Présentation de l'éditeur. « Le scandale politique qui a fait vaciller la Ve République
En 1968, Charles de Gaulle est un président vieillissant qui semble de plus en plus déconnecté du peuple. Dans l’ombre, la guerre de succession a déjà commencé. Le 1er octobre, le corps de Stefan Markovic, un Yougoslave travaillant pour Alain Delon, est retrouvé dans une décharge. À partir de cette sordide histoire criminelle s’échafaude un incroyable complot politique destiné à mêler le nom des Pompidou à l’affaire. Une histoire de guerre de succession, de coup bas, d’affaire de mœurs inventée de toute pièce dans le but d’empêcher Pompidou d’accéder à la présidence, par tous les moyens, même les plus sales ».
Cinquante ans après, l'affaire Marković n'est probablement plus guère dans l'esprit de beaucoup. D'autres l'ont aussi recouverte, notamment la disparition du ministre Robert Boulin, en octobre 1979, avec des points communs : scandales politiques touchant des personnalités politiques en vue et le sommet des institutions ; résolutions définitives qui n'ont jamais été acquises ; alarme d'opinion publique sensible, etc. Les principaux ingrédients sont là pour répondre à la définition du mot scandale : « Ce qui paraît incompréhensible et qui, par conséquent, pose problème à la conscience », mais aussi « grave affaire à caractère immoral où sont impliquées des personnes que l'on considérait comme honorables, dignes de confiance ».
Cette affaire Marković n'est cependant ni la première de la Ve République, ni la dernière. On renverra notamment à l'album réalisé par Bruno Collombat et Étienne Davodeau, Cher Pays de notre enfance. Enquête sur les années de plomb de la Ve République (Futuropolis, 2015), dont on a rendu compte sur ce même site. Il y était question du Service d'action civique (SAC), organisme occulte placé au service du pouvoir gaulliste, lié au « milieu » de la délinquance (comme celle qui nous occupe ici). Ces faits permettent de nuancer l'accroche de la présentation de l'éditeur : cette affaire n'a guère fait vaciller la V<sup>e</sup> République (qui a survécu, depuis). Mais elle a été l'un des coins enfoncés dans la crédibilité du corps politique, et notamment du pouvoir, et l'un des éléments qui ont contribué à la perte de confiance des citoyens dans la réalité de la démocratie.
Mais on y voit aussi l'importance du rôle de la presse. Les auteurs ont créé le Pierre Lefebvre, journaliste au Figaro, pour en faire le personnage central de l'histoire. On suit son enquête, qui prend racine assez fortuitement lors de la découverte du corps de Stevan Marković dans une décharge publique d'Élancourt. Peu à peu, il élargit son investigation à des cercles qui n'ont a priori pas de relations entre eux : des émigrants yougoslaves ; la police ; des services secrets ; le banditisme avec François Marcantoni ; les milieux politiques avec l'ancien député Pierre Lemarchand ; jusqu'à Alain Delon, comme employeur de Stevan Marković, etc. Le tout évoque le principe des poupées gigognes, abritant chacun une affaire particulière. Cela aboutit à mettre en cause l'ancien Premier ministre Georges Pompidou, par le biais de sa femme qui aurait participé à des soirées réprouvées par la morale, organisées par Marković.
Peu à peu se dessinent les difficultés relationnelles entre Pompidou et de Gaulle, qui auraient leurs racines dans la gestion du mouvement de mai 1968. Les auteurs présentent le premier comme ambitionnant de succéder au second, ce qui fait grincer quelques dents (celles des compétiteurs à venir) : ce qu'il fit très rapidement en annonçant sa candidature potentielle avant le référendum du 27 avril 1969. Il fait aussi preuve d'un dynamisme peu commun dans la tourmente qui le vise, au lieu d'en être accablé. Le président de la République est, lui, dépeint en vieillard entouré de courtisans peu scrupuleux, multipliant les erreurs d'appréciations et courant vers un échec politique inéluctable et une sortie peu glorieuse. L'atmosphère est clairement celle d'une fin de règne…
On le voit, les faits repris par les auteurs le sont avec une certaine liberté, qu'autorise d'autant plus le fait que leur éclaircissement n'est toujours pas fait. Mais au-delà du scandale que cette affaire a alors provoqué, l'album met en avant la nature d'une démocratie. Elle apparaît solide par ses institutions, par la protection offerte par la liberté de la presse. Mais elle se révèle à la fois fragile, par les intrigues qui se nouent au sein du pouvoir, et les rumeurs colportées par la même presse.
Le développement progressif de l'intrigue permet de tenir le lecteur en haleine dès le départ, avec un regard qui se déplace au gré des différents protagonistes. Le scenario est aussi très bien soutenu par l'efficacité du dessin d'Emmanuel Cassier. Le style a priori classique, rappelant Edgard Félix Pierre Jacobs (Edgar P. Jacobs), permet de mieux se replacer dans le contexte de la fin des années soixante, d'autant que les détails ont été soignés : les vêtements, les coiffures, la cigarette omniprésente… Le choix des différents angles de vue retenus et leur enchaînement renforcent la dynamique de l'histoire. Un petit dossier final rassemble enfin des éléments sur cette affaire et ses suites.
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