01/06/2022

Colin Robineau, Devenir révolutionnaire. Sociologie de l’engagement autonome, La Découverte, coll. « Sciences humaines », 7 avril 2022, 218 p., 20 €. ISBN : 9782348066719


Propos de l'éditeur. « Composé de quelques milliers de personnes en France, le milieu autonome rassemble des groupes aux pratiques diverses et aux influences idéologiques hétérogènes, dont les « zadistes » et le « black-bloc » ne sont que les fractions les plus médiatisées. Parfois désigné sous les catégories d’« ultragauche » ou de « mouvance anarcho-autonome », fédéré autour d’une critique anticapitaliste et antiétatique, ce microcosme politique reste, en dépit d’une visibilité accrue dans les mouvements sociaux, difficilement accessible. Qui sont ces activistes ? Que pensent-ils ? Comment se sont constituées leurs dispositions à l’action contestataire ? Quels sont leurs parcours et leurs motivations ?

À partir d’une vingtaine de récits de vie, cet ouvrage invite le lecteur à se plonger dans un jeu de piste qui, depuis la petite enfance des militants jusqu’à aujourd’hui, cherche à comprendre la genèse de leurs révoltes, les formes de leur socialisation politique et les ressorts de leurs engagements, pour répondre à une question à la fois simple et ambitieuse : comment devient-on révolutionnaire ?

Se dessinent ainsi, au fil des pages, des propriétés, des expériences et des trajectoires communes qui donnent à voir, loin des fantasmes que suscite le lexique de la radicalité, la fabrique des militants autonomes. Car on ne conteste l’ordre social ni par hasard ni sous le coup d’une illumination politique. Ici comme ailleurs, les individus agissent autant qu’ils sont agis. Et c’est précisément ce qui les pousse à agir dont ce livre entend rendre compte ». 

 

Colin Robineau est sociologue, chercheur associé au laboratoire Carism (Centre d'Analyse et de Recherche Interdisciplinaires sur les Médias) de l’université Paris II et enseignant à l’université de La Réunion. Sa thèse de doctorat en Sciences de l’information et de la communication, préparée sous la direction de Valérie Devillard, était intitulée : La politisation en terrain militant « radical ». Ethnographie d’un squat d’activités de l’Est parisien. Elle a été soutenue en novembre 2017. Il a notamment publié deux articles (entre autres) liés à ses recherches et donc directement au sujet du présent ouvrage :

  • « S’engager corps et âme. Socialisations secondaires et modes de production du militant "autonome" », Agora débats/jeunesses, n° 80, 2018, p. 53-69.
  • « Constituer un contre-public en marge des médias : négociations, circulations et normativités d’un discours ‘révolutionnaire’ au sein d’une cantine de quartier », Études de communication, n° 47, 2016, p. 131-148.
  • Pour examiner ce qui conduit à un engagement révolutionnaire, Colin Robineau s'est intéressé au mouvement autonome, qui s'est développé en France à la fin des années soixante-dix (mais aussi en Italie et en Allemagne) notamment à la faveur de la lutte contre le nucléaire. Mais il a repris de la vigueur par la suite, notamment lors des manifestations de 2006 contre le CPE (pas conseiller principal d'éducation, mais contrat première embauche) et encore aujourd'hui, notamment dans certaines ZAD. Nuançons tout de suite le singulier utilisé : il y a autant de formes dans le mouvement autonome qu'il y a de groupes. L'étude de Colin Robineau suit l'un d'entre eux et ne prétend donc pas à recouvrir l'extrême diversité. L'intérêt de son travail tient cependant à l'étroitesse du corpus, qui permet une étude très fine de dix-huit militants et une exploration de dix-huit cas particuliers.

    Comme cela a été le cas pour les Black Blocs (voir le compte rendu sur ce même site du livre de Francis Dupuis-Déri : Les Black Blocs. La liberté et l’égalité se manifestent, éd. Lux, coll. « Instinct de liberté », rééd. 2019, 344 p., 14 €), on retrouve la même difficulté des médias à qualifier et expliquer ce qu'est le mouvement autonome, et les mêmes clichés : l'ultra-gauche est un mot suffisamment vague pour le désigner, tout en attisant les peurs. Comme pour les Black Blocs, la distance prudente respectée par les autonomes n'a pas contribué à améliorer les choses. Bref, de tels groupes sont spontanément associés à une idée de violence : la marginalité (et surtout ce qui est inconnu) continue de faire peur.

    L'étude de Colin Robineau s'appuie donc sur dix-huit entretiens qu'il a menés avec des militants d'un squat parisien, La Kuizine, lors de l'observation qu'il avait faite entre 2013 et 2015 pour les besoins de sa thèse. La proximité qu'il réussi à établir lui a permis de cerner les éléments sociologiques qui conduisent à l'engagement autonome, ce processus conduisant à ce qu'il qualifie de « carrière militante ».

    Pour nous les donner à comprendre, Colin Robineau suit une voie chronologique très claire. Il cherche d'abord à reconstituer les aspects qui forment le contexte  personnel du militant, à commencer par la famille, puis les cercles relationnels qui se dessinent au cours de la scolarisation. Sur la base de cette socialisation, l'auteur voit ensuite comment on entre dans un mouvement et quelles trajectoires peuvent se dessiner.

    Parmi les principaux déclencheurs de l'engagement, la culture joue un rôle important. Les témoignages font état de l'influence de films, ceux de Ken Loach en particulier, de la lecture de journaux critiques indépendants comme Le Diplo, de livres de militants (notamment anarchistes), de penseurs comme Raoul Vaneigem, etc. Le milieu familial s'avère souvent déterminant. D'origines sociales très diverses (pas seulement les classes moyennes embourgeoisées, pour reprendre le cliché habituel) souvent mixtes (soient des milieux sociaux différents), les parents ont été influencés (à des degrés divers) par le contexte politique des années soixante à quatre-vingts, qu'ils ont connu comme enfant, adolescent ou jeune adulte. Cela a permis à leurs enfants de développer une sensibilité particulière et critique aux formes de la socialisation : l'école est ainsi perçue comme le lieu même de la reproduction sociale, qu'il faut donc rejeter. En cela, l'auteur dit qu'elle est le « terreau d'une humeur anti-institutionnelle », parfois favorisé par le rôle d'enseignants critiques dans la socialisation politique. Cela ne se traduit pas par un rejet global de la culture, notamment académique : elle est jugée au contraire comme un moyen dont il faut s'emparer pour le retourner par la suite. C'est un trait commun avec bon nombre de groupes anarchistes, très attachés à l'idée d'un développement de l'autonomie intellectuelle (et donc de la construction d'une distance au monde) grâce à l'éducation populaire et à une familiarisation avec la culture dominante. Mieux connaître et combattre l'ennemi de classe, c'est d'abord s'approprier ce qui le constitue intellectuellement.

    Cette distanciation qui s'établit progressivement prend, pour ces militants, des formes de ruptures radicales. On a évoqué leur antagonisme avec l'école (au sens large), mais il y a souvent une coupure avec le milieu familial (et un rejet du modèle de socialisation que les parents ont bâti), le refus de trouver une activité professionnelle dans une entreprise, une opposition à la loi, etc. La volonté de développer une culture académique peut alors sembler étonnante (si on a lu trop vite ce qui précède) ; elle contribue au contraire à la construction d'une certaine distinction : on se situe dans les marges de la société, mais c'est un choix réfléchi et argumenté. Un certain nombre des militants se sont ainsi engagés au moment de leurs études supérieures (notamment à Tolbiac).

    De là, une contre-culture se bâtit, qui favorise l'entre-soi en même qu'une resocialisation. Cependant, la vie commune au sein du squat (fréquenté à temps partiel ou totalement), qui a pour objectif la liberté la plus large, conduit chacun à être sous la contrainte du groupe. On retrouve ainsi les observations des historiens qui ont étudié les communautés villageoises de l'Ancien Régime : la protection qu'elles apportent plus ou moins à ses membres suppose le respect des normes sociales et un encadrement étroit. Cela montre que les groupes autonomes ont leurs règles et même des rites (pour y entrer, y demeurer, il faut faire ses preuves), et donc une organisation sociale, à rebours des stéréotypes colportés avec complaisance. C'est une véritable micro-société.

    Cette vie de réclusion volontaire implique-t-elle de n'en plus sortir ? Évidemment non : certains militants reprennent leurs études, par exemple ; l'investissement dans la brasserie de La Kuizine est aussi un moyen de sortir du squat et de se projeter dans d'autres activités. Colin Robineau note que ces militants restent marqués par leur expérience, et demeurent engagés dans les mouvements sociaux.

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