29/09/2021

Hervé Mazurel, L’Inconscient ou l’oubli de l’histoire. Profondeurs, métamorphoses et révolutions de la vie affective, La Découverte, coll. « SH / Écritures de l'Histoire », 2 sept. 2021, 592 p. ISBN : 9782707197085. 25 €


Présentation de l'éditeur. «Et si l’inconscient lui-même n’échappait pas à l’histoire ? En le situant au-delà du social, au-delà de l’histoire, Freud a laissé la psychanalyse prisonnière d’un postulat encombrant. Il a fait comme si la structure de la personnalité qu’il observait chez ses patients viennois à la fin du XIXe siècle touchait à l’homme éternel et non aux représentants d’une époque, d’une culture, d’un univers social particuliers.

Nourri d’histoire des sensibilités, de sociologie psychologique et d’anthropologie critique, ce livre voudrait montrer en quoi notre vie psychique profonde est tout imprimée d’histoire. Pour s’en convaincre, il n’est qu’à scruter, sur la longue durée, les lentes transformations du refoulement pulsionnel et du contrôle des émotions. Elles sont étroitement corrélées aux révolutions silencieuses de nos mœurs, aux altérations souterraines de notre vie affective, aux déplacements discrets des désirs et des interdits, des seuils de pudeur et des frontières de l’intime. De là il faut conclure à l’existence de troubles d’époque et de névroses de classe. Et puis songer aussi au perpétuel renouvellement des fantasmes à partir desquels se meuvent les êtres intérieurs, aux variations du symbolisme des rêves, calquées sur les évolutions de l’imaginaire social et non sur des archétypes universels, ou encore aux mutations sourdes des complexes psycho-affectifs (dont l’Œdipe) au gré des métamorphoses de la famille, de la parenté et des rapports de genre.

Cet ouvrage invite ainsi la psychanalyse et toutes les sciences psychologiques à considérer qu’il a sans doute fallu des siècles d’histoire pour façonner les inconscients qui sont les nôtres. Une chose paraît d’ailleurs certaine : à trop séparer la psyché du social-historique, nous avons longtemps ignoré jusqu’à quel point notre vie affective et psychique demeure, dans ses strates les plus enfouies et obscures, pétrie de social et d’histoire».


 

592 pages… Inutile de préciser qu'à la vue de l'épaisseur de l'ouvrage d'Hervé Mazurel, on peut hésiter à l'ouvrir. Et on aurait bien tort, même si la lecture que j'ai pu en faire est celle d'un béotien intégral pour les choses qui relèvent de la psychanalyse… Autant dire qu'il faut aussi s'armer de patience et d'un bon dictionnaire pour tenter de bien comprendre le livre. Le compte rendu a

Les éditions La Découverte présente l'auteur en ces termes : «Historien des affects et des imaginaires, spécialiste de l’Europe romantique, Hervé Mazurel est maître de conférences à l’université de Bourgogne. Il codirige la revue Sensibilités et est l’auteur de Vertiges de la guerre […]». Il a aussi publié Kaspar l'obscur ou l'enfant de la nuit chez le même éditeur en août 2020, dans lequel il revient sur ce personnage apparu à Münich en 1828, sorte de double (un peu plus tardif) du Victor de l'Aveyron mis en scène par François Truffaut dans L'Enfant sauvage (1970).

Tout en se gardant de faire de Jean Itard, le médecin qui examina Victor pour mieux en comprendre la psychologie, d'en faire un psychanalyste qui serait bien anachronique, Hervé Mazurel ne quitte pas tout à fait ce champ investigation puisque le thème de son présent livre concerne la vie psychique, l'exploration de l'inconscient, pour le dire très vite. On vient d'ailleurs de lire la présentation qui se trouve en quatrième de couverture. Il ne s'agit cependant pas d'une énième synthèse historique sur la psychanalyse. L'analyse que livre Hervé Mazurel repose bien entendu sur la spécialité de l'auteur, et c'est avec ses yeux d'historien qu'il reconsidère les choses. 

L'un des points les plus intéressants concerne Freud, reconnu comme l' «inventeur» de la psychanalyse, ou en tout cas celui qui a donné l'impulsion qui a décidé de son retentissement. Ce qu'a principalement remarqué Hervé Mazurel — ce qui a décidé du titre de son ouvrage —, c'est l'indifférence de Freud au contexte extérieur pour explorer l'inconscient. Pour lui comme pour ses successeurs, tout se passe comme si l'examen de l'individu devait se faire en excluant ses conditions sociales, mais aussi son histoire. Il y a là un impensé de la psychanalyse, pour reprendre les termes de l'auteur. Pour le dire autrement, quelle place les psychanalystes accordent-ils à l'univers culturel d'un individu pour comprendre réellement ce qui structure son inconscient ?

À cela, Hervé Mazurel apporte l'hypothèse qu'il s'agit d'une opposition avec la science historique, qui, outre les changements, recherche des permanences, des continuités, donc des éléments de stabilité. Pour faire surgir les éléments qui fondent un inconscient, le psychanalyste veillera plutôt aux ruptures dans sa constitution.

L'auteur ne se contente pas d'appliquer son regard d'historien à la psychanalyse. Dans un chapitre, il en utilise les outils pour essayer de déceler ce qui constitue l'inconscient de l'histoire, au travers du rêve, du symbolique et de l'imaginaire (chap. 13). On retrouve là les tentatives proches de celles d'historiens de la «nouvelle école historique» des années 1970 qui, comme Michel de Certeau, ont cherché à les utiliser également pour leurs travaux à des fins de renouvellement des méthodes. En est notamment sortie une florissante approche des sensibilités, dont on se souvient qu'elle est le nom de la revue dirigé par Hervé Mazurel.

Les rapports entre histoire et psychanalyse sont donc très complexes. Une fois refermé, on se dit qu'une lecture (surtout morcelée en raison de l'épaisseur du volume) ne suffit pas à s'imprégner de l'ensemble de l'ouvrage, surtout pour des néophytes (dont je suis l'un des premiers) qui ne maîtrisent guère le sujet. Reconnaissons les efforts de l'auteur, qui cherche à nous guider au mieux dans les théories de Freud et de ses successeurs. Un autre de ses mérites est de ne pas s'en tenir à l'opposition entre histoire et psychanalyse, qui semble irréductible : il utilise les apports d'autres sciences, comme l'anthropologie, la philosophie, la sociologie, etc. Très riche et complexe, l'ouvrage mérite amplement qu'on y revienne, à l'occasion d'autres lectures, d'autres expériences.


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Jean-Yves Le Naour (sc.), Iñaki Holgado et Marko (ill.), Aretha Battistutta (coul.), <i>Le réseau Comète. La ligne d'évasion des pilotes alliés</i>, Bamboo, coll. « Grand Angle », 56 p., 31 mai 2023. ISBN 978 2 8189 9395 8

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