Après des années de détention, Arlette recouvre la liberté dans un Paris occupé par les nazis. Et elle entend bien rattraper le temps perdu. Anna, elle, cherche à sauver sa peau. Magicienne et israélite, elle a fui un danger qui l’a rattrapée. La ville occupée est une cage dont elle doit s’échapper au plus vite.
Elles sillonneront en une nuit ce Paris obscurci. L’inquiétante
étrangeté de l’Occupation, avec ses contrôles d’identité, ses
fonctionnaires tatillons, ses sombres ombres et ses connaissances qu’on
ne connaît pas si bien que ça et à qui il ne faut pas faire
confiance… ».
« Ça a débuté comme ça »… Difficile de ne pas s’appuyer, pour commencer, sur la première de Voyage au bout de la nuit. Car en fait de nuit, on est en plein dedans.
On est plongé au cœur de l’Occupation, en hiver, en 1942 ou 1943, on
ne sait pas. Arlette vient d’être libérée de la Petite-Roquette (XIe
arr.). Trois années de prison depuis l’été 1939 pour recel et surtout
pour avoir refusé de donner « son homme », Félix. La nuit est déjà
tombée, et la voilà partie à pied dans les rues de l’Est parisien (on le
suppose…). Mais le rapprochement avec Voyage au bout de la nuit s’arrête là…
Arlette ignore les réalités de l’Occupation, dans son insouciance, ou
feint de n’en savoir rien : là encore, on ne sait pas. Elle fait la
rencontre d’Anna, juive mutique originaire de Pologne, oppressée (quel
qu’en soit le sens) qui fuit les contrôles policiers et sait bien, elle,
ce qu’est l’Occupation et ses dangers. L’une se révèle ainsi être
l’opposée de l’autre. Au hasard d’une alerte, elles croisent un
dessinateur dans un abri : on sent bien qu’on le reverra, celui-là. Et
elles finissent par retrouver le fameux Félix, qui a trouvé comment
tirer parti du nouveau contexte, avec de nouveaux amis.
L’album en mains, on regarde attentivement la couverture : un mélange
de Tardi (un visage d’homme réduit à l’essentiel, la cigarette
prolongeant la bouche) et des affiches de film des années quarante, avec
plusieurs plans combinés : un couple, muet, lui de profil la regardant,
elle, une brune à cheveux courts ; une femme nue-tête à la valise ; un
canal et une péniche amarrée à un quai. Les couleurs se limitent au
gris-noir dominant, un bleu-nuit, et un rouge qui attire l’œil tout de
suite : c’est Arlette, en tenue d’été. Les lettres du titre de l’album
(et du nom des auteurs) se surimposent à l’ensemble, à la façon,
justement, des affiches de cinéma de années-là. Et tout est là : les
personnages principaux et l’atmosphère. Jamais, peut-être, le projet de
Grand Angle n’a été mieux illustré par un album : « La BD comme au
cinéma ».
Car la suite est à la mesure du soin accordée à cette couverture, y
compris dans le choix des couleurs. Il y a eu un travail particulier,
très intéressant, pour restituer la pénombre. Les auteurs ont combiné
différents types de plans qui donnent beaucoup de rythme à l’intrigue,
d’autant que les auteurs l’ont développé dans une unité de temps : une
seule nuit. La personnalité des protagonistes est assez tranchée,
surtout celle d’Arlette et son sens de la répartie très incisif (on
apprécie son lexique, très daté, qui s’inscrit bien dans son époque,
sans anachronisme), qui rappelle les dialogues de Prévert : le phrasé
donne à entendre le parler parisien que l’on entend dans les films des
années trente-quarante. Chaque personnage est ainsi à sa place, dans un
décor bien étudié (le bistrot « Chez Fernand » vaut le détour : on pense
tout de suite à l’épicerie de Jambier, rue Poliveau, dans La Traversée de Paris d’Autant-Lara) à la façon de ceux qu’Alexandre Trauner avait réalisés pour Marcel Carné, par exemple, notamment avec Les Portes de la nuit (1946). Ne manque plus que la musique de Joseph Kosma…
Ce premier tome est une belle réussite, et très probablement l’un des albums à remarquer dans cette rentrée qui s’annonce. Il nous faut, malheureusement et heureusement, attendre la suite, dont on ne sait encore rien de la date de parution.
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