02/05/2022

Jean-Paul Demoule, Dominique Garcia, Alain Schnapp (dir.), Une Histoire des civilisations. Comment l’archéologie bouleverse nos connaissances, co-éd. La Découverte /INRAP, 2018, 700 p., 49 €. ISBN 978-2-7071-8878-6


Présentation de l’éditeur. « Depuis les années 1980, une révolution silencieuse a bouleversé nos connaissances sur l’histoire de l’humanité : celle suscitée par les extraordinaires progrès techniques et méthodologiques de l’archéologie, particulièrement grâce au développement de l’archéologie préventive. Nombre des représentations d’hier ont été nuancées, des pans entiers de cette histoire, jusque-là ignorés, ont été mis au jour. Mais si cette révolution a donné lieu à un foisonnement de publications scientifiques, il manquait une vision globale, accessible aux non-spécialistes. C’est ce défi qu’ont voulu relever ici trois des plus éminents archéologues français.

Réunissant les contributions de soixante et onze spécialistes mondiaux, associées à une riche iconographie et à une cartographie originale, cet ouvrage propose une histoire renouvelée des civilisations. Il couvre l’ensemble des périodes et des continents, en mettant l’accent sur les avancées les plus significatives : la localisation du berceau de l’hominisation, les origines et l’extension des civilisations sédentaires, les stratégies économiques et politiques qui ont mené à la fondation des grands empires et les conditions de leurs dislocations, les modalités de la mondialisation des époques moderne et contemporaine, sans oublier les migrations qui se sont succédé de la préhistoire jusqu’à nos jours. 

Grâce à cette vision globale de l’aventure humaine, on découvrira comment l’archéologie apporte sa contribution à la connaissance des sociétés sans écriture comme à celle des civilisations de l’écrit. Et comment elle rend possible un nouveau dialogue entre sources textuelles et sources matérielles, qui bouleverse plusieurs domaines de l’histoire ancienne, médiévale et moderne ». 



Avec ses sept cents pages, cette Histoire des civilisations a de quoi impressionner. Mais pour brosser un tel panorama chronologique et géographique de façon aussi synthétique, c’est plutôt la prouesse des auteurs qui doit être reconnue comme impressionnante. L’ouvrage suit une trame chronologique : on passe ainsi de « L’hominisation et les sociétés de chasseurs-cueilleurs » (chap. 1) aux « Premières sociétés agricoles (chap. 2) et à « L’origine et extension des États centralisés » (chap. 3). « Des empires à la mondialisation » (chap. 4) achève ce parcours.

Par la restitution de qu’ont pu être les sociétés passées, on comprend que l’archéologie est un outil important de qu’on nomme aujourd’hui le « vivre ensemble ». Elle permet en effet de relativiser les prétentions nationalistes sur tel bout de territoire, sous des prétextes de toutes sortes, celui de la culture le disputant à l’ordre d’arrivée des groupes humains. Et cette relativisation passe d’abord par la compréhension du passé, dont l’archéologie fait surgir toute la puissance matérielle. On en profite d’ailleurs pour souligner la qualité des cartes et des tableaux synoptiques qui ponctuent le volume et aident beaucoup à la compréhension des démonstrations, sans oublier celle de l’abondante iconographie.

De plus, cette Histoire des civilisations nous offre la possibilité de sortir du cadre étriqué proposé par les programmes scolaires, trop centré sur l’Europe — au mieux — et surtout sur la France. Les articles montrent les liens entre les groupes humains, tantôt entretenus avec soin, tantôt relâchés, sans qu’on oublie que la guerre est aussi un type de relation sociale. Ce faisant, elle se joue des grands découpages chronologiques et des grandes ruptures, fabriquées et présentées au XIXe s. Exit donc les « Grandes Invasions », les  « Grandes Découvertes », exaltations superlatives qui mettent en scène la civilisation européenne. À la place, on trouvera les thèses les plus récentes sur les débuts du peuplement des Amériques, de l’Océanie, etc.

Enfin, les auteurs n’ont pas seulement cherché à aborder les civilisations les plus anciennes. Les études vont jusqu’au XXe s., avec des thèmes concernant la première guerre mondiale, ou la guerre froide vue au travers des installations soviétiques à Cuba. Dans l’ultime chapitre s’ouvrent « De nouveaux champs d’étude pour l’archéologie » (chap. 5). On y trouvera des points très intéressants sur les techniques utilisées, notamment la détection et la datation dont les progrès suivent exactement ceux de l’informatique (entre autres), sur les domaines nouveaux (pour les profanes que nous sommes) qu’elle explore désormais, notamment ceux de la génétique. L’image de l’archéologue grattouillant la terre n’appartient pas encore au passé, mais elle doit être dépoussiérée soigneusement.

Ce volumineux ouvrage, écrit dans un langage très accessible, est une nouvelle et magistrale démonstration qui achèvera de convaincre de ce que l’archéologie n’est plus une science — voire même une « source » — auxiliaire de l’histoire, comme on l’apprenait encore à l’université il y a une trentaine d’années, mais bien une science à part entière. Où l’on retrouve ainsi la pleine signification de son étymologie, à savoir un discours, une considération sur les choses du passé. Mais un passé qui, en retour, a bien des choses à dire sur notre présent, avec les outils les plus performants.

Stéphane Lemardelé, Le Nouveau Monde paysan – Au Québec, La Boîte à Bulles, coll. « Contre-cœur », 2019, 256 pages, 29 euros. ISBN 978-2-84953-328-4


 Présentation de l’éditeur. « Rencontre avec les acteurs d’un nouvel écosystème agricole, de nouvelles solidarités, au cœur de la campagne québecoise.

Maud-Hélène, Christian, Yoana et Jean-Martin sont convaincus qu’une autre agriculture, qu’un autre mode de vie sont possibles. Ils construisent les fermes de demain, innovent, entreprennent et bâtissent de nouveaux projets, plus humanistes et solidaires. Face aux verrous syndicaux, aux quotas, aux lourdeurs administratives, et aux difficultés climatiques, ces producteurs et artisans luttent pour proposer une alternative à l’agriculture intensive et à la nourriture industrielle, encouragés par une demande croissante.

À travers une série de portraits Stéphane Lemardelé croque l’histoire de ces paysans québécois, néo ruraux pour la plupart, venus chercher un nouveaux mode de vie, plus sain, et plus respectueux de l’environnement.

Un magnifique voyage au cœur de la campagne québecoise, et une vraie réflexion sur les nouvelles tendances agricoles ».

 

 

Né en France, Stéphane Lemardelé s’est établi au Québec en 1995. Ce n’est donc par le regard d’un dessinateur de passage qu’il nous donne à voir ce Nouveau Monde, mais par celui de quelqu’un qui a pris le temps de connaître le pays et les personnes qui l’habitent. Les deux cent cinquante six pages de cette bande dessinée nous permettent d’ailleurs de l’accompagner à un rythme calme, qui est celui de ceux que nous découvrons au fur et à mesure. C’est justement l’une de leurs préoccupations, parmi celles qui ont contribué à réorienter leur vie, car tous ces paysans (on va oublier le terme d’ « agriculteurs », qu’on réservera aux adeptes de l’intensif) ne sont pas forcément issus de ce milieu professionnel, quand bien même ils seraient nés à la campagne. Il s’agit plutôt de « néo-ruraux », d’immigrés venus de France (et d’ailleurs), etc., qui se sont questionnés sur la nature de la civilisation occidentale, sur le sens de leurs activités et donc celle de leur vie.

Portrait après portrait, on découvre un fourmillement d’idées, une diversité de situations, de réussites mais aussi d’échecs. Mais s’il est un trait qui domine, c’est celui de la solidarité qui s’exerce à l’échelle du petit bout de territoire qu’ils mettent en valeur, tant d’un point de vue agricole qu’artisanal, mais dont les ramifications s’étendent jusqu’aux grandes aires urbaines par le biais de l’écoulement de leur production. Car on aura tort de considérer tout ce groupe vivant dans une autarcie totale, déconnecté du reste de la société et de l’économie. Mais leurs activités répondent à d’autres impératifs : on produit pour vivre, c’est-à-dire pour satisfaire ses besoins, avec une marge de sécurité. C’est donc une sorte de contre-société, un mode de vie alternatif que l’on aborde peu à peu.

En même temps, les aspects négatifs ne sont pas laissés sous le tapis. Les mauvais choix de production, les maladresses de néophytes, les désillusions sont aussi évoquées. Mais Stéphane Lemardelé s’attache également à dépeindre les obstacles auxquels se heurtent les protagonistes  de son récit : l’incompréhension des adeptes de la monoculture du maïs, à grands coups de chimie et de mécanique, et surtout les normes et les règlements administratifs, plus absurdes les uns les autres. Ce sont aussi les difficultés financières, qui bloquent toute velléité d’installation de jeunes : le crédit s’ouvre au-delà d’une taille d’exploitation minimale, quand les surfaces n’ont pas été accaparés par des agriculteurs déjà en place.

On est séduit par la confiance qu’a su bâtir Stéphane Lemardelé avec chacun des personnages, qui imprègne son récit. On la sent dans les propos qu’il restitue, qui sonnent très juste — en plus de nous permettre de développer notre lexique québécois. Elle est évidemment présente dans son dessin très délicat, aux tons presque pastels, comme le montre la couverture qui évoque — à dessein — le tableau de Grant Wood, American Gothic (1930), qui se trouve dans les premières pages de l’album.

Sylvain Bourmeau (dir.) , AOC [Analyse Opinion Critique], cahier n° 1, « « Gilets jaunes » : hypothèses sur un mouvement », La Découverte, 2019, 216 p., 12 €. ISBN 978-2-348-04370-3

L’enseignement scolaire de l’histoire ne s’intéresse qu’à des objets relatifs à un passé souvent très éloignés dans le temps. Aborder les événements liés aux entreprises terroristes comme le 11 septembre 2001 apparaît déjà un exploit, alors que la plupart des élèves à qui nous nous adressons n’étaient même pas nés à ce moment-là. Il n’empêche que les professeurs de notre discipline ont à s’imprégner de l’actualité, ne serait-ce que parce que ses racines tiennent précisément à l’histoire : par nature, il n’y a pas de phénomène surgissant ex abrupto

Pour ignorer ce principe de base, faute de culture historique, par manque d’intérêt ou tout simplement de temps1 , trop de journalistes développent une analyse trop superficielle sur les faits qu’ils rapportent. La « crise » dite des « gilets jaunes » (avec ou sans les guillemets, avec ou sans majuscules initiales) en est l’illustration la plus révélatrice du moment. Sa complexité mérite mieux que les amalgames et raccourcis que les médias dominants n’ont cessé de colporter, faute d’avoir les moyens de la saisir. Pour autant, le phénomène n’est pas  encore achevé que la recherche scientifique s’y intéresse déjà, avec les infinies réserves que la faible distance chronologique à l’objet étudié imposent en pareil cas, et parce qu’il n’a fini de se transformer et de produire toutes ses conséquences. C’est précisément le but que s’est assigné AOC, depuis un an, en soumettant l’actualité à des chercheurs sans attendre : « il n’y a pas un temps pour le journalisme et un temps pour la recherche », comme le rappelle Sylvain Bourmeau (p. 9).

Ici, ce sont vingt-quatre scientifiques qui ont été sollicités pour délivrer leur analyse2 , qu’ils soient sociologues, philosophes, etc., et bien sûr historiens ou géographes. La richesse de leur production ne peut être restituée en quelques lignes : on ne peut qu’engager à lire les articles, d’autant qu’ils sont assez courts (six à huit pages, en général), mais très bien informés et très accessibles. On se contentera de donner quelques éléments très (trop) synthétiques qui viennent en contrepoint de ce que la presse a cru voir3 .

On oppose souvent les espaces ruraux, supposés pauvres, aux espaces urbains, qui concentrent population et richesses. Or, les deux -tiers des ménages les plus pauvres vivent dans les aires urbaines. De plus, les nombreuses interdépendances territoriales ont été révélées par le mouvement qui s’est développé depuis novembre, grâce à la voiture rendue nécessaire pour pouvoir accéder aux différents espaces. À ce compte, on estime généralement que ce sont les habitants des couronnes périurbains qui ont fourni les premiers contingents des « gilets jaunes ». De fait, la périurbanisation4 a entraîné un allongement des distances entre résidence et lieux de travail et de consommation, restés en ville, encouragée par des municipalités soucieuses de développement (démographique et économique). Or, ce schéma simpliste ignore le fait que les dynamiques qui sont à l’origine des emplois est plus important dans les espaces périurbains que les centres des villes. Au contraire, ces espaces sont perçus négativement : on met en avant les contraintes5 (qui concernent notamment les transports), l’inadéquation avec les impératifs environnementaux, sans parler de l’uniformisation des paysages, rongés par des lotissements de pavillons individuels6 . Cette perception conduit au sentiment d’espaces périurbains qui seraient abandonnés, par rapport aux centres des villes, bien mieux pourvus en transports en commun modernes (tramways…) et en services de toute nature.

La relation médiatique fait apparaître que le mouvement est porté par les couches inférieures des classes moyennes et les classes populaires. Il s’agit plus précisément de membres de professions intermédiaires, dont, pourtant, le revenu et le pouvoir d’achat sont relativement stables, sans atteindre une marge de confort suffisante pour les protéger en cas de difficultés conjoncturelles. Mais cette sensibilité crée un sentiment d’injustice au regard des efforts exigés par les politiques néo-libérales, que ces catégories sociales supporteraient essentiellement, et celui d’une érosion du pouvoir d’achat, révélé par les hausses ponctuelles du prix des carburants (en oubliant les baisses). Pour autant, les « gilets jaunes » tendent à se distinguer des « assistés », bénéficiaires des aides sociales, tout en exigeant une meilleure distribution des richesses. On retrouve ici l’un des effets du discours libéral qui vise à un émiettement de la société en une somme d’individus, responsables de leur destin et de leurs conditions sociales : être pauvre serait ainsi le résultat d’une volonté personnelle (ou plutôt un manque de volonté), voire même d’un désir de vivre en parasite aux dépends des autres.

D’autres contributions s’attachent aux références historiques brandies par les « gilets jaunes », notamment la Révolution française (d’une façon indistincte)7 . Mais on lira avec autant d’intérêt les articles portant sur l’analyse politique du mouvement (abusivement assimilé à l’extrême droite ou à l’extrême gauche), sur la perception du pouvoir exécutif et des actions engagées, sur celle du pouvoir et des élites par les « gilets jaunes », etc. Une mention particulière doit cependant être accordée à la contribution de Bruno Latour, qui place ce mouvement dans une perspective dépassant le cadre national, à savoir celle de la nécessaire transition écologique8 . Il montre en effet que le mouvement est l’occasion d’éclairer en quoi consiste cette transition : pour produire quelle civilisation ? À ses yeux, il révèle l’incohérence entre d’une part l’état réel de la planète et, d’autre part, les modes de vie et l’idée de progrès qui persistent à être promus. Or,  qui s’en remettre ? L’État est impuissant, pris dans les logiques de développement territorial qu’il a construites. Pour Bruno Latour, il faut s’inspirer de l’exemple de ceux qui ont déjà opté pour un mode de vie tout à fait alternatif, reposant sur une autre vision du territoire, qui dépasse complètement le maillage administratif actuel, réellement utilisé par les citoyens. Ce sont eux seuls qui sont en mesure d’évaluer leurs propres besoins, d’estimer sur quelles ressources ils peuvent compter, et de faire le tri entre leurs souhaits et ce qui est possible. S’il doit y avoir une consultation nationale, elle ne doit pas être une injonction étatique. Elle doit reposer au contraire sur des groupements (militants, associations, scientifiques, etc.), dont la légitimité ne peut être mise en doute, dont le travail de réflexion doit être soutenu. Le but est de dresser une « cartographie des controverses ».

On n’oubliera pas, enfin, la nouvelle d’Éric Chauvier (« Bikini rouge sur fond jaune », p. 195) qui retrace la trajectoire d’une fille sur une trentaine d’années, jusqu’à un rond-point, en décembre 2018.

 

 Notes

1. On n’ignore pas les conditions déplorables de travail de l’immense majorité des journalistes et des pigistes, masqués par la poignée d’éditorialistes omniprésents et omniscients (ce qu’ils croient).
2. Chacune de ces analyses est à chaque fois datée, ce qui prévient l’étonnement de ne pas voir tel ou tel fait, qui, s’étant produit ultérieurement, n’aura donc pas pu être pris en compte. On regrette cependant l’absence de sources qui permettraient d’aller plus loin. On se référera toutefois aux principaux travaux des auteurs que l’on jugera les plus intéressants.
3. Lire en particulier Yves Citton, « Abécédaire de quelques idées reçues sur les « gilets jaunes » » (p. 37 et suiv.).
4. Voir la contribution de Michel Lussault, « La condition périurbaine » (p.171 et suiv.).
5. On lira notamment la contribution du géographe Samuel Dupraz, « La France contrainte des « gilets jaunes » » (p. 75 et suiv.).
6. Michel Lussault rappelle la couverture du magazine Télérama avait consacré à « La France moche » en février 2010 (p. 178).
7. Guillaume Mazeau, « Les « gilets jaunes » et la Révolution française : quand le peuple reprend l’histoire » (p. 107).
8. Bruno Latour, « Du bon usage de la consultation nationale » (p. 189).

 

Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot , Le Président des ultra-riches. Chronique du mépris de classe dans la politique d’Emmanuel Macron, éd. La Découverte, coll. « Zones », 2019, 176 p., 14 €

Présentation de l’éditeur. « Macron, c’est moi en mieux », confiait Nicolas Sarkozy en juin 2017. En pire, rectifient Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot. Huit ans après Le Président des riches, les sociologues de la grande bourgeoisie poursuivent leur travail d’enquête sur la dérive oligarchique du pouvoir en France.

Au-delà du mépris social évident dont témoignent les petites phrases du président sur « ceux qui ne sont rien », les auteurs documentent la réalité d’un projet politique profondément inégalitaire. Loin d’avoir été un candidat hors système, Emmanuel Macron est un enfant du sérail, adoubé par les puissants, financé par de généreux donateurs, conseillé par des économistes libéraux. Depuis son arrivée au palais, ce président mal élu a multiplié les cadeaux aux plus riches : suppression de l’ISF, flat tax sur les revenus du capital, suppression de l’exit tax, pérennisation du crédit d’impôt pour les entreprises… Autant de mesures en faveur des privilégiés qui coûtent un « pognon de dingue » alors même que les classes populaires paient la facture sur fond de privatisation plus ou moins rampante des services publics et de faux-semblant en matière de politique écologique.

Mettant en série les faits, arpentant les lieux du pouvoir, brossant le portrait de l’entourage, ce livre fait la chronique édifiante d’une guerre de classe menée depuis le cœur de ce qui s’apparente de plus en plus à une monarchie présidentielle ».

 

Si le titre de l’ouvrage évoque à dessein l’une des précédentes publications des « Pinçon-Charlot »1 , l’attention du lecteur doit se concentrer sur le sous-titre. Car le projet du livre y est défini très clairement. Le couple de sociologues utilise les connaissances acquises au cours de leurs nombreuses enquêtes au sein des élites pour analyser le parcours de l’actuel président de la République, mais aussi les mesures prises en l’espace d’une année et demie.

Les cent-soixante seize pages de cet ouvrage se lisent sans aucune difficulté, l’humour n’y étant pas pour rien. Les mieux informés ne trouveront pas de révélations inédites sur le personnage du président de la République, ce qui n’est d’ailleurs pas l’objectif des auteurs. En revanche, ils nous offrent une synthèse qui permet de mettre en relation tout ce que l’on sait sur lui, très précisément informée. Encore s’agit-il d’une analyse de type sociologique bâtie autour d’une problématique : en quoi E. Macron est-il représentatif de la classe sociale dont il est issu et dont il porte les intérêts ?

Si l’on se fie à ce que les auteurs disent en préambule, leur « Président des ultra-riches » est une réponse au défi lancé implicitement par E. Macron, dont les propos avaient été rapportés par Le Canard Enchaîné, à l’automne 2017. Il réfutait le fait qu’on puisse le qualifier de « président des riches », comme l’avait été N. Sarkozy : « personne ne peut me relier à cette image ». À défaut de cela, les sociologues devaient pouvoir démontrer facilement le mépris et la condescendance exprimés par le candidat puis par le président, en s’appuyant sur les premières mesures qui venaient appuyer les « macronades ». Ils rappellent toutefois les conditions de son élection : 24 % des votes exprimés, mais seulement 18,2 % des inscrits au premier tour, soit le plus mauvais résultat de toute la Cinquième République. Ce qui inciterait à la modestie laisse au contraire place à l’arrogance, au nom de la légitimité sortie des urnes. Ils rappellent également les conditions de la campagne électorale, et la construction d’un candidat « hors système », alors que son parcours démontre à l’envi qu’il se place parfaitement dans le système. On se dit alors que, finalement, avec une base populaire aussi restreinte, les mesures prises par le nouveau président sont en parfait accord avec ceux qui le soutiennent réellement. C’est justement la conclusion à laquelle parvient les Pinçon-Charlot, « en croisant le contenu de sa politique sociale et économique avec sa trajectoire sociobiographique et le maillage oligarchique de son pouvoir » (p. 155).

Quand la rédaction du livre s’est achevé, le mouvement des « gilets jaunes » avait commencé. La reprise de deux récits publiés dans L’Humanité (26 nov. et 11 déc. 2018) s’imposait pour confirmer le bien-fondé du propos du livre. En effet, l’un des thèmes exprimés par les manifestants concernait sinon la personne du président de la République, au moins le mépris de classe qu’il n’avait cessé d’exprimer.


 Notes

1. Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, Le Président des riches. Enquête sur l’oligarchie dans la France de Nicolas Sarkozy, La Découverte, coll. « Zones », 2010, rééd. La Découverte, coll. « Poches/Essais », 2011.

 

Joël Drogland , Des Maquis du Morvan au piège de la Gestapo. André Rondenay, agent de la France libre, éd. Vendémiaire, coll. « Résistances », 21 mars 2019, 300 p., 23 €. ISBN : 978-2-36358-324-6

Présentation de l’éditeur. « Dans la nuit du 12 septembre 1943, l’agent français André Rondenay atterrit sur le sol de la France occupée. Ce jeune polytechnicien de 30 ans, évadé des camps de prisonniers allemands, vient d’être formé par les services secrets anglais, après son recrutement par le BCRA qui le considère comme l’un de ses meilleurs atouts.

Les missions de celui qui va devenir le représentant de la France libre auprès de la Résistance intérieure pour l’ensemble de la zone Nord sont de la plus haute importance : direction du plan Tortue visant à retarder d’au moins huit heures l’arrivée des Panzers sur les lieux du futur débarquement, destructions d’industries vitales pour l’armée allemande, sabotages de chemins de fer…

Mais sa mission la plus difficile sera d’unir les maquis du Morvan, divisés en organisations aux orientations politiques parfois diamétralement opposées, pour en faire un des plus puissants bastions de la Résistance française. Dans cette entreprise à haut risque, il devra faire face aux pires calomnies venant de son propre camp, jusqu’à ce que, trahi et arrêté, il soit exécuté par les agents de la Gestapo, de l’Abwehr et de la Milice qui l’avaient traqué sans relâche, à quelques jours de la libération de Paris.

En suivant le parcours d’un héros de la guerre de l’ombre, Joël Drogland nous emmène au plus près de la vie des combattants clandestins, retraçant leurs victoires, mais aussi leurs défaites et leurs luttes fratricides ». 

 

 

Saluons pour commencer la qualité d’écriture et de synthèse de l’ouvrage que vient de faire publier Joël Drogland, après bien des vicissitudes. L’objet qu’il a choisi est particulièrement complexe : on s’y perdrait facilement entre les organisations de résistance locales, celles de la France libre, celles des Alliés, et enfin l’appareil répressif allemand et vichyssois. Le livre comporte d’ailleurs de précieuses listes des pseudonymes et des sigles, mais aussi des points particuliers sur différents éléments : la plan Tortue, les missions Jedburgh, etc. De quoi aider le lecteur. De plus, Joël Drogland montre une aisance assez peu commune pour restituer cette période, ce qui permet de lire son livre comme un roman : cela prouve tout simplement sa maîtrise du sujet, qui lui est devenu familier. On est d’ailleurs époustouflé par la masse d’archives qu’il a fallu dépouiller, qui laisse deviner l’épaisseur du temps que ce travail (et d’autres, d’ailleurs) a nécessité. Car Joël Drogland n’est pas un néophyte en la matière. Il est l’un des membres actifs de l’association pour la recherche sur l’Occupation et la Résistance dans l’Yonne (ARORY), auteur de nombreuses publications, l’un des rédacteurs du Dictionnaire des fusillés et exécutés, etc. Il fallait bien cela pour restituer les derniers mois d’existence d’André Rondenay.

La quatrième de couverture, qu’on a lu plus haut, donne une petite idée du parcours de cet envoyé de la France libre, un ancien polytechnicien particulièrement dynamique (comparse de Maurice Bourgès-Maunoury), évadé, qui a finalement réussi à atteindre Londres après bien des difficultés. Après une formation intensive assurée par les SOE britanniques (Special Operations Executive), il est déposé dans l’Indre à la mi-septembre 1943. La mission que lui confie le BCRA (Bureau central de renseignements et d’action) est de mettre en place le plan Tortue, qui « vise à ralentir le mouvement des divisions blindées ennemies par la route » (p. 216), dans le cadre de la préparation de la libération du territoire. André Rondenay « fut par la suite nommé délégué militaire (DMR) de la région P (la région parisienne au sens très large puisqu’elle inclut une dizaine de départements), puis délégué militaire pour la zone Nord de la France (DMZ). En septembre 1943, il reçut en outre la mission d’organiser d’importants sabotages industriels dans la région parisienne ». On voit par là quelle confiance Londres accorde à son agent, qu’elle reconnaît d’ailleurs pour l’un des meilleurs. Le renforcement de la répression à Paris incite le BCRA à éloigner Rondenay de la capitale, et à trouver refuge dans « une région genre maquis » : ce sera le Morvan, pour différentes raisons, où il arrive au moment du débarquement. Là, il va chercher à unifier les différents groupes du secteur, dans un massif assez peu peuplé qui abrite des maquis nombreux et particulièrement actifs.

Cependant, deux éléments vont contribuer à précipiter la fin de « Jarry » (pseudonyme d’André Rondenay dans le Morvan). Il s’agit en premier lieu des dissensions internes, dues à l’organisation de la Résistance à Londres mais aussi aux inimitiés que la personnalité de Jarry va susciter. Le dénigrement atteint à l’ignominie, un cadre militaire l’estimant  « tout juste bon à commander une batterie » (p. 121), un autre le considérant comme un traître qui « mérite tout simplement une balle dans la nuque ». Ces entreprises resteront dans certains esprits, même longtemps après la mort d’André Rondenay , qui persisteront à le considérer encore comme un agent double.

Un homme trouble va savoir tirer profit de ces conflits, dont les entreprises expliquent comment elles ont pu semer le doute : Henri Dupré. Ancien agent franquiste infiltré dans les brigades internationales, il passe au service de l’Abwehr très tôt, dûment stipendié pour son action. Intelligent, il réussit à s’immiscer dans des réseaux qu’il contribue puissamment à détruire, parvenant même à devenir l’un des responsables des maquis de l’Aube et de l’Yonne. Son but est d’abattre Jarry. Plusieurs guets-apens échouent, même si des chefs résistants sont capturés. André Rondenay est finalement arrêté à la station de métro de La Muette, le 27 juillet 1944. Il confie ultérieurement à d’autres résistants que les Allemands disposaient de renseignements très précis sur ses activités : Henri Dupré avait bien travaillé. Torturé à plusieurs reprises, André Rondenay est enfermé à Fresnes avec certains de ses compagnons. Un convoi de déportation est formé en toute hâte : les Alliés se rapprochent de Paris. Le 15 août, il part de la gare de Pantin, mais sans André Rondenay et quatre autres résistants. Embarqués par un groupe d’Allemands et de miliciens, ils sont emmenés dans la forêt de Montmorency, et abattus. Au passage, l’auteur nous permet de comprendre l’efficacité du système de répression allemand, s’appuyant sur la duplicité d’indicateurs infiltrés tels que Dupré, mais aussi sur les forces de l’ordre françaises, des résistants retournés, etc. C’est un aspect dont l’importance n’est pas toujours très bien rendue, mais qui explique le démantèlement de nombreuses organisations, notamment au début de l’année 1944. Faute de ces solides éléments aguerris, on peut préjuger qu’auraient pu être évitées les conséquences désastreuses d’erreurs commises par des inexpérimentés, lors des combats pour la libération.

Cependant, l’ouvrage de Joël Drogland ne s’arrête pas là. Il indique non seulement comment Henri Dupré a tenté d’effacer les traces de ses forfaits après la libération, comment il fut finalement démasqué et jugé au terme d’une longue procédure, rendue difficile par le prestige et le soutien de cadres résistants dont il bénéficie alors de façon éhontée.

Outre les qualités rédactionnelles de son livre, il faut enfin reconnaître à Joël Drogland le mérite d’avoir contribué à sortir du passé l’un de ces délégués militaires régionaux, encore mal connus. Peu ont survécu, et ils n’ont pas trouvé toute leur place dans la mémoire nationale, y compris dans l’historiographie, alors que leur rôle a été décisif dans l’organisation de la libération. André Rondenay n’échappe pas à cette règle, dont la mémoire s’est constituée avec beaucoup de difficultés et dans des proportions inverses aux services rendus.

Guillaume Goutte, Vive la syndicale ! Pour un front unique des exploités, éd. Nada, coll. « Manières d'agir », 2018, 88 p., 8 €. ISBN : 9791092457285


Présentation de l’éditeur. « Dans ce court essai, Guillaume Goutte, correcteur de presse, militant à la CGT et aux Comités syndicalistes révolutionnaires (CSR), réaffirme la pertinence du syndicalisme révolutionnaire face aux enjeux que pose, au XXIe siècle, la lutte contre le capitalisme et l’État. Comme il le démontre, sa pratique du front unique et son exigence d’unité, d’autonomie et d’indépendance syndicales l’imposent, encore et toujours, comme la stratégie révolutionnaire la plus opérante ».

 

 

Comme cela est annoncé sur leur site, « les éditions Nada publient des essais ou des récits ayant trait à la critique et à l’histoire sociales, à la littérature et aux arts. La question sociale, l’émancipation, les marginalités, les contre-cultures sont autant de thématiques qui sous-tendent sa ligne éditoriale ». On a donc tous les ingrédients de l’éducation populaire, sous un angle critique.

Dans ce petit ouvrage mais très dense, Guillaume Goutte montre en quoi le syndicalisme révolutionnaire garde toute son actualité aujourd’hui, et qu’il ne reste pas cantonné aux années précédant la première guerre mondiale, époque de sa pleine expression. Il cherche à démontrer en quoi ses mots d’ordre d’unité d’action peuvent être un moyen de faire progresser les droits sociaux. Il se base pour cela sur les échecs face à la loi « travail » adoptée en 20161 . La loi « El Khomri » avait pourtant été l’occasion d’une intersyndicale assez large — à l’exception de la CFDT —, rejointe par des éléments étudiants.

Guillaume Goutte dénonce plusieurs faits qui ont compromis la réussite du mouvement. En premier lieu, il s’agit de l’action violente de certains manifestants qui ont développé leurs actions sans concertation avec la base (ce que Pierre Monatte dénonçait déjà en 1913). Il attribue aussi cet échec à la régression de la sociabilité ouvrier, à l’absence d’espaces stables « de rencontres, d’entraide et de partage » (p. 14), comme pouvaient l’être les bourses du travail. Nuit debout a pu être l’un de ces lieux, éphémères, mais le cadre des discussions a rapidement dépassé celui de la lutte contre la loi « El Khomri ». Guillaume Goutte évoque aussi les appels à la grève générale, voire à l’insurrection révolutionnaire, qui tiennent davantage de l’incantation (p. 17) qu’autre chose, du fait de l’absence d’organisation du mouvement s’il venait jamais à l’emporter. Plus grave, selon lui, est la tendance des plus radicalisés (ce qu’il appelle l’ « ultra-gauche ») à dénoncer les organisations syndicales, ce qui revient à en affaiblir l’action par le discrédit. Or, s’il parle d’incantations, Guillaume Goutte ne renonce par ces formes d’action, mais veut dénoncer la mise en avant d’une idéologie souvent déconnectée du contexte réel.

Examinant les faiblesses des organisations syndicales — et notamment de la CGT dont il fait partie —, l’auteur explique ce qu’il apprécie. S’agissant par exemple de la grève générale, il rappelle la grande autonomie dont jouissent chacun des syndicats confédérés, et le fait que les impulsions en proviennent : un mouvement lancé du haut de l’organisation n’aurait aucun sens, et n’est même pas pensable. En revanche, beaucoup plus sérieuse est l’impuissance actuelle des syndicats à établir un réel rapport de force durable. Ils hésitent à se lancer dans une grève, ce qui implique des sacrifices pour ceux qui la suivent, sachant qu’elle ne doit se produire que dans la perspective d’une victoire, une défaite ayant des conséquences désastreuses ne serait-ce que pour remobiliser à terme. On le voit avec les grèves à répétition, dont on ne comprend plus le sens. Pourtant, la France est un pays où le taux de syndicalisation est encore relativement élevé, et où l’opinion publique n’est pas a priori hostile aux buts recherchés, à savoir des progrès sociaux2 . Le phénomène de la « grève par procuration » est cependant vu par lui comme un autre élément explicatif aux échecs sociaux depuis 1995 ; « avec une syndicalisation plus importante, plus forte et plus large au sein du monde du travail, organisée par industrie3 (en syndicats locaux et en fédérations) et non par entreprise, les mouvements sociaux pourraient rompre avec cette habitude « (p. 27). Or, cela gêne la grève, qui ne parvient à mettre en œuvre la paralysie destinée à atteindre ses objectifs. Enfin, en hésitant à appeler à la grève, les syndicats finissent par en affaiblir la portée symbolique, à savoir la constitution d’une force capable d’obtenir gain de cause, et surtout un moment de prise de conscience que cette force peut être constituée, autrement un moment d’acquisition d’une culture syndicale (p. 71). Enfin, l’auteur voit une autre explication aux échecs dans l’absence d’un élargissement des luttes restreintes à un ou quelques secteurs d’activité : la dimension interprofessionnelle a gravement manqué (p. 69 et suiv.).

Guillaume Goutte s’emploie ensuite à expliquer en quoi consiste le syndicalisme révolutionnaire, incarné aujourd’hui par les CSR (comités syndicalistes révolutionnaires), qui existent au sein de la CGT mais qui ont vocation à être présents dans les autres formations syndicales. Il se distingue de l’anarcho-syndicalisme (dont il est cependant très proche) dans son « rapport aux courants révolutionnaires et, de là, au projet de société » (p. 32). Si celui-là « se pose ouvertement en projet anarchiste de transformation sociale — le communisme libertaire » (p. 32), le « syndicalisme révolutionnaire , lui, préfère l’unité du mouvement ouvrier en œuvrant à rassembler [au sein d’une même confédération] tous les travailleurs soucieux de leurs intérêts de classe et d’indépendance syndicale, qu’ils soient réformistes, partisans d’une émancipation qui se construit pas à pas dans les cadres parlementaires, ou révolutionnaires, convaincus d’une rupture violente, par la grève générale et l’expropriation directe des capitalistes (p. 33), comme l’indique très clairement l’article 2 de la charte d’Amiens, en 1906. Guillaume Goutte reproche précisément à l’anarcho-syndicalisme le fait d’utiliser l’action syndicale pour faire triompher une idéologie, ce qui revient à « sacrifier les capacités politique des travailleurs sur l’autel d’un subordination idéologique […] appelée à se substituer à [leur] réflexion dans la construction de leur émancipation ». Voilà qui explique le farouche attachement du syndicalisme révolutionnaire au vieux principe d’une autonomie du syndicalisme à l’égard du politique. Pour autant, il ne s’agit pas de rejeter « la dimension politique du syndicalisme [mais bien d’affirmer qu’il] peut et doit élaborer lui-même son projet politique » (p. 39), ce qui permet de renforcer « la confiance que le prolétariat a en ses propres capacités politiques, c’est-à-dire à […] à penser son émancipation » (p. 42).

Pour autant, Guillaume Goutte estime que les campagnes électorales doivent être utilisées pour porter les revendications sociales (p. 59 et suiv.), sans que les organisations interfèrent en quoi que ce soit dans le jeu politique, en préconisant telle ou telle attitude.

Court et bien écrit, l’ouvrage séduit par la capacité de son auteur à transmettre sa réflexion de façon fluide. Chacun y trouvera ce qu’il veut bien y trouver. Cependant, il paraît important que des enseignants disposent de ce genre d’ouvrage, ne serait-ce que pour alimenter leur propre culture sociale ou leur besoin de satisfaire leur curiosité idéologique. Il est également indispensable pour leur permettre de comprendre les racines et  les enjeux qui animent les mouvements sociaux actuels, à propos desquels ne manquent pas de s’interroger les élèves. Il l’est encore pour approfondir le regard critique sur la société sans lequel le métier d’enseignant n’est rien.
 
 
Notes
 
1. Il s’agit en fait de la loi « Macron », adoptée sans opposition en 2015, et de la loi dite « El Khomri » (en réalité fortement inspirée par le premier), qui a suscité un mouvement social plus important, mais avec les mêmes résultats.
2. Le poids et la responsabilité des médias dominants sont ici écrasants.
3. L’auteur y voit d’autres avantages, notamment le fait de bénéficier du soutien de l’ensemble d’une « industrie » (p. 46), mais aussi de rassembler toutes les catégories de salariés, au-delà des statuts (p. 47), y compris ceux qui sont exclus du travail (p. 48). Ainsi est rompu le sentiment d’isolement, surtout si l’on ajoute une dimension interprofessionnelle par le biais d’unions géographiques de syndicats (p. 52).
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Eric Beynel, Gérard Gourguechon, Annick Coupé, Découvrir Solidaires. L’Union syndicale. [C’est quoi un syndicat ?], éd. de l'Atelier, 24 janvier 2019, 96 p., 7 €. ISBN : 9782708245877

 


Présentation de l’éditeur. « À quoi vous servez ? », « Vous faites de la politique ? », « Qui décide chez vous ? », « Pourquoi soutenir les sans-papiers ? »…

Alors que Solidaires vient de fêter ses vingt ans, ce petit ouvrage présente la spécificité de cette union syndicale. En douze questions impertinentes, sont abordés son fonctionnement et son positionnement face au système économique, son histoire et son identité, ses modalités d’actions et ses pratiques, son engagement sur les débats de société.

Un support pédagogique utile au grand public comme aux militant-e-s désireux de faire connaître cette organisation et d’écarter quelques idées reçues sur le syndicalisme en général ! ».

 

Voici un opuscule dont on souhaite vivement qu’il soit à l’origine d’une collection. C’est d’ailleurs ce à quoi on ne manque pas de penser quand on lit le haut de la couverture : « [C’est quoi un syndicat ?] ». À parcourir le catalogue des éditions de l’Atelier, il semble que ce ne soit malheureusement pas le cas.

On pourra probablement voir dans ce petit livre une sorte d’ouvrage de propagande, ne serait-ce qu’en raison de ses auteurs qui ont été ou sont encore des responsables de Solidaires. On écartera d’emblée ce mauvais procès : il suffira de prendre le recul nécessaire pour en retirer tout l’intérêt qu’il mérite ; la bibliographie (p. 94) y aidera.

Le propos est résolument didactique : il vise à apporter des réponses à des questions que le grand public pourrait se poser. En un moment où la confiance en un organe collectif de lutte pour le progrès social s’affaisse, il donne en réalité une réponse à la question qu’on vient d’évoquer : à quoi peut bien servir le syndicalisme aujourd’hui ? Les auteurs ont d’ailleurs construit leur progression dans ce sens, en partant d’une douzaine d’interrogations tout à fait légitimes :

  • Pourquoi y a-t-il autant de syndicats ?
  • À quoi vous servez ?
  • Vous n’avez rien trouvé de mieux que la grève ?
  • Donc, vous faites de la politique ?
  • Pourquoi se mêler de tout ?
  • Qui décide, chez vous ?
  • Pourquoi soutenir les sans-papiers ?
  • L’égalité hommes/femmes, c’est réglé, non ?
  • Le travail salarié, c’est dépassé ?
  • L’écologie, c’est pour faire joli ?
  • Le bien-être au travail, en quoi ça vous regarde ?
  • L’international, c’est pour faire du tourisme ?

Mais qu’est-ce que Solidaires ? C’est une « union professionnelle qui rassemble des organisations syndicales » (p. 9) depuis 1998, mais dont l’origine se situe dans l’apparition d’un groupe des Dix, en 1981. En 1989, SUD-PTT le rejoint puis, à sa suite, d’autres syndicats SUD. L’Union syndicale Groupe des Dix est constituée neuf ans plus tard, et le G10 devient Solidaires en 2001. Dans ce même élan fédérateur, des liens ne cessent de s’établir avec des syndicats étrangers. C’est sur cette base qu’est fondée en 2013 un Réseau syndical international de solidarité et de luttes, avec plus de soixantaine d’organisations. Enfin, vingt après la création du G10, Solidaires déménage rue Grange-aux-Belles, à Paris.

Solidaires a une place originale parmi les structures syndicales françaises, ce que l’on pourrait dire de chacune d’entre elles. Mais on note une attention particulière depuis l’origine à des problèmes qui pourraient sembler en marge de l’activité habituelle d’un syndicat : celui des sans-papiers (avec le soutien à ceux de l’église Saint-Bernard) en est un exemple, mais la sensibilité aux rapports hommes-femmes en est un autre. On retrouve Solidaires aux côtés des plus démunis (avec le DAL, par exemple), des zadistes (à Notre-Dame-des-Landes ou ailleurs). Cette démarche distingue cette union d’autres organisations, beaucoup plus centrées sur la défense des intérêts de leurs adhérents. En même temps, la critique a beau jeu de dénoncer ce qui peut ressembler à une dispersion ; on pourra cependant y voir une ouverture d’esprit qui est une source d’enrichissement pour la lutte syndicale, et un moyen d’être en prise avec les véritables préoccupations de la société. Car Solidaires est aussi une organisation qui se fait remarquer par un certain radicalisme dans ses actions et ses positions, ce qui n’exclue en rien des rapprochements avec d’autres organisations. Les auteurs insistent cependant sur le fait que chacune a une histoire et des valeurs spécifiques qui influent sur les formes de lutte et les objets défendus. Et on trouvera d’ailleurs des points communs entre Solidaires et d’autres syndicats.

Découvrir Solidaires constitue ainsi un excellent point de départ pour comprendre le mouvement social contemporain.

Jean-Yves Le Naour (sc.), Iñaki Holgado et Marko (ill.), Aretha Battistutta (coul.), <i>Le réseau Comète. La ligne d'évasion des pilotes alliés</i>, Bamboo, coll. « Grand Angle », 56 p., 31 mai 2023. ISBN 978 2 8189 9395 8

Présentation de l'éditeur . « Des centaines de résistants de « l’armée des ombres », discrets, silencieux, un « ordre de la nuit » fait...