05/03/2015

René Vautier en Algérie, 1954-1988, Les Mu­tins de Pangée, 2014. Quatre DVD et un livret d’ac­compagnement. EAN 3770001117195


Les éditions Mutins de Pangée reviennent avec un coffret DVD sur le parcours en Algérie de René Vautier, récemment disparu.

De René Vautier, mort il y a deux mois, en janvier 2015, on connaît surtout le célébrissime Avoir Vingt Ans dans les Aurès (1972, 102′). Et dès que l’on a mis la main sur le coffret édité par la coopérative Les Mu­tins de Pangée (2014), on ne peut s’empêcher de se précipiter dessus : c’est bien évidemment ce que j’ai fait, d’autant que le film est présent ici en version restaurée, telle qu’elle est sortie en salle en 2012. Avoir Vingt Ans a en outre fait l’objet d’un site Internet : cela faisait beaucoup pour que j’ajoute ma graine. Je le ferai toutefois, mais à la lumière des nombreux autres films que contient le coffret (525′, sans compter les 98′ de compléments sous forme d’entretiens), qui concernent principalement l’Algérie telle que l’a connue René Vautier, et permettent de retracer une grande partie de son parcours avec ce qui apparaît comme l’un de ses fils directeurs.

Le coffret permet de voir René Vautier comme acteur direct du conflit colonial, notamment avec Algé­rie en flammes (22′, 1958), au cours du tournage duquel il est blessé à trois reprises : aux prises directes avec l’action du FLN, il filme les soldats français qui le visent et atteignent sa caméra, dont un morceau reste incrusté dans son crâne. Au-delà de cette anecdote spectaculaire, mais qui indique assez le degré d’implica­tion et les risques assumés par le cinéaste (qui a dû faire sien le principe de Robert Capa : si une photogra­phie est mauvaise, c’est qu’on n’est pas assez près de son sujet), le film, tourné en 1957-1958, cherche à montrer la proximité entre la rébellion armée et la population algérienne, dont l’effort commun ne peut que parvenir à l’indépendance. Le parallèle avec la lutte de la Résistance française est très prégnant. En plus de sa propre expérience de combattant au sein d’un réseau, on sent quelles sont les sources d’inspiration de René Vau­tier : le déraillement d’un train militaire évoque immanquablement Bataille du rail de René Clé­ment (1946). À ce détail près que l’occupant dénoncé par le film a changé en l’espace d’une dizaine d’an­nées…


On retrouve René Vautier comme cinéaste engagé aux côtés de la jeune République socialiste. Ve­nant de créer le Centre audiovisuel d’Alger, il réalise notamment Peuple en marche (50′, 1963), qui montre les difficultés du pays qui vient d’arracher son indépendance, notamment au regard des défis de sa recons­truction et de son développement économique et social. Tournée vers son ancienne métropole et avec un très faible encadrement, l’Algérie doit accomplir une formidable mutation. L’heure du pouvoir autoritaire des militaires n’est pas encore venue, et on ne voit pas que René Vautier l’ait pressentie, porté par l’enthou­siasme des premières années de liberté et de la tâche à laquelle il se consacre. Il s’agit véritablement de la naissance d’une nation, pour reprendre le titre de l’un des films de D. W. Griffith (The Birth of a Nation, 1915).

Revenu en France en 1966, tout en s’intéressant à d’autres thèmes, le militant reste fixé sur son sujet de prédilection, mais il réoriente son regard en cherchant à prendre du recul et à considérer les deux côtés de la Méditerranée. René Vautier devient une sorte de mémorialiste (si ce terme peut s’appliquer au cinéma, mais pourquoi pas, après tout), qui ne se cantonne pas à un rôle de contemplatif, mais un observateur sou­cieux de comprendre et de rendre compte de la façon dont la guerre de décolonisation est devenu un enjeu aussi bien en France qu’en Algérie.


Il recueille ainsi des heures de témoignages, et travaille notamment sur la façon dont l’Histoire de la guerre d’Algérie se construit alors, que ce soit pour la résurgence de la torture (À propos de… l’autre détail, 1988), sans oublier l’immigration algérienne (avec les deux fictions Les Ajoncs, et Les Trois Cousins, 1970). En 1985, René Vautier reprend l’un de ses premiers flms, Une Nation : l’Algérie (1955) — malheureusement absent du coffret — et cherche à comprendre les causes du nationalisme algérien et de la dérive vers le guerre d’indépendance. Cela donnera notamment Déjà le sang de mai ensemençait novembre (61′), en 1985. La même année, il analyse également le rôle des films sur le conflit (Guerre aux images en Algérie, 73′), y compris les images que René Vautier a lui-même tournées. Les 15 minutes de Techniquement si simple (1971) sont, à ce titre, d’une efficacité terrifiante. On assiste au monologue d’un personnage d’une extrême banalité ; toutes proportions gardées, tant dans les faits que dans la dimension et les responsabili­tés du personnage, on ne peut s’empêcher de considérer ce témoignage comme un autre rapport sur la ba­nalité du mal. Ancien appelé du contingent filmé chez lui, celui-ci raconte d’une façon très détachée ce qu’il faisait, à savoir poser des mines, sans jamais s’interroger sur les répercussions de ses actes : il obéît. Vau­tier le filme en noir et blanc, ce qui renforce encore la distanciation du propos de son interlocuteur et de ce qui a été commis. Le ton de la relation m’a rappelé l’aimable conversation entre Marcel Ophüls et Christian de la Mazière (ou plutôt Christian Lamazière), dans Le Chagrin et la pitié (1971, étonnamment), sans l’atti­tude mondaine de celui-ci, mais avec une certaine désinvolture dans l’irresponsabilité. Confronté en effet à des enfants mutilés par son partenaire algérien d’alors, l’ancien appelé s’étonne même avec véhémence de l’absence de courtoisie et de tact de son camarade, réaction tout à fait symptomatique de la profonde mé­connaissance de l’Algérie par les Français qui y furent précipités, et de l’inconséquence des actes commis en toute légalité.

Des enfants, il en est encore question dans J’ai huit ans (1961), très court métrage dans lequel René Vautier montre le traumatisme de la guerre chez de très jeunes réfugiés algériens, orphelins, en Tunisie, dont la naïveté des dessins ne cherche pas à camoufler la douleur physique et psychologique, notamment celle de l’arrachement au pays.

Le coffret n’est cependant pas complet. On regrette notamment de n’avoir pas Une Nation : l’Algérie (1955), qui est probablement le premier film sur la guerre d’indépendance, qui éclate au moment où René Vautier termine son travail préparatoire à partir de documents d’archives et notamment de textes des géné­raux qui ont fait la conquête du pays. Mais il en est d’autres, qu’il a réalisé seul ou en collaboration avec des partenaires, ou auxquels il a beaucoup contribué : Ahmed et Jeïda, 1960-1961, L’Aube des damnés, dont il confie la réalisation à Ahmed Rachedi, ou La Nuit du dernier recours (1984), à partir de témoignages fran­çais et algériens sur l’insurrection de la Toussaint rouge.

On regrette plus encore les kilomètres de pellicules qui ont été saccagés en 1984, sur lesquelles Re­né Vautier avait filmé entre 1980 et 1985 des entretiens, notamment avec des protagonistes importants de cette guerre (Massu, Germaine Tillon, Paul Teitgen, Argoud, de Bollardière, etc.) mais aussi des anonymes. Initialement intitulé Des Images pour écrire l’Histoire, le film a fait l’objet d’un montage qui a été produit en 1985 devant la 17e Chambre correctionnelle de Paris, en soutien au Canard enchaîné et Libération poursui­vis pour diffamation par J.-M. Le Pen, accusé de tortures en Algérie. Seul ce montage a pu réchapper des ci­sailles, dont on a une synthèse, À propos de… l’autre détail (1988, 45′), consacrée au lieutenant tortionnaire, avec des analyses de Paul Teitgen et de Pierre Vidal-Naquet. On a là une réflexion sur les conséquences des lois d’amnistie sur l’écriture de l’Histoire, menée également par Henri Alleg.

Enfin, on peut s’étonner de films qui n’ont pas de liens directs avec l’Algérie, même si ce pays a été un refuge pour nombre de révolutionnaires du Tiers-Monde (comme le montre Alger : Révolution africaine, 2014, entretien entre René Vautier et l’historien Jacques Choukroun, 12′) : Le Glas (1964, 5′), sur la pendai­son de trois activistes en Rhodésie du Sud (actuel Zimbabwe), ou Frontline (1976, 74′), film contre l’Apar­theid en Afrique du Sud. Mais il s’agit là encore de luttes de libération.

Au total, malgré ses manques inévitables, l’intérêt du coffret est de restituer une certaine cohérence dans l’œuvre de René Vautier, en nous donnant un important (et très apprécié) aperçu de son travail sur l’Al­gérie. Il s’agit bien sûr de films militants (René Vautier conçoit son cinéma comme une arme de combat, qui doit « refléter les choses sous-jacentes à la réalité » filmée), mais c’est d’abord le regard plus complexe d’un cinéaste qui s’étale et évolue sur une cinquantaine d’années, tout en interrogeant les deux rives méditerra­néennes. L’enseignant y trou­vera ainsi matière à travailler tant sur la colonisation que la décolonisation et sur les lendemains difficiles de l’in­dépendance algérienne.

La question peut être posée de savoir sur quoi repose l’intérêt ou plutôt la passion que nourrit René Vautier pour l’Algérie. Ce serait oublier les jeunes années de ce fils d’un ouvrier et d’une institutrice, qui entre en Résistance à Quimper, d’abord par la poésie puis dans l’action directe : sa lutte pour l’indépendance et contre un occupant y trouve des racines directes. Ce serait aussi oublier ses premiers travaux à l’Institut des hautes études cinématographiques (IDHEC, 1946-1948), sur les manifestations contre le racisme, et surtout son premier film, Afrique 50 (1950), ouvertement anticolonialiste, alors qu’il est, à l’origine, une commande de la Ligue française de l’enseignement sur la mission éducative de la France en AOF. Il poursuit dans la même veine, avec Terre tunisienne (1951), qui lui vaut d’être expulsé du protectorat encore français. Très tôt, René Vautier est ce qu’il est convenu d’appeler un cinéaste « engagé », l’adjectif ne rendant compte que très faiblement des risques qu’il a pu prendre, loin des tables de montage et des tapis rouges.

Son expérience directe de la guerre d’Algérie, ses documentaires, sa collecte de témoignages, d’ar­chives, ses lectures (notamment le livre de Noël Favrelière, Le Désert à l’aube, 1960, qui inspire le person­nage de Nono), trouvent un point d’aboutissement provisoire avec Avoir Vingt Ans dans les Aurès, film de fic­tion qui lui permettra d’obtenir une grande reconnaissance avec le prix de la critique internationale qu’il reçoit à Cannes (1972). Une sorte de synthèse provisoire, qui se prolonge jusque dans les derniers mois de la vie de René Vautier, dont l’œuvre à elle-même semble contredire l’idée selon laquelle la guerre en Algérie n’a pas été l’objet de nombreux films : si cela est vrai de la fiction, le travail documentaire a été important, même si sa diffusion a été difficile. C’est un autre mérite de ce coffret que de nous le montrer.

 

06/11/2013

Gilles Perret, Walter. Retour en Résistance, et Les Jours heureux. Quand l’utopie des résistants devint réalité


Gilles Perret, Walter. Retour en Résistance, et Les Jours heureux. Quand l’utopie des résistants devint réalité, C-P Productions (diffusion : Les Mutins de Pangée), 2010 et 2013
Une fois n’est pas coutume, le compte rendu portera sur deux œuvres, étroitement associées. On les reliera à un troisième film, celui de Vincent Gauchet, Faire quelque chose. Avoir Vingt ans en 1940, qui a fait l’objet d’une précédente recension.
 
Walter. Retour en Résistance
concerne un personnage assez singulier, même le film montre qu’il ne se conçoit pas du tout comme cela, bien au contraire. Mais c'est précisément de sa banalité que surgit sa singularité. Résistant FTP dès 1943, il est resté fidèle au parti communiste ; mais il dit que, fréquentant le patronage, il aurait très bien pu participer à un mouvement chrétien. Le hasard en a voulu autrement. Ironiquement, on pourrait dire que son chemin a croisé deux religions : il y a pris qui était laïque. Pour autant, il ne regrette absolument rien. Il justifie d’ailleurs sa fidélité idéologique par ces mots : « Je suis entré pour l’idéal que représentait le communisme, quels que soient les dirigeants et leurs erreurs ».
On peut se demander ce qui a attiré l’attention de Gilles Perret : il se trouve simplement que ces deux-là sont voisins. L’effet de proximité joue à plein dans ce film : l’auteur entre chez Walter Bassan (c’est son nom) et l’accompagne partout. On comprend que l’utilisation du seul prénom dans le titre du film est un reflet de cette familiarité, mais aussi de la sympathie qu’éprouve le réalisateur pour son voisin. Pour autant, on aurait du mal à parler de connivence, dans son sens négatif. Au contraire, Gilles Perret donne de Walter un portrait tout en retenue, même si on sent bien que leur façon de voir le monde s’accorde. Pendant l’inauguration d’un musée par Bernard Accoyer et les discours officiels, les deux sont à l’extérieur, comme en dehors des conventions auxquelles il faudrait souscrire.

Qui est Walter Bassan ? Né le 5 novembre 1926 à Rovigo (Italie), sa famille fuit ensuite le régime fasciste pour migrer. On l’a dit, Walter Bassan est résistant, avec une vingtaine de camarades très jeunes (la plupart n’ont pas vingt ans). Mais au moment où il s’engage, cela n’a pas un sens profond pour lui. Il distribue des tracts ; il échappe aux poursuites nocturnes dans les rues : c’est plutôt un jeu, pour un garçon de 17 ans, qu’une lutte consciente. Dénoncé avec d’autres, il est arrêté par la Milice le 23 mars 1944, transféré à l’intendance d’Annecy puis à la prison Saint-Paul, à Lyon, où il est « interrogé » (pour utiliser le mot convenu, mais qui ne dit rien des souffrances endurées). Il est déporté par convoi I. 234 parti de Lyon le 29 juin 1944 vers Dachau le 29 juin 1944 (convoi I 234), où il arrive le 2 juillet. 350 hommes rentreront onze mois plus tard, sur les 720, essentiellement français1 . Au départ, il ne sait pas ce qu’il va advenir de lui, ni même ses camarades : on se figure aller travailler à l’Est. Les premières images du camp provoquent un profond traumatisme. Walter Bassan (matricule 75823) évoque les coups, dont on se protège au mieux, car l’infection des plaies est synonyme de mort. Il évoque aussi la solidarité : une cuillerée de la maigre soupe va à ceux qui ont le plus besoin. Mais cela s’avère souvent insuffisant : le frère aîné de Walter, Serge Bassan, déporté en même temps que lui, il en est rapidement séparé : Walter part pour le kommando de Kempten ; Serge est transféré à Weißensee (kommando dépendant de Dachau), et il meurt dans celui d’Ohrdruf (qui dépend de Buchenwald) le 2 mars 1945. Walter est libéré le 29 avril à Füssen.
Toujours vivant, Walter Bassan préside la Fédération nationale des déportés et internés, Résistants et patriotes (FNDIRP). Il participe à l’activité de l’association CHRA (Citoyens résistants, d’hier et d’aujourd’hui) : c’est bien là le cœur du film de Gilles Perret. On suit Walter Bassan accompagnant des élèves dans la visite de la prison Saint-Paul et à Dachau : il aide à la compréhension de cette époque et œuvre au travail de mémoire. On le suit également sur le plateau des Glières, dont un candidat à la présidence de la République a voulu faire son éphémère Roche de Solutré2 , ce qui a eu pour effet de lancer une contre-manifestation qui se prolonge encore aujourd’hui. Ainsi, le 13 mai 2009, environ trois mille personnes s’y sont rendus à l’initiative de CRHA, avec, parmi elles, de grands noms de la Résistance : Raymond Aubrac, Stéphane Hesse et d’autres ont cherché à rendre toute sa dignité à ce lieu, en rappelant les valeurs pour lesquelles ils s’étaient battus et la programme du Conseil national de la Résistance du 15 mars 1944, mis à mal par le MEDEF et le gouvernement d’alors 3 .

C’est sur ce point que Walter rejoint Les Jours heureux. Ce deuxième film prend pour cadre de départ le dernier déplacement de N. Sarkozy aux Glières, au cimetière de Morette, en mai 2011 (sans que celui-ci se doute que ce voyage sera le dernier). Gilles Perret en profite pour révéler le degré d’inculture de quelques participants et la façon dont ils appréhendent la cérémonie. Chacun invoque en effet un devoir de mémoire, expression qui reste très vague dans leur esprit. Mais les limites sont vite atteintes quand il s’agit d’aborder ce qu’est le CNR, et plus encore le programme du 15 mars 1944 (sur l’élaboration de quoi revient Gilles Perret). Interrogé hors de ce contexte, ceux qui s’affirment être les héritiers du gaullisme montrent les mêmes insuffisances, tordant complètement ce qu’est ce texte. Selon J.-F. Copé, par exemple, « la génération de la deuxième guerre mondiale, on risquait l’arrestation, le déportation, la faim, la soif, la mort. Aujourd’hui, notre sujet, c’est d’éviter le non-remboursement du Doliprane. Je demande qu’on remette tout ça en justes proportions, qu’on comprenne que le premier message du Conseil national de la Résistance, c’est le salut du pays viendra de l’effort que chacun mènera au service de lui-même mais aussi de notre pays, la France. C’est ça, le message du CNR ». Fr. Bayrou (non gaulliste) ne dit pas autre chose.
L’historien médiéviste Offenstadt, interrogé, indique clairement que cela reflète une manière romanesque d’appréhender le passé, constitué de grandes figures, de grands événements, de façon à se placer dans une continuité aseptisée, idéalisée, qui évite toute approche critique, toute tension, ce qui contribue à « désinscrire les gens de leur contexte social » et à saisir les véritables enjeux.
Et l’enjeu, ici, est de comprendre l’importance politique du programme du CNR, que les partisans du néo-libéralisme s’efforcent de réduire depuis les années 1970-1980, selon l’économiste Christophe Ramaux, par le biais de la privatisation de la protection sociale, des services publics, de la flexibilisation du droit du travail, et de la remise en question des politiques publiques. Cela prend l’aspect de la libéralisation financière, du libre-échange, de la mise en concurrence, de l’austérité salariale, de la contre-révolution fiscale (les plus aisés doivent payer moins d’impôts).
Il est aussi de comprendre quelle a été la portée de ce texte, approuvée par des représentants syndicaux et politiques, de gauche et de droite, et évidemment ceux des formations résistantes. Il comprend deux parties : un plan d’action immédiate (dont le but est la libération du territoire), dont le sens est donnée par le projet politique à appliquer après-guerre. Par son ambition, il est révolutionnaire, sans proposer d’abolir le capitalisme pour autant. Sa mise en œuvre est rendue possible par le contexte : la droite collaborationniste est à terre ; la droite modérée a signé le programme ; de Gaulle accepte les mesures d’étatisation, conforme à son approche colbertiste ; la guerre froide n’est pas encore tout à fait engagée ; et il n’y a pas encore de constitution, ce qui laisse les coudées franches à des gens comme Pierre Laroque, qui lance la Sécurité sociale en octobre 1945.
C’est cette portée qu’expliquent les résistants qui participent aux  rassemblements annuels des Glières. Raymond Aubrac indique clairement en 2009 que « le combat des Glières, c’est une promesse d’avenir, qui s’exprime à cette époque-là, dans le monument de la résistance qu’on appelle le programme du CNR ».

Au-delà de la défense de ce texte important, c’est aussi une conception du monde qui réunit les protagonistes de ces deux films, qui entendent poursuivre leur combat contre l’injustice et les inégalités, ce que Daniel Cordier résume bien : « Jusqu’à la fin du monde, vous aurez — hélas — des opprimés. Eh bien, si vous vous battez pour leur libération, pour leur avantage — je ne veux pas dire leur domination —, mais si vous vous battez pour eux, vous ne vous trompez jamais ».


  • 1. Source : http://www.bddm.org/liv/details.php?id=I.234
  • 2. Il s’y était rendu à la veille des élections, en 2007 et avait déclaré vouloir y revenir chaque année. Sa défaite l’a amené à réviser sa promesse : on ne l’y a plus revu depuis 2012.
  • 3. Il n’en fut malheureusement pas l’initiateur — la mise au pas de la Sécurité sociale commence avec les ordonnances Pompidou de 1967 —, ni le seul, ni le dernier. Mais il soutint la politique du MEDEF de démantèlement du programme du CNR, ouvertement combattu par le vice-président de cette organisation, dénis Kessler : « Le modèle social français est le pur produit du Conseil national de la Résistance. Un compromis entre gaullistes et communistes. Il est grand temps de le réformer, et le gouvernement s’y emploie. Les annonces successives des différentes réformes par le gouvernement peuvent donner une impression de patchwork, tant elles paraissent variées, d’importance inégale, et de portées diverses : statut de la fonction publique, régimes spéciaux de retraite, refonte de la Sécurité sociale, paritarisme… À y regarder de plus près, on constate qu’il y a une profonde unité à ce programme ambitieux. La liste des réformes ? C’est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. Elle est là. Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ! ». Challenges, nº 94, 4 octobre 2007, p. 38.

Jean-Yves Le Naour (sc.), Iñaki Holgado et Marko (ill.), Aretha Battistutta (coul.), <i>Le réseau Comète. La ligne d'évasion des pilotes alliés</i>, Bamboo, coll. « Grand Angle », 56 p., 31 mai 2023. ISBN 978 2 8189 9395 8

Présentation de l'éditeur . « Des centaines de résistants de « l’armée des ombres », discrets, silencieux, un « ordre de la nuit » fait...