockès excelle, au travers de son personnage principal, à montrer les absurdités de notre fonctionnement social : ainsi, qu’est-ce qui justifie l’écart de rémunération de un à cent, entre l’employé le plus mal payé et le dirigeant de son entreprise ? Comment comprendre que le contrôle des élus par les citoyens ne puisse pas se faire, en dehors des élections (et encore…) ? Notre système mérite-t-il vraiment le nom de « démocratie » ? À ce titre, le roman se révèle bien être un essai, l’appareil théorique étant donné sous la forme de dialogues. Le lecteur est ainsi guidé, ce qui n’entrave en rien sa liberté de réflexion.


Notes 












05/06/2019

Yann Rambaut, Le Nouveau Président , éd. Delcourt, coll. « Pataquès », 5 juin 2019, 96 p., 15,95€


Présentation de l’éditeur. « Pour le deuxième anniversaire de l’élection d’Emmanuel Macron, retrouvez un personnage principal en tout point semblable ou presque, dans cet ouvrage de référence, qui servira de guide pour toute personne souhaitant briguer le poste de président.

Suite à la mystérieuse disparition du président de la République française, des élections sont organisées. Ce livre, au récit palpitant, guidera au mieux le lecteur dans des problématiques complexes que seul un président peut connaître, telles que :
– Doit-on prendre un duvet et des draps quand on vient vivre à l’Élysée ?
– Un ministère de la rhubarbe, pour quoi faire ?
– Comment résister à la pression incessante du lobby du parmesan ? ».

 

Les éditions Delcourt présente la collection Pataquès comme suit : « Pataquès – L’humour qui prend aux strips. Une collection dirigée par James avec :

  • Un humour contemporain : traiter des sujets de société, porter un regard critique, décalé ou absurde sur le monde qui nous entoure, sur nos comportements.
  • Des formes courtes (stries, gags en une page, courtes chroniques) et les petits formats. Revenir à l’essence pop et pulp de la bande dessinée.
  • Un esprit d’équipe parmi les auteurs, avec des passerelles, des collaborations croisées, dans l’esprit de ce qu’on vit dans les rédactions ».

Le Nouveau Président avait donc toute sa place dans cette collection, avec un album qui rappelle beaucoup un auteur comme FabCaro, quoi que Yann Rambaud soit « un auteur majeur de notre civilisation, aux côtés d’Albert Camus, Romain Gary et Patrick Sébastien ».

On suit un candidat aux élections présidentielles dans les dernières secondes qui précèdent l’annonce des résultats du second tour : plus que 9996 secondes… Ce candidat — dont on ne saura jamais le nom, mais sa silhouette donne des indices — et père de famille — il a un fils, Maurice-Papon, et un autre de rechange — représente le parti des républicains oligarques et ultra-techniques l’emporte par 3 à 0 face à la candidate du parti de l’extrême centre. Mais dès son installation à l’Élysée le soir même, il est confronté à un obscur lobby du parmesan qui va s’employer à mettre à mal sa politique si le nouvel élu ne favorise pas ce fromage. Ce groupe de pression utilise la corruption, et va jusqu’à assassiner des conseillers présidentiels à coups de CD de Pascal Obispo. Cependant, il contrôle aussi le budget de l’État, et les comptes sont rapidement à zéro (il reste 145 euros sur le compte courant), avec une dette très importantes (2000 milliards d’euros) : il faut trouver des solutions. Le président décide de payer de sa personne, et cherche un petit boulot. Il chante dans les rues, mais la situation continue à se dégrader : hausse du chômage, crise financière, scandales écologiques, montée des extrêmes. Le président est alors enlevé par le lobby du parmesan. Il apprend alors coup sur coup que  non seulement Stéphane Bern en fait partie, mais que le numéro 2 du parti des républicains oligarques veut l’assassiner. Le dénouement — heureux de cet enlèvement — ne sera pas dévoilé hier.

Les personnages sont dessinés de façon volontairement incomplètes, sans les yeux, ce qui peut perturber. Les situations et les dialogues sont complètement loufoques, et tendent à désacraliser les fonctions et les personnages qui les exercent. Évidemment, on se doute que ce n’est pas l’album idéal pour travailler en éducation morale et civique : le but recherché par Yann Rambaud n’est absolument pas là. Mais les amateurs de non-sense y trouveront leur compte…

08/05/2019

Tom Tirabosco (sc. et ill.), Femme sauvage, Futuropolis, 8 mai 2019, 240 p., 25 €. ISBN : 9782754824569


Présentation de l’éditeur. « Dans un futur proche, dans un monde en plein chaos, où le capitalisme sauvage et les dérèglements climatiques ont bouleversé l’ordre des choses, une jeune femme part seule rejoindre la rébellion. Pour cela elle va devoir faire un long voyage dans une nature hostile, un voyage qui l’amènera au bout d’elle-même. Entre Into The Wild et Sur la route, Tom Tirabosco nous propose un voyage initiatique en forme de fable, et s’interroge sur notre avenir et sur l’évolution de notre planète ».

 

 

 

Plusieurs œuvres arrivent spontanément en tête en lisant Femme sauvage. Les premières pages évoquent l’atmosphère du film de Richard Fleischer, Soleil vert (1973), la couleur en moins. Il se trouve justement que la seule date qui apparaît dans la bande dessinée de Tom Tirabosco est 2022, et que le film se déroule à New York, quand l’ouvrage prend pour premier cadre une ville des États-Unis. Le recueil de la « femme sauvage », narratrice qui reste complètement anonyme, rappelle irrésistiblement l’un des épisodes de Tintin au Tibet (1960), quand le héros est sauvé par le yéti qui apparaît (aussi) sous la forme d’une ombre en pleine tempête de neige. Et enfin, on a des références explicites à Walden ou la vie dans les bois, de Henry David Thoreau (1854), dont des extraits sont donnés dans le présent ouvrage. S’ajoute à tout cela un trait noir, au fusain, qui, tout en restant très élégant, vient alourdir encore le climat du récit.

En lisant cette introduction, on se dit qu’on tient là un ouvrage très pessimiste. On est d’ailleurs au moment où le dérèglement climatique produit ses effets les plus spectaculaires, notamment sous la forme d’un éclatement complet de ce qui permet de faire société. Et effectivement, il n’y a pas grand chose qui vienne sauver l’espèce humaine, tout entière obnubilée par sa propre destruction et celle de la Terre par la même occasion. On est d’ailleurs très clairement averti par la quatrième de couverture, quand l’auteur fait tenir ses propos à la narratrice : « j’ai toujours pensé que les humaines étaient une espèce toxique. Des super prédateurs. Les humains, à part tout bousiller et rendre ce monde plus laid, je ne sais pas à quoi ils servent… ». On en est donc réduit à la suivre dans son périple solitaire, à travers champs et bois, tiraillée à la fois par son passé (l’homme qu’elle a perdu) et un avenir on ne peut plus hypothétique : les Rebels, qui se trouvent au Nord. Chaque jour, chaque nuit, est une étape franchie dans sa survie, dans un univers hostile, avec des moyens matériels réduits au strict essentiel : un sac, un couteau, une boussole… Le seul luxe est le livre de Thoreau, auquel son compagnon a eu le temps de l’initier.

Vu comme cela, la « nature » (si on veut continuer à qualifier de cette façon ce qui n’est pas humain, et reconnaître une séparation nette entre nature et humanité) et l’homme sont bien deux choses différentes, qu’on ne peut concilier. Pourtant, c’est de ce milieu hostile que viendra le salut et l’avenir.

Femme sauvage est assurément l’album le plus intéressant de ce début d’année, de par la trame du récit mais aussi par la façon dont Tom Tirabosco l’a traité, tant du point du scénario que de celui du graphisme. On peut le lire comme un espoir pour l’espèce humaine confrontée au cataclysme qui s’annonce, loin des illusions technologiques sur lesquels certains se fondent encore pour en faire une solution à toute épreuve. Or, l’auteur la situe, cette solution, dans les ZAD. Il se trouve justement que d’autres auteurs ont envisagé ces zones comme autant de portes ouvertes sur des formes de sociétés nouvelles, pas si utopiques que cela [1]. Et on verra alors que l’affirmation préliminaire de la narratrice, que l’on peut lire en quatrième de couverture, se trouve fortement nuancée par l’évolution du récit.


Notes

[1On se reportera notamment à la bande dessinée de Thomas Azuélos (ill.) et Simon Rochepeau (sc.), La ZAD. C’est plus grand que nous, éditée en février dernier chez… Futuropolis (y aurait-il un hasard ?). Voir le compte rendu de lecture sur ce même site.












06/05/2019

Philippe Thiraut, Jorge Miguel, Shanghai Dream. T. 2, « À la mémoire d’Illo»

Philippe Thiraut (sc.), Jorge Miguel (ill.), Shanghai Dream. T. 2, « À la mémoire d’Illo», Les Humanoïdes associés, 27 mars 2019, 56 p., 14,50 €. EAN 9782731691450

 

Présentation de l'éditeur. « À la veille de la Seconde Guerre mondiale, l’exil tragique d'un couple uni par sa passion du cinéma.

Berlin, 1938. Bernhard et sa femme Illo subissent de plein fouet les lois antisémites qui leur interdisent de vivre de leur art, le cinéma. Comme des milliers de juifs, le couple choisit de s’exiler. Au bout du voyage : Shanghai, une ville énigmatique et bouillonnante, où tout est à découvrir et à recommencer ».


Jean-Yves Le Naour (sc.), Iñaki Holgado et Marko (ill.), Aretha Battistutta (coul.), <i>Le réseau Comète. La ligne d'évasion des pilotes alliés</i>, Bamboo, coll. « Grand Angle », 56 p., 31 mai 2023. ISBN 978 2 8189 9395 8

Présentation de l'éditeur . « Des centaines de résistants de « l’armée des ombres », discrets, silencieux, un « ordre de la nuit » fait...