24/06/2020

Marie Donzelli (sc.), Mademoiselle Caroline (ill., coul.), Adoleschiante, Delcourt, 24 juin 2020, 264 p., 27,95 €


Présentation de l’éditeur. « Chronique d’une famille soumise au dictat d’une adolescente standard, Adoleschiante doit beaucoup au quotidien de sa scénariste. Son regard lucide et bienveillant a trouvé en Mademoiselle Caroline l’interprète idéale.

Pour Laura, à qui l’adolescence a transmis le virus de la révolte, rien n’est vraiment plus supportable et elle le fait savoir à toute personne prête à l’écouter. C’est-à-dire sa mère, objet principal de sa contestation. Si proche et pourtant tellement différente comment imaginer qu’elle puisse la comprendre… ce serait comme croire au Père Noël. Alors que c’est elle, le Père Noël ! ».

 

  Il ne faut pas cacher le plaisir qu’il y a à lire Adoleschiante, qui s’ouvre sur le jeu de mots du titre, peut-être facile mais efficace. La réussite de la bande dessinée tient surtout aux situations imaginées par Marie Donzelli et mises en image et couleurs par Mademoiselle Caroline, sur un ton humoristique qui donne une certaine distance et rend d’autant plus sensible le côté absurde des relations entre Laura, l’adolescente peinte, et sa mère essentiellement. Tout sonne très juste dans cette chronique d’une vie d’une famille de cinq personnes chahutée par une adolescente qui place tout le monde sous son emprise. Cette dernière s’estime injustement traitée, brimée dans ses aspirations qu’elle croit les plus légitimes : un nouvel iPod à Noël et un nouveau portable pour son anniversaire, par exemple. Elle pense être aussi l’élément fondamental de la famille, puisqu’elle doit assumer la charge de ses deux petits frères, sans compter l’entretien de la maison : il y a évidemment loin entre la réalité et sa perception par Laura…

Au-delà de l’humour, qui fait avaler l’album d’un trait, le lecteur observe une famille on ne peut plus banale. Le père travaille et n’apparaît qu’épisodiquement ; la mère cherche à travailler, ayant jusque là assumé ses petits jumeaux. Laura évolue en parasite au sein de la cellule familiale, complètement tournée vers l’extérieur grâce à son téléphone, préoccupée par ce qui touche à son nombril : elle est physiquement présente, mais en réalité complètement détachée de ce qui l’environne.
L’adolescente typique, en somme, avec portable greffé à l’oreille, qui résume ses semblables. Dans ce portrait, on retrouve bien sûr ce qui caractérise un être en pleine mutation et en pleine construction, qui cherche de nouveaux repères tout en rejetant ceux qu’elle a eus jusque là : ses parents, et sa mère en particulier. Ce besoin de ré-identification passe aussi par l’adoption d’un vocabulaire assez cocasse, sorte de jargon destiné à mettre à distance ceux qui n’y ont pas été initiés. On remarque des expressions déjà passées de mode, mais on conviendra aisément qu’il est bien difficile d’en suivre l’évolution. Ces bouleversements sont aussi traduits par les contradictions de Laura et sa mauvaise foi. Si son vieux monde est derrière elle, elle court vers un avenir complètement incertain, dont elle ne cherche pas à assumer le commencement.

En entrant plus avant dans l’album, on prend conscience du rôle de la mère, qui sert de miroir à Laura mais surtout de pôle attractif et répulsif à la fois. À la quarantaine, elle aussi se trouve en pleine remise en question. Elle veut travailler à nouveau pour sortir de l’enfermement familial et ouvrir ses relations sociales : avoir une vie « normale ». Elle doit elle-même se confronter à un corps qu’elle a peine à assumer.

Les auteurs font intervenir une autre femme : la grand-mère. Laura en est étonnement proche de Laura, quand on considère le décalage générationnel. Mais on s’aperçoit que si l’affection qu’elle éprouve est certainement sincère, sa petite-fille l’utilise pour élargir son espace de liberté. Elle l’est encore pour placer sa mère en porte-à-faux, pour lui rappeler quelle adolescente elle a pu être et la mettre devant ses propres contradictions.

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