12/07/2017

Pierre Bitoun, Yves Dupont, Le Sacrifice des paysans. Une catastrophe sociale et anthropologique, éd. L'Échappée, coll. « Pour en finir avec », 2016, 334 pages, 19 €. ISBN : 9782373090130


Présentation de l'éditeur
. « Pourquoi les sociétés modernes ont-elles décidé de sacrifier les paysans ? Qui est responsable de ce processus qui semble irréversible ? Pour tenter de répondre à ces questions fondamentales, ce livre montre comment, depuis des décennies, en France comme ailleurs, le productivisme s’est étendu à l’ensemble des activités humaines. Avec pour conséquences : déracinement et marchandisation, exploitation du travail et des ressources naturelles, artificialisation et numérisation de la vie. L’époque est aujourd’hui aux fermes-usines et aux usines que l’on ferme ou délocalise, tandis que dominent, partout, finance et technoscience.

Le sacrifice des paysans est l’un des éléments du processus global de transformation sociale dont il faut, au préalable, comprendre les causes. Ainsi, les auteurs analysent le mouvement historique au sein duquel s’est déployé le projet productiviste au cours des 70 dernières années, des « Trente Glorieuses aux Quarante Honteuses ». Puis ils expliquent comment le long travail d’« ensauvagement des paysans » a mené à la destruction des sociétés paysannes et des cultures rurales.

De ce véritable ethnocide, qui a empêché l’alternative au capitalisme dont une partie des paysans était porteuse, nous n’avons pas fini, tous, de payer le prix ».


Il faut lire l’analyse stimulante qu’est Le Sacrifice des paysans. Loin de s’attacher à une vision doloriste d’un monde disparu, et de proposer des arguments propres à nourrir une certaine nostalgie, Pierre Bitoun et Yves Dupont nous permettent de mieux comprendre nombre d’enjeux du monde actuel. 

Les auteurs

Yves Dupont a été chercheur à l’INRA (1975-1990). Il a ensuite enseigné la socioanthropologie à l’université de Caen (1991-2006). Depuis 2006, il est professeur émérite et membre du conseil scientifique du Comité de recherche et d’information indépendante sur le génie génétique (CRIIGEN)

Pierre Bitoun a cosigné avec Yves Dupont et Pierre Alphandéry, Les Champs du départ (La Découverte, 1989) et L’Équivoque écologique (La Découverte, 1991). Il est également l’auteur de Campagnes d’enfance (Cénomane, 2005).

Leur travail permet de les compter parmi les spécialistes du monde rural.

Pourquoi aborder la question paysanne ?

L’objectif du Sacrifice des paysans n’est d’être seulement une analyse sur la disparition de la paysannerie. Les auteurs insistent bien évidemment sur la fonte de cette population. En 1950, en France, il y avait plus de 7,5 millions de paysans, soit un tiers de la population active. On dénombre environ 800 000 agriculteurs aujourd’hui, exploitant un demi-million d’exploitations, autant qu’il en est disparu depuis 2010) ; ils ne représentent cependant plus que 3 % de la population active. Toutefois, l’exemple de la France n’est pas exceptionnel : les autres pays occidentaux connaissent le même phénomène.

Les auteurs se proposent donc de l’étudier, mais en croisant plusieurs facteurs, sociaux, culturels, politiques, etc. Ils sont ensuite partis de l’hypothèse selon laquelle l’analyse de la question paysanne, aussi intéressante soit-elle elle-même, permet surtout d’être un révélateur de la modernité. Autrement dit, leur problématique de savoir en quoi une société se reconnaît-elle comme moderne au travers du sacrifice qu’elle fait de sa paysannerie ?

Un ethnocide

Le terme, présent en quatrième de couverture, peut paraître exagéré. Les auteurs rappellent qu’il se rapporte à la destruction d’un groupe social (ici, la paysannerie, composée en réalité d’une multitude de paysanneries) mais aussi de sa culture. À leur place triomphe l’uniformisation des paysages, de la société.

En remontant dans le passé, Pierre Bitoun et Yves Dupont considèrent l’expérience des camps d’extermination pour montrer que cette logique productiviste était déjà à l’œuvre. On le voit d’ailleurs bien exprimée dans le roman de Robert Merle, La Mort est mon métier. Le caractère mortifère, but du programme d’extermination, éclaire ce qui se passe aujourd’hui. L’analogie permet de comprendre de cette façon les suicides de paysans, tant en France qu’ailleurs (en Inde). Il s’agit de l’une des stratégies utilisées pour hâter la disparition du monde paysan, en opérant un tri. Paradoxalement, les victimes sont précisément ceux qui font les efforts les plus importants pour intégrer le monde moderne : pour produire davantage, ils ont contractés des emprunts. Mais pour les rembourser, il leur faut produire davantage encore, et les voici broyés dans un mécanisme qu’ils ne maîtrisent pas.

Autre paradoxe, ceux-là ont abandonné le qualificatif de « paysan » au profit de celui d’« agriculteur », jugé plus noble. Ce recouvrement est en effet un autre moyen, à l’œuvre depuis longtemps, de l’ethnocide. Il tient à la construction d’une perception péjorative des paysans, un « ensauvagement » qui a conduit à la destruction des sociétés et des cultures rurales, marginalisées. Les paysans apparaissent comme un « brouillon d’humanité», base d’un discours destiné à produire un sentiment de honte. Les auteurs rapproche ce phénomène de la façon dont on a considéré les indigènes des colonies, pour mieux les acculturer, ce qui était une façon de les faire disparaître.

Le monde paysan, porteur de tous les archaïsmes possibles, ne pouvait être que supprimé sur l’autel de la modernité.

Un monde paysan à détruire

L’étude porte sur le monde rural depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les auteurs y voient l’amorce d’un point d’inflexion : s’il n’est pas le premier, il a été décisif, tant ses effets portent encore aujourd’hui.

Le productivisme, qui caractérise l’agriculture actuelle, embrasse en réalité bon nombre d’autres domaines. L’homme est ainsi vu comme une simple ressource humaine1 , par exemple. Dominé par l’économie, il n’en est plus qu’un élément au même titre que les matières premières qu’il travaille ou les machines qu’il manipule, qu’on peut déplacer au gré des besoins économiques. Les auteurs établissent à cette occasion une proximité avec l’idée du déracinement, propre au monde paysan, mais que l’on retrouve également dans la mobilité et la « flexibilité » exigées de bien d’autres catégories de salariés. Ils y voient le triomphe d’une technocratie, à l’image de l’actuel gouvernement mis en place en mai-juin 2017, qualifié de « gouvernement d’experts ». Ce déracinement s’accompagne de la marchandisation, de l’artificialisation, notamment de la production : que ce soit celle des animaux ou des végétaux, le « hors-sol » permet de s’affranchir de l’élément fondamental qu’est la terre.

Un sacrifice en deux temps

Dans un premier temps, les « Trente Glorieuses » préparent le terrain au néo-libéralisme, qui se développe au cours des « Quarante Honteuses » (lesquelles se prolongent…). P. Bitoun et Y. Dupont rapportent les propos des responsables du Commissariat au Plan, qui imposent leurs vues aux gouvernements qui se succèdent, alors qu’ils représentent un élément de stabilité. On voit aussi le rôle très important joué par la FNSEA (fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles) et de ses annexes (CNJA, etc.), tant dans l’émergence de la Politique agricole commune que dans l’orientation des subventions européennes. La centrale pratique délibérément la cogestion, au niveau national et supra-national. Elle n’hésite à user de la violence, comme moyen de pression sur les pouvoirs publics, avec l’avantage de rassembler ses adhérents autour de l’idée fictive d’une unité du monde agricole. Rien d’original à cela : les premières organisations recouraient déjà à ce stratagème, porté au plus haut point par la Corporation paysanne de Vichy.

Une agriculture industrialisée apparaît, fermement productiviste et hautement capitaliste. Les auteurs notent d’ailleurs que sa montée en puissance se fait dans le même temps que progresse l’État social, avant que les néo-libéraux en entreprennent une destruction qui se poursuit aujourd’hui.

Un ordre néo-libéral se met en place, qui repose sur l’idée d’une prééminence de l’économie sur l’homme, laquelle entraîne celle du progrès identifié aux seuls aspects techniques (la mesure de la performance passe d’abord par là). Il repose également sur l’idée d’une démocratie accaparée par une oligarchie, sous couvert de technicité : le fameux « gouvernement d’experts » en est une bonne expression.

Le monde rural apparaît comme totalement déboussolé : le sens de son activité s’est perdu, ce qui en fait une proie de choix pour le FN. Les suffrages qu’il rassemble doit être compris comme l’expression d’une revanche sociale. La disparition de la paysannerie pose donc des questions démocratiques.

Comment sortir de l’impasse ?

Les auteurs estiment que l’une des voies possibles est de retrouver l’un des éléments qui caractérise la paysannerie, à savoir ce qui fait société, le commun, pour mieux lutter contre l’individualisme. Ils prennent la précaution d’affirmer qu’il faut se déprendre de l’idée d’une paysannerie bornée à son coin de terroir ; au contraire, il y a lieu d’associer le local et l’universel.

Ils expriment une certaine méfiance à l’égard du discours agro-écologique en vogue, portée par des gens comme Pierre Rabhi. C’est qu’il en appelle à une prise de conscience individuelle, alors que les auteurs préconisent un effort collectif comme la lutte que mène la Confédération paysanne. Une organisation internationale comme Via Campesina à laquelle appartient la Confédération paysanne) rassemble 200 millions de paysans dans le monde entier. Cela permet de mieux percevoir les enjeux collectifs [« la singularité et la force de la Confédération paysanne résident essentiellement dans la capacité de ses membres non seulement à ne pas vivre les situations qui leur étaient faites comme des épreuves personnelles, mais à les transformer en enjeux collectifs de structure sociale »], et d’apporter une solution qui repose sur la solidarité (notamment Nord-Sud), le respect de la nature (travailler avec elle, et non contre elle), la lutte contre l’emprise des multinationales (fauchage des OGM…). Le projet est donc résolument humaniste.

Les auteurs observent avec satisfaction que les valeurs de la Confédération paysanne progresse dans la société, notamment avec les idées de la recherche d’une société post-productiviste, post-capitaliste, de la solidarité, du pluralisme (face à l’hégémonie de la FNSEA), de la désobéissance (avec le démontage du MacDo de Millau ou la lutte contre les OGM). Mais ces valeurs restent cependant encore trop marginalisées.

Pourquoi s’acharner à faire disparaître la paysannerie ?

Les auteurs identifient sept raisons pour expliquer l’élimination du paysan. Parmi celles-là, retenons le lien avec la matière organique, fondamentalement contraire aux conceptions hygiénistes, aseptisées qui caractérisent le monde moderne. C’est aussi le lien avec le sol, qui exprime un lien social et naturel, alors que le nomadisme moderne ne prospère que sur l’artificiel. Enfin, le paysan est l’expression de l’autonomie : il privilégie la valeur d’usage contre la valeur d’échange (c’est-à-dire le capital).

 

Notes 

  • 1. À ce propos, on lira avec beaucoup d’intérêt, en pages 99-100, un article paru dans Le Monde : Jean-Pierre Dautun, « Comment je suis devenu une ressource humaine », 13 mars 1993.

 

28/10/2016

Gilles Perret, La Sociale, Rouge productions (prod. et diff.), 1 h 24, 9 novembre 2016

Gilles Perret, La Sociale, Rouge productions (prod. et diff.), 1 h 24, 9 novembre 2016
 
Présentation du diffuseur. « Il y a 70 ans, les ordonnances promulguant les champs d’application de la sécurité sociale étaient votées par le Gouvernement provisoire de la République. Un vieux rêve séculaire émanant des peuples à vouloir vivre sans l’angoisse du lendemain voyait enfin le jour. 
 
Le principal bâtisseur de cet édifice des plus humaniste qui soit se nommait Ambroise Croizat. Qui le connaît aujourd’hui ?
 
70 ans plus tard, il est temps de raconter cette belle histoire de « la sécu ». D’où elle vient, comment elle a pu devenir possible, quels sont ses principes de base, qui en sont ses bâtisseurs et qu’est-elle devenue au fil des décennies ?
 
Au final, se dresseront en parallèle le portrait d’un homme, l’histoire d’une longue lutte vers la dignité et le portrait d’une institution incarnée par ses acteurs du quotidien ». 
 

19/04/2016

Cyril Dion, Demain. Un nouveau monde en marche, éd. Actes Sud, coll. « Domaine du possible », nov. 2015, 360 p., 22 euros. ISBN : 978-2-330-05585-1


 


Présentation de l'éditeur. « Et si montrer des solutions, raconter une histoire qui fait du bien était la meilleure façon de résoudre les crises écologiques, économiques et sociales que traversent nos pays ?

En 2012, Cyril Dion prend connaissance d’une étude, menée par vingt-deux scientifiques de différents pays, annonçant la disparition possible d’une partie de l’humanité d’ici à 2100. Cette nouvelle fait à peine l’objet d’un traitement de seconde zone dans les médias. Considérant qu’amplifier le concert des catastrophes ne fonctionne pas, il décide de partir, avec l’actrice-réalisatrice Mélanie Laurent et une petite équipe, découvrir à quoi notre monde pourrait ressembler si nous mettions bout à bout certaines des meilleures solutions que nous connaissons déjà dans l’agriculture, l’énergie, l’économie, l’éducation et la démocratie.

Villes produisant elles-mêmes leur nourriture et leur énergie, systèmes zéro déchet, entrepreneurs et municipalité créant leur propre monnaie pour empêcher la spéculation et l’accaparement des richesses, peuples réécrivant eux-mêmes leur Constitution, systèmes éducatifs pionniers, ils découvrent partout des femmes et des hommes qui changent le monde.

En reliant ces initiatives, ils mettent au jour une nouvelle philosophie, une communauté de pensée entre tous ces acteurs qui ne se connaissent pas. Un nouveau projet de société… ».
 
 
Le succès grandissant du film1 ne doit pas occulter le livre qui en est tiré2 . En réalité, les deux sont complémentaires l’un de l’autre, le plan identique offrant des repères bien pratiques à ceux qui ont vu le film (ce qui avait été mon cas) ou lu le livre. Il aurait été regrettable de faire autrement, car l’enchaînement des thèmes a fait l’objet de transitions bien justifiées : on sent toute la réflexion qui a présidé à la construction de Demain. La lecture permet de mieux percevoir ce travail et sa limpidité.

Par son format temporel (118′), le film ne pouvait évidemment que ramasser les informations que contient le livre en plus grand nombre. Les entretiens qu’a eus Cyril Dion avec ses interlocuteurs sont plus développés, et on peut ainsi entrer davantage dans les détails. On a également quelques références bibliographiques, dont on peut regretter qu’elles ne soient pas plus nombreuses et rassemblées en fin de volume : Demain aurait alors alors pu constituer une sorte de manuel à l’usage de ceux qui voudraient découvrir les alternatives mises en œuvre un peu partout dans le monde et voudraient approfondir leur réflexion sur le sujet. Mais on a déjà de quoi faire : il ne s’agissait pas non plus d’établir une thèse définitive. Quoi qu’il en soit, avoir le livre entre les mains permet de pouvoir prendre le temps de réfléchir au propos de l’auteur3, qui se place résolument à l’opposé des alarmistes. Sans perdre de vue les risques importants que court la planète et l’humanité (entre autres espèces vivantes), le pari est de montrer qu’il est possible d’agir, à quelque échelle que ce soit, et quel que soit le niveau de revenu : «partout dans le monde, des solutions existent». Entre les moyens utilisés à San Francisco pour recycler les rejets (considérés en réalité comme des ressources potentielles) et l’indigence de ceux qui sont mobilisés à Kuthambakkam par son ancien maire, Elango Rangaswamy, il y a tout un monde. Place est faite aux initiatives de quelques personnes, comme Pamela Warhurst et Mary Clear qui sont à l’origine en 2008 du mouvement « Incredible Edible »4, qui s’appuie aujourd’hui plus de 700 groupes dans le monde. C’est la même chose avec Robert Hopkins, formé à la permaculture, et qui a contribué à lancé le mouvement des villes en transition, il y a une dizaine d’années, qui sont aujourd’hui plus de 1 200 dans 47 pays différents.
Les interlocuteurs et les initiatives retenues ne sont qu’une poignée parmi tous ceux qui n’acceptent la fatalité, mais tous inspirent un certain enthousiasme. Le style assez descriptif contribue à le faire passer ; même si on peut être agacé par les états d’âme de l’auteur, cela contribue à rendre le livre plaisant à lire. Mais c’est aussi un moyen de suivre l’évolution de sa pensée, à l’image du néophyte qu’il feint d’être, qui découvrirait les solutions d’un « monde en marche ».


Notes

  • 1. 950 000 entrées à la mi-avril 2016
  • 2. Si le livre a été publié en novembre, le film n’est sorti en salles le 2 décembre 2015
  • 3. Notamment pour les aspects techniques qui concernent la monnaie
  • 4. Les « Incroyables comestibles »

18/11/2015

Cyril Dion, Mélanie Laurent, Vincent Mahé (ill.), Demain. Les aventures de Léo, Lou et Pablo à la recherche d’un monde meilleur !, co-éd Actes Sud junior et L’Amandier, 18 nov. 2015, 86 pages, 24 €. ISBN : 978-2-330-05620-9


Présentation de l’éditeur. « Mélanie Laurent, actrice et réalisatrice engagée, et Cyril Dion, cofondateur de l’association Colibris, se sont associés pour réaliser Demain, un film qui recense les initiatives d’hommes et de femmes de tous pays pour changer positivement, à travers leur pratique, la vie des habitants de notre planète. Mélanie et Cyril ont traversé le monde et rencontré plusieurs de ces héros modernes. Le livre-CD est un autre aboutissement de ce voyage raconté ici à travers le regard de deux enfants ».

 

 

 

En fait d’ouvrage pour la jeunesse, Demain. Les aventures de… est un livre-CD, puisqu’on a l’enregistrement de « Léo à sa fenêtre », une histoire écrite et racontée par Mélanie Laurent, en plus du récit des tribulations de Lou et de son frère Pablo.

Le livre s’inspire assez librement du film de Cyril Dion et Mélanie Laurent, Demain [1], diffusé en décembre dernier, et qui connaît un certain succès depuis trois mois (près de 700 000 entrées). La bande de papier qui entoure l’ouvrage est illustrée d’une photographie qui montre quatre des protagonistes du film. Pour autant, il ne s’agit de sa simple reprise, adaptée à un public jeune. L’histoire concerne en effet une famille : Lou (10 ans) et Pablo (7 ans), donc, et leurs parents. Un couple, une fille, un garçon : la famille idéale.

Le point de départ est constitué par une alerte à la pollution qui se produit le matin, à l’école, et par la projection d’un dessin animé lors du repas à la cantine sur les méfaits de l’alimentation industrielle : déforestation, élevage en batterie, etc. Ces deux événements marquent Lou (qui sert de narratrice, non sans un certain humour), laquelle interroge son père, dont les réponses sont très pessimistes : à cause de la surexploitation des ressources, l’humanité pourrait disparaître, après avoir causé l’extinction de nombreuses espèces vivantes. La conversation s’achève sur ce constat. Mais les enfants n’entendent pas en rester là : ils imaginent que des solutions doivent exister. Les prochaines grandes vacances sont l’occasion de parcourir le monde pour aller à la rencontre des personnes qui n’acceptent pas cette situation et cherchent à s’opposer au monde tel qu’il est. Le père prend les choses en main ; la suite de l’histoire en fait pourtant un personnage ambigu. S’il prépare le voyage, c’est qu’il détient une information sur les alternatives, auxquelles il est un tant soit peu sensibilisé. Néanmoins, les auteurs en font un grincheux, un sceptique accroché à ses convictions et assez peu ouvert, contestant jusqu’à l’absurde : un être finalement assez réactionnaire.
Mais il n’empêche que le grand voyage commence et emprunte les mêmes étapes que le film. Les thèmes y sont abordés dans le même ordre ; mais ils reposent sur une situation en particulier qui leur sert de cadre à chaque fois. Les auteurs ont imaginé que Lou envoyait une carte postale à l’un de ses amis, Gaspard, ce qui permet d’évoquer d’autres situations que le cadre du film ne permet pas de développer.
La famille arrive en Normandie et visite la ferme de Perrine et Charles [2], qui pratiquent la permaculture, ou comment obtenir des rendements importants sur des parcelles restreintes, tout en travaillant à la main (ce qui permet de créer des emplois) et en respectant sinon en restaurant le milieu (et les hommes). L’exact contraire du système agricole intensif.
La destination suivante est Copenhague, où Else leur sert de guide. C’est l’occasion d’aborder la question de l’énergie et du transport. La capitale du Danemark fait en effet la part belle aux moyens de déplacement « doux » : la marche à pied, le vélo, les transports en commun. La circulation y est rapide, à un coût moins important (moins d’énergie consommée, moins de pollution), avec un bénéfice physique et sanitaire intéressant. Mais les Danois sont aussi impliqués dans la production d’électricité, puisqu’ils possèdent des éoliennes et des panneaux photovoltaïques en copropriété. Le projet de Copenhague est de parvenir à n’utiliser que des ressources renouvelables dans les dix années à venir.
Arrivés en Californie, les membres de la famille rencontrent Robert qui leur explique comment sont gérés les déchets, considérés avant tout comme des ressources à valoriser. Cela impose un tri assez poussé auxquels la population contribue. L’objectif de San Francisco est d’arriver à 100 % de déchets recyclés ou compostés en 2020, alors que l’agglomération en est déjà à 80 %.
À Bristol, la famille découvre ce que sont les monnaies locales. Là où le film est assez technique, les auteurs utilisent une histoire assez connue : celle de naufragés qui échouent dans une île déserte. Doués de compétences différentes, ils organisent un système de production et d’échange basé sur le troc. Arrive un autre naufragé, banquier, qui parvient à les convaincre que la monnaie peut être un moyen de faciliter les échanges : ils peuvent alors être différés dans le temps. Mais le tout est subordonné au fait que le banquier prête aux insulaires une monnaie qu’il a créée et dont il a le monopole, d’une part, et que, d’autre part, les emprunteurs doivent rembourser sans oublier de verser un intérêt en contrepartie du service rendu. La monnaie émise introduit un principe de rareté : il n’est pas permis d’en créer davantage, sous peine d’en diminuer la valeur. Mais on voit que si certains parviennent à rembourser, d’autres ne le peuvent pas : surendettés, ils finissent par être alors exclus du circuit économique. Mais surtout, le grand bénéficiaire est le banquier, puisqu’il s’approprie progressivement les biens des impécunieux, tout en s’enrichissant avec les intérêts versés par les autres, et se rend finalement rendu maître de l’ensemble du processus de décision politique, tandis que l’appauvrissement s’étend. Les insulaires finissent par en prendre conscience et à rejeter le système bancaire qui les asservit : le travail n’avait plus d’autre but que d’obtenir les moyens de faire face au remboursement des emprunts contractés. Ils gardent néanmoins le principe d’une monnaie, mais dont ils gardent la maîtrise entière et sans versement d’un intérêt. Les monnaies locales fonctionnent sur cette idée, dans un secteur géographique déterminé, ce qui permet de maintenir l’activité économique localement : les emplois sont de ce fait aussi mieux protégés. La monnaie nationale est utilisée pour acheter d’autres biens et services. Il y a donc complémentarité entre les deux systèmes, ce qui assure une meilleure diversité [3] et renforce la démocratie.

C’est cet approfondissement qui est également recherché par Elango, l’ancien maire de Kuttambakkam, en Inde. Il a créé des assemblées de citoyens, associées aux projets concernant la communauté des habitants. Les décisions prises, elles sont mises en œuvre par tout le monde. En outre, un système de micro-crédit est instauré, sans intérêt, ce qui a permis aux femmes, notamment, de parvenir à une certaine émancipation. Enfin, Elango a favorisé le rapprochement entre castes, avec l’édification d’un quartier mixte construit par ses futurs habitants.
Enfin, la famille parvient en Finlande, dans la banlieue défavorisée d’Helsinki, où elle est accueillie par Kari, le directeur d’une école. Les enfants sont étonnés en découvrant les faibles effectifs des classes (une quinzaine d’élèves), encadrées par deux adultes : cela permet de répondre aux besoins de ceux qui ont des difficultés. Tout le monde progresse. Kari leur indique qu’il n’y a pas d’inspection : le système repose sur la confiance. L’argent ainsi économisé est consacré à rémunérer les adultes qui sont dans les classes, à assurer leur formation. En outre, les élèves ont des activités très diversifiées : en plus des matières scolaires habituelles et des pratiques artistiques (musique, etc.), ils sont initiés à des travaux manuels comme la cuisine, la couture tout aussi bien que la réalisation d’objets en bois, en métal… En même temps que les élèves acquièrent une meilleure autonomie, les métiers techniques sont valorisés au titre que les autres, tandis qu’est atténuée la différenciation des activités entre filles et garçons. Enfin, le climat de l’école repose sur la confiance, l’empathie : les élèves doivent se sentir respectés, sécurisés, de façon à ce qu’ils respectent aussi les autres. À plus long terme, toutes ces pratiques visent à construire une société d’êtres responsables, capables de s’impliquer dans les décisions qui concernent l’ensemble de la communauté.
De retour chez elle, Lou raconte ce qui a changé dans sa vie. Sa famille (et même le père) a mis en œuvre certaines des solutions : trier, composter, semer, planter, respecter la nature et les autres.
Un résumé de ce qu’il est possible de faire à l’échelle individuelle d’un enfant est proposé sur deux pages.

Si l’histoire est simplifiée, par rapport au film, l’ouvrage demande la présence d’un adulte qui pourra apporter les explications aux questions que se posera inévitablement un enfant : j’en ai fait l’expérience avec l’un de mes fils âgé de huit ans. Je dois indiquer qu’il avait vu le film et l’avait beaucoup apprécié (ce qui ne le réserve donc pas aux adultes), et avait posé beaucoup de questions en s’interrogeant sur ses propres pratiques et celles de notre famille. En cela, l’initiative des auteurs ne se borne pas à seulement montrer : elle stimule la réflexion, même des plus jeunes, et invite à passer à l’action. Les parents doivent donc s’attendre à se remettre (ou à être remis) en cause…
Le livre permet de revenir sur ces éléments (ou de les initier, si le film n’a pas été vu, ce qui n’est pas une condition indispensable) : il pourra constituer la base d’un travail en classe ou à domicile, notamment sur le parcours géographique suivi qui pourra être retracé sur un planisphère (ou, mieux, un globe).
En revanche, le récit de Léo à sa fenêtre peut être laissé à l’écoute ou à la lecture (voire les deux en même temps) de l’enfant. La solidité du livre (une couverture très épaisse et une reliure de qualité : rien n’est négligé) offre d’ailleurs une bonne garantie pour sa manipulation. « Léo à sa fenêtre » peut tout aussi bien être un préalable aux aventures de Lou et Pablo que leur conclusion : plus court, plus simple, il est aussi plus accessible.

En résumé, le livre-CD s’adresse plutôt à des enfants d’environ sept ou huit ans au moins (ce qui correspond à peu près à l’âge de Lou et Pablo), même s’ils ne maîtrisent pas tout à fait la lecture. En-deçà (avec un enfant de cinq ans, par exemple), le récit demande un effort de concentration incisions prises, elles sont mises en œuvre par tout le monde. En outre, un système de micro-crédit est instauré, sans intérêt, ce qui a permis aux femmes, notamment, de parvenir à une certaine émancipation. Enfin, Elango a favorisé le rapprochement entre castes, avec l’édification d’un quartier mixte construit par ses futurs habitants.
Enfin, la famille parvient en Finlande, dans la banlieue défavorisée d’Helsinki, où elle est accueillie par Kari, le directeur d’une école. Les enfants sont étonnés en découvrant les faibles effectifs des classes (une quinzaine d’élèves), encadrées par deux adultes : cela permet de répondre aux besoins de ceux qui ont des difficultés. Tout le monde progresse. Kari leur indique qu’il n’y a pas d’inspection : le système repose sur la confiance. L’argent ainsi économisé est consacré à rémunérer les adultes qui sont dans les classes, à assurer leur formation. En outre, les élèves ont des activités très diversifiées : en plus des matières scolaires habituelles et des pratiques artistiques (musique, etc.), ils sont initiés à des travaux manuels comme la cuisine, la couture tout aussi bien que la réalisation d’objets en bois, en métal… En même temps que les élèves acquièrent une meilleure autonomie, les métiers techniques sont valorisés au titre que les autres, tandis qu’est atténuée la différenciation des activités entre filles et garçons. Enfin, le climat de l’école repose sur la confiance, l’empathie : les élèves doivent se sentir respectés, sécurisés, de façon à ce qu’ils respectent aussi les autres. À plus long terme, toutes ces pratiques visent à construire une société d’êtres responsables, capables de s’impliquer dans les décisions qui concernent l’ensemble de la communauté.
De retour chez elle, Lou raconte ce qui a changé dans sa vie. Sa famille (et même le père) a mis en œuvre certaines des solutions : trier, composter, semer, planter, respecter la nature et les autres.
Un résumé de ce qu’il est possible de faire à l’échelle individuelle d’un enfant est proposé sur deux pages.

Si l’histoire est simplifiée, par rapport au film, l’ouvrage demande la présence d’un adulte qui pourra apporter les explications aux questions que se posera inévitablement un enfant : j’en ai fait l’expérience avec l’un de mes fils âgé de huit ans. Je dois indiquer qu’il avait vu le film et l’avait beaucoup apprécié (ce qui ne le réserve donc pas aux adultes), et avait posé beaucoup de questions en s’interrogeant sur ses propres pratiques et celles de notre famille. En cela, l’initiative des auteurs ne se borne pas à seulement montrer : elle stimule la réflexion, même des plus jeunes, et invite à passer à l’action. Les parents doivent donc s’attendre à se remettre (ou à être remis) en cause…
Le livre permet de revenir sur ces éléments (ou de les initier, si le film n’a pas été vu, ce qui n’est pas une condition indispensable) : il pourra constituer la base d’un travail en classe ou à domicile, notamment sur le parcours géographique suivi qui pourra être retracé sur un planisphère (ou, mieux, un globe).
En revanche, le récit de Léo à sa fenêtre peut être laissé à l’écoute ou à la lecture (voire les deux en même temps) de l’enfant. La solidité du livre (une couverture très épaisse et une reliure de qualité : rien n’est négligé) offre d’ailleurs une bonne garantie pour sa manipulation. « Léo à sa fenêtre » peut tout aussi bien être un préalable aux aventures de Lou et Pablo que leur conclusion : plus court, plus simple, il est aussi plus accessible.

En résumé, le livre-CD s’adresse plutôt à des enfants d’environ sept ou huit ans au moins (ce qui correspond à peu près à l’âge de Lou et Pablo), même s’ils ne maîtrisent pas tout à fait la lecture. En-deçà (avec un enfant de cinq ans, par exemple), le récit demande un effort de concentration important ; pour autant, l’écoute du CD peut être envisagée.
Quoi qu’il en soit, la forme du livre-CD permet d’éveiller la curiosité d’un public relativement jeune, qui, si des questions se posent encore, pourra voir des extraits du film pour aller plus loin, ce qui n’exclue pas, bien au contraire, la présence d’un adulte. Les aventures de Léo, Lou et Pablo sont à recommander.

Lu et approuvé par Martin, 8 ans…

portant ; pour autant, l’écoute du CD peut être envisagée.
Quoi qu’il en soit, la forme du livre-CD permet d’éveiller la curiosité d’un public relativement jeune, qui, si des questions se posent encore, pourra voir des extraits du film pour aller plus loin, ce qui n’exclue pas, bien au contraire, la présence d’un adulte. Les aventures de Léo, Lou et Pablo sont à recommander.

Lu et approuvé par Martin, 8 ans…


Notes

[1Voir le compte rendu du livre qui l’a inspiré, sur ce même site.

[2Perrine et Charles Hervé-Gruyer

[3L’association des plantes est aussi l’une des bases de la permaculture : complémentaires les unes les autres, elles résistent mieux aux maladies et aux prédateurs.













08/10/2015

Étienne Davodeau et Benoît Collombat, Cher Pays de notre enfance. Enquête sur les années de plomb de la Ve République

Étienne Davodeau (ill.) et Benoît Collombat (sc.), Cher Pays de notre enfance. Enquête sur les années de plomb de la Ve République, éd. Futuropolis, 8 oct. 2015, 224 pages, 24 . ISBN : 9782754810852

 

 
Présentation de l'éditeur. « Étienne Davodeau est auteur de bande dessinée. Benoît Collombat est grand reporter à France Inter. L'un est né en 1965, l'autre en 1970.
Ils ont grandi sous la Ve République fondée par le général de Gaulle, dans un pays encore prospère, mais déjà soumis à la « crise ».

L'Italie et l'Allemagne ne sont pas les seules nations à subir la violence politique. Sous les présidences de Pompidou et de Giscard d'Estaing, le pays connaît aussi de véritables « années de plomb » à la française.
Dans ces années-là, on tue un juge trop gênant. On braque des banques pour financer des campagnes électorales. On maquille en suicide l'assassinat d'un ministre. On crée de toutes pièces des milices patronales pour briser les grèves. On ne compte plus les exactions du Service d'Action Civique (le SAC), la milice du parti gaulliste, alors tout-puissant. Cette violence politique, tache persistante dans l'ADN de cette Ve République à bout de souffle, est aujourd'hui largement méconnue.
En sillonnant le pays à la rencontre des témoins directs des événements de cette époque — députés, journalistes, syndicalistes, magistrats, policiers, ou encore anciens truands —, en menant une enquête approfondie, Étienne Davodeau et Benoît Collombat nous révèlent l'envers sidérant du décor de ce qui reste, malgré tout, le cher pays de leur enfance... ».
 
 

06/08/2015

Vincent Goubet, Faire quelque chose. Avoir Vingt ans en 1940, suivi de Et le mot frère, et le mot camarade, éd. Les Mutins de Pangée, 2013, 80', 20 €

Vincent Goubet, Faire quelque chose. Avoir Vingt ans en 1940 (avec livret, 64 p.), suivi de Et le mot frère, et le mot camarade, éd. Les Mutins de Pangée, 2013, 80', 20 €

 

  Présentation du diffuseur. « À la rencontre de résistants français de la Seconde Guerre mondiale. Le réalisateur recueille la parole de ces nonagénaires saisissants par leur vivacité d’esprit et la force intacte de leurs espérances. Des femmes et des hommes, qui, au début des années 40, étaient parfois plus proches de l’adolescence que de l’âge adulte. Certains n’ont jamais connu la peur, d’autres ont vécu avec elle jour et nuit. Certains ont pris des risques énormes pour faire paraître un tract, quand d’autres ont choisi la grenade. Ce qui les rapprochait était le choix de ne pas subir et la volonté irréductible de faire quelque chose. Ces échanges font évoluer le temps du film et nous questionnent sur ce que peut être l’engagement aujourd’hui.

Le Dvd est composé du film Faire quelque chose de Vincent Goubet et du film Et le mot frère et le mot camarade de René Vautier, accompagné d’un livret de 64 pages sur la Résistance. ».

 

10/06/2015

Florence Dosse, Les Héritiers du silence. Enfants d’appelés en Algérie

Florence Dosse, Les Héritiers du silence. Enfants d’appelés en Algérie, Stock, coll. « Un ordre d'idées », 282 pages, 25 janvier 2012, 20 €. EAN : 9782234071643

 

Jean-Yves Le Naour (sc.), Iñaki Holgado et Marko (ill.), Aretha Battistutta (coul.), <i>Le réseau Comète. La ligne d'évasion des pilotes alliés</i>, Bamboo, coll. « Grand Angle », 56 p., 31 mai 2023. ISBN 978 2 8189 9395 8

Présentation de l'éditeur . « Des centaines de résistants de « l’armée des ombres », discrets, silencieux, un « ordre de la nuit » fait...